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Temps de lecture estimé : 11 mn
18/06/08
Résumé:  Après deux jours d'errance, Marcel tombe, inanimé, sur la berge de la Saône. Maurice le recueille... et prend soin de lui.
Critères:  #historique hh copains vacances bain bateau amour cérébral
Auteur : Claude71            Envoi mini-message

Série : Marins d'eau douce

Chapitre 02 / 06
Maurice et Marcel

Maurice et Marcel



C’est comme ça que Maurice le retrouva. Il venait d’accoster, en barque, pour remettre en état la guinguette de Fifine. Encore un chemineau, un pauv’ type dans la misère. Y’en avait de plus en plus depuis la crise. Pas de boulot, pas de fric, plus d’endroit où crécher, restait plus qu’à tailler la route et vivre de la charité. Maurice s’approcha de Marcel. Il se dit qu’il était bien jeune celui-là et pas moche, le mec. Il constata qu’il était brûlant de fièvre. Il essaya de le réveiller mais l’autre délirait.


Y avait pas trente-six solutions. Fallait le mettre au lit avec une bonne bouillotte, lui faire avaler de l’aspirine, du « guérit-tout » comme disait Fifine, et attendre que ça passe. Tout seul, avec tout ce qui restait à faire, y pouvait pas mieux. Il chargea Marcel sur ses épaules - Putain qu’il était lourd ! - monta à l’étage pour l’installer dans la chambre de Fifine, la seule qui disposait d’un grand lit douillet. Il dévêtit Marcel et se mit à le frotter énergiquement avec une serviette. Mais c’est qu’il bande le salop, l’est pas mort, ça c’est sûr et ça lui fait de l’effet mes gratouillis. Il coucha Marcel, ajouta une couverture sous l’édredon. T’es au chaud, tu bouges pas, je reviens avec la bouillotte. Maurice lui parlait, comme si son protégé allait pouvoir lui répondre, mais les quarante de fièvre avaient plongé Marcel dans un état comateux.


Il descendit, alluma le feu dans la cuisinière, fit chauffer de l’eau, prépara une tisane, la bouillotte, les cachets d’aspirine… Encore heureux que Fifine avait tout ce qu’il fallait ! Il monta tout sur un des grands plateaux qu’on utilisait pour le service. Dans la chambre, Marcel dormait. Il semblait apaisé. La bonne chaleur commençait à faire son effet. Maurice, avec précautions, lui fit avaler les cachets dissous dans un peu de tisane et posa la bouillotte sur le ventre du malade. Putain, qu’il est bien foutu ! Il en ferait bien son quatre heures ! Mais vu qu’il était pas consentant, ce serait comme qui dirait du viol. Et ça, le Maurice, c’était pas, mais alors pas du tout son truc, vu que son premier patron l’avait forcé dans sa remise quand il avait à peine quinze ans. En plus, y’avait pas que ça à foutre, il s’était déjà mis en retard. Allez ! Au turbin !


Il commença par décharger la barque, ouvrit toutes les fenêtres pour aérer et profiter du pâle soleil qui perçait dans la brume. Comme il faisait encore frisquet, il préféra s’activer à l’intérieur. Il pouvait, ainsi, se rendre au chevet de Marcel de temps à autre. Il vérifiait que tout allait bien, que la température baissait. Il se régalait, à chaque fois, du beau spectacle qui s’offrait à ses yeux et ça lui donnait du cœur à l’ouvrage.


Il balaya la grande salle, nettoya les tables et les chaises et se dit que pour les vitres, il attendrait un peu. Il prépara une bonne soupe avec les provisions qu’il avait emportées. Elle f’rait bien trois jours, y’aurait pas besoin de se mettre en cuisine et ça irait pour l’autre qu’avait pas dû manger chaud depuis un bail.


L’après-midi, il faisait doux. Il sortit les chaises pliantes, les fauteuils en osier, les tables en bois, les bancs. Il devait les lessiver et passer un coup de peinture blanche pour redonner un coup de neuf. C’était chiant. Tous les ans, il se faisait la même remarque mais, bosser pour Fifine pendant la saison d’été, c’était, tous comptes faits, bien plus peinard que le service dans les bistrots de Chalon avec des patrons, voire des clients qui vous foutaient la main au cul.


Que des gros dégueulasses qu’en pinçaient pour des p’tits jeunes comme lui, qui profitaient qu’il pouvait rien dire pour le palucher ou le bécoter dans les coins sombres. Ça le f’sait gerber rien que d’y penser. Alors la Fifine, même si elle avait fait la pute dans sa jeunesse, et, surtout pour ça, elle le respectait. Et puis, elle fermait les yeux sur « ses cochonneries » comme elle disait.


Maurice avait vingt-deux ans. Blond, les yeux bleus, le visage fin et presque imberbe, le corps frêle, on lui en donnait à peine dix-huit, dix-neuf. Les occasions de se trouver un mec ne manquaient pas et Fifine laissait faire pourvu que ça ne nuise pas au service. Elle ne tolérait pas, en revanche, qu’on profite de son garçon. Elle y veillait tout particulièrement. Si jamais quelqu’un s’y essayait et que Maurice protestait, elle poussait une gueulante. Le quidam se barrait, la queue entre les jambes. Jamais plus il ne revenait, trop honteux d’avoir été traité de pédale devant toute la compagnie, et par une femme en plus. Ça se savait et les incidents étaient plutôt rares. Bonasse, la Fifine, mais fallait pas l’emmerder.


Il avait bien avancé. Tout le mobilier de terrasse était propre. Il restait encore la peinture mais, pour aujourd’hui, il en avait assez. Il lui tardait d’aller voir son p’tit mec là-haut. Il l’avait négligé et s’en inquiétait maintenant. Marcel était réveillé. Il avait soif. Il ne comprenait pas comment il avait atterri dans ce lit. Il sentit la bouillotte, maintenant froide, sur son ventre. Quelqu’un s’était occupé de lui, sans doute une femme, pour y avoir mis tant de soin. Il essaya d’appeler mais sa voix était trop faible et il n’était pas question de se lever. La tête lui tournait trop. Il se résigna à attendre pour faire la connaissance de sa bonne fée. Maurice entra, sans faire de bruit, dans la chambre. Marcel, étonné, demanda :



Maurice revint rapidement, s’assit sur le bord du lit et fit boire Marcel.



Marcel éclata en sanglots. Maurice, attendri, le prit dans ses bras. L’a quoi, le p’tit môme, un gros chagrin, de grosses misères ? Marcel raconta sa fuite. Son patron qui l’avait mis à la porte, La Jeanne, son métier de matelot.



Marcel n’en revenait pas. Il en fut tout retourné d’émotion. Son sauveteur était un jeune gars, comme lui, et il aimait les mecs. Il s’enhardit à demander :



Ils commencèrent à rêver. Marcel était provisoirement sauvé. Maurice allait avoir un compagnon pour l’aider, peut-être bien pour autre chose. Il ne savait pas trop s’il plaisait à Marcel. Ce n’était pas le moment de lui faire des propositions coquines, vu l’état dans lequel il se trouvait. Il se levait pour le laisser se reposer, quand il sentit une main qui serrait très fort la sienne. Il se retourna et vit, dans les yeux de Marcel, une lueur qui exprimait plus que de la gratitude. Il se pencha vers ce visage souriant et posa ses lèvres sur celles de Marcel. Un baiser fougueux les unit longuement.



Maurice devait encore rentrer le mobilier de la terrasse, fermer pour la nuit, mettre du bois dans la cuisinière. Sur un plateau, il disposa deux grands bols de soupe, deux tranches de pain, un fromage de chèvre frais, une carafe d’eau, des verres, des couverts. Il voulait dîner avec son nouveau copain. Sa présence lui manquait déjà. Comme la nuit commençait à tomber, il alluma une lampe à pétrole. Il n’y avait pas l’électricité dans la guinguette et, les soirs d’été, on utilisait des lampes-tempête qui créaient un charme et une intimité propices aux confidences amoureuses.



Les deux jeunes gens mangèrent de bon appétit. Marcel trouvait tout bon. C’est vrai que, depuis deux jours, il n’avait pas avalé grand-chose. Après avoir débarrassé, Maurice revint se coucher à côté de Marcel. Ça lui faisait tout drôle de penser qu’il allait passer une nuit complète avec un homme. Ce n’était pas non plus dans ses habitudes. Ils se racontèrent leur vie. Maurice expliqua qu’il était le dernier enfant d’une tribu de huit mômes, que son père, qui travaillait à la mine à Montceau, était mort, qu’il ne voyait pas souvent sa mère comme il travaillait à Chalon ou ici, à la guinguette, qu’avec ses frangins et frangines, c’était pas le grand amour, qu’ils lui demandaient toujours s’il allait se marier et qu’il valait mieux pas parler des choses qui fâchent. En fait, sa seule vraie famille, c’était Fifine, même si par pudeur elle l’engueulait plus souvent qu’elle ne lui témoignait son affection. Ils finirent par s’endormir après un baiser très chaste.


Les jours qui suivirent et jusqu’au dimanche, ils s’occupèrent de la remise en état de la guinguette. Maurice et Marcel, dès qu’il retrouva sa forme, finirent les travaux de peinture. Le temps se mit au beau. Ils purent bêcher le jardin, désherber les fraisiers, faucher l’herbe sous les arbres fruitiers. Elle n’était pas très haute mais si on voulait que ça ressemble à du gazon, il fallait la couper souvent. C’est là, un après-midi, qu’ils firent l’amour pour la première fois. Ils étaient jeunes, vigoureux et assez expérimentés pour se donner beaucoup de plaisir. Le soir, dans « leur lit », ils préféraient se caresser, partager de la tendresse, se témoigner de l’affection qu’on leur avait prodiguée avec parcimonie, depuis l’enfance.


Le dimanche, ils prirent la barque pour retourner à Chalon. Il était prévu que Maurice revienne et Fifine ne fut pas surprise. Il lui expliqua ce qui était arrivé dans la semaine et lui fit part de son idée. Elle ne tarda pas à répondre à sa manière :



Marcel fit ainsi la connaissance de Fifine. Elle gardait, malgré son âge, belle allure. Elle leur donna de quoi acheter des provisions pour la semaine suivante, rappela à Maurice qu’il devait aller voter et que dimanche prochain, il devrait venir la chercher. Les deux « amoureux » firent leurs emplettes et se rendirent au bureau de vote. Marcel demanda :



La semaine suivante, Marcel et Maurice aménagèrent leur chambre. Le père Jandot leur fabriqua un grand cadre en bois, cloua quelques planches en travers. Ils garnirent le lit avec deux paillasses assez épaisses pour servir de matelas. Ils avaient assez de place mais ce n’était pas d’un grand confort. Il manquait des ressorts, surtout quand ils se prenaient mais, au moins, ça ne faisait pas trop de bruit.


Ils plantèrent les pommes de terre, repiquèrent des salades, des betteraves, des choux. Il firent aussi une grande lessive et en profitèrent pour prendre un bain dans les immenses baquets. Ils s’entendaient bien. Chacun faisait sa part sans rechigner.


Quand le dimanche arriva, tout était prêt pour accueillir Fifine. Après qu’ils eurent fait le marché, Maurice vota. Dans la barque lourdement chargée qui les ramenait à la guinguette, ils discutèrent des élections. Nouelle était le candidat de gauche le mieux placé, il devait conserver son siège de député. Il était pour le Front Populaire. Fifine, bien qu’elle ne votait pas, leur disait de ne pas trop y croire. Les radicaux allaient comme d’habitude gouverner avec la droite. Marcel était plus optimiste. Il rêvait de changement pour les plus humbles, d’un peu moins de misère, de plus de considération. Marcel, plutôt néophyte en politique, les mit d’accord par une boutade :



Fifine et Maurice se tordaient de rire. Le bateau tangua et Marcel prit les rames pour le stabiliser. Ils se mirent à chanter des chants révolutionnaires en changeant les paroles. Au lieu du traditionnel « les aristo à la lanterne », ce fut « les gros salops à la lanterne » et « l’Internationale sera le genre humain » se transforma en « et la pédale sera… ». Dans la joie, la bonne humeur, ils atteignirent la guinguette en fin d’après midi.