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Temps de lecture estimé : 39 mn
06/05/10
corrigé 12/06/21
Résumé:  Eloïse et Siriac se morfondent chez Roméo tandis que Juliette a trouvé refuge chez Cassandra. Roméo tente de faire le tampon entre tous, mais Juliette ne paraît pas prête à leur pardonner. Eloïse, désespérée, décide d'aller voir un psychanalyste.
Critères:  théatre humour -humour -théâtre
Auteur : Gufti Shank            Envoi mini-message

Série : Roméo et Juliette - La nouvelle Eloïse

Chapitre 05 / 05
Roméo et Juliette - La nouvelle Eloïse - Acte V

Les personnages principaux :


Juliette

Cassandra : la meilleure amie de Juliette


Roméo

Eloïse : la meilleure amie de Roméo ; elle vit avec Juliette et Roméo

Siriac : le meilleur ami de Roméo et le petit ami de Cassandra


Flora : une collègue de Roméo

Daphné : la sœur de Flora


Marcel : le patron de Roméo et Flora


Les personnages secondaires


Robert : un psychanalyste





LA NOUVELLE ELOÏSE




Résumé de l’acte I : Eloïse est partie pour un long voyage de quatre mois à travers toute l’Amérique. Juliette et Roméo se languissent de son absence et comptent les jours avant son retour. Flora continue régulièrement de tenter de séduire Roméo, qui résiste péniblement aux avances de la jeune femme. Tous deux sont envoyés une semaine en stage à l’étranger, au grand désespoir de Juliette.

Quand Eloïse revient enfin, Siriac ne la reconnaît qu’à peine ; elle a beaucoup changé physiquement, mais est plus belle que jamais. Lors d’une soirée de retrouvailles entre amis, Eloïse avoue qu’elle n’a pas résisté quatre mois sans sexe et a craqué pour un jeune homme.

Le lecteur apprend finalement qu’en fait d’avoir craqué pour un jeune homme, Eloïse a enchaîné les expériences sexuelles débridées ; mais également que Roméo a succombé à Flora pendant son stage et que Juliette elle-même a trouvé du réconfort dans les bras d’une autre femme pendant l’absence d’Eloïse.


Résumé de l’acte II : Au sein de leur entreprise, Flora et Roméo sont promus au service des Ressources Humaines. Ils doivent s’adjoindre les services d’une secrétaire. Eloïse décide de postuler, sans toutefois prévenir Roméo. Elle profite de son changement d’allure pour leurrer Flora en s’inventant le personnage de Lisa, et parvient à séduire Marcel (le patron de Flora et Roméo) qui l’embauche au poste de secrétaire. Roméo n’est pas très content mais ne la trahit pas auprès de Flora ; Juliette est perplexe ; Eloïse s’amuse grandement de la situation.


Résumé de l’acte III : Eloïse, sous les traits de Lisa, passe sa première journée de travail avec Roméo et Flora ; celle-ci ne l’a toujours pas reconnue et pense pouvoir profiter de Lisa pour faire craquer son collègue. Mais elle surprend Eloïse et Roméo en train de faire l’amour ; furieuse contre lui, qui se refuse à elle mais s’abandonne à une secrétaire inconnue, elle provoque le jeune homme en faisant sous ses yeux l’amour avec Lisa. Roméo ne parvient plus à se retenir et rejoint les deux jeunes femmes. Mais alors qu’Eloïse s’est absentée, son portable sonne ; Flora le regarde machinalement et, apercevant affiché le nom de Siriac, découvre finalement la véritable identité de Lisa.


Résumé de l’acte IV : Flora convainc Lisa de venir déjeuner chez elle ; Eloïse accepte, persuadée que Flora ne l’a pas reconnue. Là-bas, les deux jeunes femmes et Daphné passent l’après-midi à faire l’amour. Flora invite même quelques garçons à les rejoindre, dont Siriac. Mais elle veut surtout piéger Eloïse et, prétextant un pot pour fêter leur promotion, elle invite également Juliette et Roméo. Lorsque ceux-ci arrivent, Flora jubile en les voyant découvrir Eloïse et Siriac au beau milieu de la partouze.






Acte V, scène 1

Dimanche 3 juin, 10 h 10

L’appartement de Cassandra et Siriac

(Juliette, Cassandra, Roméo)



(Tous trois sont attablés pour petit-déjeuner.)



Roméo : Bon… vous avez réussi à dormir un peu, quand même ?

Cassandra : Mouais… un peu…

Roméo : Et toi, Juliette ?


(Elle ne répond pas et mange avec peine une minuscule tartine.)


Cassandra : Tu… euh… Siriac est chez toi ?

Roméo : Oui. Ils ont pieuté là-bas avec Eloïse. Je lui ai rapporté des fringues hier soir.

Cassandra : Tu lui diras que je ne veux plus le voir.

Roméo : Tu crois ? C’est pas un peu rapide pour dire ça ?

Cassandra : Plus jamais !


(Un silence.)


Roméo : Écoute, je sais pas, c’est peut-être juste qu’il a craqué parce que ça va pas fort entre vous ces derniers temps… Peut-être que…

Cassandra : Arrête ! Ne lui cherche pas d’excuses, il en a pas !

Roméo : Non, je sais bien… Il a juste trop écouté sa queue…

Cassandra : Oui, puis toi tu sais ce que c’est, hein ?


(Juliette esquisse un petit sourire.)


Roméo : Oh, ça va, là ! Pour une fois que j’ai rien fait, moi…

Juliette (la voix éraillée) : Tu peux me jurer que tu n’as rien à te reprocher ?


(Il hésite un court instant puis regarde Juliette droit dans les yeux.)


Roméo : Non, presque rien…






Acte V, scène 2

Dimanche 3 juin, 11 h 50

L’appartement de Juliette et Roméo

(Eloïse, Siriac)



(Ils sont tous deux affalés sur le canapé, subissant la télé. Roméo entre.)



Roméo : Salut. Alors ? Vous avez réussi à dormir ?

Siriac : Mouais.

Eloïse : À peu près.

Roméo (amusé) : Séparément ? Sans vous jeter l’un sur l’autre ?

Siriac : Oh, va chier !

Eloïse : Arrête, c’est pas drôle !

Roméo : Ben si, moi ça me fait rire…


(Eloïse et Siriac soupirent.)


Roméo (soucieux) : Bon, en attendant, c’est pas gagné, pour vous. Les filles veulent plus entendre parler de vous. Je crois qu’il va falloir vous trouver un appart.

Eloïse (au bord des larmes) : Tu es sérieux ?

Roméo : Ben…

Siriac (éclatant) : Putain de bordel de merde !


(Un silence.)


Roméo : Euh… vous pouvez sans doute rester là un moment, mais…


(Eloïse renifle en essayant de ne pas pleurer.)






Acte V, scène 3

Lundi 4 juin, 9 h 10

Le bureau de Marcel

(Eloïse, Marcel)



(Marcel est installé à son bureau de l’autre côté duquel se trouve Eloïse, debout.)



Marcel : Installez-vous, Lisa. Que puis-je pour vous ?


(Eloïse s’assoit, puis respire fort.)


Eloïse (de sa voix normale) : Voilà, monsieur. Je vous ai menti. Je ne m’appelle pas Lisa, mais Eloïse. Je ne suis pas québécoise. Et je suis la… enfin… je vivais jusqu’à hier avec Roméo.

Marcel (pas très content, digérant les informations) : D’accord.

Eloïse : En revanche, le reste est vrai. Mon CV, mon parcours professionnel, mes compétences.


(Un silence. Marcel la regarde avec perplexité.)


Marcel : Et ?

Eloïse : Et je comprendrais très bien que vous souhaitiez casser là mon contrat et ne pas attendre la fin de la période d’essai.


(Un silence. Marcel soupire.)


Marcel : Très bien. Je vais y réfléchir. Et pourquoi me dites-vous tout ça maintenant ? Ce n’est pas par honnêteté, évidemment.


(Eloïse respire fort, une nouvelle fois.)


Eloïse : Je… Comment dire… Flora ne me porte pas dans son cœur, à cause de Roméo… Si j’avais postulé simplement ici, je n’aurais jamais été acceptée… Mais comme elle ne m’avait pas vue depuis longtemps, et que j’ai quelque peu changé, physiquement, j’ai cru pouvoir l’abuser en m’inventant le personnage de Lisa. Mais elle a tout découvert et s’est jouée de nous, de Roméo et de moi…


(Un silence.)


Marcel : Et pourquoi avez-vous postulé ici ?

Eloïse : Parce que je pense que c’est un travail qui me convient, parce que je peux travailler avec l’homme de ma vie, parce que je peux surveiller Flora.


(Un silence.)


Eloïse : Les deux dernières raisons n’ont plus de sens pour moi. Il reste que j’apprécie le travail.

Marcel : Au bout de deux jours ? C’est un peu tôt pour le dire…

Eloïse : J’ai déjà fait un travail similaire, comme indiqué sur mon CV.


(Un silence. Marcel soupire.)


Marcel : Bien. Je vous remercie pour votre franchise. Pour l’instant, vous allez travailler. Je convoquerai vos supérieurs pour savoir ce qu’ils en pensent et je prendrai ma décision dans la journée.

Eloïse (se levant) : Merci.

Marcel : Envoyez-moi Roméo.


(Eloïse acquiesce, puis sort.)






Acte V, scène 4

Lundi 4 juin, 9 h 20

Le lieu de travail de Flora et Roméo

(Roméo, Flora)



(Tous deux sont installés, chacun à son bureau, et sont absorbés dans leur travail. Eloïse entre. Flora et Roméo lèvent la tête et la considèrent curieusement.)



Eloïse (tristement) : Bonjour.

Flora : Eh ben, tu manques pas d’air, toi, pour revenir bosser ici comme si de rien n’était !

Eloïse (l’ignorant) : Roméo, le patron désire te voir.


(Il ne répond rien et la regarde s’installer à son bureau. Elle allume son ordinateur et sort son agenda.)


Roméo : Bon… j’y vais.


(Il se lève et sort.)


Flora (froidement) : Lisa, j’ai besoin que…

Eloïse (l’interrompant sèchement) : Eloïse ! Merci…

Flora : Parce que ? ça y est ? t’as changé de nom ?


(Elle regarde Eloïse avec amusement ; celle-ci lève vers elle des yeux féroces et cruels. Flora finit par détourner son regard.)


Flora (désignant une montagne de feuillets) : J’ai besoin que tu rentres toutes ces fiches dans la base des employés.


(Eloïse se lève et vient chercher les feuillets puis retourne s’installer à son ordinateur.)






Acte V, scène 5

Lundi 4 juin, 9 h 25

Le bureau de Marcel

(Roméo, Marcel)



(Marcel est assis à son bureau et Roméo à la place qu’occupait Eloïse quelques minutes avant.)



Roméo : D’un point de vue strictement personnel, je dirais qu’il ne faut pas la garder à ce poste. Je ne me vois pas travailler avec elle dans les conditions actuelles. De toute façon, je n’étais même pas au courant qu’elle avait postulé ici. Elle l’a fait sans m’en parler. Elle a dû m’entendre dire que nous cherchions une secrétaire. Et elle est venue vous voir directement.


(Un silence.)


Marcel : Et concernant son travail ?

Roméo : Je n’ai rien à dire. Elle s’est adaptée très rapidement et tout ce que j’ai eu à lui demander a été fait correctement. En même temps, ça ne fait qu’une vraie journée…


(Un silence.)


Marcel : Bien… je vous remercie. Vous voulez bien m’envoyer Flora ?

Roméo (se levant) : Okay.

Marcel : Attendez, encore une chose.

Roméo : Oui ?

Marcel : Comment ça se passe, avec Flora ?

Roméo (haussant les épaules) : Ça se passe. J’ai du mal à résister à ses provocations, mais là, je crois que ça va aller mieux, puisque, grâce à elle, je suis de nouveau célibataire…


(Il sort. Marcel paraît réfléchir un moment. Au bout d’une ou deux minutes, Flora entre.)


Flora : Bonjour.

Marcel : Bonjour, Flora. Installez-vous.


(Elle contourne le bureau et fait mine de s’agenouiller aux pieds de Marcel.)


Marcel : Non, non. Asseyez-vous, et discutons…


(Flora le regarde curieusement en se relevant, puis s’exécute.)


Flora : Je vous écoute.

Marcel : En toute franchise, que pensez-vous de votre nouvelle secrétaire ?

Flora (éclatant) : Que c’est une belle salope ! Elle a essayé de me rouler, avec Roméo ! Cette nana est une des greluches avec qui il vit ! Je n’ai jamais pu la voir, et là, elle vient tranquillement bosser avec lui sous mon nez ! Il faut la virer ! Elle va nous pourrir le service !

Marcel : Et concernant son travail ?


(Flora hésite un instant.)


Flora : J’en sais rien. Je peux pas dire. On a passé qu’une journée à bosser ensemble, et encore on n’a pas franchement bossé…


(Un silence.)


Marcel : Vous êtes bien placée pour savoir, Flora, que je n’ai rien contre un peu de sexe au boulot. Par contre, si les histoires de cul extérieures à la boîte envahissent l’entreprise, ça ne va pas bien se passer…

Flora : Eh bien, justement, il faut virer cette connasse !

Marcel : Nous verrons cela. De votre côté, sur le lieu de travail, mettez un peu de distance entre Roméo et vous.

Flora : Hein ?

Marcel : J’ai parfois l’impression que tout ce que vous faites ne vise qu’à séduire Roméo. En dehors de l’entreprise, je m’en contrefous. Ici, ça commence à prendre des proportions inquiétantes.

Flora (vexée) : Mais… je…


(Elle ne trouve pas ses mots. Elle se lève, hors d’elle, et sort en claquant la porte.)






Acte V, scène 6

Lundi 4 juin, 18 h 30

Un cabinet médical de psychanalyse

(Eloïse, Robert)



(Robert accueille Eloïse dans le cabinet en observant soigneusement ses fesses.)



Robert (désignant une banquette) : Installez-vous, mademoiselle.


(Eloïse s’allonge sur la banquette. Robert s’assoit à son bureau et détaille discrètement l’anatomie de la jeune femme.)


Robert : Qu’est-ce qui vous amène ?

Eloïse : Euh… c’est difficile à dire, docteur, mais… je crois que je suis malade…

Robert : C’est-à-dire ?

Eloïse : C’est lié au sexe.

Robert (intéressé) : Je vous écoute.

Eloïse : Je suis incapable de résister à certaines propositions.

Robert : Ah ?

Eloïse : Alors que… j’ai plutôt ce qu’il me faut à la maison, si je puis dire…

Robert : Vous vivez en couple ?

Eloïse : Euh… c’est un peu compliqué… Je… je vis avec un couple.

Robert (les yeux écarquillés) : Vous voulez dire que vous faites ménage à trois ?

Eloïse (gênée) : Oui, c’est ça.

Robert : Et vous avez régulièrement des relations sexuelles avec ces deux personnes ?

Eloïse : Oui.

Robert (extatique) : Simultanément ?

Eloïse : Oui. Enfin, pas toujours, mais souvent, oui.


(Robert tire discrètement sur son pantalon.)


Robert : Continuez…

Eloïse : Je suis partie récemment pour un long voyage. C’était la première fois que je les quittais vraiment longtemps depuis que je vis avec eux.

Robert (l’interrompant) : C’est-à-dire ? Depuis quand ?

Eloïse : Plusieurs années. Attendez… bientôt quatre ans.

Robert : D’accord. Vous êtes partie en voyage, donc ?

Eloïse : Oui, ma mère et son nouveau mari nous ont invités, mon frère et moi, pour un voyage de presque cinq mois à travers toute l’Amérique du Nord et les Caraïbes. J’ai hésité, parce que je ne voulais pas abandonner mes compagnons, mais l’occasion était trop belle. Comme je ne travaillais pas, ce n’était pas un problème. Mais là-bas, l’absence de mes compagnons m’a été difficile. J’ai tenu presque trois mois, mais j’ai finalement craqué et couché avec un jeune homme.


(Robert acquiesce vaguement.)


Eloïse : À partir de là, j’ai enchaîné les aventures d’un soir. Toutes les semaines, parfois même plus. J’ai eu beaucoup de relations sexuelles, avec des hommes, des femmes, des couples. Souvent, j’avais bu, mais pas toujours.


(Elle soupire, puis reprend.)


Eloïse : Je suis rentrée il y a environ dix jours, heureuse comme jamais de retrouver mes compagnons. Tout s’est bien passé. J’ai même trouvé du travail. Mais sur ce lieu de travail, notamment, je n’ai pas su résister aux tentations de relations sexuelles avec d’autres personnes, pour qui je n’éprouve pourtant rien. Samedi après-midi, pendant près de quatre heures, je n’ai pas réussi à m’arrêter, alors que je savais que je faisais quelque chose de mal, que je trompais mes compagnons. Mais le plaisir et l’excitation étaient trop forts.


(Robert place un dossier sur le haut de ses cuisses.)


Eloïse : Ils ont finalement tout découvert, et c’est seulement là que j’ai soudainement réalisé à quel point j’en étais arrivée. Évidemment, ils m’ont mise à la porte. Et je suis malheureuse comme personne. Tout ça à cause de cette faiblesse que j’ai pour le cul.


(Un silence.)


Robert : Privation, trop forte, puis compensation à hauteur… Hmmm…


(Il contemple pensivement le visage, puis les seins de la jeune femme.)


Robert : Vous dites que vous n’arrivez pas à vous retenir ?

Eloïse : Oui, j’ai l’impression…


(Robert se lève, contourne son bureau et approche de la jeune femme. Il pose une main sur sa poitrine.)


Eloïse (se redressant sur les coudes) : Docteur, que faites-vous ?

Robert : Votre histoire m’a rudement excité, vous savez ?

Eloïse (se levant) : Mais ça va pas ? Vous êtes dingue ?


(Elle se dirige en hâte vers la sortie.)


Robert : Attendez, ne partez pas ! C’était un test ! Vous voyez ? Vous êtes en voie de guérison ! Revenez !


(Eloïse sort.)


Robert : Et merde ! Raté !


(Il retourne s’asseoir à son bureau et décroche son téléphone.)


Robert : Marianne ? Il y a encore des patients ? … Encore une dans la salle d’attente ? Mais, elle avait rendez-vous ? Ah, vous lui avez donné ce matin… merde ! … Bon, je la finis vite fait, et puis vous passerez me voir quelques minutes, vous voulez bien ? … Bon… Oui, envoyez-la-moi.


(Il raccroche et se rhabille plus ou moins. On frappe. Juliette entre. Robert la regarde bouche bée, subjugué par sa beauté.)


Robert (bafouillant) : B… bonsoir… entrez… installez-vous…


(Juliette s’installe.)


Robert : Que puis-je pour vous, mademoiselle ?


(Juliette soupire.)


Juliette : C’est… c’est un peu compliqué, docteur… Globalement, c’est juste une histoire de cœur, mais je suis en train de péter les plombs.

Robert (détaillant avec soin le visage et le corps de sa patiente) : Allez-y, je vous écoute.

Juliette : La personne avec qui je vis m’a trompée d’une horrible façon. Je ne veux plus la voir, mais depuis que c’est arrivé, son absence me manque cruellement et je suis en train de devenir folle. Je sais que c’est stupide, que toutes les ruptures doivent entraîner des états similaires, mais… je ne sais pas… peut-être que vous pourriez me prescrire des médicaments ?


(Robert a les yeux fixés sur la poitrine de Juliette.)


Juliette : Docteur ?

Robert : Euh… oui… excusez-moi, j’étais en train de réfléchir. Je crois qu’il faudrait avant tout m’en dire davantage. Vous vivez avec cet homme depuis longtemps ?

Juliette (embarrassée) : Euh… ce n’est pas un homme…

Robert : Ah ? C’est une femme, alors ?


(Juliette observe le psychanalyste comme s’il était demeuré.)


Juliette : Quelle perspicacité !

Robert (se reprenant) : Excusez-moi, mademoiselle… C’est juste que… euh…


(Un silence embarrassant pour Robert.)


Robert : Je vous en prie, continuez.

Juliette (perplexe) : J’ai une vie sentimentale quelque peu… inhabituelle… je partage ma vie avec un homme et une femme.

Robert (hurlant soudain) : Une jeune femme superbe qui est partie en voyage en Amérique pendant quatre mois ?


(Juliette le regarde avec étonnement.)


Juliette : Oui… comment le savez-vous ?

Robert : Elle sort d’ici ! Il n’y a pas dix minutes ! Vous ne vous êtes pas croisées ?

Juliette (pensive) : Non… Elle est venue vous voir aussi ?

Robert : Oui, à l’instant.

Juliette : Mais pourquoi ?

Robert (avec un large sourire) : Secret médical !

Juliette : Est-ce que… est-ce qu’elle a parlé de moi ?

Robert : Écoutez, tout ce que je peux vous dire, c’est qu’elle m’a paru extrêmement malheureuse…


(Juliette paraît pensive.)


Robert (sur le ton de la confidence) : Si j’ai bien compris, elle vous a trompée ; elle n’a pas su résister à des tentations charnelles sans pourtant éprouver le moindre sentiment.


(Juliette l’écoute sans rien dire.)


Robert : C’est une réaction de compensation à la privation qu’elle a endurée pendant ce voyage. C’est typique.


(Un silence.)


Robert : Et… et l’homme avec lequel vous vivez ?

Juliette (prudente) : Eh bien ?

Robert : Comment réagit-il ?

Juliette : Il… il ne sait pas comment se positionner, je crois. Moi non plus d’ailleurs. Mais je ne suis pas sûre qu’il soit tout à fait blanc dans l’histoire.

Robert : Poursuivez.

Juliette : Ma… enfin… cette jeune femme m’a trompée avec plusieurs personnes, dont une collègue et un ami de mon compagnon. Et cet ami en question est également le compagnon de ma meilleure amie, qui a appris la chose en même temps que moi et est dans le même état que moi.


(Un silence. Robert ne semble pas avoir tout compris.)


Robert : Vous avez rompu toute relation avec tous ces gens ?

Juliette : Sexuelle ?

Robert : Pas uniquement.

Juliette : Je ne sais pas encore si je vais me séparer ou non de mon compagnon. Quant à ma meilleure amie, je la vois encore. Je vis chez elle à l’heure qu’il est.

Robert : Votre meilleure amie, c’est…


(Il hésite.)


Juliette : C’est celle dont le copain a couché avec ma copine.

Robert : Ah ! oui ! bien sûr ! Et… et les autres ?

Juliette : Je ne veux plus en entendre parler.

Robert : D’accord…


(Il réfléchit un moment.)


Robert : Pourtant, lorsque je vous ai dit qu’elle sortait d’ici, cela ne vous a pas laissée indifférente ?

Juliette : Euh… je… ce n’était que de la curiosité.


(Un silence.)


Robert : Beaucoup de choses ont l’air de n’être que du domaine du conflit. Il y a cette histoire de privation, certes, mais…


(Il marque une pause.)


Robert : Je serais tenté de vous conseiller une thérapie de groupe.

Juliette : Une thérapie de groupe ? Mais…

Robert : Vous et vos compagnons, vos amis, vos collègues. Tous ceux qui sont impliqués.


(Un silence.)


Juliette : C’est-à-dire… je venais seulement pour avoir des médicaments…

Robert : Comme vous voudrez. Réfléchissez-y quand même. Je suis certain que cela ne pourrait vous faire que du bien. Au pire, même, chacun videra son sac, et pourra constater l’état dans lequel se trouve l’autre et comment l’autre le perçoit lui-même.


(Un silence. Juliette semble réfléchir. Robert regarde sa poitrine.)


Robert (ravi) : Bon, allons-y, déshabillez-vous que je puisse vous ausculter.

Juliette (se redressant) : Non, c’est bon. Je me sens mieux, merci.

Robert (déçu): Hein ? Mais… Vous êtes sûre ?

Juliette (se levant) : Oui. Merci docteur. Je vais réfléchir pour cette histoire de thérapie de groupe…


(Elle sort.)


Robert : Et merde ! Encore raté !






Acte V, scène 7

Lundi 4 juin, 19 h 30

L’appartement de Juliette et Roméo

(Siriac)



(Siriac achève de mettre la table pour trois. Eloïse entre, agacée. Elle pose ses affaires sans un mot et va s’écrouler dans le canapé.)



Siriac : Salut. Alors ? Comment ça s’est passé ?

Eloïse : De quoi ?

Siriac : Ben… le boulot. Tu t’es fait virer ?

Eloïse : Pas encore. Mais on peut pas dire que j’ai travaillé dans la gaieté. Flora a fait la gueule toute la journée. Et Roméo ne m’a quasiment pas adressé la parole. Remarque, on a bossé, c’est sûr… Et toi ?

Siriac : Bah, c’est la misère ! J’ai le moral à zéro et je suis à deux à l’heure !


(Un silence.)


Siriac : Tu sais si Roméo mange avec nous ?

Eloïse : Je sais pas, je te dis : il m’a pas parlé de la journée.

Siriac : Bah, peut-être qu’il va manger avec les filles…

Eloïse (soupirant) : Ouais…


(Un silence.)


Siriac : Tu veux un apéro ?

Eloïse : Boaf… ouais, allez !


(Siriac apporte deux verres jusqu’à la table basse devant le canapé. Il va chercher une bouteille de whisky, puis sort vers la cuisine et revient avec une bouteille de coca et des glaçons. Il sert deux verres de mélange et en tend un à Eloïse, puis s’installe dans le canapé à côté d’elle.)


Siriac : Tchin !

Eloïse : Ouais… à nos conneries !

Siriac : Tu m’étonnes ! Qu’est-ce qu’on va foutre, maintenant ?

Eloïse (désespérée) : Je sais pas…

Siriac : On pourrait se mettre ensemble ?

Eloïse : J’ai pas le cœur à rire, Siriac…


(Siriac, très sérieux, semble hésiter à dire quelque chose. Mais il se ravise finalement et boit une ou deux gorgées. On devine le son très léger d’une porte qui s’ouvre et se ferme.)


Eloïse (se retournant) : Roméo ? C’est toi ?

Siriac : Qu’est-ce qu’il y a ?

Eloïse : Je sais pas, j’ai cru entendre la porte d’entrée…

Siriac : Tu crois ? Tu veux que j’aille voir ?

Eloïse : Non, laisse, ça devait être chez les voisins. De toute façon, j’ai fermé à clé.


(Un silence. Ils boivent une gorgée. Juliette entre silencieusement dans le dos d’Eloïse et Siriac.)


Eloïse : Tu sais quoi, je suis allée voir un psy, ce soir.


(Juliette écoute attentivement.)


Siriac : Allons bon ! À ce point-là ?

Eloïse : T’imagines même pas comment je suis mal… Je m’en veux à mort.

Siriac : Et alors ? C’était bien ?

Eloïse : Non, c’était naze. Et puis je crois que c’était un sadique.

Siriac : Comment ça ?

Eloïse : Ben… je lui ai dit que j’étais malade, que j’arrivais pas à résister à des tentations de cul, même quand je savais que c’était mal, même sans le moindre sentiment, même alors que j’avais ce qu’il me fallait par ailleurs…

Siriac : Ouais, ben c’est normal, ça, c’est pas être malade… Ça arrive à tout le monde de craquer.

Eloïse : Mais t’es con ou quoi ?! Les gens normaux qui vivent avec une bombe comme Juliette et un dieu comme Roméo vont pas baiser n’importe où sans réfléchir !

Siriac : Eloïse, les gens normaux ne vivent pas avec un couple…

Eloïse : Oui mais tu sais très bien ce que je veux dire ! Craquer au bout de trois mois toute seule aux States, c’est pas la même chose que de baiser ici avec Flora !

Siriac : Mouais… Et alors, qu’est-ce qu’il t’a dit ?

Eloïse : Privation trop forte et compensation à la hauteur.

Siriac : Et ça veut dire ?

Eloïse : Que je suis une droguée du cul qu’est restée trop longtemps sans avoir sa dose.

Siriac : N’importe quoi ! Et alors ? Ça se soigne ?

Eloïse : Je sais pas, je me suis tirée, il a essayé de me sauter.

Siriac : Hein ? Sans déc ?

Eloïse : Je sais pas, il s’est mis à me toucher les seins et quand je me suis barrée, il a beuglé que c’était un test…


(Siriac se marre gaiement. Juliette esquisse un sourire.)


Eloïse : Putain ! En attendant, t’imagines même pas comment je me sens mal… Je conçois pas ma vie sans Juliette… Et même Roméo me fait la gueule !


(Elle boit une gorgée de whisky.)


Siriac : Ouais… y a plus que moi qui te parle…

Eloïse (souriant) : Ouais… quelle déchéance !


(Un silence.)


Eloïse : Et toi ? Qu’est-ce qui t’a pris de venir là au milieu ? T’es complètement dingue ?


(Siriac se gratte la tête.)


Siriac : Privation trop forte et compensation à la hauteur.


(Eloïse se marre. Juliette sourit.)


Eloïse : Parce que ? Vous baisiez plus avec Cassandra ?

Siriac (sombre) : Je sais pas… de moins en moins, j’ai l’impression…

Eloïse : Ouais, puis là ça va pas s’arranger, je dirais…

Siriac : Tu m’étonnes !


(Un silence. Ils terminent leur verre.)


Siriac (souriant) : Remarque, j’ai pas eu l’occasion de te le dire, mais t’es vraiment une bombe, toi, aussi ! J’en reviens toujours pas comment t’étais, l’autre jour… J’ai jamais vu ça !

Juliette (s’avançant en criant) : Ah non !


(Eloïse et Siriac sursautent et se retournent.)


Juliette (rageuse) : Vous allez pas remettre ça sur le tapis ! Vous avez fait assez de conneries comme ça, tous les deux !

Eloïse (se levant) : Oh ! Juliette ! Juliette ! Je suis contente de te revoir !


(Elle s’approche d’elle. Juliette fait un pas en arrière. Eloïse s’immobilise, déçue.)


Siriac : Euh… ça fait longtemps que t’es là ?

Juliette : Quelques minutes…

Eloïse : Juliette, je t’en supplie, pardonne-moi ! Ou au moins, écoute-moi, si tu ne veux pas me pardonner…

Siriac (se levant) : Euh… je… si vous voulez, je vais aller préparer le repas, hein ? Comme ça, vous serez tranquilles…


(Il sort vers la cuisine.)


Eloïse (suppliante) : S’il te plaît, Juliette ! Je t’en prie ! Je ne vis plus, sans toi… Je…

Juliette (l’interrompant, froidement) : Arrête ! Tais-toi ! C’est trop facile, ça !


(Eloïse s’effondre en larmes.)


Juliette (plus douce, regrettant presque sa réaction) : Écoute… je… je suis là parce que moi aussi je suis allée chez le psy, le même que toi !


(Eloïse lève vers elle ses yeux mouillés.)


Juliette : Il m’a parlé d’une thérapie de groupe…






Acte V, scène 8

Lundi 4 juin, 21 h 10

Le salon de Flora

(Flora)



(Flora est écroulée sur son canapé devant la télé. On sonne. Elle se lève et sort vers l’entrée.)



La voix de Flora (provenant de l’entrée) : Tiens… Eh ben ? Je m’attendais pas à te voir… Tu viens pour me péter la gueule ?

La voix de Juliette (provenant de l’entrée) : On peut discuter cinq minutes ?

La voix de Flora : Si tu veux. Entre.


(Flora revient, suivie de Juliette. Flora éteint la télé et se laisse tomber sur le canapé.)


Flora : Je t’écoute.


(Juliette s’assoit sur une chaise, loin du canapé.)


Juliette : Comme tu l’imagines et l’as probablement espéré, ça fait deux nuits que je ne dors pas très bien…


(Flora sourit, mais ne répond rien.)


Juliette : Et je suis venue pour comprendre, pour que tu m’expliques, et que je sache ensuite quelle décision prendre…

Flora : Parce que tu crois peut-être que je vais être ton amie ? Tu sais très bien qu’on peut pas se supporter !

Juliette : Oui, uniquement par jalousie, tu le sais très bien toi aussi.

Flora : Et alors ? C’est un motif bien suffisant !

Juliette : Laisse de côté ta jalousie et explique-moi tout, s’il te plaît.

Flora : T’expliquer quoi ? Que ton mec ne peut pas me résister ? Que ta nana non plus ? Qu’ils ont essayé de me manipuler et qu’ils ont perdu ? T’as déjà compris, tout ça, non ?

Juliette : Si, je crois. Mais…


(Un silence.)


Juliette : Je ne sais pas quoi penser de Roméo et Eloïse n’existe presque plus pour moi. J’aimerais juste être sûre que je prends la bonne décision.


(Un silence.)


Flora : Je te l’ai déjà dit : je ne suis pas ton amie. Je ne comprends pas ce que tu attends de moi.


(Un silence.)


Flora : Quitte donc Roméo, ça me facilitera la vie.

Juliette : Tu sais très bien que Roméo ne sera jamais amoureux de toi.

Flora : Je m’en fous. Si on baise, ça me suffit. Vous, vous êtes amoureux, c’est ça votre faiblesse. Vous êtes amoureux, mais en même temps, vous ne savez pas dire non à une bonne séance de baise…

Juliette : Donc tu m’encourages à quitter Roméo ?

Flora : Ça m’est complètement égal.

Juliette : Combien de fois m’a-t-il trompée avec toi ?


(Flora éclate de rire.)


Flora : Je ne sais pas, je n’ai pas compté. Plein !

Juliette : Vraiment ? Je n’y crois pas.

Flora : Fais comme tu veux…


(Un silence. Juliette soupire et se lève avec lassitude.)


Flora (hésitante) : Écoute, Juliette, je te l’ai dit ce week-end : je suis presque désolée pour toi… Tu payes les pots cassés par ton mec et ta nana. Mais c’est comme ça, j’y peux rien.


(Juliette regarde un instant Flora.)


Juliette : Tu me fais presque de la peine.

Flora : De quoi ?

Juliette : Je n’aimerais vraiment pas être comme toi. Tu ne connais pas l’amour, tu ne connais pas l’amitié, tu ne connais pas la force des sentiments. Tu te comportes comme un animal, sans la moindre once d’humanité. Je te plains, c’est tout.

Flora (déconcertée) : Je…

Juliette (l’interrompant) : Adieu. Je crois qu’on ne se reverra plus jamais. Profite bien de la queue de Roméo. Je te l’abandonne.


(Juliette se retourne et sort.)


Flora (troublée) : Attends !


(On entend claquer la porte d’entrée de la maison. Flora se lève et sort à toute allure.)







Acte V, scène 9

Jeudi 7 juin, 21 h 10

Un salon

(Juliette, Cassandra, Roméo, Eloïse, Siriac, Robert)



(Une dizaine de fauteuils sont installés en cercle dans la pièce. Tous sont assis : Juliette, Cassandra, un fauteuil libre, Robert (un bloc notes à la main), un fauteuil libre, Siriac, Eloïse, un fauteuil libre, Roméo et encore un fauteuil libre.)



Robert : Bien, puisque tout le monde est là, nous allons pouvoir commencer. Ce que je vous propose, c’est…


(On frappe. Tous lèvent la tête, curieux, sauf Juliette. Flora entre. Robert la déguste du regard. Les autres la maudissent des yeux.)


Flora : Bonsoir. Excusez-moi, je suis en retard.

Roméo (exprimant la pensée générale) : Qu’est-ce que tu viens foutre là au milieu, toi ?!

Juliette (sèchement) : C’est moi qui lui ai dit de venir !


(Tous regardent curieusement Juliette. Flora observe un instant les fauteuils libres.)


Flora : Euh… je ne sais pas trop où me mettre. Je crois que quelque soit l’endroit où je vais m’installer, ça va déplaire…

Robert (très impliqué) : Ah ! Ceci est fort intéressant !

Flora : Euh… ça dépend pour qui…

Robert : Je vous en prie, choisissez un fauteuil, cela nous en apprendra beaucoup.

Flora (à Robert) : Dites, puisque vous trouvez ça intéressant, je crois que je vais me mettre à votre place, et vous vous allez choisir…


(Roméo sourit. Robert paraît un instant décontenancé, mais il se lève finalement pour céder sa place à Flora – qu’il contemple allègrement en la croisant – puis va s’installer entre Juliette et Roméo.)


Robert : Parfait. Ce que je vous propose, donc, c’est de commencer, même si vous vous connaissez déjà tous très bien…

Cassandra (acide) : Trop bien, même, pour certains…

Robert (reprenant) : C’est de commencer par ce que j’appellerai un tour du groupe : chacun d’entre vous va d’abord se présenter brièvement, exposer ses problèmes, dire pourquoi il est venu et ce qu’il attend de cette thérapie. Puis il présentera tour à tour tous les autres, et les relations qu’il a avec lui, le plus objectivement possible. Nous ferons simplement l’effort de ne pas interrompre celui ou celle qui parlera.


(Un silence. Tous se dardent de regards variant de la rage à l’effroi.)


Robert (se tournant vers Roméo, à sa droite) : Vous voulez bien commencer ?

Roméo (embarrassé) : Euh… ouais… bon… alors… je m’appelle Roméo, je suis ici sur les conseils de Juliette…


(Il la regarde droit dans les yeux en continuant. Robert prend des notes.)


Roméo : …qui est la femme de ma vie, car… euh… nos relations ne sont plus au beau fixe. J’espère que nous parviendrons ici à trouver ce qui cloche et à faire en sorte que ça s’améliore.

Robert (rassurant) : Excellent ! Continuez en présentant les autres.

Roméo : Eh bien, à votre gauche, il y a Juliette, avec qui je vis… enfin… avec qui je vivais jusqu’à la semaine dernière ; nous nous connaissons depuis bientôt cinq ans ; je suis fou amoureux d’elle… À côté d’elle, Cassandra ; c’est sa meilleure amie, quelqu’un que j’apprécie beaucoup pour sa sincérité, sa franchise, son état d’esprit ; elle est aussi… du moins, elle était aussi la compagne de Siriac, mon ami d’enfance, là-bas.


(Il désigne Siriac.)


Roméo : Ensuite, il y a Flora…


(Il soupire.)


Roméo : C’est assez compliqué. Flora est une ancienne petite amie qui est également ma principale collègue de travail et qui passe le plus clair de son temps à essayer de me séduire parce qu’elle est toujours amoureuse de moi.

Flora (s’écriant) : Hein ??? Mais c’est faux !


(Juliette et Eloïse sourient.)


Robert (sévère) : Je vous en prie, laissez-le parler.

Roméo (poursuivant) : Ensuite, c’est Siriac, dont je parlais juste avant. C’est mon meilleur ami. Je suis très proche de lui ; on se comprend sur de nombreux points, on a beaucoup d’intérêts et plein d’expériences chouettes en commun…

Cassandra (discrètement) : Tu m’étonnes !

Roméo : …et il a toujours été là quand j’ai eu besoin de lui.


(Siriac a une mimique respectueuse et admirative.)


Roméo : Et pour finir, Eloïse, que je connais depuis le lycée : elle est l’autre femme de ma vie, je suis également amoureux d’elle, Juliette aussi… enfin… Juliette l’était aussi, et nous vivions tous les trois ensemble. Depuis peu, Eloïse travaille également avec moi, et par voie de conséquence, avec Flora.


(Un silence. Flora le tue du regard.)


Robert (achevant de prendre des notes) : Bien. Je vous remercie.


(Il regarde Eloïse.)


Robert : Mademoiselle ?


(Eloïse respire un grand coup.)


Eloïse : Je vais faire dans l’autre sens, moi… À ma droite, il y a…

Robert (affolé) : Non, non, attendez ! Présentez-vous, tout d’abord !

Eloïse : Ah ? Euh… Eh bien, je suis Eloïse, je suis ici parce que j’ai trompé Juliette avec Flora, croyant jouer un rôle, mais je n’ai pas su m’arrêter à temps et résister à mes pulsions. Je suis amoureuse de Juliette et amoureuse de Roméo, avec qui je vivais jusqu’à la semaine dernière. J’espère que cette thérapie me permettra de retrouver les personnes que j’aime et m’apprendra à mieux me contrôler.

Robert : Je crois savoir que vous vous êtes longtemps absentée ?

Eloïse : Je suis effectivement partie plus de quatre mois pour un long voyage. L’absence de Juliette et de Roméo m’a été très pénible.

Robert : Parfait. Nous en reparlerons tout à l’heure. Passons aux autres, à présent.

Eloïse : À ma droite, il y a Siriac, que je connais, comme Roméo, depuis le lycée. C’est un très bon copain. Ensuite, il y a Flora, qui est une… une…


(Elle hésite et crispe ses poings. Flora sourit.)


Eloïse : Enfin, bref, je la connais peu, mais depuis longtemps. Elle a presque toujours été la cause de nos disputes ou de nos angoisses. Elle provoque constamment Roméo parce qu’elle ne supporte pas qu’il l’ait quittée pour Juliette.


(Flora soupire en levant les yeux.)


Eloïse : Ensuite il y a Cassandra, que je connais par l’intermédiaire de Juliette. Je l’apprécie beaucoup. Et puis, il y a Juliette… que… que…


(Elle se met à pleurer.)


Robert (extatique) : Fantastique ! Laissez-vous aller, vous avancez à grands pas !


(Tous les autres le regardent curieusement.)


Robert (regardant Siriac) : Monsieur ? À votre tour.

Siriac : Je suis Siriac, j’étais jusqu’à la semaine dernière le petit ami de Cassandra, mais je l’ai trompée avec Eloïse à cause de Flora…

Robert (notant) : Attendez, pas si vite !

Siriac : …parce que je ne suis qu’un pauvre mec qui n’écoute que sa queue et aussi parce que Flora est une bombe irrésistible.

Flora : Ah ! quand même…


(Cassandra la maudit des yeux.)


Siriac : Je suis ici parce que je ne sais plus où j’en suis, je ne sais plus quoi faire.

Robert : Très bien !

Siriac : Eloïse et Roméo sont tous les deux de supers copains, depuis longtemps ; je me suis toujours très bien entendu avec eux. Juliette est une femme merveilleuse, que je respecte et apprécie. Cassandra est… elle est… je ne sais pas comment dire, mais… je crois que je l’aime vraiment beaucoup beaucoup… Et puis, il y a Flora, l’archétype de la bombe sexuelle, la femme de tous mes fantasmes.

Flora : Ah oui ?

Cassandra : Pffff !

Robert (austère) : Allons, allons… Merci. Passons à vous, mademoiselle.

Flora : Hmmm… je crois que je vais passer mon tour, si vous le voulez bien.

Robert (strict) : Non, j’insiste.


(Flora regarde un instant Juliette.)


Flora : Je m’appelle Flora, je suis une collègue de travail de Roméo, avec qui j’ai toujours aimé faire l’amour, même si, contrairement à ce qu’il prétend, je ne suis pas amoureuse de lui. Je suis probablement nymphomane, j’aime beaucoup le sexe, sous toutes ses formes. Je suis ici à la demande de Juliette à qui j’ai fait beaucoup de mal récemment.

Robert (enthousiaste) : Parfait !

Flora : Alors, les autres… je ne les connais que peu… je ne suis pas leur amie et je n’ai que peu de relations autres que professionnelles avec eux. Cassandra, je ne la connais pour ainsi dire pas du tout ; je sais juste que je lui ai également fait du mal récemment alors que mon intention n’était pas de la blesser elle.


(Cassandra la regarde curieusement.)


Flora : Juliette… alors, c’est assez compliqué. Elle est la femme de l’homme que je convoite le plus, donc mon ennemie. Il est arrivé toutefois exceptionnellement que nous nous retrouvions assez proches et je suis tentée de dire que s’il n’y avait pas eu Roméo qui nous opposait, nous aurions peut-être pu être amies…

Robert (transporté) : Merveilleux ! Exceptionnel !


(Tous le regardent avec inquiétude.)


Flora : Ensuite, il y a Roméo. C’est l’amant idéal ; j’adore faire l’amour avec lui. Mais ça devient de plus en plus difficile, car il est très amoureux, lui, de ses deux gre… enfin… de Juliette et d’Eloïse. Ensuite, Eloïse, l’autre femme de l’homme que je convoite, donc également mon ennemie. Je ne la connaissais que peu jusqu’à la semaine dernière, mais j’ai appris à la connaître depuis qu’elle travaille avec moi ; j’ai découvert qu’elle avait essayé de me manipuler et ça m’a fait la détester encore plus. Et puis, Siriac, avec qui j’ai baisé deux ou trois fois, mais essentiellement parce que c’est le copain de Roméo. Je ne le connais pas plus que ça, les rares fois où on a discuté, je l’ai trouvé plutôt sympa. Peut-être trop impressionnable.

Robert (exalté) : Bravo ! Vous avez bien fait de venir !


(Il regarde Cassandra.)


Robert : Mademoiselle ?

Cassandra : Je suis Cassandra, amie d’enfance de Juliette grâce à qui j’ai rencontré Siriac. Je suis ici pour trouver une explication à ce qui nous arrive, au comportement de Siriac, d’Eloïse, de nous tous ici… et peut-être un remède.

Robert : Parfait. Continuez.

Cassandra : Juliette est ma meilleure amie ; je la connais depuis le collège ; on a toujours été très proches, on a toujours été là l’une pour l’autre, on a passé des moments merveilleux ensemble et j’espère que ça continuera toujours. Roméo est son compagnon, un homme avec d’énormes qualités…

Flora (amusée) : Je confirme !


(Juliette et Eloïse pouffent.)


Cassandra (à Flora) : Je ne pensais pas à la même chose que toi !

Robert (rigoureux) : Poursuivez, je vous en prie.

Cassandra : Avec plein de qualités, mais aussi de gros défauts qui ont souvent failli lui coûter son couple. Néanmoins, je l’apprécie beaucoup. Eloïse est devenue la maîtresse de Juliette, et en cela, je l’ai détestée un moment… enfin… détestée, le mot est fort… mais j’avais l’impression qu’elle me volait l’amitié de Juliette, qu’elle me ravissait mon amie. Mais j’en suis très vite arrivée à l’apprécier beaucoup, et elle est désormais une excellente amie, au même titre que Juliette. Enfin… jusqu’à la semaine dernière !


(Elle lance un regard mauvais à Eloïse, puis à Siriac.)


Cassandra (hargneuse) : Et il reste Siriac… Ce misérable, que j’aimais et qui m’a fait du mal ! Ce salaud qui ne sait pas dire non à sa bite !

Flora : Pfff, tous les mecs sont comme ça !

Cassandra : Non, c’est pas vrai !

Flora : Je n’ai encore jamais rencontré un mec qui m’ait résisté…

Cassandra : Pffff ! En plus t’es prétentieuse…

Robert (intraitable) : Mesdemoiselles, du calme ! Je vous remercie, Cassandra.


(Il se tourne vers Juliette.)


Robert : Eh bien c’est à vous…

Juliette : Je suis Juliette, je suis ici parce que je ne vis plus, je ne dors plus, je ne suis plus moi-même depuis une semaine, et que j’espère trouver un remède à ma peine et à ma douleur.


(Robert acquiesce gravement.)


Juliette : Cassandra est ma meilleure amie, et ce depuis longtemps et je sais qu’elle le restera, quoi qu’il arrive. C’est bon d’avoir quelqu’un comme elle.


(Cassandra prend dans la sienne la main de Juliette et la serre chaleureusement.)


Juliette : Flora est mon ennemie de toujours, que je déteste de toutes mes forces pour toutes les fois où elle a séduit Roméo, elle est la cause de mes tourments, l’objet de ma haine et de ma rage… et… et en même temps, par certains côtés, je la plains…


(Cassandra, Roméo, Eloïse et Siriac la regardent étrangement.)


Juliette : …et par d’autres, je l’envie… pour ne pas dire que je l’admire.

Roméo (à Juliette) : Euh… tu es sûre que ça va ?

Robert (à Roméo, en transe) : Ne l’interrompez surtout pas. Il se passe des choses…

Juliette : Eloïse est la femme que… que…


(Elle hésite un instant.)


Juliette (troublée) : …que j’aimais… beaucoup, fort… pour tout ce qu’elle est…


(Un silence. Juliette respire profondément.)


Juliette : Et Roméo est l’homme que j’aimais et que je crois que j’aime encore même si j’ai peur d’avoir une nouvelle fois, une fois de trop, perdu la confiance que j’avais en lui.


(Un silence.)


Siriac : Eh… ben… et moi ?


(Roméo, Eloïse, Cassandra et Flora rient.)


Juliette (désolée) : Oh excuse-moi, Siriac ! Siriac est le meilleur ami de Roméo ; je l’apprécie beaucoup pour sa sincérité, sa proximité et sa légèreté. Mais je suis très en colère après lui parce qu’il a fait du mal à Cassandra.


(Un silence. Robert achève de noter.)


Robert (joyeux) : Merci. C’est formidable. C’est vraiment incroyable tout ce qui se dit ce soir. Je suis très content.


(Tous le regardent de nouveau avec anxiété.)


Robert : Il y a un point qui ressort cruellement entre les lignes de vos échanges : les tromperies. C’est sans nul doute le point le plus présent et le plus tabou à la fois. Je vais vous demander quelque chose de difficile et qui risque de faire du mal, mais qui me paraît nécessaire pour avancer. Je voudrais que, l’un après l’autre, vous nous disiez précisément tout ce que vous avez à vous reprocher.


(Tous le regardent avec angoisse, sauf Flora qui rit déjà.)


Robert : Qui souhaite commencer ?

Flora : Moi, ça ne me dérange pas, et ça va être très facile. Je n’ai pas juré la moindre fidélité à qui que ce soit ; je baise avec qui je veux, et quand j’ai envie.

Robert : Très bien. Parlez-nous des relations que vous avez eues avec les gens ici présent.

Flora : Récemment ?

Robert : Euh… je ne sais pas… ce qui vous paraîtra pertinent.

Flora : Okay. J’ai baisé samedi dernier avec Eloïse, ma sœur et quelques amis.


(Robert lève vers Flora des yeux inquiets.)


Flora : La veille, avec Eloïse et Roméo, au boulot. Mais c’est différent, je ne savais pas que c’était elle.


(Robert est de plus en plus inquiet. Juliette fait une drôle de tête.)


Flora : La semaine d’avant, j’ai fait l’amour plusieurs fois avec Roméo, lorsque nous étions en stage à l’étranger.


(Juliette tremble en crispant ses poings.)


Flora : Ensuite, ça remonte bien plus loin. Si je me rappelle bien, ça devait être Roméo et Juliette ensemble, plusieurs fois, et quelques fois Juliette toute seule…


(Robert regarde Juliette avec étonnement. Elle hausse discrètement les épaules.)


Flora (réfléchissant en parlant) : Avant, il y a eu Siriac… Siriac et ma sœur… Roméo… Roméo et Siriac… Roméo… Roméo… Roméo… Roméo et ma sœur… Roméo…


(Elle s’interrompt ; tous la regardent avec consternation.)


Flora (amusée, à Cassandra) : Finalement, il n’y a qu’avec toi que je n’ai jamais fait l’amour…

Cassandra : Ben il manquerait plus que ça !

Flora (à Cassandra) : On y va ?


(Roméo et Siriac sourient. Cassandra lance des yeux coléreux à Siriac, qui cesse immédiatement de sourire.)


Robert (impressionné) : Euh… bon… après ça, je pense que tout passera plus légèrement… Qui souhaite continuer ?


(Un silence de plomb. Chacun regarde ses chaussures.)


Robert : Cassandra ?

Cassandra : Moi ? Mais… pourquoi moi ?

Robert : Je ne sais pas. Sans raison particulière.

Cassandra : De toute façon, moi, je n’ai rien à me reprocher.

Juliette : Cassandra ! On a dit qu’on disait tout !

Cassandra (hésitante et rougissante) : Ben… c’était y a longtemps… j’ai couché une fois avec Roméo et Eloïse et une fois avec Eloïse, Juliette et Roméo…

Flora (surprise) : Ah… tiens… j’aurais jamais cru ça…

Juliette : Cassandra !!

Cassandra : Et puis… une fois avec Roméo et un autre garçon…

Flora (enthousiaste) : Bien !

Juliette : Cassandra !!!

Cassandra : Et puis, il y a deux semaines avec Siriac et… Siriac et Juliette…

Roméo et Eloïse (s’écriant en même temps) : Hein ?!?

Cassandra (se justifiant) : Mais… t’étais en stage, Roméo, et toi, Eloïse, t’étais pas encore rentrée, et puis Juliette était toute malheureuse… je ne sais pas… ça a dégénéré, et puis voilà…


(Roméo se tourne vers Siriac en crispant les poings. Celui-ci se tasse dans son fauteuil. Eloïse regarde méchamment Juliette qui supporte son regard en souriant avec satisfaction.)


Robert (fervent) : Bien… les langues se délient, c’est très bon. Juliette ?

Juliette : Eh bien… peu de choses à ajouter à ce qui a déjà été dit. Si ce n’est… Marie… un soir, il y a quelques semaines…

Eloïse : C’est qui, celle-là ?

Roméo : Ben oui ! C’est qui, elle ?

Juliette : Une copine du sport.

Roméo : J’hallucine !

Cassandra (à Juliette) : Tu aurais pu m’en parler, au moins !


(Un silence.)


Flora (à Juliette) : C’est presque toi la plus fidèle, finalement… Tu avais raison. Et ils rêvent tous de baiser avec toi, pourtant…

Robert (transporté) : Cela dépasse mes espérances !


(Un silence inquiétant.)


Robert : Roméo ?

Roméo : Euh… juste Flora, il y a deux semaines, pendant notre stage.


(Juliette lui lance un regard chargé.)


Flora (gaiement) : Et juste moi encore la semaine dernière au boulot, avec mademoiselle Lisa…

Roméo : Ah, euh… oui, en effet…


(Juliette le maudit des yeux.)


Robert : Eloïse ?


(Eloïse soupire bruyamment.)


Flora : C’est vrai ? Tout ça ?

Eloïse : Oh, ta gueule !


(Elle soupire une fois de plus.)


Eloïse : Il y a eu Flora, sa sœur, ses amis, et Siriac la semaine dernière ; Flora et Roméo la veille ; et puis, pendant mon voyage, il y a eu…


(Elle s’interrompt et regarde Robert.)


Eloïse : Je suis obligée de tout dire ?

Robert (austère) : C’est préférable.

Eloïse : Mais je vais faire du mal inutilement.

Robert : Oui, mais vous allez également faire du bien. Notamment pour votre moi.

Eloïse (sceptique) : Ah ?


(Eloïse respire profondément.)


Eloïse : Alors… pendant mon voyage, il y a d’abord eu Thomas, il parlait français, c’était si rare depuis qu’on avait quitté le Québec… et puis, euh… Derek… Cliff… Bobby… ensuite, il y a eu, Johnny et Frank un après-midi où on ne faisait rien, aux States… Après il y a eu un type dont je me rappelle même plus le nom…


(Tous la regardent, consternés. Sauf Flora qui la considère avec respect.)


Eloïse : Ensuite, il y a eu un ou deux mecs en boîte, un soir, et puis une nana, dans la même boîte, le même soir… ensuite un type, un peu naze, dans un hôtel… ensuite, Jane et Brandon, un couple…


(Juliette et Roméo se décomposent au fur et à mesure.)


Eloïse : Après il y a eu deux pauvres types, qui ne tenaient pas la route ; je sais pas s’il faut les compter… Par contre, après, dans les Caraïbes, il y a eu Gufti… un mec génial ! hallucinant ! Là, j’ai vraiment failli rester… Il avait plein de nanas à ses pieds, qui se relayaient dans le plumard avec nous… Un truc de malades !


(Pensive, elle soupire avec ce qui semble être de la nostalgie. Juliette et Roméo sont au bord de l’apoplexie.)


Eloïse (piteuse) : Ensuite, je suis rentrée…


(Juliette et Roméo la regardent méchamment. Siriac et Cassandra hallucinent.)


Flora (admirative) : Eh ben ! Tu m’impressionnes ! Je ne pensais pas ça de toi…

Roméo (saccagé) : Moi non plus…


(Un silence. Eloïse regarde ses pieds.)


Robert (doctoral) : Ne soyez pas trop durs avec Eloïse, qui a été privée pendant de longs mois de votre amour…

Roméo : Bah ouais mais quand même…

Robert (regardant Siriac) : À votre tour, Siriac.

Siriac : Oh bah moi, à côté d’Eloïse, ça va faire petit joueur… Mais j’ai quand même fait une grosse connerie samedi en acceptant l’invitation délirante de Flora, je le regrette…

Robert (très amusé) : D’autant plus que si j’ai bien compris, vous n’avez pas touché à Flora…

Siriac (pas très amusé) : Non, en effet. Juste à Eloïse…

Roméo (pas très amusé non plus) : Oui, juste à Eloïse, et puis à Juliette la semaine dernière…

Robert : Je vous en prie, laissez-le terminer.

Siriac : J’ai terminé. Le reste, ce qu’a fort sympathiquement rappelé Flora, c’est de l’histoire ancienne…

Cassandra : Mouais, ben la preuve que non !


(Robert prend encore quelques notes puis regarde Flora. Celle-ci semble se demander ce qui va lui arriver.)


Robert : Mademoiselle, je crois avoir saisi la plupart des relations qui vous unissaient, dans ce groupe. Mais vous-même n’avez jamais évoqué de relation suivie. N’avez-vous jamais vécu en couple ?

Flora : Non… j’en vois pas l’intérêt.

Robert : Vraiment jamais ?

Flora (hésitante) : Ben… si… une fois, avec Roméo… mais ça a duré trois mois à tout casser…

Robert : Et depuis, personne d’autre ?

Flora (gênée) : Ça m’est arrivé de passer une semaine ou deux avec un type, parfois avec plusieurs…


(Elle regarde Juliette.)


Flora (embarrassée) : Parfois même avec une fille…

Robert : Mais ?

Flora (se reprenant) : Mais c’est toujours resté purement sexuel !


(Un silence.)


Robert (griffonnant) : Très bien, je vous remercie. Tous. Vous avez été excellents ! La dernière chose que je vous demanderai ce soir est la suivante : tout le monde va se dévêtir et choisir un partenaire sexuel pour finir la soirée. Allez-y.


(Il commence à ouvrir sa chemise. Juliette, Eloïse, Cassandra, Siriac, Roméo le regardent, parfaitement incrédules. Flora déboutonne son chemisier.)


Robert : Ha ha ha ! C’était une blague… ou un test, comme vous voulez… Vous pouvez arrêter, Flora…


(Tous regardent Flora, qui se trouve conne et referme ses boutons. Robert prend quelques notes. Flora soupire.)


Robert : Bien ; je propose que nous nous revoyions dans une quinzaine de jours. Vous avez énormément progressé en une soirée, inutile de resserrer trop nos séances.


(Un silence.)


Juliette : C’est bon pour moi.

Cassandra : Pour moi aussi.


(Eloïse soupire.)


Roméo : On va en faire beaucoup, des séances comme ça ?

Flora : Remarque, c’est amusant…

Robert (à Flora, rayonnant) : Vous avez apprécié ? C’est très bon signe ! Félicitations !


(Siriac indique par un geste à Juliette qu’il estime que Robert est complètement siphonné.)


Robert : D’ici deux semaines, je ne saurais trop vous conseiller d’éviter toute forme de relation sexuelle…

Roméo : Hein ?

Flora : Pardon ?


(Eloïse soupire encore plus fort.)


Robert : Mais laissez-moi terminer ! Évitez toute relation sexuelle non légitimée par une association affective.

Roméo : Quoi ?

Flora : Hein ?

Robert : Cela signifie que chacun ne devrait faire l’amour qu’avec son concubin direct.

Flora : Bah et moi ?


(Robert l’ignore et se tourne vers Eloïse.)


Robert : Pour vous, je recommande la plus grande prudence ! Vous n’êtes pas guérie encore ! Sachez vous entourer de l’amour de vos compagnons…


(Il se tourne vers Juliette.)


Robert : …qui doivent comprendre que vous avez été soumise à un manque profond et que vous compensez cela par un débordement affectif ; comme vos barrières morales à tous semblent assez… enfin… différentes, cela se traduit chez vous par un surcroît de contacts physiques.


(Un silence obscur.)


Robert : En clair, soyez proches d’elle, attentionnés, tendres…


(Il se tourne vers Roméo.)


Robert : Vous, jeune homme, vous exercez sur ces femmes, toutes ces femmes, une forte attirance…


(Juliette regarde étrangement Cassandra.)


Robert : Vous le savez, mais vous ne devez pas en jouer abusivement. La prédiction et le traitement de vos faiblesses seront votre prochain accomplissement personnel. Toutefois, vous avez déjà beaucoup progressé et vos proches doivent vous en être reconnaissants.

Roméo : Euh… oui, sans doute.


(Robert regarde Siriac, puis Cassandra.)


Robert : Vous deux, qui m’avez l’air d’être ici les seules personnes norm… euh… enfin… j’ai l’impression que vous devez simplement faire en sorte de ne pas prendre part à un conflit qui n’est pas le vôtre. Vous, mademoiselle, prenez garde à ne pas tomber dans la facilité de la routine ; et vous, monsieur, discutez, plutôt que de provoquer !


(Siriac et Cassandra se regardent naïvement. Robert se tourne vers Flora.)


Robert : Quant à vous, vous donnez l’impression de vouloir vous approcher toujours plus de Roméo tout en vous éloignant toujours plus de Juliette et d’Eloïse. Ce qui, comprenons-le bien, est impossible, étant donné qu’eux-mêmes sont également toujours plus proches.


(Elle fait une drôle de tête. Robert s’approche d’elle, lui montrant son calepin.)


Robert : Regardez ce schéma : ici, ce triangle représente Juliette, Eloïse et Roméo. Ce point, ici, c’est vous. Ça, c’est la situation actuelle, dont vous paraissez vous satisfaire. Vous voyez, si vous essayez de vous rapprocher de ce point du triangle tout en repoussant les deux autres, cela va nécessairement se casser quelque part. Comprenez néanmoins que s’il y a rupture, vous en serez également affectée, car l’habitude de cette situation en fait une position d’équilibre par répartitions des interactions émotionnelles.

Flora (perplexe) : Ah ?

Robert : Oui. C’est pourquoi je vous suggère de vous éloigner quelque peu de Roméo et d’accepter votre attirance pour Juliette.

Flora (s’écriant) : Hein ?


(Cassandra, Roméo, Eloïse et Siriac sont parfaitement incrédules. Juliette sourit presque.)


Robert (déchaîné) : Mais attention ! Prenez garde ! Je ne parle pas nécessairement d’attirance sexuelle !

Eloïse (pas contente) : Non, pas nécessairement…


(Un long silence. Chacun semble réfléchir.)


Robert : Mais avant de nous quitter, je vous convie à partager un petit verre ! Je vous ai préparé un cocktail, très ordinaire, originaire de mon pays. Attendez…


(Il sort. Tous se regardent, dubitatifs.)


Siriac (à Juliette) : Je ne suis pas sûr d’être libre dans une quinzaine de jours…


(Juliette sourit.)


Roméo (à Flora) : Alors comme ça, tu es attirée par Juliette ?


(Flora reste silencieuse, pensive.)


Roméo : Ah ouais… à ce point-là…


(Robert revient, portant un plateau avec plusieurs verres et une cruche transparente emplie d’un mélange d’une couleur indéfinissable, qu’il pose sur une table dans un coin du salon. Il remplit sept verres.)


Robert : Venez ! Vous ne serez pas déçus !






Acte V, scène 10

Jeudi 7 juin, 23 h 10

L’appartement de Juliette et Roméo

(Juliette, Roméo, Eloïse)



(Juliette et Eloïse sont assises dans le canapé. Roméo prépare des boissons.)



Roméo : Il s’agit d’oublier son espèce de cocktail bizarre…

Eloïse (à Juliette) : Je suis désolée, mon amour. Excuse-moi.


(Les deux jeunes femmes s’embrassent tendrement.)


Roméo (entouré de bouteilles) : Je mets quoi ? Du rhum, de la tequila, du get ?

Juliette (à Eloïse) : Je ne me suis pas rendu compte à quel point on avait pu te manquer…

Eloïse : Et moi j’ai oublié à quel point c’était bon d’être avec toi… avec vous… Je ne veux plus jamais l’oublier…


(Elles s’embrassent à nouveau.)


Roméo : Allez, un peu de curaçao pour la couleur !


(Il verse divers alcools dans un shaker.)


Eloïse (à Juliette) : Je t’aime !

Juliette : Je t’aime aussi !


(Roméo secoue son shaker et remplit plusieurs verres d’un mélange inquiétant. On entend un bruit de chasse d’eau. Flora entre, provenant des toilettes. Elle vient s’asseoir dans un fauteuil, face à Eloïse et Juliette.)


Roméo : Glaçons ?


(Personne ne répond. Eloïse enlace Juliette et se serre contre elle. Juliette regarde Flora.)


Roméo : Si je vous emmerde, vous le dites !


(Toujours aucune réponse. Eloïse embrasse encore Juliette. Roméo sort vers la cuisine en soupirant. Flora se lève et s’approche du canapé ; sans un mot, elle s’y agenouille, une jambe de chaque côté des cuisses de Juliette, et embrasse ardemment cette dernière. Eloïse les regarde avec un mélange de jalousie et de concupiscence.)


Eloïse : Euh… il a dit : pas nécessairement sexuelle…


(Flora se redresse et semble guetter la réaction de Juliette. Celle-ci l’attire presque violemment contre elle et les deux jeunes femmes s’embrassent à nouveau chaleureusement.)


Eloïse : Eh ! Oh ! Je vous signale qu’il a dit aussi qu’il fallait être tendre et attentionné avec moi !


(Juliette et Flora rient. Flora se penche pour embrasser Eloïse, qui se laisse faire. Roméo revient, portant un bac à glaçons. En apercevant la scène, il se met à hurler en lançant en l’air tous ses glaçons.)


Roméo : Rrâaaaaah ! Attendez-moi !






FIN







Acte V, scène bonus

Dimanche 3 juin, 20 h 50

L’appartement de Juliette et Roméo

(Roméo, Eloïse, Siriac)



(Ils sont tous trois attablés pour dîner. L’ambiance est déplorable.)



Eloïse : J’ai repensé à un truc, cet après-midi…


(Ils la regardent avec une vague curiosité.)


Eloïse : Quand j’étais dans les Caraïbes, sur une des îles où on a fait étape, j’ai rencontré un type…

Roméo (soupçonneux) : Oui, finalement, j’ai l’impression que t’en as rencontré pas mal, des types…

Eloïse (soupirant) : Et encore, t’es loin de la vérité…


(Roméo change de couleur.)


Eloïse : Bref… ce type était assez hallucinant : il avait l’air d’habiter en permanence dans un espèce d’hôtel de luxe au bord de la mer, il avait plein de filles à ses pieds, il croulait sous le pognon…

Roméo (verdâtre) : Tu as couché avec tant de monde que ça ?

Eloïse : Non, une quinzaine de personnes, pas plus.


(Roméo pâlit encore.)


Eloïse : Bon, tu m’écoutes, maintenant ?


(Un silence.)


Eloïse : Bon… donc… j’ai passé la nuit avec ce mec et ses nanas, et puis, pour finir, on a discuté un peu, et il m’a assuré qu’il tenait sa réussite et sa chance de certains pouvoirs magiques qui lui permettaient notamment de transformer quelque peu les sentiments des gens à son égard.


(Un silence.)


Roméo : Et alors ? Tu crois pas que t’as assez joué avec les sentiments des gens, ces derniers temps ?

Eloïse : Je suis sûre que ce type peut nous aider.

Roméo : Et donc tu suggères qu’on prenne cinq billets pour les Caraïbes pour aller rencontrer ton shaman ?

Eloïse : C’est pas un shaman, ce type est français, et il m’a dit qu’il reviendrait passer l’été en France. On ne risque pas grand-chose à essayer…

Roméo : Pffff ! T’as complètement disjoncté ! Qu’est-ce tu veux qu’il fasse ? Il va nous faire boire un philtre d’amour et on va baiser toute la nuit avec Siriac ? Cool !

Siriac : C’est qui, ce type-là ? Tu crois qu’on peut lui faire confiance ?

Eloïse : Je sais pas, mais il m’avait laissé son numéro de portable et j’ai bien envie de l’appeler.

Roméo : Eh ben allez ! Pourquoi pas ! Remarque, t’as raison, maintenant que t’es célibataire…


(Eloïse soupire, mais ne répond rien. Elle se lève et va prendre son téléphone. Elle fait défiler le répertoire.)


Eloïse : Ah, voilà…


(Elle appelle. Un silence. Roméo est consterné.)


Eloïse (au téléphone) : Allô ? Bonsoir Gufti. … Je suis Eloïse, on s’était rencontrés dans les Caraïbes, je ne sais pas si tu te souviens de moi ? … Oui, oui, c’est bien ça ! … Eh ben, oui, ça va… enfin… euh… non, ça va pas très bien, justement… C’est pour ça que je me permets de t’appeler. J’ai repensé à ce que tu m’avais dit sur tes… comment dire… tes pouvoirs magiques…


(Roméo rit gaiement. Eloïse lui lance un regard noir et sort vers la chambre.)


Roméo : N’importe quoi !

Siriac : Bah, ça l’occupe…

La voix d’Eloïse (captivée, provenant de la chambre) : Un génie dans une théière ?

Roméo : Oui, je crois surtout qu’elle est en train de péter un câble… Je vais lui dire d’aller voir un psy…