n° 12685 | Fiche technique | 15466 caractères | 15466 2524 Temps de lecture estimé : 11 mn |
25/06/08 corrigé 01/06/21 |
Résumé: Des couples se forment, l'amour pointe son nez... Mais tout a une fin, même les vacances ! | ||||
Critères: #historique hhh copains vacances bain bateau amour cérébral hsodo | ||||
Auteur : Claude71 Envoi mini-message |
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En effet, entre ces deux-là, c’était bien de l’amour qui naissait. Michel, plus âgé, se faisait protecteur. Marcel, dans les bras du jeune instituteur, revivait inconsciemment, sa « première fois » avec Jules. Leur étreinte était douce, presque cérémoniale comme s’ils accomplissaient un rite. Chacun veillait au plaisir de l’autre. Leurs sens en émoi, ils s’exploraient avec respect, devinaient, sous la caresse, leurs points sensibles. Cela n’empêchait pas la passion mais ils se dégustaient plus qu’ils ne se dévoraient.
Michel s’offrit en premier. L’ordre était important. Il restaurait l’égalité dans le couple qui se formait. Marcel savait apprécier la position en face-à-face que son amant avait imposée d’emblée. Elle lui permettait de s’adapter aux moindres soupirs de son partenaire, d’accélérer le rythme quand la respiration prenait de l’ampleur, de le ralentir, en revanche, quand le souffle devenait court, haletant.
Au moment de succomber, ne pouvant plus retenir sa jouissance, Marcel s’était penché pour embrasser Michel. Le baiser profond, intense, les avait fait jouir immédiatement. Ils s’étaient longuement caressés avant de s’endormir serrés l’un contre l’autre.
Sous la tente, les ébats furent multiples, endiablés. Une grande partie de la nuit fut consacrée à la baise. Ils essayèrent toutes les positions. En bon mécanicien, Martial vérifiait le coulissage du piston de Maurice, la perfection à l’état pur, une merveille de technologie. Il grimpait aux rideaux dès le premier coup de manivelle. Son cylindre n’avait jamais connu une telle apothéose. Ça tenait du miracle, une queue pareille.
Il en oublia presque de rendre la politesse, tellement il adorait se faire lutiner par cette bite qui épousait parfaitement son cul. Tout ce qu’il avait vécu jusqu’à présent lui paraissait fade, même avec Michel, pourtant expert. Quand, à cours de carburant, ils durent renoncer, Martial éprouva une infinie tristesse. Il se sentait comme amputé. Maurice aperçut de la détresse dans le regard de son compagnon. Tendrement, il se mit à le caresser, à poser de petits baisers sur ses joues, son front, son torse. Il finit par demander :
La colère de Maurice fit voler en éclats les préjugés de Martial. Les larmes coulaient sur son visage. Il prit son amant dans ses bras et murmura :
Puis de plus en plus fort, il répéta :
Il l’avait dit et la terre ne s’était pas arrêtée de tourner, ses seins n’avaient pas poussé, sa bite était toujours là, elle avait même tendance à prendre un peu de vigueur.
Ils s’embrassèrent et ce baiser prenait une saveur nouvelle. Il scellait un pacte d’amour non formulé, non écrit, mais que chacun comprenait dans son corps, dans son cœur, dans son être profond. Il refermait une plaie ouverte dans l’enfance, une plaie qui s’était approfondie pendant l’adolescence et que le sexe n’arrivait pas à suturer. Là, enfin, chacun avait retrouvé sa moitié. Il n’y a pas que les bites qui s’emboîtent bien, les cœurs aussi, pensa Martial avant de sombrer dans le sommeil.
Les jours qui suivirent furent merveilleux. Tout était prétexte à se découvrir, à mieux se connaître, à laisser parler les cœurs. À la guinguette, chacun trouvait la tâche moins lourde parce qu’il sentait l’autre le seconder. Les balades en vélo à travers la Bourgogne leur offraient de multiples occasions d’échanger, de confronter leurs goûts, leurs opinions.
Martial, enfin convaincu que deux hommes pouvaient s’aimer, n’hésitait plus à afficher ses sentiments, du moins dans l’intimité du groupe solidaire que formaient les quatre garçons et Fifine. Ailleurs, il restait le titi parisien, gouailleur, un brin macho pour donner le change.
Tout en s’acquittant de son travail à la Guinguette, il rendait des services aux mariniers. Un moteur, c’est un moteur… qu’il pousse une péniche ou tracte une voiture. Il reçut même quelques pourboires. Il acheta ainsi, sur les conseils de Maurice, quelques bonnes bouteilles chez les propriétaires du coin. Il se demandait comment les ramener à Boulogne. Au fond, il n’avait plus envie de rentrer. Il trouverait certainement du travail ici mais les salaires n’étaient pas ceux de la région parisienne. Toutes ces interrogations n’arrivaient pas, cependant, à troubler son bonheur. Maurice le comblait. Il vivait le présent sans penser à l’avenir.
Michel découvrait, en Marcel, un jeune homme curieux, attentif à ses explications, capable de s’émouvoir devant la beauté du monde. Marcel appréciait que son compagnon, bien plus instruit que lui, lui demande conseil, soit sincèrement intéressé par son point de vue, qu’il lui prenne la main quand, au détour d’un chemin, ils découvraient un paysage magnifique.
Michel avait un sens aigu du partage qu’il appliquait en toutes circonstances, aussi bien dans l’amour qu’au travail. Il avait vite compris comment fonctionnait la Guinguette. Il devint un cuisinier potable et Fifine aimait bien discuter avec lui.
Il accepta ainsi de jeter un coup d’œil à ses comptes, corrigea quelques erreurs, régla, par courrier, deux ou trois petits problèmes qui empoisonnaient la vie de Fifine depuis des années. Elle lui donna, tout naturellement, son affection comme elle l’avait fait pour les autres. Il assurait le service avec précision, amabilité. Le monde des mariniers l’intéressait. Les clients répondaient volontiers à ses questions, flattés qu’un instituteur veuille bien les écouter. Il se renseignait discrètement sur les offres d’emplois même s’il était conscient que le métier de Marcel risquait de les séparer.
Le vendredi, Georges, un des musiciens qui animaient les soirées du samedi, leur réserva une surprise. Il était accompagné d’un jeune gars qu’il présenta comme un copain. À Marcel et Maurice, il expliqua qu’il était amoureux fou d’Émile qui le lui rendait bien. Un peu gêné, il leur avoua qu’il ne souhaitait plus partager leur lit comme à l’habitude. Ils éclatèrent de rire, soulagés de ne pas avoir à lui faire le même aveu. Ils racontèrent alors tout ce qui était arrivé depuis lundi. Le Bon Dieu, mais il n’y croyaient plus, arrangeait bien les choses.
Il fallait trouver une solution pour la nuit. Fifine la trouva. Elle cédait sa chambre jusqu’au dimanche. Elle irait à Chalon. Ils pouvaient maintenant se débrouiller sans elle. Il fallait seulement l’emmener. Tous se proposèrent.
Cette fin de semaine fut paradisiaque. Malgré les clients encore nombreux, les longues soirées, ils purent trouver des moments d’intimité. Surtout, ils savouraient la liberté de s’aimer quand la guinguette se vidait et qu’ils étaient entre eux. Émile en fut fortement impressionné. Il voyait ses camarades s’embrasser, échanger des gestes tendres. C’était la vraie vie, celle dont il avait rêvé. Georges, plus serein, était, de ce fait, plus amoureux. Ce que les censeurs, les moralisateurs auraient considéré, s’ils avaient su, comme un lieu de débauche, un repère du vice, devenait un jardin d’éden.
Dans la nuit du samedi au dimanche, quand les musiciens s’en allèrent, les garçons regagnèrent leurs nids d’amour. Un autre concert pouvait débuter. Il était ponctué de silences, de soupirs. Si la partition semblait la même, les variations étaient infinies. Chaque couple l’interprétait à sa manière.
Émile jouait de sa flûte avec virtuosité. Il mettait beaucoup d’ardeur à embrocher son accordéoniste préféré. Les plus belles fesses de la création décuplaient son désir. Il bandait comme un taureau dès qu’il les apercevait. Il aimait, pour le plus grand plaisir de Georges, sonder leur profondeur, se retirer pour mieux y revenir, enchaîner andante et allegro. L’essentiel était de déclencher, chez son amant, le chant mélodieux du plaisir. Les vocalises de Georges, quand il prenait son pied, l’électrisaient. Aimer prenait alors tout son sens. Tout son être participait à cette fête des corps et des cœurs. Il se sentait utile, indispensable au bonheur de l’autre. Sa propre jouissance, sans être secondaire, ne pouvait s’épanouir qu’à cette condition.
Dans la barque qui la ramenait à la guinguette, Fifine restait silencieuse. Michel s’en étonnait. Elle semblait rêveuse, préoccupée. Par discrétion, le rameur respecta son mutisme. En fait, Fifine cogitait. À Chalon, elle avait appris qu’un marinier s’était gravement blessé. Il était hospitalisé et sa femme se désolait. Il fallait livrer la marchandise avant la fin de la semaine prochaine.
Elle ne savait pas naviguer et devait, de toute manière, rester auprès de son mari. Fifine lui avait alors parlé de Marcel, un jeune matelot qui pourrait la dépanner. C’était une aubaine, surtout s’il pouvait assurer le remplacement jusqu’au complet rétablissement de son époux. Après cette livraison, dans la région parisienne, ils devaient honorer un contrat à Boulogne pour une entreprise de construction. Il s’agissait de transporter des matériaux sur le chantier de la future exposition universelle au Trocadéro.
Dès qu’il irait mieux, ils rentreraient sur Paris par le train. Elle proposait un bon salaire et, s’il faisait l’affaire, d’embaucher Marcel comme matelot par la suite. C’était une bonne nouvelle mais Fifine ne voulait pas contrarier les amours du jeune homme. Elle ne s’était pas engagée pour lui, avait promis d’en parler. Elle avait sa petite idée.
Quand ils accostèrent, Fifine retrouva la parole. Elle appela tout son monde pour décharger la barque et elle annonça, les yeux rieurs : « conseil de famille, tous, dans ma cuisine ». Les garçons, inquiets, s’exécutèrent. On ne discutait pas les ordres de Fifine. Elle exposa l’affaire et demanda à Marcel ce qu’il en pensait :
Surprise, Fifine écrasa une larme. Elle qui n’avait jamais pu avoir d’enfants se trouvait à la tête d’une tribu de six garnements dont elle avait fait le bonheur sans vraiment s’en rendre compte.
Le lundi, Michel et Marcel se rendirent à Chalon pour prendre possession de la péniche. Ils se mirent d’accord avec la propriétaire et lui firent bonne impression. Elle était rassurée par la présence de Michel, un jeune homme sérieux qui comprenait vite. Elle lui confia papiers et documents. Marcel montra tout son savoir faire en manœuvrant la péniche avec habileté. C’était un automoteur berrichon facile à manier.
Sur le chemin du retour, pendant que Marcel conduisait le bateau, Michel consultait les cartes, échafaudait le plan de navigation. En partant le lendemain, il faudrait remonter sur Chalon, prendre le canal du Centre jusqu’à Decize. Là, ils avaient le choix entre le canal du Nivernais ou le canal latéral à la Loire.
Leur arrivée fut saluée par un concert de casseroles auquel se joignirent les cornes de brume des péniches stationnées à proximité. Pour un peu, on se serait cru au Havre, lors du départ d’un transatlantique. Ils passèrent une partie de l’après-midi à déménager leurs affaires. Cette nuit, ils coucheraient dans la péniche. Fifine leur donna des provisions que Michel et Martial voulurent absolument payer.
La soirée fut consacrée aux adieux. Il régnait une étrange atmosphère faite de mélancolie et d’excitation. Ils avaient offert à Fifine un grand châle noir parsemé de petites fleurs rouges. Elle s’en était drapée et, assise dans son fauteuil, elle ressemblait à une reine entourée de ses pages. Elle avait été le catalyseur de leurs amours. Sa tolérance bougonne avait facilité les rencontres. Ils lui en étaient tous reconnaissants.
Certes, Émile et Georges avaient reçu, tacitement, la charge de prendre soin d’elle. On se promettait de s’écrire. Cependant, une page était tournée. Maurice, plus que les autres, avait bien du mal à retenir ses larmes. C’est qu’il l’aimait, sa Fifine. Martial l’entourait de ses bras. Amoureusement, il le berçait presque. Georges se mit à jouer Le temps des cerises, que tous reprirent en cœur.
J’aimerai toujours le temps des cerises
C’est de ce temps-là que je garde au cœur
Une plaie ouverte
Et Dame Fortune, en m’étant offerte
Ne saura jamais calmer ma douleur
J’aimerai toujours le temps des cerises
Et le souvenir que je garde au cœur
Sur ce dernier couplet, ils partirent se coucher pour ne pas se mettre à pleurer. Le lendemain, leur départ fut rapide. On s’embrassa chaleureusement et les quatre marins d’eau douce s’éloignèrent dans la brume légère du matin.