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Temps de lecture estimé : 11 mn
09/07/08
Résumé:  L'inexplicable transformation physique de Francis Pichon s'accompagne d'autres aberrations tout aussi étranges... La médecine peut-elle encore quelque chose pour lui ?
Critères:  nonéro #sciencefiction
Auteur : Hidden Side      

Série : Dans la peau d'un autre

Chapitre 02 / 14
Schizophrénie

Résumé de l’épisode 1 :


La vie tranquille de Francis Pichon, comptable anonyme dans une grande société de distribution alimentaire, vient de prendre un tournant très étrange : il s’est réveillé un matin avec une autre tête et une autre voix que la sienne ! Cette brutale et inexplicable hallucination lui donne l’impression d’être devenu le sosie de l’acteur Pierre Richard. Affolé par ce qui lui arrive, Pichon se rue aux urgences de l’hôpital Sainte-Anne…






La salle d’attente du service des urgences psychiatriques était une petite pièce étonnamment chaleureuse et gaie, agrémentée de hautes fenêtres. Celles-ci donnaient sur un grand parc aux allées de troènes entretenues avec une rigueur quasi militaire. Les chaises, bien rembourrées, s’alignaient tout autour de la pièce ; presque toutes étaient occupées.


Pichon trompait son ennui en observant ces personnes qui attendaient, comme lui, d’être métamorphosées en « patients ». Pas très loin, il y avait un couple âgé, accompagné d’un solide gaillard, certainement leur fils. Le vieux monsieur regardait dans le vide, totalement absent, tandis que sa femme essuyait avec une discrétion dévouée, et un petit mouchoir aux motifs fleuris, le filet de bave pendant à la commissure de ses lèvres.



Il grimaça un sourire à la secrétaire médicale, tout en massant son cou endolori. Avant que l’élite de la psychiatrie française ne se penche sur son cas, Pichon décida d’aller se rafraîchir. Il se leva sans attendre et mit le cap d’un pas martial sur la fontaine à eau dans le couloir.


Prenant une timbale qu’il déposa à l’emplacement idoine, il enclencha le mécanisme d’une pression virile, le relâchant juste avant que le gobelet de plastique ne soit plein.


Cependant, l’écoulement de la fontaine ne s’arrêta pas pour autant… Le jet glacé, qui continuait de jaillir, fit rapidement déborder le récipient puis se répandit en une joyeuse cascade jusque sur ses chaussures.



Les vingt-cinq litres de la bonbonne allaient y passer ! Francis Pichon prit alors une initiative, plutôt malheureuse, pour essayer d’interrompre l’écoulement intempestif : il voulut extraire le gros réservoir translucide, le ceinturant vaillamment et tirant d’un coup sec vers le haut. Rien à faire.



Cette fois, il arracha l’énorme bombonne de son socle, avec un ahanement de bûcheron. L’enchaînement précis des évènements qui suivirent échappa à sa mémoire, mais voici ce qu’il advint : il y eut un craquement sinistre au niveau de sa nuque, accompagné d’une douleur fulgurante. La bombonne lui glissa des mains, coinçant on ne sait comment son goulot dans la ceinture du malheureux Pichon qui, tétanisé, reçut sur ses guibolles chancelantes un flot d’eau minérale.


Soudain, il dérapa sur le carrelage glissant ; ses pieds décolèrent, faisant effectuer à son corps une figure gymnique qui aurait certainement impressionné le jury d’une compétition internationale. L’audacieux salto se termina par un contact brutal avec le béton, suivi de près par l’atterrissage de la lourde bombonne sur son torse. Un ciel étoilé et rougeoyant remplit aussitôt son champ de vision, tandis qu’il tentait en vain de recouvrer sa respiration. Il sombra rapidement dans l’inconscience.



oooOOOooo



Ce fut la pulsation de douleur dans son cou qui le réveilla. Il était allongé sur un brancard, la tête immobilisée par une minerve. À quelques pas de là, une infirmière entre deux âges notait quelque chose sur un bloc. Voyant qu’il sortait de son inconscience, elle lui adressa un sourire rassurant :



Et si ce coup sur la tête lui avait remis les idées en places ? Pichon tâta son visage, tripota ses cheveux… Non, rien n’avait changé ! Son hallucination morpho-psychologique était toujours bien là, aussi collante qu’un vieux chewing-gum sous une godasse ! Avec un soupir de pneu qui se dégonfle, Pichon demanda à consulter en urgence un psychiatre.


L’infirmière, inquiète de l’atonie soudaine de cet étrange patient, partit alors en courant chercher la cavalerie. Elle revint quelques minutes après, suivie d’un type ventripotent habillé en tennisman. Son souffle court et les larges auréoles qui agrémentaient les aisselles de son polo Lacoste indiquaient qu’il avait dû trottiner sur les cents derniers mètres.



Le tennisman obèse avança une chaise près de la civière, s’installant au chevet de son patient avec la circonspection d’un curé venu administrer les derniers sacrements à un agnostique en plein repentir. Il se présenta comme étant l’aliéniste de garde.



Se tournant vers l’infirmière, il s’exclama d’un air accusateur :



Celle-ci fit mine de se perdre dans la contemplation de ses chaussures.



En entendant ces propos sans queue ni tête, l’obèse secoua la sienne avec vigueur ; il sentait un agacement moutardé lui monter aux narines ! Le comptable et l’infirmière avaient eux aussi droit à leur part d’émanations ; celles, âcres et poivrées, qu’exhalait le système sudatoire du psychiatre. L’odeur du soignant peu soigné incommodait Pichon qui reprit ses explications afin de ne pas trop prolonger cette consultation ubuesque :



Il lui vint une idée pour confronter ce patient un peu trop affirmatif à ses affabulations :



L’infirmière lui apporta sa gabardine ; Pichon sortit un permis de conduire de son portefeuille, et le tendit à l’obèse. Celui-ci le déplia, regarda la photo, regarda Pichon, puis lui mit le rabat plastifié sous le nez, comme on mettrait un jeune chiot face à la crotte qu’il vient de mouler en douce dans le salon.



Un simple coup d’œil à la photo un peu passée de son justificatif préfectoral permit à Pichon de se rendre compte que ce phénomène hallucinatoire s’étendait de façon concrète et inexplicable. Sur la vignette en noir et blanc, ce n’était plus lui qu’on voyait, mais le sosie d’un certain comédien un peu trop envahissant !



Comment pouvait-on ne pas connaître le célèbre humoriste ? Le psychiatre se fichait de lui, certainement… Celui-ci se tourna vers l’infirmière :



Ils ne s’occupaient plus de Pichon, discutant de ce nouveau « cas » à quelques mètres à peine de celui qui était devenu simple objet de soin. Au bout d’un instant, le conciliabule se termina. Quand ils se tournèrent à nouveau vers le brancard, celui-ci était vide… Le patient se serait-il impatienté ?



oooOOOooo



Francis Pichon en avait assez entendu comme ça. Il ne voulait pas finir camisolé de force. Rester dans les parages ne lui apporterait qu’une seule réponse, et elle serait chimique. Il décida alors de faire comme son illustre modèle, se carapater ! Ces deux zouaves lui tournaient le dos, c’était le moment de prendre le large, ce qu’il fit sans hésitation.


Une pensée le turlupinait cependant. Comment pouvait-on être d’une inculture cinématographique assez titanesque pour ne pas connaître Pierre Richard ? N’importe qui pourrait dire si, oui ou non, son visage s’était mis à ressembler à celui de l’acteur. Il suffisait de poser la question au premier venu. Pour cela, il attendit d’être assez éloigné de Sainte-Anne… Il n’avait pas envie de s’y faire reconduire de force !


Au bout du dixième passant interrogé, Pichon dut se rendre à l’évidence. Personne, absolument personne, ne semblait connaître Pierre Richard. Ni d’ailleurs aucun de ses films ! Et a fortiori, personne n’avait été capable de lui dire s’il avait quelque chose en commun avec ce célèbre inconnu. C’était très troublant – voire même inquiétant…


Pichon avisa un cybercafé au coin d’une ruelle. Il n’avait jamais mis les pieds dans ce genre d’établissement, mais il avait une question brûlante à trancher… Pourquoi ne pas tenter une recherche sur Internet ? C’était, de loin, le plus large questionnement possible !


Quand il s’avança vers le tenancier de l’endroit – un gars très pâle et aux longs cheveux noirs, habillé de sombre – celui-ci le toisa d’un air acerbe, se demandant si ce type en parka beige ne s’était pas trompé de crèmerie. Francis Pichon, un peu intimidé, lui confirma néanmoins qu’il avait bien l’intention de s’installer derrière une de ses précieuses machines. Le jeune gothique pointa d’un doigt à l’ongle soigneusement vernis d’anthracite un PC libre au fond de la salle.


Pichon s’aventura alors entre les rangées d’ordinateurs où quelques jeunes gens, attablés de-ci de-là, fixaient des écrans violemment animés avec des yeux de junkies en plein trip. Tout en défouraillant comme des fous à coups de claviers et de souris, les ados se lançaient de loin en loin des invectives dans un jargon proprement incompréhensible pour un comptable de quarante-sept ans.



Le blondinet joufflu à qui il s’adressait était affligé d’une acné purulente, à faire fuir n’importe quel dermatologue, même des plus aguerri. Celui-ci haussa les épaules et lui répondit, avec un sourire dédaigneux :



Le punk se contenta de tendre en l’air un majeur méprisant, cerclé d’une grosse chevalière en fer. La bague du jeune « tueur de mort », ornée d’un crâne hilare sur fond d’éclairs, collait à la perfection à son style « no future ». Puis il reprit sa souris en main pour éviter une salve de roquettes, vicieusement décochée par son adversaire.


Pichon rentra le ventre, pour mieux se glisser derrière la chaise de Monsieur « Death-Killer » sans trop le perturber. Peine perdue.



Il dévisageait Pichon d’un air mauvais, semblant trouver la présence du comptable en son antre aussi incongrue que celle d’un pasteur baptiste dans un sex-shop.



Il poursuivit sa route vers l’emplacement lui ayant été imparti, s’assit sur le siège de plastique craquelé et se lança, via le navigateur, à la poursuite de son célèbre double.


Une recherche rapide sur le nom de l’acteur ne lui rapporta qu’une poignée de pages. On y parlait d’un certain Pierre Richard Feray, ethno-historien spécialiste de l’Asie du Sud-Est. Plusieurs résultats plus loin, il était aussi fait mention d’un autre homonyme, très exactement Pierre Richard Maurice Charles Léopold Defays, industriel influent ayant repris la suite d’une affaire familiale dans les années soixante-dix.


Il n’eut pas plus de succès en lançant des recherches sur les différents titres de films dont il se rappelait…


Pichon se retint de projeter rageusement son « mulot » sur l’écran plat sans réponse qui le narguait obstinément. Se répandre dans le giron de ses voisins immédiats pour leur clamer sa détresse n’était pas une idée plus brillante, quelque soit les effets libérateurs qu’il pût tirer de cette manœuvre ; aussi s’abstint-il… D’autant qu’il n’avait pas envie de provoquer un esclandre avec le prince des zonards !


Pourtant, il aurait bien aimé trouver quelqu’un capable de lui expliquer le pourquoi de cette double énigme : son étrange métamorphose faciale et le fait que l’acteur comique à qui il s’était mis à ressembler avait inopinément disparu de la mémoire collective ! Il lui vint une fulgurante inspiration : et si ces deux avatars, à l’évidence concomitants, étaient liés ?


Mais comment expliquer cette aberration soudaine du réel ? Il reprit tout à la fois son calme et le dispositif de pointage en main. Durant près de dix minutes, il cliqua fébrilement sur tous les liens pouvant lui apporter un début d’éclaircissement. Francis Pichon n’était pas un habitué des sciences dures, mais il lui sembla que sa meilleure chance de ne pas tomber dans une profonde folie était de trouver une explication « rationnelle » au phénomène qui l’accablait depuis son réveil.


Il trouva enfin un début d’explication sur un site web qui abordait très sérieusement une théorie lui ayant toujours paru assez loufoque, celle des univers parallèles. Il apprit avec étonnement qu’un physicien américain, un certain Hugh Everett, avait émis une hypothèse très rigoureuse sur la possibilité d’existence de mondes multiples. Cette théorie l’avait même rendu célèbre…


Est-ce qu’il vivait un phénomène semblable ? Le basculement dans un autre univers pouvait-il expliquer cette étonnante métamorphose ? Pichon enserra sa tête entre ses mains. Tout cela le dépassait, mais une chose au moins était certaine : ce qui lui arrivait était bien réel. Même si, visiblement, il était le seul être humain sur terre à s’en rendre compte.


Était-il possible qu’une sorte de permutation ait eu lieu entre son propre physique et celui du vrai Pierre Richard ? L’acteur avait peut-être hérité de sa tronche à lui, dans cet autre univers… Alors ça, ça pouvait très bien expliquer qu’il n’ait jamais pu percer dans le métier !


Il regarda pensivement les ados qui continuaient à se canarder de façon aussi débridée que jouissive. À leur manière, eux aussi étaient passés dans un autre univers. Mais contrairement à lui, ils y étaient entrés de leur plein gré et pouvaient reprendre à tout moment le cheminement habituel de leurs vies de gringalets dopés aux hormones.


Pichon, réellement déboussolé, ne savait plus que faire. Faute de mieux, il finit par reprendre la direction de son domicile, l’esprit embrumé de questions sur sa nouvelle identité.


[À suivre…]