n° 12667 | Fiche technique | 9469 caractères | 9469 1591 Temps de lecture estimé : 7 mn |
22/06/08 |
Résumé: Michel, l'instituteur, et Martial, ajusteur chez Renault, n'ont pas tout à fait les mêmes idées politiques. Mais autre chose les unit secrètement... | ||||
Critères: #historique hhh copains vacances bain bateau amour cérébral hsodo | ||||
Auteur : Claude71 Envoi mini-message |
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Michel exultait. Il était passé au kiosque pour acheter Le Populaire et, pour une fois, l’Humanité. Il parcourut rapidement la une de Blum :
Nous tenons donc à déclarer sans perdre une heure que nous sommes prêts à remplir le rôle qui nous appartient, c’est à dire à constituer et à diriger le gouvernement de Front Populaire.
Une victoire historique, les socialistes devaient gouverner. Blum l’affirmait. Pour Michel, jeune instituteur à Boulogne, c’était le plus beau jour de sa vie. Il s’en souviendrait, du 4 mai 1936 ! Non seulement parce qu’il fêtait son vingt-cinquième anniversaire mais surtout parce que, pour la première fois, un socialiste allait devenir Président du Conseil.
Dans la cour de son école, tous ses collègues en parlaient. La joie se lisait sur leurs visages. Le directeur, un radical, les rappela à l’ordre :
Michel fit entrer sa classe de CE1. Ils avaient bien du mal à se concentrer ce matin. Dans les familles ouvrières de Boulogne, on avait dû en causer, de cette victoire. Il haussa le ton pour rétablir le calme et toléra, tout de même, quelques bavardages. Il avait hâte que cette journée se termine. Il n’avait pas vraiment le cœur à l’ouvrage.
Le soir, comme tous les soirs, il se rendit au Bar du Coin pour dîner. Célibataire, il n’avait droit qu’à une chambre dans les combles de l’école. Ce bistrot était donc « sa cantine ». Il y avait ses habitudes. Les patrons, Josette et Henri, le tutoyaient. Les clients étaient presque tous des copains. Tous aimaient sa simplicité. Pour un instituteur, il n’était pas fier. Il rendait des services, rédigeait des lettres, débrouillait quelques affaires épineuses avec les huissiers, des propriétaires récalcitrants, l’administration tatillonne.
D’origine modeste - ses parents étaient métayers - il avait eu la chance de poursuivre ses études grâce au vieil instituteur de son village. L’école avait été sa planche se salut. Éclairer le peuple était sa vocation et son devoir.
Tout aurait été parfait si Michel ne cachait pas derrière ses grands yeux clairs un lourd secret, un conflit intime. Depuis son adolescence, il se sentait attiré par les hommes. Il avait bien essayé de se défaire de ce que les autres considéraient comme un vice. Il s’était plongé dans les études pour échapper à ses tourments. Un camarade de l’École normale, inverti comme lui, l’avait aidé à surmonter cette épreuve. Ensemble, ils avaient vécu leurs premiers émois sexuels. Michel, désormais, s’acceptait. Pourtant, se cacher pour aimer ne coïncidait pas avec l’image qu’il se faisait de la vie et de la morale républicaines.
Quand il entra dans la salle enfumée, il fut accueilli par des Hourra ! On a gagné ! Tu payes un pot ! C’est ta fête aujourd’hui ! Il s’exécuta de bonne grâce et souffla les bougies posées sur la belle tarte aux pommes que Josette avait préparée en guise de gâteau d’anniversaire. Il eut même droit à un cadeau. Ils s’étaient cotisés pour lui offrir un stylo plume. Il était ému par tant de chaleur humaine. Pour tous ces gens pauvres, parfois chômeurs, prélever quelques francs sur un maigre salaire représentait un vrai sacrifice. Il embrassa Josette et quelques femmes présentes, serra les mains des hommes, plus nombreux.
Quand arriva le tour de Martial, il aurait bien aimé l’embrasser et le prendre dans ses bras, mais il se contenta du clin d’œil de son ami et amant. Plus tard dans la soirée, ils sortiraient séparément, laissant un laps de temps suffisant pour ne pas être soupçonnés. Ils se retrouveraient dans un entrepôt, un fourré, pour s’embrasser, se caresser.
Le dimanche, ils allaient en vélo sur les bords de la Seine et là, ils trouvaient des endroits tranquilles pour faire l’amour. Ce n’était pas la vie de couple dont rêvait Michel même s’il savait qu’avec Martial ça ne durerait pas.
Martial était sorti le premier et attendait Michel. Quand il l’aperçut, il siffla. C’était leur signal. Il demanda :
Comme des Sioux à l’affût, ils se glissèrent dans la chambre de Martial. Après un baiser fougueux, ils se dévêtirent. Michel aimait la robustesse, la musculature du corps de Martial qui contrastait avec le sien, plus fin et plus élancé. Il caressait son torse velu. Son amant aimait ses mains douces d’intellectuel. Très vite, les sexes durcis par le désir furent en bouche. Ils se suçaient voluptueusement.
Comme ils avaient la chance d’être dans un lit, ils pourraient se prendre. Michel aimait que son amant l’encule en face à face. Il posait ses jambes sur les épaules de Martial et s’offrait totalement aux assauts puissants de son ami. Il adorait voir son visage, son sourire, ses yeux verts s’illuminer quand il jouissait en lui. Quand, apaisé, il s’effondrait, Michel pouvait caresser sa nuque, l’embrasser.
Martial préférait des positions plus variées. Il voulait que la bite de Michel, un sacré morceau, lui laboure le cul de toutes les manières possibles pour en éprouver les plus fortes jouissances. Ce soir, il s’était enfilé sur la queue de Michel. Il la faisait coulisser sur sa prostate. Il poussa un cri rauque quand sa semence se répandit sur la poitrine et le visage de son compagnon.
Michel regrettait qu’il ne prononce jamais de mots d’amour. C’était sans doute par pudeur, sa façon d’assumer son inversion. Même s’il baisait avec un mec, l’embrassait sur la bouche, prenait sa pine dans le fion, il restait viril tant qu’il ne disait pas « mon amour ». L’amour, c’était un truc de gonzesse.
Le réveil sonna à quatre heures. La nuit avait été courte. Michel sortit discrètement. Il pourrait encore dormir un peu afin de paraître plus frais devant ses collègues ce matin.
Martial embauchait à six heures chez Renault. C’était une autre vie. Il ne se plaignait pas. Comme ajusteur, à vingt-quatre ans, il gagnait bien. Quand il avait payé sa part du loyer, sa pension au Bar du Coin, ses clopes, il lui restait assez d’argent pour aider sa mère et ses jeunes frères et dépenser le reste pour les loisirs. Il avait pu ainsi s’offrir un vélo d’occasion et faire des virées avec Michel.
Il l’aimait bien, Michel. Pour un intello, il ne se prenait pas la tête et il baisait bien. Il lui montrait plein de jolies choses, l’emmenait au musée, enfin, pas trop souvent. Ils préféraient passer leurs dimanches à se rouler dans l’herbe, à faire la bête à deux dos. Un seul jour de repos par semaine, cinquante-deux semaines de boulot, il ne restait pas beaucoup de temps pour la gaudriole. S’il fallait encore y ajouter la culture, même si c’était Michel qui le guidait, il y avait des moments où ça ne passait plus.
Ils avaient visité Versailles et Michel, à cette occasion, lui avait expliqué la Révolution Française, pas celle des livres d’école mais la vraie, la Terreur, la guillotine, Robespierre qu’il comparait à Lénine. Il avait fait son éducation politique mais maintenant, sur ce plan, ils s’opposaient. Michel était socialiste. Il pensait que la démocratie allait finir par triompher, que les ouvriers plus nombreux que les bourgeois sauraient se faire entendre et imposer des réformes.
Martial, sans avoir sa carte, inclinait plutôt pour les communistes. Il voulait voir la révolution triompher comme en URSS. Depuis la naissance du Front Populaire, l’année dernière, ils étaient au moins d’accord sur une chose : il fallait barrer la route aux fascistes. Si Blum gouvernait, on verrait bien si les socialistes sauraient tenir leurs promesses. Les ouvriers avaient intérêt à faire pression pour que ça marche. À l’usine, on en discutait souvent.
Dans les semaines qui suivirent, des grèves éclatèrent. D’abord sporadiques, elles s’étendirent à de nombreuses entreprises. À la fin du mois, les ouvriers de chez Renault rejoignaient le mouvement. Martial dormit dans son atelier. Michel passait souvent après les heures de classe. Il se chargeait du ravitaillement, préparé par Josette. Il ne pouvait entrer et les moments d’intimité avec Martial se faisaient rares. La CGT obtint un accord. Le travail reprit, mais ailleurs ça continuait, touchant tous les secteurs.
Le 7 juin, les Accords Matignon octroyaient des augmentations de salaire. Dans la foulée, on annonçait d’importantes réformes sociales. Quarante heures de travail hebdomadaire au lieu des quarante-huit habituelles, quinze jours de congés payés par an permettraient aux ouvriers de se reposer.
Martial en discuta avec Michel. Pour une fois, ils pourraient partir en vacances, ensemble. En août, Martial aurait deux semaines. Ils iraient en train jusqu’à Chalon. Ils emporteraient leurs vélos pour descendre ensuite sur Lyon par les chemins de halage. Michel avait une tente et ils camperaient. Quinze jours de farniente, de baise, c’était le paradis en somme.