n° 13038 | Fiche technique | 34758 caractères | 34758 5978 Temps de lecture estimé : 24 mn |
10/12/08 |
Résumé: On me fait une proposition mystérieuse. Je rencontre une femme d'une grande élégance. | ||||
Critères: #nonérotique #sciencefiction couleurs travail | ||||
Auteur : TomaN7 Envoi mini-message |
DEBUT de la série | Série : L'arbre des possibles Chapitre 01 | Épisode suivant |
Note de l’auteur : cette série m’a été inspirée par une idée présente dans de nombreux romans de Bernard Werber, je me suis permis d’utiliser son personnage dans cet épisode. Merci à lui pour ses œuvres.
Comme à mon habitude, je finis ma journée de boulot en consultant ma boîte électronique. Pas beaucoup de mails cet après-midi… Le représentant de l’université de Tokyo m’a répondu, bonne nouvelle, je verrai ça demain à tête reposé. Tiens, un mail d’Arianespace aussi, j’espère qu’il n’y a pas de problème dans la doc que j’ai envoyée la semaine dernière ! Non, apparemment ils accusent juste réception et confirment leur engagement pour le lancement du satellite. Ils ont aussi fait une estimation du prix … Je ne m’y ferai jamais, tout ça pour balancer 30 kg en orbite !
Un message attire davantage mon attention, importance maximale, mais c’est surtout l’adresse de l’expéditeur qui m’intrigue… Je double-clique sur le titre du message, un titre bateau pour une demande de rendez-vous. Le contenu l’est beaucoup moins :
Monsieur,
Suite à votre conférence au sujet de la filière de satellites génériques que vous avez développés, il est apparu que votre profil nous intéresse. Nous travaillons sur un nouveau prototype de renseignement et nous souhaiterions que votre talent et votre inventivité soient au service de cette technique.
Je ne peux pas vous en dire plus par mail pour des raisons de confidentialité, c’est pourquoi je vous propose de nous rencontrer. Pour votre confort, ce rendez-vous aurait lieu sur votre lieu de travail, une heure d’entretien suffirait. Merci de me faire parvenir vos disponibilités, je vous prie de croire, Monsieur, en l’expression de mes salutations distinguées.
Colonel Levasseur,
Direction Générale de la Sécurité Extérieure.
La DGSE ? C’est une blague ou quoi ! Et pourquoi pas la CIA tant qu’on y est ? Je vérifie l’en-tête complet du message. Non, je ne vois pas de contrefaçon, c’est une adresse en gouv.fr, il y a aussi le sigle de la république française et tout un long paragraphe à propos de la confidentialité du message et des engagements de celui qui le reçoit. Il y a la même chose sur les mails de mes collègues d’Astrium… Bon, ça me paraît un message véritable.
Que me veut-il celui-là ? J’ai bien envie de lui répondre que je n’ai pas que ça à faire. Et puis, si c’est pour travailler sur un satellite espion, non merci… En même temps, que veut-il dire par « nouveau prototype de renseignement » ? C’est une appellation plutôt étrange pour un satellite. En plus, je vois mal la DGSE développer leurs satellites, l’armée fait appel à Astrium et Aliena-Space, c’est bien connu dans le milieu. Et pourquoi moi ? Je n’ai que quelques années d’expérience, rien à voir avec les huiles de la boîte ! Bon je rentre, il est déjà trop tard. Je verrai ça demain, ça me laissera le temps d’y réfléchir.
Le lendemain, ma curiosité a repris le dessus sur tout le reste, et j’ai finalement répondu en leur indiquant quand et où je souhaiterais le rencontrer.
--ooOoo--
Je m’imaginais avoir affaire à l’officier strict que l’on voit dans les films : cheveux très courts, dos bien droit, uniforme impeccable. J’ai en fait reçu la visite de deux hommes en civil. Le premier m’a tout de suite semblé sympathique, c’est le genre d’homme qui me met à l’aise, d’une attitude chaleureuse, détendue. La cinquantaine. Un homme de bureau, son allure montre bien qu’il y a longtemps qu’il n’a pas vu un champ de bataille. Il s’est présenté comme dirigeant le service de R&D de la DGSE. Il a également introduit son collègue, sans me préciser sa fonction. Un observateur, apparemment. Sans doute un psychologue. Il s’est installé dans un coin de la pièce et est resté discret, n’arrêtant pas de prendre des notes. Ça, c’est le genre de mec qui m’agace. Je n’aime pas qu’on m’observe, j’ai horreur qu’on me juge. J’ai réussi à l’ignorer superbement et à me concentrer sur ma discussion avec le colonel.
C’est ça, passe moi de la crème mon gars. Je hoche la tête, j’attends la suite.
J’ai le souffle coupé, non par le salaire irréaliste pour une personne de mon âge, mais d’être ainsi acheté. Je réussis à formuler une réponse cordiale, refrénant mon envie de l’envoyer péter.
Plus qu’un satellite ? Il se fout de moi ou quoi !
Je suis surpris par la question, mais encore plus par l’intervention du mateur (enfin, le deuxième homme, je ne me rappelle déjà plus son nom, il a vite été remplacé par « le mateur » dans mon esprit). D’un ton autoritaire, il ordonne au colonel de le suivre dans le couloir. Comme s’il allait lui passer un savon pour avoir prononcé le nom de Werber. Quelques minutes plus tard, les deux hommes sont revenus et se rassoient aux mêmes places que précédemment.
Il sait aussi bien que moi exprimer par le son de sa voix ce qui n’est pas prononçable dans le monde professionnel. Le mateur l’emmerde, du coup le colonel remonte nettement dans mon estime.
La discussion devenait intéressante, sauf que je n’aime pas du tout l’idée d’être utilisé ainsi. Je ne me préoccupe maintenant plus d’être politiquement correct.
Le mateur tousse exagérément. OK, j’ai compris, je n’en saurai pas plus.
J’aime bien le « pour ça »… Nous prenons congé. L’après-midi, j’ai eu du mal à me concentrer sur mon travail, il est vrai que cette proposition mettait ma curiosité à rude épreuve…
--ooOoo--
J’ai rédigé ma réponse la semaine suivante :
Monsieur,
Après réflexion, il ne me paraît pas raisonnable d’accepter votre offre sans savoir exactement en quoi consiste votre méthode de simulation. Les « contraintes physiologiques » que vous avez évoquées lors de notre entretien me laissent penser que vos essais pourraient, en cas d’échec, avoir des conséquences sur ma santé. Il me faut donc savoir à quoi m’attendre avant de prendre une quelconque décision. Cette condition n’est pas négociable.
Je serais toutefois désolé de devoir refuser pour cette raison car votre proposition éveille ma curiosité scientifique, mais vous comprendrez que je n’hésiterais pas à le faire. Je vous prie de croire, Monsieur, en l’expression de mes salutations distinguées.
La réponse est dans ma boîte mail le soir même :
Monsieur,
Je comprends vos interrogations, mais je ne peux malheureusement pas vous révéler davantage que ce que vous savez déjà. Je vous invite cependant à rencontrer la personne avec qui vous travailleriez si vous acceptiez. Je ne veux pas vous manipuler, loin de moi cette idée. J’espère simplement que la rencontrer vous rassurera.
Je tiens également à vous assurer que l’échec de nos essais n’a jamais eu plus de conséquences pour le sujet que de légers malaises, et seulement en de très rares occasions. Généralement, un échec signifie surtout qu’il ne se passe rien, la simulation n’est pas déclenchée sans que la personne en soit le moins du monde incommodée.
Je vous prie de suivre mon conseil et de contacter cette personne, il s’agit du Dr. Hanane Karbouh, voici son adresse mail : @@@@@
Je ne veux pas vous manipuler. Mouais… Je te crois, mon coco. À tous les coups cette Hanane sera chargée de m’amener à ton QG en me tenant par les couilles ! C’est quoi que tu veux, me payer d’une autre manière qu’avec ton sale fric ? Alt-F4, je ferme Mozilla avant d’être à bout pour toute la soirée. Il est temps de rentrer chez moi. En passant le portique de sécurité de la société, je me fais la réflexion que ça serait peut-être l’occasion de prendre du bon temps avec une femme sans tout le côté séduction. Si ce colonel veut m’envoyer une pute, autant que je m’en serve !
En chemin, je me suis chauffé en imaginant tout ce que je ferais avec cette fille facile. Son nom me semble arabe. Tant mieux ! Me taper une beurette fait partie de mes fantasmes. Arrivé chez moi, je rédige le mail suivant à cette femme :
Bonjour,
Vous êtes sûrement au courant que l’on m’a conseillé de vous contacter. Je vous laisse mon adresse MSN pour faire connaissance virtuellement dans un premier temps.
C’est court et direct, mais autant ne pas faire dans la finesse !
--ooOoo--
Tous mes scénarios pornographiques se sont écroulés dès la première seconde où je me suis retrouvé en face d’Hanane. Je l’ai invitée par messagerie instantanée à prendre l’apéritif chez moi. Elle a hésité mais m’a finalement donné son accord le lendemain. Au lieu de la femme provocante que je m’imaginais recevoir, j’ai en face de moi quelqu’un d’une allure très stricte. L’exact opposé de mes a priori.
Elle est habillée d’un pantalon de jean’s noir ; une robe rose pâle brodée de quelques petites fleurs dépasse d’une veste gris sombre, complètement boutonnée. Elle porte un voile composé de deux pièces de tissu, un premier blanc et épais recouvre ses cheveux et son front, un deuxième plus fin, très légèrement translucide, composé de plusieurs tons de rouge, est attaché par-dessus, il cache ses oreilles et son cou pour finalement disparaître dans le col de la veste. Seule la peau mate de son visage et de ses mains est visible, les coutures de sa veste sont placées de telle sorte que sa poitrine n’est pas modelée.
Nous nous saluons en nous serrant la main. Je lui désigne le canapé. J’ai préparé des verres à pied, un petit pot de moutarde et une coupelle de chips sur la table basse qui lui fait face. Elle s’assoit précautionneusement, en se tenant le dos bien droit, les genoux serrés, les mains posées sur ses cuisses. Je vois qu’elle n’est pas du tout à l’aise.
Son regard, qui était fuyant, se plante dans le mien. J’y perçois une petite lueur qui me dit que j’ai tout juste, mais je vois surtout d’adorables petites amandes aux iris bruns. Les traits de son visage sont d’une finesse remarquable, son arrondi est sublimé par le tissu précieux, attaché sur le côté par une épingle munie d’un petit papillon de perles. Je suis fier d’avoir chez moi une femme d’une telle élégance, tout est impeccable dans sa tenue. Moi qui m’imaginais passer la soirée en compagnie d’une pétasse aux gros seins, en mini-jupe et large décolleté…
Elle me sourit. Ses fines lèvres sont dessinées par un très léger rose qui donne davantage un aspect brillant qu’un ajout de couleur. Vraiment adorable. Cette petite bouche appelle les baisers. Pas les grosses galoches qui débordent de partout, mais plutôt de petits bisous aux coins des lèvres. Ce genre de baisers timides, ce genre de baisers qui n’engagent à rien.
Je m’assois en face d’elle et demande d’un air sérieux :
Quelques instants plus tard, je suis revenu avec les boissons. Je lui sers un verre de jus d’orange.
Ça la fait rire. Femme qui rit à moitié dans mon lit ? Sûrement pas celle-ci. Magnifique et inaccessible…
J’ai presque honte de me faire un whisky-coca devant cette femme merveilleuse. La dose est nettement plus légère qu’à mon habitude. Tant mieux, comme ça j’aurai toute ma tête pour essayer d’en savoir plus sur elle et sur quoi elle travaille.
Elle a l’air d’avoir envie de causer, la demoiselle, je vais faire semblant de savoir de quoi on parle, peut-être que ça donnera quelque chose…
Elle acquiesce, son beau regard en direction de ses genoux.
C’est une affirmation. Je range cet indice dans un coin de ma mémoire et continue sur mon idée.
Deux questions à la fois, meilleur moyen pour faire lâcher des infos. On se concentre sur la question suivante, en répondant à la première.
Bingo, j’avance là ! Premier point : la technique développée nécessite le travail à plein temps de la plus douée des neurologues. Je vais gratter encore un peu en ce qui concerne le deuxième point.
Merde, raté. J’aurais voulu une réponse du genre : j’ai lu ton dossier, ou alors : on m’a demandé de valider ton profil pour cette expérience. Ce qui m’aurait permis de continuer à fouiller, mine de rien… Bon, allons-y au culot :
Encore raté ! Un autre essai :
Le ton genre : on m’a dit ce que c’était, j’en parle juste pour faire la conversation, hein !
Cette fois c’est bel et bien foutu. La demoiselle s’est fermée, ses yeux me lancent des éclairs qui me font frissonner. OK, mea culpa.
Ouf ! Elle a repris le tutoiement. Je vois que le « charmante demoiselle » ne l’a pas laissée de marbre. En plus, elle vient de me laisser un autre indice, elle a bien eu mon dossier entre les mains, jamais je ne lui ai dit que je travaillais au CNES. La DGSE a donc un dossier sur moi… Ça ne me plaît pas trop, cette affaire ! Nous continuons à discuter, mais cette fois de mon boulot. Elle paraît intéressée par mon projet, je vois que ce n’est pas son domaine du tout, mais elle comprend tout de même certains aspects de l’architecture que j’ai développée sans que j’aie à trop vulgariser mes propos. Tant mieux. Je suis ravi d’avoir un tel interlocuteur : elle me pose des questions, paraît vouloir tout apprendre de mon domaine.
Bien sûr… Si tu veux me voir, viens me servir de cobaye, mon coco… Je me lève également, m’approche d’elle en souriant pour lui faire la bise. Elle s’écarte, me tend la main. Je la lui serre, mon sourire a disparu.
Au revoir ma belle, merci de souligner les boulettes de la soirée…
--ooOoo--
Quelques jours plus tard, je n’avais qu’une envie, c’était de revoir ma jolie musulmane. J’ai essayé de la contacter par mail et par MSN, mais toujours la même réponse : je n’ai pas le temps de te parler. Le râteau poli, quoi… Je me suis dit que ça allait me passer, que c’était juste un désir temporaire, je me suis concentré sur mon travail. Mais rien n’y a fait, son image reste ancrée en moi. Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Elle a eu une éducation stricte, ça se voyait dans ses manières pendant notre apéritif. La vie de raison et de sagesse qu’elle a choisie en pratiquant sa religion est à l’opposé de la mienne, où tout est prétexte à boire un grand verre d’alcool ou à me taper un gueuleton, voire à me défoncer la tronche en pré-soirée.
Mais le fait est là : Hanane m’obsède, je ne peux pas m’empêcher de penser à elle. Je me vois la prendre dans mes bras, simplement pour sentir son parfum, sa chaleur de princesse méditerranéenne. Les femmes-objets des discothèques ne m’intéressent plus, avec leur pantalon taille basse moulant, leur haut laissant leur ventre, leurs seins et leur string à l’air, avec leurs cheveux qui virevoltent au rythme de leurs déhanchements. Et leurs paroles si futiles en plus ! Rien à voir avec la discussion passionnante que j’ai eue avec Hanane. J’ai même refusé la proposition d’une créature « trop bonne » comme l’ont qualifiée unanimement mes potes. Mais non, pas eu envie de baiser cette pétasse, je ne voulais que ma musulmane contre moi, avec sa tenue impeccable et ses cheveux bien voilés.
Mon désir d’être près de cette femme s’est amplifié de jour en jour, pour finalement devenir un poids : plus moyen de me concentrer, ce projet de microsatellites qui me passionnait est devenu très secondaire. J’essayais tout de même de le mener sérieusement à bien, mais le cœur n’y était pas. J’ai finalement donné mon accord à ce Levasseur, rageant intérieurement contre lui d’avoir été ainsi manipulé. J’ai imposé de continuer mes activités en parallèle, comme le proposait Hanane (chacun de ses mots pendant notre soirée restait gravé dans ma mémoire). Il a accepté ; ce ne seront que des missions d’une journée, dans un premier temps.
Moi qui pensais pouvoir tester cette mystérieuse technique quelques jours après, je me fourrais le doigt dans l’œil ! Que de tests, que d’entretiens avant de pouvoir enfin être convoqué à ce que je pensais être ma première simulation. Comme je m’y attendais, j’ai eu droit à une présentation : le colonel m’a donné les objectifs de la simulation neuronale au niveau stratégique, avant de laisser la parole à Hanane pour me détailler les aspects techniques de l’expérience.
Je ne pourrais dire ce qui m’a le plus intéressé dans son exposé : est-ce son contenu qui éveille mon désir de connaissances ? Ou plutôt d’entendre la voix sensuelle de cette femme tellement élégante dans ses tenues pourtant si strictes ? Mon cerveau enregistrait les informations scientifiques pendant que mes yeux se gavaient de la beauté de son visage. Je buvais littéralement ses paroles, j’avais envie de m’abreuver à leur source en posant mes lèvres sur sa bouche si délicate.
J’ai été ravi lorsque le colonel nous a laissés en tête-à-tête pour un examen médical. Je l’ai peut-être un peu trop montré, ça a mis Hanane mal à l’aise. Je l’ai suivie dans son bureau, me suis assis sur la banquette qu’elle m’a désignée.
Houlà ! Ne mords pas !
Je vois sur son visage triste que c’est même en deçà de la vérité. Elle s’en veut. Qu’est-ce que ça veut dire ? Que je dois y aller mollo, mais que peut-être… En tout cas, le rempart qu’elle s’est construit ne va pas être facile à franchir. Mais ce doit être pour cela qu’elle m’attire tant.
Oh oui, ausculte-moi, déshabille-moi, je suis à toi !
Elle prend ma tension, ses gestes sont précis, très (trop !) professionnels.
Nous y allons, elle ouvre un modèle Word et ajoute une ligne en m’expliquant que je dois diminuer progressivement les doses de mon traitement actuel en augmentant celles du nouveau.
Mais apparemment cette idée lui plaît. Génial, allons-y !
Pas plus de quelques minutes, ce fut vrai pour les premiers soirs, mais au fil des jours ces conversations devenaient de plus en plus longues, de plus en plus diversifiées, mais toujours aussi passionnantes. Nous parlions de plein de sujets différents : de science, bien sûr, c’est ce qui nous venait le plus facilement, mais aussi, certains soirs, nous échangions nos avis sur l’actualité. Une fois même, nous avons parlé de religion et, chose qui m’a étonné, elle, pourtant très croyante, est restée ouverte à mes arguments athées. Elle considère sa religion comme très personnelle, se dit absolument contre le fait d’imposer sa croyance aux autres. J’ai été encore plus surpris lorsqu’elle m’a remercié d’avoir parlé de ça avec elle, alors que je n’étais pas souvent de son avis.
--ooOoo--
Enfin, le jour de la première simulation est arrivé !
Je suis allongé au centre d’une pièce remplie d’appareils médicaux, la tête relevée par deux gros oreillers. Une aiguille est plantée dans mon poignet, un goutte-à-goutte me transfuse peu à peu dans le sang un produit qui me fait planer. Hanane est en train de me poser les électrodes d’un électroencéphalographe sur le crâne. Elle me dit de me laisser aller, j’entends sa voix sensuelle de loin, ma vision se trouble, je ferme les yeux. Je suis bien, mon odorat est décuplé, je sens la douce odeur de cette femme près de moi.
Par contre, sa voix est irréelle, je ne sais plus si c’est vraiment elle qui me parle. Je ne comprends plus ce qu’elle me dit, j’enregistre des informations, c’est tout. Je ne peux plus réfléchir, je ne peux que subir. Cet état dure un long moment, plusieurs heures. Ou peut-être quelques minutes, je ne sais pas, je n’ai plus la notion du temps. Je n’entends que cette étrange voix-off. Soudain, je sens une aiguille se planter dans mon bras, et cela m’endort tout à fait.
Je suis dans une étrange combinaison en matière plastique, en train d’observer un appareil de mesure à travers l’écran rigide de mon casque intégré. L’aiguille de cadran est presque en butée droite, les graduations de ce côté sont surlignées d’un rouge de plus en plus foncé. J’ai terriblement chaud dans cette combinaison étanche. Je relève les yeux, je marche dans un paysage de désolation, tout est détruit. Je ne perçois pas grand-chose, un épais brouillard d’un gris irréel masque les ruines à quelques dizaines de mètres.
J’entends un homme me parler à l’intérieur même de la combinaison, elle doit être munie d’un haut-parleur et d’un micro. Non, je sais qu’elle est munie de ces équipements. Comme je sais qu’il s’agit d’une combinaison anti-nucléaire. Cet homme me demande le niveau de radiation gamma. Je lui réponds après avoir manipulé l’appareil que j’ai entre les mains. Sensation étrange, je ne comprends pas ce que je fais là, mais pourtant je sais comment fonctionne l’appareil et comment s’appelle celui qui vient de me parler.
Un autre homme nous ordonne, à l’aide du radio-émetteur longue portée de nos combinaisons, de rentrer à la base. Nous obtempérons. Nous marchons en file indienne, je connais le chemin du retour. Celui-ci est fastidieux, nous devons sans cesse contourner des obstacles, enjamber des pylônes électriques, grimper sur les gravats glissants d’immeubles écroulés. Nous nous rapprochons du centre-ville, des carcasses de voitures se font de plus en plus nombreuses, une épaisse couche de poussière m’empêche de voir à l’intérieur. Heureusement, car je sais très bien ce que j’y verrais…
Quelques dizaines de minutes plus tard, nous devons passer par une place où se tenait un marché public. Mon souffle s’accélère lorsque je vois ce charnier. De nombreuses personnes gisent sur le sol, surtout des femmes et des enfants. Ou alors ma sensibilité me les fait voir davantage… Tous ont la peau flétrie, carbonisée. Des flaques de sang séché entourent les cadavres entremêlés, écrasés par de lourds blocs de pierre. Je savais qu’on allait passer par là, je savais à quoi m’attendre. Mais le voir me déclenche une crise de panique, mon cœur s’emballe, mes tempes me brûlent, un nœud me coince la gorge, des larmes jaillissent de mes yeux rougis…
Et puis plus rien, le noir total.
Je reprends peu à peu mes esprits, mes membres tremblent, j’ai froid. J’ouvre les yeux, c’est trop flou, je les referme aussitôt. La voix d’Hanane se rapproche, ses mots deviennent compréhensibles, puis ses phrases. Elle est en train de parler avec une autre personne, je reconnais la voix du colonel Levasseur. J’ouvre de nouveau les yeux, ma vision est plus nette, le colonel est en train de féliciter la neurologue.
Ils se tournent tous les deux vers moi. Hanane me demande comment je vais, elle a l’air vraiment inquiète.
Nos regards se croisent. Elle est désolée pour moi, mais j’ai maintenant la certitude qu’elle n’a rien à se reprocher.
Bien chef !
À suivre.