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n° 13650Fiche technique25228 caractères25228
Temps de lecture estimé : 15 mn
10/01/10
Résumé:  Ancestor vit, pulse et gonfle sans cesse sous l'afflux de ses nouveaux habitants. Tout aurait l'air parfait, si ce n'étaient certains détails insolites...
Critères:  nonéro aventure fantastiqu -fantastiq -internet
Auteur : Philipum      Envoi mini-message

Série : Ancestor

Chapitre 05 / 06
Ancestor, épisode 5/6

Mise en situation : Ancestor est né. Madan et Semona en ont fait la démonstration au Tokyo Game Show. Pendant ce temps, à Farente, Fassin a voulu abuser de Cynthia ; cela ne lui a apporté que des déboires.






En ce temps-là, il n’y avait que deux villages humains dans le monde : Angomado et Daramin. L’aventure commençait au sein de l’un de ces deux villages.


Au début, en tant qu’enfant, livré à soi-même, il s’agissait surtout de trouver sa nourriture : en la mendiant, en la volant, en la ramassant dans la forêt, ou en se rendant utile. Mais le comportement de la plupart des enfants était complètement insensé, j’en étais effarée : certains s’attaquaient sans raison à n’importe qui ; d’autres se laissaient mourir de faim, ou partaient dans la brousse pour ne jamais revenir.


J’étais une petite fille indépendante, prudente et alerte, et restais autant que possible à proximité du village ou d’adultes fiables qui me protégeaient sans vraiment le vouloir.


Un matin, tandis que j’étais seule dans les bois à cueillir des baies sauvages, je fus attaquée par une sorte de petit ours. Je n’étais pas assez forte pour le combattre, et mon premier réflexe fut de détaler ; comme il me talonnait, je grimpai à un arbre. La créature resta au pied de l’arbre, les babines retroussées. Soudain, une flèche jaillit et tua mon tortionnaire.



C’est ainsi que je fis la connaissance de Nicki, une fille à peine plus âgée que moi. Depuis ce jour-là, nous fûmes inséparables. Elle me raconta comment un guerrier lui avait appris à confectionner des arcs et des flèches en échange d’une certaine essence de bois qu’elle allait chercher dans un coin secret. Elle avait aussi découvert que la peau d’un certain serpent, séchée et découpée en fines lanières, pouvait faire de solides cordes pour nos arcs. Dans une autre vie, j’avais déjà vaguement pris connaissance de toutes ces choses, mais je fus néanmoins épatée par la vitalité et la débrouillardise de Nicki.


Nous passions le plus clair de notre temps dans la forêt. Elle m’apprit des techniques de chasse et je devins assez habile au tir à l’arc. En retour, je lui enseignai quels fruits, racines et champignons étaient comestibles. Nous découvrîmes des étangs regorgeant de poissons, mais ne trouvâmes aucun moyen de les attraper. Nous rentrions toujours au village avant le coucher du soleil, car il était bien connu que de terribles monstres rôdaient la nuit dans la cambrousse.


Étonnant comme le temps passait vite : j’eus bientôt mes premières règles. Cela signifiait que je pouvais désormais avoir des enfants, mais je décidai d’attendre d’avoir une meilleure situation. Plus tard, les habitants de mon village instaureraient un rituel initiatique selon lequel les jeunes atteignant la maturité sexuelle devraient passer la nuit dans la forêt pour y affronter leurs propres peurs. Je n’en fis pas l’expérience dans cette vie-là, mais je pris part à un affrontement tout aussi marquant.


Au fil des rencontres, Nicki et moi nous étions peu à peu entourées d’un petit groupe de jeunes chasseurs : Aaan, Toru, Fighter et Zoophile. Ensemble, nous nous sentions assez forts pour nous aventurer dans des contrées jusqu’ici quasiment inexplorées.


Lors de l’une de ces expéditions, en longeant un torrent vers l’amont, nous tombâmes sur une magnifique chute d’eau ; après avoir gravi la falaise qui la surplombait, nous trouvâmes un nouveau plateau à partir duquel nous pouvions admirer un superbe panorama sur la forêt que nous venions de traverser.



Juste derrière nous, une bande d’humanoïdes noirs venait de sortir des fourrés. Ils étaient de grande taille et je fus étonnée de constater qu’il ne s’agissait pas des bandards. Ils ressemblaient à de grands gorilles bipèdes, manifestement carnivores d’après leurs dents pointues. Je n’avais encore jamais vu cette espèce et soupçonnai que ceux d’en-haut nous les avaient envoyés comme une sorte de test. Il y eut un bref moment de stupeur où les deux troupes se jaugèrent, et durant lequel Nicki et moi plongeâmes au sein d’un buisson : c’était devenu un réflexe automatique face au danger. Les gorillas, armés de grosses haches, attaquèrent nos compagnons. Tout se passa très vite. Tandis que les deux flèches que nous avions décochées depuis notre cachette abattaient l’un des assaillants, les autres s’en prirent à Toru et Aaan, qui furent forcés de se défendre au corps à corps ; Fighter et Zoophile, qui se trouvaient à l’arrière, prirent la fuite, les lâches ! Ma deuxième flèche atteignit un ennemi à l’épaule, ce qui permit à Aaan de lui infliger un coup mortel au crâne. Toru se battait vaillamment, mais il était débordé à trois contre un ; prenant blessure sur blessure, il tint pourtant assez longtemps pour que ses assaillants se retrouvent criblés de flèches et se fassent finalement achever par la lance d’Aaan. Les cadavres de six gorillas jonchaient le sol.



Nous le traînâmes tant bien que mal jusqu’au village, non sans avoir au préalable découpé quelques morceaux de viande de choix et récupéré quelques-unes des armes de nos victimes ; si les deux autres abrutis ne nous avaient pas abandonnés, nous aurions pu en emporter beaucoup plus. Ils recevraient de nos nouvelles, ceux-là !

Fighter fuit la bagarre et Zoophile a peur des singes : une vilaine réputation de poule mouillée leur collerait désormais à la peau.



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Il y avait quelque chose chez moi qui ne tournait pas rond. Tantôt, je ne mangeais rien durant des journées entières, tantôt, je m’empiffrais de cochonneries au beau milieu de la nuit. Les seuls moments où j’oubliais complètement mon sentiment de mal-être, c’était lorsque j’étais immergée dans le monde d’Ancestor.


J’évitais Fassin comme la peste. Sa proximité provoquait des nœuds dans mes intestins et me constipait. Il arrivait pourtant, inévitablement, qu’il débarque dans un lieu où je me trouvais déjà ; alors, bizarrement, nous partions dans des conversations passionnées, souvent délirantes ou hautement spirituelles. Mais aussitôt seule, irrémédiablement, l’exaltation tombait pour faire place au malaise.


Pour la réunion de mercredi, Semona avait réservé un bassin aux sources chaudes de Farente. Invoquant mes règles, qui étaient prévues déjà pour le dimanche, je décidai de me désister ; en réalité, je n’avais pas du tout envie de faire l’amour, et aussi, je craignais de confronter mon corps nu aux regards de Fassin.


Je passai donc ce mercredi après-midi chez moi, connectée à Internet. La veille, mue par la curiosité, j’étais allée me balader sur le forum de discussions d’Ancestor. Quasiment inexistant un mois auparavant, ce forum comprenait déjà des milliers de messages. Personne n’avait pris le temps de le structurer, si bien qu’il ressemblait à un fouillis de billets hétéroclites, dans lequel on se perdait aisément. On y trouvait vraiment de tout : des joueurs y racontaient leurs échauffourées sauvages ; ils se donnaient des conseils pratiques ; ou simplement échangeaient des propos sans queue ni tête. Je m’étais enregistrée comme administratrice et avais commencé à éliminer les spams les plus voyants. Un fil de discussion ouvert par un certain Kichiji avait attiré mon attention : il était intitulé « The Citadel of the Doom » ou quelque chose comme ça, en tout cas, il y avait le mot « citadelle ».


Kichiji relatait une histoire invraisemblable selon laquelle il se serait fait enlever par une sorte de mage qui l’avait ensuite pris comme esclave au sein d’une citadelle cachée dans la montagne. Je n’y aurais pas accordé la moindre attention si je ne m’étais pas souvenue de l’expédition chez les gorillas : l’un de mes compagnons avait aussi entendu parler d’une citadelle. La rumeur devait provenir du même énergumène. Mais le doute s’installa en constatant qu’au moins trois autres joueurs avaient répondu à Kichiji, témoignant avoir vécu des expériences similaires. Beaucoup de détails concordaient. Il était question d’une sorte de château aux tours élancées perdu quelque part dans les confins montagneux du monde d’Ancestor ; des êtres aux pouvoirs surnaturels y régnaient en maîtres, et des hommes et des femmes y étaient faits prisonniers, persécutés s’ils ne coopéraient pas, et récompensés s’ils se mettaient à leur service. C’était aberrant : il n’y avait pas de châteaux dans Ancestor, pas plus qu’il n’y avait de magie. Mais je disposais à présent de tout l’après-midi, et je voulais en avoir le cœur net.


J’intégrai donc la peau de mon avatar et me préparai rapidement des provisions pour un long voyage. Je laissai un petit mot à Nicki, et munie d’un couteau de pierre taillée, une corde, des torches, un arc et des flèches, je me mis en route vers l’est. Avec tous les chippeurs qui traînaient dans la forêt, c’était dangereux de voyager seule ; mais je commençais à la connaître à fond. Je me déplaçais rapidement entre les arbres, comme une ombre, sans un bruit.


Je longeai le torrent sur la rive gauche, sans aller jusqu’à la chute d’eau : je bifurquai avant, et pressai le pas en direction du volcan aussitôt que je l’aperçus. Le volcan fumait à présent, ce n’était pas le cas la dernière fois que je l’avais vu. Je décidai de le contourner par la droite, car cette route me semblait moins accidentée et plus boisée. Arrivée en lisière de forêt, pourtant, je m’aperçus qu’il s’agissait en réalité d’un marécage. Les grands arbres poussaient sur de petits îlots isolés. Je n’étais pas équipée pour traverser l’eau saumâtre, probablement infestée de crocodiles. J’étais donc forcée de rester à découvert, sur la pente du volcan qui longeait le marécage. Une vague sentiment d’insécurité s’installa au creux de ma poitrine ; tandis que je cheminais lentement, ce sentiment se transforma en angoisse. Je jetais sans cesse des coups d’œil sur ma gauche. Le danger ne pouvait venir que d’en haut, mais qui aurait bien pu se tapir sur les pentes abruptes d’un volcan ? J’étais en train d’essayer de me raisonner lorsque je les aperçus. Six grandes formes ailées se découpaient sur le ciel bleu. Je fus prise de terreur. Heureusement, les réflexes étaient là : je repérai un buisson à quelques dizaines de mètres et m’y précipitai. Les oiseaux plongèrent avec des cris stridents ; lorsqu’ils furent sur moi, j’étais déjà à l’ombre du buisson, une flèche engagée à mon arc ; j’en abattis trois coup sur coup, après quoi je dus me protéger. Je combattis deux oiseaux en leur tailladant les pattes à l’aide de mon couteau, et finis par en venir à bout. Le dernier oiseau noir planait toujours au-dessus de ma tête ; il poussa un dernier cri et s’éloigna à grands coups d’ailes.


Je m’en étais tirée sans injure sérieuse, et j’avais gagné des points et de la viande que je ne pouvais transporter. Mais la nuit n’allait pas tarder à tomber. Il fallait partir à la recherche d’un bivouac. Je continuai ma route sur le flanc du volcan. Les étoiles apparurent une à une dans le ciel. Il faisait de plus en plus sombre et je ne trouvais toujours pas le moindre abri. Puis, majestueusement, la lune se leva au-dessus des vallons. Elle était pleine et éclairait le paysage d’une lumière pâle et bleutée. Comme dans un rêve, je marchai toute la nuit sans m’arrêter, hypnotisée par les formes fantomatiques qui se dessinaient et changeaient autour de moi.


À l’aube, je m’assis sur le flanc est du volcan et contemplai, stupéfiée, la nouvelle étendue sauvage devant moi : une chaîne de montagnes, blanche, haute et impénétrable. Pas la moindre citadelle en vue. Mais il se trouvait, bien visible à la limite des neiges, une petite maisonnette. En m’approchant, je distinguai une forme humaine assise auprès d’un feu. Qui pouvait bien vivre ici, sur ces pentes désolées ?


Je décidai d’aller l’interroger. Il s’agissait d’une petite bonne femme toute rabougrie, qui étrangement inspirait la méfiance de par son apparence inoffensive. Comme elle restait silencieuse, je m’assis à côté d’elle et engageai la conversation.



La vieille femme ne réagit pas tout de suite. Puis elle se tourna vers moi et me considéra un moment.



Je ressentis immédiatement une profonde antipathie envers cette femme. Ne sachant pas très bien quoi répondre, j’allai droit au but, en essayant de rester polie.



Était-ce une manie chez elle de répondre à une question par une autre question ? Il y avait anguille sous roche.



Cette vieille bique commençait sérieusement à me taper sur les nerfs. En tout cas, ce n’était pas un AI ; je pourrais donc peut-être encore en tirer quelque information.



Elle avait bien dit « la citadelle », et non pas « une citadelle ». Je me rappelai ce que j’avais lu sur le forum.



Furieuse, je m’éloignai de quelques pas, puis hésitai un instant. Il fallait que je sache. Qu’avais-je à perdre ? Rapide comme l’éclair, je saisis mon arc, engageai une flèche, visai la poitrine, décochai. Elle n’eut pas le temps de réagir. La flèche l’atteignit juste au-dessous de l’épaule ; mais au lieu de s’enfoncer dans la chair, elle ricocha. Devant moi se dressait à présent une grande femme, jeune et belle, en armure argentée ; elle portait sur la tête un immense casque forgé à l’effigie d’un serpent cobra, et à la ceinture, une longue épée à la gaine sertie de gemmes. Elle n’eut pas besoin de dégainer : elle fit un pas et me saisit le col d’une seule main, me soulevant à un mètre au-dessus du sol.



Et soudain, devant moi, en lieu et place de la prairie et des rochers, blanche et étincelante, se dressait la citadelle.