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Temps de lecture estimé : 22 mn
08/02/08
corrigé 31/05/21
Résumé:  La communauté est en émoi : le maître a été assassiné. Mais personne ne le pleure !
Critères:  fh hdomine historique policier
Auteur : Claude Pessac            Envoi mini-message

Série : Les tilleuls des félons

Chapitre 01 / 06
Quand résonne le bourdon

Le maître est mort.



La journée s’annonce chaude. Depuis quelques jours, la froidure a disparu, la neige a fondu, même sur la cime des monts. L’astre du jour a enfin chassé le père Hiver. Il était temps : la mauvaise saison a été rude et interminable. En s’éternisant jusqu’à mi-avril, l’hiver a épuisé les maigres réserves des paysans et la disette s’est installée et a frappé les plus faibles. Les offices d’actions de grâce se sont multipliés, réunissant au fil du temps une assemblée toujours plus nombreuse, plus fervente, à mesure que les fidèles se montraient plus impatients et plus émaciés.


Mais cette fois, les prières ont été exaucées : le printemps s’est installé et réveille la nature. Pas que la nature d’ailleurs : dès les premiers rayons chauds, le village s’est animé ; les charrues ont été attelées, les paysans ont abandonné pour un temps la taille des vignes afin de se consacrer aux labours. Ici, dans la cour dîmière, les maraîchères sont plus nombreuses de jour en jour à venir monter leur étal ; leurs cris pour alerter le chaland sont plus vifs, leurs plaisanteries plus drôles, leurs marchandises plus variées, plus colorées.


Sauf aujourd’hui.

Ce matin, point de marché, pas d’étal. Pourtant, la cour première du château grouille d’une populace nombreuse, nombreuse mais quasi silencieuse !


Le maître est mort.


Les manants s’étonnent, commentent, commèrent, mais n’ont pas l’air particulièrement attristés.

Arbogast les comprend : le maître ne vaut guère que l’on verse une larme sur son sort.

Douloureux sort !

Qui donc pourrait le plaindre. Son cœur n’était que colère et vilénies, sa bouche ne savait proférer qu’injures et ordures.

Arbogast n’était pas le dernier à être par lui maltraité. "L’idiot" qu’il l’appelait, lui qui savait à peine lire. Arbogast sait lire, Arbogast est instruit. Arbogast est affreux, laid et bancal, mais Arbogast lit et parle le latin comme le curé. Mieux même ! Arbogast lit le grec, parle l’allemand et même le français. Et l’alsacien bien sûr ! Arbogast a reçu du Très-Haut le don des langues dit le révérend père.


Tout Comte qu’il était, le maître n’entendait rien aux langues, aux sciences, aux mathématiques, à l’art. Pour lui ne comptait que l’or. L’or et les femmes.


La première cour du château fourmille de manants en quête d’informations. Les villageois, réveillés au petit matin par le gros bourdon du couvent, sont montés en masse au château fortifié pour en apprendre plus sur la mort du Comte. Des petits groupes se sont formés autour de quelques serviteurs fébriles qui relatent à voix basses les circonstances abominables de l’assassinat du Maître. La foule est silencieuse, choquée sans doute par la barbarie de l’exécution, inquiète sûrement des conséquences à venir, mais très largement indifférente à la souffrance qu’a dû endurer le supplicié.


A l’écart de cette agitation muette, Sylvette, la ravaudeuse, assise sur le bord de la fenêtre de son logis, ourle une robe. La "Noiraude" comme l’appellent les habitants des lieux, profite de la douce clarté de ce matin de printemps pour soigner son ouvrage. "Noiraude", pour ses longs cheveux sombres et son teint cuivré. Selon les circonstances, d’aucuns se contentent de la traiter d’étrangère, comme le sont tous ceux nés hors du landgraviat. Alors pour elle, originaire d’outre-monts et pis encore…


– Elle a grandi au bord la mer, qu’elle dit ! se racontent les commères sans pouvoir imaginer d’ailleurs ce que peut bien réellement être la mer !


Dès potron-minet, avant même que la mort du seigneur n’ait été annoncée, Sylvette a été appelée au château. Conduite à la chambre de la Comtesse, elle a trouvé celle-ci vêtue d’une longue robe noire, trop large, trop longue. Les retouches devant être réalisées sans tarder, la jeune femme profite de la lumière douce du matin pour piquer à son aise. Un trouble sourire aux lèvres, elle coud sans un regard aux groupes frémissants des villageois inquiets. Tout juste lance-t-elle de temps en temps un regard au vannier, son voisin, qui, sur le pas de sa porte, tresse patiemment un panier sans apparemment prêter attention, lui non plus, aux interrogations des compères et commères.


Les femmes !

Combien de vierges a-t-il déflorées, combien de mères a-t-il violées, combien de catins a-t-il culbutées. À cette heure, face au Très-Haut, il est trop tard pour faire amende honorable, son vice lui vaudra de brûler en enfer, pour l’éternité. Arbogast l’a vu, dans la maison de Maman, lutiner, maltraiter, battre, violer des femmes. Souvent, très souvent, Maman venait et disait :


  • — Maintenant, Arbogast va se cacher dans le grand panier, il va se tenir coi, il ne bougera pas. Arbogast a bien compris Maman ?

Et Arbogast opinait du chef, grimpait dans le panier et n’en bougeait plus. Alors Maman sortait du grand coffre en bois la couverture rouge du Maître, l’étalait sur la paillasse. Et le Maître arrivait, avec une ribaude échevelée, une catin hilare ou une donzelle épouvantée. Petit, Arbogast s’intéressait peu à ce remue-ménage, mais en grandissant, la curiosité lui est venue d’observer. Maman, sûrement, s’en est doutée et un jour, au lieu de le cacher, elle a obligé Arbogast à quitter le foyer, à sortir, glaner des branchages, lier des fagots ou trier des lentilles dans la grange voisine. Maman ne voulait plus qu’Arbogast soit témoin de ces débauches. Mais Arbogast s’était montré malin : dès qu’il le pouvait, il ramassait des branches, fabriquait d’avance des fagots qu’il cachait. Lorsque le Maître venait, il courait dans l’étable attenante à la maison, et entre deux planches disjointes, il observait la sarabande.


La cour dîmière bruisse des chuchotis des paysans effarés. Sur le double chemin de guet, les soldats, plus nombreux qu’à l’accoutumée, sont nerveux et surveillent la foule rassemblée. L’atmosphère est pesante malgré la légère brise de printemps qui porte déjà les doux parfums des premières fleurs écloses dans les pâturages ou sur les fruitiers.

Assis sur un tabouret de vacher, le vannier semble indifférent à cette agitation. Devant sa maison blottie contre le premier mur d’enceinte, en face des badauds rassemblés, l’homme entrecroise avec dextérité les brins d’osier détrempés. Apparemment concentré sur son ouvrage, l’artisan tresse avec ardeur, mais n’en jette pas moins des coups d’œil rapides aux badauds et à la petite ravaudeuse, sa voisine.


En voilà une qui ne pleure pas, la Sylvette. Elle aussi y a eu droit. Arbogast s’en souvient parfaitement. Elle n’était pas arrivée au château depuis huit jours que le Maître l’avait traînée chez Maman. Arbogast n’a pas vu l’entrée du Maître et de sa victime du jour. Arbogast d’abord n’entendait que la voix du Maître :


  • — Sorcière, verse-nous le vin que j’ai fait porter tantôt, emplis mon hanap et disparais. Je ne veux pas voir ta face de carême pendant que je lutinerai la petite : elle me ferait passer l’envie. Et toi, la donzelle, aide-moi à enlever mes chausses et mes braies. Allez, presse-toi, ne fais pas ta chattemite. À courir la campagne, il y a sûrement beau temps que tu as perdu ton pucelage. Alors ne joue pas l’effarouchée !

Quelques instants plus tard, le Maître avait poussé la jeunette vers la couche. Arbogast avait dès lors profité du spectacle. La jeune femme paraissait calme, nullement effrayée, un léger sourire flottait même sur ses lèvres.


  • — Enlève donc ces frusques qui cachent tes avantages, que j’en estime l’attrait, avait ordonné le seigneur.

La petite n’avait point protesté et avait troussé de concert sayon de serge et chasuble, remonté le tout pour s’en défaire par la tête et jeté les vêtements en boule au sol. Tapi derrière les planches, Arbogast avait senti son vit se dresser derechef au spectacle de cette jeune étrangère dénudée. Arbogast n’avait jamais vu donzelle à la peau si mate. Ses petits seins pointaient effrontément. Arbogast se rappelait surtout l’étonnement et le plaisir que lui procurait la vision nette de sa chatte. Jusque là, les partenaires du Comte ne lui avaient guère donné l’occasion de découvrir les secrets du sexe féminin, leurs toisons sombres et fournies lui masquant les détails ; mais cette femelle-là, avec sa toute petite forêt et son sexe quasiment imberbe lui permettait de découvrir le centre des délices, à commencer par les renflements dodus des lèvres bordant la fente convoitée.


  • — Faut-il donc que tu viennes du diable vauvert, s’était étonné le Comte, pour que ton cuir soit si sombre ! Le soleil t’a rôti, pardieu ! Il t’a asséchée aussi. Ce ne sont là point des mamelles, juteuses et rebondies, mais des pommes d’api desséchées et vides !
  • — Si mes formes n’ont pas l’heur de vous plaire, je peux tout aussi bien me rhabiller, Monseigneur…
  • — Pas si vide, maraude. Tes nichons sont maigrelets mais effrontés. Tu es bien malingre mais ton petit buisson, si ras, si dru, si net, me change des épaisses forêts qui engloutissent le chat des ribaudes d’ici. Et ce tout petit con, tout serré et tout nu est des plus étranges, appétissant et croquignolet. Il doit être étroit à souhait, bien serré, il me tarde de l’embrocher !

Le maître s’était approché, avait relevé son surcot, exposant son Jésus au regard de la petite dont le sourire avait paru s’élargir.


  • — Tu souris, gourmande, s’était félicité le fanfaron.

Arbogast avait pensé que Sylvette se moquait plutôt de la pauvre arme du chevalier, comme lui-même, au regard de son propre braquemart, souriait toujours du peu de générosité consentie par Dame Nature au grand seigneur.


  • — Approche, gueuse, et viens lui rendre hommage. Mais prends garde que tes quenottes ne le blessent !

Se postant à genoux, la fille avait prestement et sans encombre englouti l’appareil jusqu’à la garde. Ses joues se gonflaient et se vidaient à bon rythme, témoignant de son zèle et de sa célérité. Après quelques instants, libérant à demi la verge, Sylvette s’était mise à pomper allègrement le nœud. Les mains sur la panse pour retenir sa tunique, Ulrich von Heilengstein avait paru apprécier à sa juste valeur le traitement appliqué à son sexe érigé. Et lorsque la donzelle lui avait glissé une main entre les cuisses et caressé ses bourses contractées, le Maître s’était cambré, la tête renversée, les yeux clos : il avait paru proche d’atteindre la félicité. Arbogast, de son côté, avait profité en sus du spectacle excitant de la petite effrontée : non contente de sucer, lécher, avaler la queue du noble avec un bel entrain, la gourmande utilisait sa main libre pour se donner de la joie. Après quelques instants toutefois, le Comte s’était brusquement reculé :


  • — Cesse donc, possédée, tu t’actives si fougueusement que je te soupçonne de vouloir échapper au sabrage que je t’ai promis. Mais tu ne te joueras point de moi ! Je t’ai fait une promesse, et compte bien la tenir.

Le maître avait disparu un instant avant de revenir, tenant à la main une chaise qu’il installa près du châlit. S’asseyant, il avait ajouté :


  • — Mais avant de profiter de ma générosité, il convient de prouver tes talents ! Allonge-toi sur cette paillasse et montre-moi comment tu te rassasies le soir, au fond de ta couche, lorsqu’il n’y a aucun coquin pour te fourrer !


Des aboiements furieux suivis d’une cavalcade troublent à cet instant le sourd brouhaha de la cour dîmière. Un chat galeux zigzague entre les groupes de manants, poursuivi par un chien furieux, effrayant maintes dames. Sautant sur le lierre du rempart, le greffier malin escalade la paroi et disparaît prestement. Le chien continue d’aboyer quelques instants, puis dépité, fait demi-tour tranquillement pour rejoindre son antre au fond de la cour. Le calme revenu, les messes basses reprennent, certains manants passant de groupe en groupe pour colporter les ragots. La rumeur recommence à courir…


Distrait un instant par cet intermède bruyant, l’homme ferme les yeux pour mieux rassembler ses souvenirs.


Arbogast avait bien vu l’étonnement amusé de la jeune fille à l’indécente demande du Comte. Sylvette s’était assise sur le bord de la paillasse avant de s’allonger, les jambes hors de la couche. Ses mains s’étaient mises à courir sur la peau ambrée, à papillonner autour des pommes reinettes avant de les pétrir, longuement, savamment, à en faire dresser les pointes étrécies vers les cieux. Puis les doigts légers étaient partis vers le ventre doré, les deux mains s’étaient jointes pour se fondre entre les cuisses encore serrées. Lesquelles s’étaient alors ouvertes, écartelées, et les doigts s’étaient animés sur la fente, glissant de haut en bas et de bas en haut avec une exaspérante lenteur. Comme une fleur se déploie au soleil du matin, la petite fente s’était ouverte, dévoilant les replis d’une corolle rosée et juteuse. Derrière sa cloison, Arbogast avait dû serrer les doigts fortement sur son gland pour ne pas perdre le contrôle de son plaisir; et il n’était pas le seul : le Comte paraissait lui aussi avoir bien du mal à se contenir.


La petite s’enfourna alors deux doigts dans la grotte et commença à gémir de bonheur, ses doigts entraient et sortaient de plus en plus rapidement, nerveusement, de son sexe béant. Sylvette s’agitait, ahanait, soupirait de plaisir et d’envie. Le Comte ne fut pas long à capituler, laissant son plaisir exploser, son foutre éclaboussant le ventre de la jeune fille qui se cambrait, se tordait sous l’effet de son plaisir montant. Son corps ondulait doucement comme les blés sous le vent chaud de l’été. Passant sa dextre sous ses fesses relevées, Sylvette avait glissé trois doigts de cette main dans sa grotte alors que son index gauche et son pouce s’étaient glissés dans le haut de sa fente pour exciter son bouton.


Les mouvements s’étaient accélérés, à l’unisson de ceux d’Arbogast sur sa queue tendue. Puis, brutalement, les mouvements avaient cessé, Sylvette était restée immobile, fesses décollées du lit, cuisses tendues. Ahuri, Arbogast avait vu la jeune femme se figer comme une statue avant de retomber, le corps en transe, sur la couverture rouge. Soufflant, râlant, balançant la tête d’un côté à l’autre, la jeune femme avait joui, bruyamment, sans retenue, ses mains s’agitant de plus belle, ses doigts s’enfonçant avec brutalité entre ses cuisses ouvertes. Arbogast avait joui avec elle, sa semence s’écrasant lourdement sur les planches de la cloison.


Après que son propre plaisir l’ait laissé pantelant quelques instants et distrait du spectacle, Arbogast, se redressant, avait à nouveau risqué un œil entre les planches. Il avait vu la jeune fille, toujours face à lui, alanguie, promener doucement sa main sur son ventre, étalant de fait la semence répandue par le Comte. Lequel Comte, énervé, remettait hâtivement ses chausses.


  • — Tu es diablesse, hérétique, pour te tordre ainsi sans honte ni retenue. Tu as voulu te jouer de moi, mais tu ne l’emporteras pas au Paradis. Je reviendrai et te sabrerai jusqu’à ce que tu réclames grâce !

La jeune fille n’avait pas répondu, mais son sourire s’était transformé en ricanement dès que le Comte eut quitté la masure. Tranquillement, elle se …


Des cris retentissent dans la cour, interrompant les souvenirs du rêveur. Parmi les groupes de manants, la rumeur galope : "quelqu’un" a donc vengé la petite Margret, violée, battue et tuée deux semaines plus tôt, le jour même de seize ans ; vengé aussi toutes les femmes violentées par le Comte, vengé encore tous les pauvres hères, victimes de ce félon ou de la justice expéditive du Prévôt à sa solde. Vingt-cinq ans de rancœurs accumulées, vingt-cinq années d’humiliations, d’injustices, de brutalités, de viols, de rapines, se sont cristallisées en un instant : "Vengeance" crient certains, "Justice" braillent d’autres. Des clameurs juste assez ambiguës pour ne faire courir aucun risque à leurs auteurs : qu’elles parviennent aux oreilles du château, elles y seront entendues comme l’expression d’un bon peuple pleurant la mort tragique de son vénéré seigneur !


Mais soudain, un silence glacé s’abat sur les gueux, un silence pesant, dense, qui fait résonner comme au plus profond de la nuit les claquements des sabots d’un cheval au pas. Tout de noir vêtu, comme à son habitude, le prévôt des Holstein vient de faire son entrée dans la cour dîmière. L’officier se tient raide comme la Justice sur sa monture, toisant sans les regarder les manants qui, respectueusement, servilement, inclinent la tête et s’écartent à son passage. L’équipage se dirige, lentement, vers la seconde enceinte du château, vers le pont-levis intérieur. Sur les madriers du pont, les sabots claquent encore plus fort, et un frisson parcourt l’assemblée. Puis le cavalier disparaît, enfin, sous les arches de grès roses de la seconde muraille, en direction du corps de logis seigneurial.


Comme un seul homme, toutes les personnes présentes reprennent alors leur respiration, avant de se disperser aussi prestement qu’un vol d’étourneaux. La cour dîmière se trouve vide, en quelques instants à peine, comme si un vent de norois s’était soudain levé, transperçant les corps et les cœurs.


Sur le bord de sa fenêtre, la couturière s’amuse du grand courage des villageois ! Le Démon en personne n’aurait pu leur faire plus d’effet ! Le prévôt est sale engeance, pensa-t-elle, mais il ne mérite pas qu’on capitule ainsi !


C’est alors que Sylvette remarque l’absence du vannier.


Posant la robe sur l’appui de sa fenêtre, la jeune femme en saute prestement et se dirige vers la maison de l’artisan. Elle entre sans frapper, se cale dans le chambranle de l’entrée, à contre-jour, et apostrophe l’homme, qui au fond de la pièce lui tourne le dos :



Dans l’ombre de sa tanière, le vannier repose doucement dans le baquet d’eau la louche dans laquelle il vient de s’abreuver. S’essuyant la bouche du revers de la main, il grommelle en se retournant :



Traversant la pièce comme une flèche, Sylvette vient se planter juste devant lui. Les mains sur les hanches, elle l’apostrophe sans ménagement :



Les mains calées sur les hanches, la jeune fille toise le bonhomme, bien que celui-ci, s’étant relevé, la dépassât alors d’une bonne coudée. Surpris par cette véhémente apostrophe, Arbogast baisse néanmoins la tête, adopte une mine d’enfant contrit et bredouille :



Reprenant un instant sa posture et ses grimaces habituelles, le bonhomme explique :



Lui désignant un tonnelet au sol, Sylvette commande :



Docile, le colosse prend place sur le tonnelet. Aussitôt, la jeune femme l’assaille à nouveau :



Hésitant, Arbogast dodeline du chef avant de répondre :



Visiblement inquiet et mal à l’aise, le vannier se tortille les doigts. Il baisse la tête, fixe ses galoches et murmure :



S’approchant de lui, la jeune femme lui attrape le menton entre pouce et index, l’oblige à relever la tête, accroche son regard et demande, d’une voix adoucie :



Ce disant, la jeunette s’assied prestement sur la cuisse de l’homme. Lui relâchant le menton, elle pose la paume de sa main sur la joue rugueuse de l’artisan. Celui-ci en ronronnerait d’aise mais la caresse ne s’éternise pas et la jeune fille poursuit, en lui pinçant la joue :



Arbogast détourne vivement la tête pour échapper au pinçon et gronde :



Arbogast secoue tristement la tête, ressasse comme il l’a déjà fait mille et une fois, l’impossible situation sans jamais entrevoir l’ébauche d’une éclaircie. Triste comme une pierre, il explique doucement :



L’éternel sourire moqueur de Sylvette a disparu, laissant place à un air grave. La petite se pelotonne quelques instants contre le large torse de son compagnon, respire un grand coup avant de relever son visage, et avoue, les yeux embués :



Fébrile, la pauvrette voudrait sans tarder se pendre aux lèvres de son compagnon, mais de peur d’être rabrouée, préfère poursuivre ses explications. Craignant de succomber à une émotion trop puissante, elle reprend son ton habituel, autoritaire et moqueur :



Abasourdi par ce romantique aveu, le colosse attendri ne sait comment réagir. Mais la jeune femme ne lui laisse d’ailleurs pas l’initiative :



Là, sans feindre aucunement, l’homme reste interdit, ne sachant réellement pas ce que lui demande la jeune femme. Les yeux écarquillés, il hausse les épaules, secoue la tête en signe d’incompréhension. Si elle s’amuse de cette franche ignorance, Sylvette n’en laisse rien paraître et conserve son air faussement furibond :



Les yeux ronds et l’air ahuri du colosse sont par trop comiques pour que Sylvette y résiste ; un petit sourire attendri, un clin d’œil et la donzelle glisse dans un souffle :



N’osant y croire, le bonhomme ne sait que faire. Le cœur en chamade, il se remémore les instants passés avec Sylvette depuis le nouvel an : c’est toujours elle qui a mené la danse, pris toutes les initiatives, dirigé leurs ébats, imposant ses désirs avec autorité, lors de leurs époustouflants mais presque brutaux corps à corps. Arbogast avait eu jusque-là le sentiment d’être simplement utilisé par elle, d’être une marionnette, mais trop heureux de l’aubaine, ne s’en était jamais ouvert. Bien sûr, il en crevait de devoir refouler ses sentiments, bien sûr, il brûlait d’amour pour la fraîche et indomptable jeunesse, mais il avait admis son sort et refoulé toute marque de tendresse. Alors, que la jeune femme lui déclare ses sentiments, qu’elle lui offre son cœur est si… Si…


Le souffle chaud de la jeune femme vient balayer sa bouche, les grands yeux noirs d’habitude pétillants et moqueurs se sont adoucis, quémandent, interrogent. La jeune femme a perdu sa superbe : son regard implorant est celui d’une femme amoureuse, inquiète d’être rabrouée, tremblant d’être rejetée. Aussi, lorsque l’homme lui tend enfin sa bouche, elle y plaque avec fougue ses lèvres frémissantes : une houle puissante de bonheur tranquille parcourt son corps, chavire son esprit, emballe son cœur et aiguise ses sens…



<p class='cen'>oooOOOooo





Le chevalier von Walsenhütt promène un regard torve sur ses interlocuteurs. Il n’a décidément pas apprécié d’être mis au secret depuis l’aube, regroupé avec ses compagnons, sous la garde des soldats du Comte et d’un moinillon bedonnant leur interdisant d’échanger la moindre parole. Pas aimé non plus d’être le dernier à être reçu par les inquisiteurs. Et se retrouver dans cette petite pièce noircie par les suies des chandelles, face au Prévôt des Heiligenstein et à un moine, fusse-t-il le Supérieur d’une abbaye renommée, pour raconter les frasques d’un de ses pairs, l’agace plus que tout. Il est homme à considérer que le commun des mortels n’a pas à connaître les mœurs de ses maîtres.


Finaud, le Révérend Père Augustus subodore les réticences de son noble interlocuteur. Pour vaincre ses a priori, l’ecclésiastique glisse un commentaire flatteur, flatteur mais orienté :



Une vive surprise se lit sur le visage du chevalier à l’évocation de son suzerain. Le moine explique :



Le religieux savoure l’effet de ses révélations : d’obséquieux et hautain, le chevalier s’est dans l’instant transformé en vassal attentif, respectueux et terriblement soucieux de complaire au noble parent de son suzerain, de surcroît représentant, par délégation en quelque sorte, du pouvoir impérial. Jouissant de son effet, le bon Père continue :



Notant l’assentiment muet de son interlocuteur, l’ecclésiastique se lève et énonce d’une voix ferme :



L’avertissement est clair et le preux chevalier l’a bien compris. Sans se faire prier davantage, le noble raconte :



Augustus réfléchit quelques instants avant de s’adresser à nouveau au chevalier :



Une certaine hésitation transparaît dans la voix du chevalier sur ses derniers mots. Le Père Augustus a perçu cette gêne subite et, se doutant de la raison de cette soudaine pudeur, le prieur insiste :



Mal à l’aise, le chevalier se dandine, son visage exprime un embarras profond et l’homme bredouille :



Confesseur de la plupart des résidents du château, permanents ou occasionnels, le Père Augustus sait parfaitement à quoi s’en tenir. Il insiste pourtant :



Un silence s’installe, le prévôt interroge du regard le moine abbé qui réfléchit intensément. Sans réaction du religieux, le chef de la Justice du Comté remercie le chevalier qui, sans demander son reste, se dirige vers la sortie, impatient qu’il est d’échapper à la lourde ambiance de la petite pièce sombre.



Ahuri par cette demande insolite, le chevalier se retourne, et présente des yeux écarquillés par l’incompréhension :



L’homme est abasourdi par la question. Il réfléchit un instant, fouille sa mémoire, fait la moue et lâche :



Sortant en ricanant, il ajoute :





À suivre…