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Temps de lecture estimé : 11 mn
12/12/09
Résumé:  Suite des regards par-dessus l'épaule et le temps.
Critères:  nonéro
Auteur : Nicolas  (Bientôt 60 ans, épicurien, un peu rêveur)            Envoi mini-message

Série : Paris Province

Chapitre 03 / 03
Entre hier et avant-hier

4 - Entre avant-hier et hier


Le temps passait, et pour différentes raisons, j’ai changé de pensionnat et de région. La plus simple de ces raisons et peut-être aussi la plus profonde est que travaillant beaucoup trop et ne mettant pas assez d’ambiance dans l’établissement, les Bons Pères ont prié mes parents de me reprendre avec eux.


Profondément passionné par la nature et la vie au grand air, je passais beaucoup de mes congés chez mes grands-parents, paternels et maternels qui tous quatre habitaient en province, et même mieux à la campagne.

C’est là que j’ai appris beaucoup de choses que ni l’école ni le pensionnat ni la ville n’auraient pu m’apprendre.

D’abord à regarder, à écouter, à apprendre. La vie rurale est sûrement la meilleure école du monde dans ce domaine. Chaque jour, autour de vous se produisent une foule d’événements, de petits faits, de petites choses, qui ouvrent l’esprit dans tous les domaines.


Pour un citadin, une prairie ou un champ de blé au printemps c’est du pareil au même. C’est comme les pelouses de la cité ou du lotissement, ça pousse tout seul. Et tous les vacanciers qui pendant les migrations estivales se croisent sur les routes, et, au hasard des horaires s’arrêtent dans ce petit coin de verdure si sympa pour casser la croûte ou se reposer du trajet en sont restés à ce stade. Peu d’entre eux savent que « l’herbe, ça se cultive », que ce champ au bord duquel ils s’arrêtent et que les enfants, le chien, et même les parents vont joyeusement piétiner, c’est le gagne-pain de l’agriculteur du coin. Combien de ces gens-là accepteraient-ils de voir leur instrument de travail utilisé par d’autres qu’eux, laissé dans un état lamentable sale et abîmé, sans se révolter ? Ne leur jetons pas la pierre, ils n’ont pas eu la chance de pouvoir observer le lent travail de la nature, au fur et à mesure des jours qui passent. Je suis sûr que parmi ceux qui liront ceci, peu auront pris le temps d’observer une graine en germination et son long et douloureux cheminement vers la lumière. Regardez avec moi ce grain de blé : tout d’abord lorsque le germe sort de l’enveloppe de la graine, il y a autant de chance qu’il soit tourné dans le bon sens, c’est-à-dire vers le soleil, que dans le mauvais (vers « en bas »). Il va lui falloir dans un premier temps contourner le grain dont il est issu, et ensuite se frayer un chemin entre grains de sable, graviers, et autres composants du sol avant d’arriver à l’air libre. Soit, dame nature a bien fait les choses, et le grain contient suffisamment de réserves pour lui permettre ce long voyage de quelques centimètres et quelques jours. Mais, imaginez-vous en plein début de croissance, alors que vous n’êtes encore qu’un petit enfant, en train de faire ce qui équivaut pour un humain au parcours du combattant si cher aux militaires. Enfin surtout aux gradés qui regardent, car l’appelé de base lui, ça ne l’enchante pas obligatoirement.


Quiconque a passé quelques heures à contempler ces mystères de la vie, aura beaucoup peines à ne pas la respecter cette vie qui nous est si chère.


Donc disais-je, mes vacances rurales m’avaient fait découvrir une vie plus passionnante que celle de la capitale, et je n’éprouvais que de moins en moins l’envie d’y retourner. Cette vacance d’établissement scolaire fut salutaire. J’émis le désir de faire des études en milieu agricole, difficiles à mener à Paris. Quelle vocation plus ou moins bien analysée m’a amené à ce choix ? Honnêtement je n’en sais rien !

Peut-être tout simplement une méconnaissance totale de ce que pouvait être la vie de l’agriculture en générale et celle des agriculteurs en particulier. Je ne connaissais de ce monde que ce que j’en avais vu en étant en vacances, ou en lisant cette chère marquise de Sévigné. En bref j’aimais batifoler dans les prés en croyant que j’étais en train de faire les foins ! Plus tard la vie, la vraie, se chargera de m’apprendre qu’avant de récolter il faut aussi semer et que ce n’est pas le plus facile à faire, qu’un veau ce n’est pas un animal de compagnie, et qu’un petit lapin blanc au nez noir, même si un petit Parisien l’a baptisé Onésime Cruchoux, ça finit quand même à la casserole ou en terrine. Mais, je pense que ce sont ces images, ces clichés plus ou moins volontairement entretenus par mes grands-parents qui ont décidé de mon orientation scolaire. Sans oublier cependant qu’à la vie rurale j’avais associé cette sensation de liberté que l’on a en vacances, sans savoir que le métier d’agriculteur, s’il reste un des plus beaux

est aussi un des plus contraignants, un de ceux où la liberté est la plus apparente, mais aussi la plus difficile à conquérir.


Me voici donc en province, cette fois-ci à plus de cinq cents kilomètres de la maison familiale.

Dans un lycée où je vais passer ce que d’autres ont appelé avant moi les plus belles années de leur vie. Mais cela n’engage qu’eux.


Au premier abord c’était un lieu enchanteur. Imaginez-vous arriver dans une contrée que vous ne connaissez pas du tout, ni par sa géographie, ni par sa population. En plus vous arrivez en septembre, mois des couleurs et des odeurs, dont les jours sont suffisamment longs pour vous rappeler encore les vacances. Il fait beau, chaud, c’est encore l’été, devant vous ont défilé pendant des kilomètres des villages aux noms ensoleillés, vous avez déjeuné au restaurant en famille ce qui est rare, et ce qui est plus rare encore, c’était très bon. Souvent, au mieux, c’est quelconque.

Dehors, les champs sont encore verts pour certains, déjà labourés pour d’autres, composant un patchwork aux couleurs contrastées mais se mariant si bien ensemble. Les arbres croisés sur cette route qui n’en finissait pas de tourner et de secouer la voiture se sont eux aussi mis à l’unisson. C’est un vrai catalogue de ce qui se fait de mieux en matière de couleurs chaudes. Les châtaigniers et les chênes se sont parés de leurs plus beaux rouges, du plus « sang frais » au plus « rouille », les peupliers et les bouleaux vont du jaune pâle au châtain foncé. C’est une débauche de couleurs comme je n’en ai que trop rarement vu. En tout cas cela m’étonne et m’émerveille. C’est toujours ça de pris.


En plus chaque arrêt, au coin d’un bois de préférence, est l’occasion de découvrir de nouvelles senteurs. Odeur caractéristique des champignons, suave, appétissante. Celle plus chaude et humide de l’humus. Celle également moins poétique mais tout aussi réelle des fumiers de vache ou de mouton que les agriculteurs épandent dans les champs pour préparer leurs labours.


Sur le moment j’ai trouvé que cette route n’en finissait pas. Il faut dire que son tracé particulièrement sinueux était peu compatible avec la digestion sereine de notre repas de midi. Certains de ces arrêts au coin des bois avaient un caractère d’urgence et étaient censés permettre à mes sœurs de prendre le frais. Pas qu’à elles du reste mais je me serais bien gardé de faire remarquer que moi aussi j’étais par moment pressé que nous arrivions.

On a sa fierté n’est-ce pas ?

Ce moment attendu avec plus ou moins d’impatience a fini par arriver. Au sortir d’un bois, la route plongeait littéralement sur une grosse bourgade blottie au fond d’une vallée, partagée en trois quartiers par le confluent de deux rivières. D’où nous étions arrêtés, seuls les toits de tuiles rouges, de cette sorte que l’on appelle romaine, se montraient à nous. Parfois cependant, une tache dorée était visible entre deux. Probablement un pan de mur. Dans l’air calme de cet après-midi de fin d’été, le soleil haut dans le ciel écrasait de chaleur tout ce qu’il dominait. Aussi animaux et hommes, pour une fois réunis dans la même action, faisaient une bonne sieste réparatrice. Pas une âme n’était visible dans le bourg, pas plus que l’ombre d’un chien ou d’un chat. Il fallait bien être un Parisien pour avoir une activité quelconque, alors que tout le monde faisait la sieste. Un peu à l’écart, à peine visible derrière une haie de peupliers, quelques bâtiments de deux ou trois étages puis encore un peu plus loin à flanc de colline une grosse ferme avec ses hangars à toit de tôle ondulée. Quelques vaches noires et

blanches dans un pré se serraient à l’ombre d’un bosquet, d’autres d’un beau rouge acajou, plus haut sur la colline semblaient paître tranquillement.


C’était là, dans cet établissement, que j’allais passer les huit prochaines années de ma vie de lycéen puis d’étudiant.


Le gros bourg qui de loin s’annonçait si sympathique tint ses promesses même lorsque nous y sommes entrés. Le sud de la Corrèze c’est déjà le sud-ouest, et la vie y ressemble plus à celle du Gers qu’à celle des monts d’Auvergne pourtant pas plus éloignés. La place que nous avons traversée en suivant les indications « lycée agricole » s’ornait d’une grosse fontaine en pierre avec un bassin rond, le tout encadré de platanes qui devaient déjà à l’époque avoir dépassé les cent ans. Autour de cette place, les principaux commerces de la localité étalaient leur opulence discrète. « Centre ville » incontournable comme je ne tardais pas à l’apprendre, les deux cafés se faisaient face. Celui des jeunes et celui des vieux. Celui du Formica, du baby-foot et du juke-box, face à celui des chaises paillées, des guéridons en marbre et de la belote. Et aussi comme je l’ai appris plus tard, celui des gauchistes et celui des bien-pensants. Mais je pense que cette dernière classification était probablement fausse. Enfin cela faisait partie du folklore. Réparties autour de cette agora rurale, la boulangerie et ses pains au chocolat des sorties du jeudi et du dimanche, la pharmacie où selon ses besoins on se rendait en bande chercher du dentifrice, ou en couple ou solitaire chercher les préservatifs indispensables à toute activité sexuelle débutante et non protégée par la pilule (elle n’existait pas encore). Le lycée était mixte. Il y avait aussi une épicerie, point de passage obligé avant les sorties du dimanche après-midi pour les ravitaillements en liquide plus ou moins alcoolisés, un magasin de la coopérative agricole cantonale, dont le rayon chasse et pêche avait un grand succès auprès de certains, et le tabac journaux.


Bien sûr il y avait d’autres commerces du même type ailleurs en ville, surtout des cafés, pensez donc une ville de deux mille cinq cents habitants, mais ce sont ces deux-là que j’ai le plus fréquentés et qui m’ont laissé le plus de souvenirs. Pas très loin de cette place, toujours sur le chemin du lycée, il y avait le restaurant du « coq hardi », par nous surnommé « chez la mère Claire » haut lieu de toutes les célébrations d’anniversaires, réussites aux examens et permis de conduire, abri des amours confirmées et des « couples » établis. Par la suite j’ai appris que la mère Claire, une veuve d’une petite quarantaine d’années, avait envers certains d’entre nous, sans exclusive de sexe du reste, des tendresses et bontés d’autant plus appréciées qu’elles n’étaient pas tarifées. Mais j’aurai l’occasion d’y revenir. À l’écart sur une autre place elle aussi abritée de platanes, un autre lieu des rencontres discrètes de notre petite communauté de lycéens : l’église. Nous y reviendrons aussi.

Plantés au milieu des prés les quelques bâtiments des internats (deux pour les garçons un pour les filles), celui des salles de cours, et plus loin la ferme, donnaient à ce lycée une allure débonnaire et laissaient supposer une ambiance familiale. La voiture de mes parents se glissa donc entre les deux rangées de chênes qui bordaient l’allée d’accès et vint s’arrêter près du monument à la mémoire des anciens qui avaient donné leurs vies pour la défense d’une terre qu’ils n’avaient jamais revue. Ce jour-là il était facile de faire la différence entre les anciens et les nouveaux, entre novices et initiés. Les uns assurés et maîtres des lieux se dirigeaient sûrs d’eux et de leurs droits vers les dortoirs, heureux de se retrouver, le verbe haut, le rire sonore. Les autres, comme moi, à l’écart, restant proches des parents, se demandant bien comment les choses allaient évoluer, ne sachant qui interroger sur ce que tout le monde savait et qu’il allait falloir apprendre avec l’expérience.


Dans ce lycée on entrait B. E. P. C. en poche, et déjà une première scission se faisait entre les cycles longs qui se préparaient au bac et au brevet de technicien, et ceux du cycle court qui s’arrêteraient au bout de deux ans, après avoir tenté le B. E. P., pour aller travailler, puis reprendre l’exploitation familiale (plus tard quand le père voudrait bien laisser sa place), ou devenir salarié dans une grosse exploitation.

J’étais de ceux qui faisaient partie du premier groupe. Le bac était un objectif lointain, trois ans pensez donc ! Pas le souci du jour, et pour tout dire j’étais aussi à l’aise face à cet inconnu qui m’attendait qu’un poisson sorti de son bocal.

L’installation dans le grand dortoir de cinquante places fut assez facile. Un « pion » canalisait les arrivants, se renseignait sur le nom et le prénom, et affectait une place. Aménagement succinct, un lit métallique étroit, une armoire tout aussi étroite, un couvre-lit vert sombre passé. Cinquante places de ce genre étaient réparties en compartiments de dix par des séparations à mi-hauteur. Pas de cloison, pas de porte, cinquante garçons vivaient là sans aucune possibilité d’avoir la moindre intimité. Côté sanitaires le tableau était similaire : vingt-cinq lavabos, dix douches, dix W-C. Le dortoir était éclairé par de grandes baies vitrées, occultées pour la nuit par des rideaux de la même couleur que les dessus de lit.


La présence des parents ne facilitait pas le contact entre les nouveaux arrivants. Les mères rangeaient dans les armoires les vêtements. Un observateur averti, au vu du contenu des valises, pouvait déterminer la provenance du lycéen, et le temps qu’il allait passer là, avant de retourner chez lui. Les pères jetaient un œil par les fenêtres. Puis tout le monde redescendait dans la cour pour les au revoir.

Une fois les parents repartis, commençait la vie de pensionnaire. Le pion prenait ses droits, et commençait son travail. Le règlement s’appliquait avant même d’être connu. Pour le premier soir, le cuisinier, qui rentrait de vacances lui aussi, avait fait les choses en grand. Le repas fut correct, le pain frais, et le verre de vin auquel nous avions droit buvable. Cela ne dura que le temps d’un repas et dès le lendemain matin, je retrouvais avec résignation la qualité habituelle des repas de pensionnat. Ni bons ni mauvais, ni chauds ni froids, servis dans l’ambiance bruyante d’une salle où se retrouvaient trois fois par jour en deux services consécutifs, les cinq cents élèves de l’établissement.