n° 12313 | Fiche technique | 37677 caractères | 37677 6243 Temps de lecture estimé : 25 mn |
23/02/08 corrigé 01/06/21 |
Résumé: Les experts à Heiligenstein... | ||||
Critères: #historique #policier fh | ||||
Auteur : Claude Pessac Envoi mini-message |
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La colère qui lui avait fait monter le rouge aux joues s’est depuis longtemps dissipée. Et si un nouvel émoi colore ses joues, c’est un autre feu qui en est responsable. La Comtesse Kirsten est troublée, mais ses avertissements ne troublent guère son compagnon.
Le jeune homme sourit, s’approche et pose doucement le dos de sa main sur la joue empourprée de la Dame fébrile :
Tout comme la Comtesse, Werner s’exprime à voix basse : les murs ont beau être épais, la porte solide et bien ajustée, il ne faudrait pas qu’un des gardes arpentant le couloir ne perçoive leur conversation. Dans la presque obscurité de la chambre, la silhouette gracile de Dame Kirsten se découpe dans la faible lueur de deux chandelles placée sur le chevet, derrière elle. Un halo auréole même sa chevelure bouclée.
Originaire de la lointaine province du Holstein, aux confins septentrionaux de l’Empire, fille d’un seigneur de petite noblesse, Kirsten n’avait que seize ans lors de ses épousailles avec le Comte, quatre ans plus tôt. En une nuit, sans prévention ni avertissement, elle était passée du statut de vierge insouciante, petite fille choyée et habituée aux raffinements d’une culture nordique ouverte et respectueuse, à celui d’épouse, sommairement déflorée par un rustre sans grâce, de trente ans son aîné et qui, dès le premier instant, s’était amèrement plaint d’avoir été floué.
La belle n’était pas aussi gironde qu’on la lui avait décrite, ses seins trop menus, ses hanches trop étroites. Ni la pâleur de son teint, ni la blondeur de ses cheveux, ni même son port altier n’avaient eu l’heur de lui plaire ! Mais s’il n’en avait jamais fait mention, Dame Kirsten soupçonnait cependant que son principal défaut ne résidât dans le fait qu’elle dépassait d’un pouce son glorieux époux. Toujours est-il que, très rapidement, le Comte l’avait déclarée frigide, jugement qu’il ne s’était pas privé de claironner à ses gens, pour justifier sans doute son comportement : le bravache s’en était en effet retourné lutiner ses ribaudes habituelles. Déjà pourvu d’une descendance par feue sa première épouse, le drôle n’avait même pas tenté d’engrosser la petite.
Confinée à un rôle discret d’icône sage et muette, relativement cloîtrée au château, la jeune fille s’en était satisfaite : la solitude lui paraissait bien plus supportable que les manières frustes de son époux. Que, d’aventure, il se présente à la porte de sa chambre, et la pauvrette en concevait sur le champ, des maux de ventre, par crainte, répulsion et dégoût ! La chose était heureusement fort rare. N’ayant jamais rien connu de l’amour que les étreintes aussi brutales que rapides du Comte, elle n’en nourrissait aucune frustration et ne connaissait pas le désir charnel.
Les années auraient pu s’écouler ainsi, entre canevas et broderies, banquets interminables et promenades silencieuses avec, pour chaperon, une dame de compagnie, vieille fille et passablement revêche. La jeune fille, de nature mélancolique, n’en ressentait aucune amertume. Du moins, jusqu’au jour…
Jusqu’au jour où Werner était entré dans sa vie ! Dès qu’elle l’avait rencontré, elle avait été troublée par ce beau jeune homme, bien bâti, respectueux et déférent. Elle avait apprécié ses manières, qui sans être, à proprement parler, raffinées, tranchaient pour le moins d’avec les comportements grossiers des hommes du château. Cible privilégiée des brimades du Comte qui lui reprochait pêle-mêle sa sagesse, ses savoirs, sa modération, raillait ses tenues et plus encore, son incompréhensible souci de propreté, le jeune homme s’était trouvé rapidement un point commun avec cette jeune et jolie Comtesse de trois ans sa cadette : l’absolue détestation du Comte ! Quoiqu’en ce qui le concernait, cette haine plongeât ses racines bien plus profondément et depuis plus longtemps !
Attentionné, le jeune érudit avait été rapidement conquis par cette jeune fille calme, cultivée, douce et si naturellement jolie. Pour Dame Kirsten, l’existence de Werner était un don, un miracle, comme si la lumière était entrée dans le triste château et dans sa vie. Les terribles et nombreux interdits qui se dressaient entre eux avaient cependant longtemps contrecarré l’éclosion de leur idylle. Bravement, consciencieusement, le couple avait respecté la loi, les préceptes et usages et fait taire les élans de leurs cœurs.
Mais un soir de banquet, fin soûl comme à son habitude, l’irascible Comte était allé jusqu’à lever la main sur sa femme, devant toute l’assemblée des convives. Une fois de plus, il lui reprochait sa distance, sa froideur. Courageusement, Werner s’était interposé, menaçant le Comte de représailles. Interloqué par cette réaction qu’il n’aurait imaginée, le Comte avait balancé quelques instants, se demandant s’il n’allait pas tirer son épée pour occire l’impertinent. Lueur d’intelligence, éclair de lucidité sur son état et ses capacités à vaincre, le Maître des lieux avait joué l’apaisement, non sans railler quelque peu l’inconscient courage du jeune homme. Levant son hanap, le rustre avait déclamé à la cantonade :
Hilare, il avait ajouté en détachant bien ses mots :
La bonne farce avait fait crouler de rire les invités du banquet, mais les deux tourtereaux, eux, l’avaient prise à la lettre. Puisqu’on les y invitait si obligeamment…
S’en suivit une nuit où la jeune Comtesse découvrit tendresse, romance, désir, sensualité et extase. Une nuit, et puis d’autres, toujours plus sensuelles, où l’interdit et le danger pimentaient les plus improbables débordements que leurs cœurs épanouis et leurs violents désirs inventaient pour combler leur insatiable appétit de jouissance et de communion.
Kirsten tremble, de désir et de crainte, de peur et d’envie. Cette main sur sa joue, tendre et amie, jette de l’huile sur le feu qui couve entre ses reins. Tombant à genoux, aux pieds de son amant, elle tend les bras, s’agrippe aux hanches pour les tenir à distance, son corps s’arque boute pour s’éloigner de l’homme. Inutile et vain combat, le désir a tôt fait de l’emporter sur la peur. L’instant d’après, la jeune femme capitule, pose sa joue sur l’aine de Werner, se presse contre lui.
Ses mains glissent autour des hanches, s’aventurent sur le fessier. Il n’est plus temps de le rejeter, au contraire : ses mains pétrissent les petites fesses tendues, son buste s’insinue entre les cuisses de l’homme, sa bouche embrasse fougueusement la petite parcelle du ventre chaud qu’elle vient de découvrir en faisant remonter le surcot avec son front. Kirsten sent dans son cou plaqué sur le pubis le réveil progressif du gaillard, le gonflement prometteur du vit qui, se développant, serpente entre les plis des chausses.
La jeune femme roule des épaules, frotte ses seins libres sous sa chemise contre les cuisses puissantes de l’homme ; elle redouble ses baisers, sa langue se darde, dessine des arabesques mouillées sur le ventre, contourne, titille, gourmande le nombril. Werner l’aide, en se débarrassant prestement de ses surcots et chemises. Torse nu, l’homme se cambre, renverse la tête en arrière et tend ses bras en croix, paumes tournées vers le ciel. Martyr consentant, il savoure le traitement infligé.
Libérant les fesses dodues, Kirsten, habile et rapide, défait les nœuds des cordons qui retiennent les chausses ; celles-ci, libérées, dégringolent doucement, dégageant totalement les fesses et les hanches de l’homme et couleraient aux chevilles si, par-devant, la verge désormais érigée, n’empêchait le vêtement de tomber tout à fait. Les tissus s’affalent comme une voile sur un mât de Beaupré et y restent pendus.
Abandonnant le ventre, la langue de Kirsten fend la broussaille du pubis, comme pour y ouvrir une sente, et s’arrête à la base du sexe tendu. C’est elle, cette langue malicieuse et désormais experte, qui peu à peu, repousse l’étoffe des chausses, dénude le membre qu’elle cajole, lèche, affole. Chaque pouce de chair libéré est choyé, proprement léché, amoureusement embrassé. Au fur et à mesure, les plis du tissu s’accumulent, se repoussent, franchissent le cap et tombent. Tant est que la langue aborde enfin le gland, et il n’y reste que l’ourlet accroché au bourrelet : maligne, Kirsten abandonne la bite, s’écarte, attend la réaction de l’homme.
Inquiet, celui-ci baisse la tête vers elle, cherche son regard, l’interroge des yeux. Comme il baisse les bras, elle lui sourit et sans lâcher son regard, vient du bout des dents saisir le tissu encore accroché, tire d’un coup sec, dégage le gland et aussitôt enfourne la queue libérée au plus profond de sa bouche. L’homme sursaute sous cet assaut soudain, se cambre violemment. Usant de sa langue et de ses joues, la jeune femme violente le sexe emprisonné, aspirant, soufflant, léchant le corps gonflé, fait mine de le relâcher pour mieux enserrer le gland au bord de ses lèvres avant de l’enfourner à nouveau.
La main gauche sur les fesses de son amant pour garder le contrôle des mouvements, elle dénoue le col de sa chemise, ouvre l’échancrure, dégage ses épaules et ses seins. Dépoitraillée, elle pétrit son sein droit, frotte le gauche sur les cuisses de Werner qu’elle continue de sucer avec ardeur, n’abandonnant le gland que pour administrer léchouilles et papouilles aux couilles contractées ou envelopper de sa langue chaude et mouillée la hampe du braquemart.
Le plus endurant des martyrs ne pourrait bien longtemps résister à une telle fougue ! Werner se dégage brusquement, se recule, avale une grande goulée d’air avant que de tendre ses mains à sa mie. Dame Kirsten était partie pour aller jusqu’au bout, elle souhaitait donner l’extase avec ses lèvres, espérait recueillir une rasade de l’élixir âpre et salé en sa bouche et observer les tressautements de la verge lorsqu’elle lui arroserait le visage et les seins.
Mais la douce requête qu’elle lit dans les yeux de Werner l’attendrit et, sans regret aucun, elle se plie à son désir. Posant ses mains sur celle de l’homme, elle se relève doucement : sa chemise glisse sur ses hanches, croule sur le carreau. Werner fait un pas de côté, un second, fait tourner la Comtesse sur elle-même, l’expose à la lumière tremblante des chandelles. Longuement, il capte son regard, lui parle sans mot dire, juste du bout des yeux. Puis, doucement, son regard s’abaisse, s’attarde sur la bouche entrouverte, sur le cou gracile, plonge vers la poitrine. Kirsten a l’impression de sentir la braise de ce regard qui la détaille, une brusque chaleur monte de son ventre, l’inonde, la submerge. Le visage en feu, elle sent ses seins durcir, ses tétons se dresser.
Mais déjà le regard de son amant parcourt son ventre, franchit le bosquet clairsemé de sa blonde touffe intime et se coule sur le délicat coquillage de son sexe déjà épanoui. Un peu affolée, Kirsten ressent au plus profond d’elle-même le déversement soudain de ce qui lui semble être un torrent de cyprine, et redoute même un instant que cette mouille n’en vienne à submerger les replis de ses lèvres déployées et à couler sur ses cuisses. Ce n’est là qu’impression, mais ses sens se trouvent à cet instant si exacerbés que son corps paraît lui échapper. Ses jambes paraissent ne plus pouvoir la porter et, titubante, elle s’effondre dans les bras de Werner qui la porte et la dépose en travers de la couche.
Docilement, elle écarte les cuisses lorsque l’homme vient sur elle se coucher à demi. Les yeux clos, alanguie, étourdie, elle attend ses caresses, ses baisers, ses agaceries. Mais Werner en a décidé autrement : d’un coup de reins, d’un seul, le faquin l’embroche, la pénètre au plus profond d’elle-même ! Surprise, Kirsten ouvre de grands yeux étonnés. Werner sait se montrer plus gracieux d’habitude, ses doigts savent explorer patiemment les replis les plus secrets de ses chairs intimes pour lui offrir mille et un plaisirs, la transporter vers des horizons radieux avant de se lancer dans le chevauchement ultime !
L’homme la domine, lui souriant doucement. Parfaitement immobile, il paraît se repaître de sa surprise. Et s’il ne fait aucun mouvement, sa queue, elle, enfournée jusqu’à la garde dans la caverne brûlante, tressaute par instant, bouge, grandit, gonfle, vit. Oui, ce sexe parait vivre en elle, indépendamment de son propriétaire immobile.
Kirsten le sent, chaud, raide, délicieusement envahissant, merveilleusement puissant. Werner semble vouloir éterniser l’instant et Kirsten savoure cette fusion immobile, cette formidable communion où leurs corps se confondent, se mêlent sans que l’on puisse jurer qui est l’un, qui est l’autre. Couronnement de cet instant, les bouches s’unissent avec tendresse, les souffles se mêlent et ajoutent encore à la confusion.
Mais Kirsten n’en peut plus, Kirsten en veut plus, plus et plus encore. Elle rompt volontairement le charme par un petit mouvement de son bassin, appelle de tout son être son amant à conclure. Alors, Werner bouge enfin, se retire quelque peu et revient, doucement, profondément. Kirsten sent la queue s’échapper jusqu’à la porte submergée de son sexe et replonger ensuite. Il lui semble qu’à chaque fois le mouvement est plus ample, plus profond, plus merveilleusement pénétrant. La chevauchée s’accélère, la sarabande s’affole, la cavalcade l’entraîne dans un merveilleux tourbillon. Les corps sont unis, les sens sont à vif, les esprits se confondent et grimpent à l’unisson vers l’azur éthéré d’un bonheur indicible.
Un haut-le-cœur secoue la Comtesse. La sensation de nausée est si forte qu’elle ouvre brutalement les yeux. Aussitôt, affolée, elle s’adresse des milliers de reproches, s’invective intérieurement : quel monstre est-elle pour rêver à l’instant de ces turpitudes insensées, alors qu’elle est là, assise, seule, exactement en face du gisant de son époux, torturé, assassiné ! Qui est-elle pour se laisser transporter par ces scandaleux souvenirs alors que son mari n’est même pas encore froid !
La Comtesse Kirsten von Heiligenstein ne se morigène pas bien longtemps. Trop de rancœurs, trop de haine accumulées ne permettent pas de garder sens commun ! La jeune femme ne peut pas davantage empêcher son cœur de bondir d’allégresse à la délivrance et aux espoirs qu’ouvre la mort du Comte, qu’elle n’a pu, quelques instants plus tôt, interdire à son corps de déclencher de chaudes sensations entre ses cuisses au souvenir des tendres événements de la nuit passée.
En toute franchise, elle n’arrive pas à regretter quoi que ce soit ! "Et mon confesseur devra bien s’accommoder de tout cela ! ". La vision du cadavre l’écœure, et Dame Kirsten, cynique et consciente, sait déjà qu’elle ne sera pas la dernière à sourire aux plaisanteries, ô combien déplacées, qui ne manqueront pas de courir d’ici peu, au sujet des mutilations horribles infligées au Comte. Tout cela lui vaudra l’enfer ? Qu’importe… L’enfer, elle connaît, elle l’a vécu ici depuis quatre ans. Elle veut maintenant sa part de Paradis. Un paradis qu’il ne sera pas facile d’atteindre cependant, elle le sait, "mais on en trouvera bien la clé, d’une manière ou d’une autre ! "
oooOOOooo
Malgré sa forte corpulence, le Père Augustus marche d’un pas sec et rapide dans les sombres couloirs du château. De sa main droite, il fait tourner comme une fronde les extrémités de sa cordelière. Ses socques à semelle de bois claquent sur le grès et sa robe de bure froufroute comme les jupons d’une donzelle au bal. Derrière lui, le Prévôt suit avec peine, alourdi qu’il est par son épée et ses cottes de mailles. Essoufflé à force de gravir des escaliers tortueux, l’homme est visiblement agacé par le comportement du moine.
Sans ralentir, l’Abbé temporise :
Foutrequeue, pense le Prévôt, le Bon Père aurait-il abusé du vin de messe dès Matines sonnantes ? D’ailleurs qu’énonce-t-il ? L’assassin ? Imagine-t-il qu’un homme seul aurait pu y suffire pour occire le Comte ? Et pourquoi pas une gueuse, tant qu’à faire ! Braunstein, Prévôt de son état, est irrité par les manèges du religieux qui marche sur ses plates-bandes.
Si lui-même s’était trouvé au château ce matin, au moment de la sinistre découverte, le fils du Comte n’aurait pas eu à faire appel au Révérend Père, la conduite des recherches lui aurait naturellement échu, sans discussion. Au lieu de cela, il se voit contraint désormais de suivre le moine et d’observer. Il enrage du temps perdu, des vaines explorations. Et pourquoi donc insupporter les nobles occupants du château alors que le coupable s’est clairement désigné ? Perdu dans ses sombres pensées, Braunstein ne réalise pas que le moine a brusquement obliqué dans un couloir de traverse. Il revient sur ce pas, tourne l’angle et bute contre la panse du moine qui s’est retourné pour l’attendre.
Notre affaire ! Voilà bien étrange façon de parler de ce crime ! Rapport ! Qu’a-t-il donc à dire sur cet assassinat, ce bedonnant prétentieux qui n’a pas mis les pieds hors des murs, pas même tenté de faire saisir l’assassin et ses complices, se contentant de poser les mêmes questions obtuses aux serviteurs et aux nobles hôtes des lieux ! Qu’aurait-il donc à dire lui qui n’a rien trouvé mieux que de faire fouiller le logis, des caves aux greniers, pour trouver des pommes !
Reculant d’un pas, Braunstein toise son compagnon et explique avec hargne :
S’approchant du hobereau, Augustus pose sa main droite sur l’épaule de l’homme en noir et l’attire vers lui, en confidence :
L’argumentation ébranle les certitudes de Braunstein qui réfléchit intensément ! Le raisonnement n’est pas sot…
Les mains croisées sur la panse, le bon Père lui adresse une moue expressive :
Le prévôt sursaute comme si une guêpe l’avait piqué :
Le religieux entré dans la chambre mortuaire, Braunstein fulmine, peste contre cet impertinent moine qui ne respecte pas suffisamment à son goût les usages de la Noblesse. De naissance, le Prévôt n’est pas noble, mais sa charge lui en a, de fait, conféré un quartier. Petit quartier de noblesse confirmé par ses habiles manigances et son obéissance servile qui lui ont valu l’octroi par le Comte de quelques terres et possessions. Puis, son élévation à la charge de Fermier Général s’est révélée une double bonne affaire : non seulement cette charge a assis son rang, mais en levant les impôts pour son maître, le bonhomme n’a certes pas oublié de prélever une soulte confortable. Alors soit, il ne sera jamais chevalier, mais il est riche désormais, beaucoup plus riche qu’il ne le montre et que d’aucuns se doutent ! Il ne manque plus désormais qu’un habile mariage pour conforter définitivement sa position.
Sa soif de reconnaissance et son arrivisme forcené l’entraînent à échafauder les plus invraisemblables plans, et à ce titre, la mort du Comte lui ouvre de nouveaux horizons : tant que l’Empereur n’aura pas confirmé l’héritier dans son titre, ce qui pourrait prendre deux à trois ans, c’est la veuve qui exercera le douaire ; bien des choses peuvent arriver dans ce temps, surtout s’il joue un double jeu gagnant. Gagnant pour lui, bien entendu ! Qu’il pousse la marâtre à s’élever contre l’héritier, et celui-ci n’aura de cesse de la pousser en disgrâce dès qu’il tiendra les rênes du pouvoir. Et quel exil plus humiliant pour elle que de se retrouver reléguée au rang d’épouse de Prévôt ! La farce sans doute plaira au nouveau Maître, et peu importe que la donzelle soit un cul gelé, pourvu qu’elle soit bonne pondeuse !
Braunstein table sur le froid qui s’est visiblement installé entre le jeune homme et Dame Kirsten. Très proches après le retour du « Petit Comte » au château, leurs relations se sont visiblement détériorées après la fameuse nuit où le père a obligé son fils à demeurer près de la Dame :
Tout absorbé qu’il est à échafauder ses plans, l’homme n’entend pas la porte de la chambre du Comte s’ouvrir et sursaute lorsque le Père Augustus l’invite à entrer. Dans la pièce, Dame Kirsten et l’orphelin sont assis face au lit mortuaire. Braunstein note que le Comte a été revêtu de ses plus beaux atours et présente bien meilleure figure qu’au petit matin. Sa Seigneurie semble dormir paisiblement.
La remarque surprend pour le moins les trois personnes présentes qui, avec un bel ensemble, haussent les sourcils.
Le moine s’interrompt à cet instant pour juger de l’effet de sa déclaration. Si Dame Kirsten et le jeune Comte restent impassibles mais visiblement circonspects, Braunstein, lui, explose :
Braunstein est bien aise de comprendre enfin cette fameuse histoire de pomme mais n’est pas convaincu par le raisonnement. Éludant l’origine du fruit, il en revient à l’hypothèse de l’étouffement :
Comprenant la gêne du religieux, Dame Kirsten préfère éclaircir la situation :
Renfrogné, Braunstein laisse échapper un petit sourire goguenard sur l’hésitation avouée du moine. De leur côté, Dame Kirsten et le jeune Comte acceptent visiblement la théorie du Révérend.
Silencieux, les trois interlocuteurs du moine se regardent tour à tour, secouent doucement la tête et affichent des moues témoignant de leur totale ignorance sur le butin convoité. Après quelques instants, le Père Augustus poursuit :
Dame Kirsten réfléchit intensément et s’apprête à répondre lorsque le Prévôt intervient :
Le Révérend Père ne relève pas l’impertinence et explique doucement :
Alors que le Prévôt se renfrogne, agacé par ce moine qui a réponse à tout, Dame Kirsten en profite pour expliquer :
Dame Kirsten respire profondément avant de répondre :
La réponse fait l’effet d’un coup de foudre sur le moine ! Vingt-cinq ans plus tôt, le comte Ulrich von Heiligenstein, qui n’était encore qu’un brutal chef de bande, avait conquis de haute lutte le Comté de Valstaff. Commandité par le Kaiser lui-même qui voulait se débarrasser d’un vassal trop riche, trop puissant et surtout trop complaisant et bon pour ses gens, le siège avait été long et s’était achevé par le massacre en règle des occupants du château. En récompense de ses services, l’Empereur avait anobli Ulrich, lui conférant le titre vaquant, et lui avait octroyé les terres et le château du vassal déchu. Si le fameux médaillon avait ainsi appartenu au Comte de Valstaff et se trouvait réellement être ce que cherchait l’assassin, l’affaire prenait une tournure intrigante…
Le raisonnement silencieux du moine n’échappe pas au Prévôt :
Un frisson parcourt l’échine des personnes présentes et plombe l’atmosphère. Une vengeance, si tardive, révèlerait le caractère d’une haine si profondément ancrée que le successeur du Comte et ses proches se trouveraient en grand danger. Le silence s’éternise dans la pièce, rompu au bout d’un moment par le jeune Comte qui pour la première fois s’exprime :
Se tournant vers Braunstein, le jeune homme ordonne :
La porte refermée, le futur Comte se tourne vers sa jeune belle-mère :
Maîtresse d’elle-même, la jeune femme ne montre aucune trace d’inquiétude. Si son visage est parfaitement impassible, une étrange lueur brille dans le bleu profond de ses yeux légèrement plissés…
À suivre…