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Temps de lecture estimé : 44 mn
11/06/10
corrigé 12/06/21
Résumé:  Il est loin le temps de la vengeance et Mickäel est maintenant fou d'Elodie. Mais entre Jessica, la copine prof de danse et Lourdes, l'incroyable infirmière, parviendra-t-il à ses fins ou est-il condamné à rester un jouet dans les mains des femmes ?
Critères:  fh jeunes copains amour fmast hmast portrait -amiamour
Auteur : Mickael G.      Envoi mini-message

Série : À Elodie et Anne-Sophie

Chapitre 03 / 03
Lourdes et les tapas

Résumé des épisodes précédents :


Anne-Sophie et Elodie, deux étudiantes aussi brillantes que délurées, ont tout de suite perçu, sous sa timidité maladive, la vraie personnalité de Mickaël, leur nouveau collègue. Pour le décoincer, elles n’hésitent pas à le faire chanter et l’obligent à assouvir leurs fantasmes les plus osés. Et même si ensuite il ne pense plus qu’à se venger, elles sauront lui tendre la main pour en faire le meilleur copain du monde.



***




À Maria Lourdes, avec toute mon affection.




Je me souviens encore comme si c’était hier, de la nuit où nous sommes rentrés tous les trois de notre premier week-end à la mer.

Je croyais qu’elles allaient me demander de les ramener chez elles. Mais pas du tout…




L’appartement d’Anne-Sophie ! Cela me faisait tout drôle d’y revenir après ce que j’y avais vécu.

Les filles s’étaient précipitées dans la salle de bain, laissant la porte grande ouverte. Pudiquement, j’attendais mon tour dans la chambre en me demandant où j’allais bien pouvoir trouver la place suffisante pour étendre une couverture.

Elodie ne tarda pas à m’appeler :



À trois dans cette petite pièce, on se marchait presque dessus.

Elle me tendit une brosse à dents.



Anne-Sophie, assise par terre, brosse à dents dans la bouche, retirait ses chaussures. Quand elle fut pieds nus, elle se releva et, tout en se brossant les dents d’une main, entreprit d’enlever son pantalon. Le premier bouton se laissa faire, le suivant résista un peu, le troisième ne voulut rien entendre. Anne-So avait beau se contorsionner dans tous les sens en faisant des bulles avec son dentifrice, le jean refusait obstinément de descendre sous ses hanches !

Je ne saurais dire si ce fut simplement par impatience ou pour le plaisir de pimenter un peu la scène, mais toujours est-il qu’Elodie prit les choses en main.



Et elle mata instantanément les boutons récalcitrants avant de s’accroupir devant Anne-Sophie et de lui baisser son pantalon jusqu’aux chevilles.



Anne-So barbota quelques mots qui devaient vouloir dire « je ne fais pas exprès, je me lave les dents » mais elle n’eut pas d’autre choix que d’obtempérer et le jean vola sur le lit à travers la porte ouverte.

Puis Elodie se redressa et lui fit lever les bras. En un éclair, le tee-shirt suivit le même chemin.

Bien qu’ayant pris l’air très préoccupé de celui qui éprouve les pires difficultés à étaler correctement son dentifrice, j’avais choisi de ne rien rater du strip-tease. Je commençais à connaître suffisamment les deux filles pour me douter que j’allais bientôt faire partie du spectacle. Alors autant en profiter maintenant, on verrait bien plus tard à quelle sauce je serais mangé !

Anne-Sophie ne portait plus sur elle que son soutien-gorge et un superbe petit shorty tout en dentelle.

En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, Elodie dégrafa le sous-tif et baissa le slip de sa copine. Anne-So, pas gênée le moins du monde, finit de se brosser les dents toute nue, avec ses petits seins qui ballottaient en cadence sous mon nez. Et comme Mademoiselle n’est pas du genre à s’encombrer de convenances et à changer ses habitudes simplement parce qu’un garçon s’est glissé dans son intimité, elle s’assit sur les toilettes, vida sa vessie et s’essuya comme si de rien n’était avant de sortir en baillant et en s’étirant, suivie par Elodie qui portait ses sous-vêts.


Là, je me suis vraiment demandé si je n’étais pas en présence d’inconscientes ou de provocatrices hors pair, parce que, après m’avoir explosé la libido avec un sketch à mettre hors de lui un régiment d’impuissants, elles ne trouvaient rien de mieux à faire que me laisser en plan et se tirer sans dire un mot.

Enfin, cela n’a pas duré très longtemps et Elodie est vite revenue passer la deuxième couche… nue comme un vers.

Elle avait tout retiré, y compris bracelets, boucles d’oreille et autres bijoux car, c’est bien connu, il est indispensable de se mettre complètement à poil pour se démaquiller le bout du nez et se laver les dents quand il y a un garçon dans sa salle de bain. J’eus aussi droit au petit pipi avant d’aller dormir, à la séance d’inspection devant le miroir, histoire de vérifier que les glaces et les gaufres de l’après midi n’étaient pas tombées directement dans les fesses ainsi qu’à l’examen méticuleux de l’épilation, maillot compris, cela va sans dire. Et tout ça bien sûr en jacassant, comme si j’étais en l’état d’écouter ses salades !

Puis elle est repartie tranquillement dans la chambre, et là, il me fallut bien prendre une décision parce que, depuis le temps que je me brossais les dents, elles risquaient de finir par tomber.

Alors je me suis mis en caleçon, pour faire couleur locale, et je suis sorti, mes vêtements à la main.


Les deux filles, déjà couchées, m’attendaient.

Je cherchais désespérément une couverture sous la quelle je puisse me glisser pour la nuit mais Elodie, avec son petit air malicieux, me fit signe de venir dans le lit, à côté d’elle.



Finalement, je m’apprêtais à me glisser sous la couette quand elle m’arrêta brutalement.



De toute façon, je n’avais pas le choix. Et puis, vu ce qui s’était déjà passé entre nous ! Je finis donc de me déshabiller avant de m’allonger à ses cotés.



Anne-Sophie rigola puis se retourna.



J’en profitais pour poser une question qui me préoccupait depuis longtemps



Je reçus immédiatement un coup de pied dans les mollets.



Là, c’est Elodie qui prit mon pied dans les jambes. Elle sursauta et Anne-So râla.



Alors on s’est calmé. Elodie s‘est enfin tue puis elle s’est tournée vers Anne-Sophie. Les deux filles ne mirent que quelques minutes à s’endormir. Moi je suis resté immobile, à me dire que ce n’était pas croyable ce qui m’arrivait, que je devais rêver, que j’allais finir par me réveiller.

Mais non, je ne rêvais pas et c’était encore mieux que tout ce que j’avais pu imaginer.

Je sentais la chaleur d’Elodie tout près de moi, j’entendais sa respiration. J’ai dû m’assoupir parce qu’à un moment, je me suis réveillé avec ses fesses qui me collaient. Et là, je n’ai pas pu me rendormir. Je ne voulais surtout pas bouger de peur qu’elle se déplace. J’ai attrapé des crampes à rester immobile, mais j’ai tenu bon. Toute la nuit comme ça, l’un contre l’autre, à imaginer qu’un jour, peut-être, je deviendrais beaucoup plus que le copain qu’elle avait toujours rêvé d’avoir !



Anne-Sophie s’est levée de bonne heure. J’ai fait semblant de dormir.

Quand elle est ressortie de la salle de bain, elle a ouvert en grand les rideaux en lançant: « c’est libre, dépêchez vous, je vais préparer le p’tit dèj ».

Alors je me suis précipité et j’ai pris ma douche à toute allure.

J’étais toujours raide comme une barre à mine et après une nuit pareille, ce n’était pas près de passer !



C’était Elodie qui s’étirait dans l’encadrement de la porte, comme une chatte au réveil. Totalement nue, hissée sur la pointe des pieds et les bras étendus au-dessus de la tête, elle se cambrait, le bassin en avant, dans la pose la plus belle et la plus impudique qui soit.

Elle bailla, grogna, prit sa mine renfrognée puis finit par me sourire :



Je m’approchai d’elle, mis mes bras autour de son cou et déposai un baiser sur ses lèvres fermées. Elle se laissa faire mais je compris, sans qu’elle n’ait besoin de rien dire que, même si elle s’offrait sans aucune retenue à mon regard, son cœur n’était pas prêt à s’ouvrir au mien.



***




Les semaines passèrent. Nous étions devenus inséparables. Au gré de l’humeur du jour, nous vivions chez l’un ou chez l’autre. J’avais mon stock d’affaires personnelles chez Elodie et chez Anne-Sophie, elles avaient transformé mon appartement en repère pour fashion-victimes. Mes tiroirs regorgeaient de jupettes, de petits hauts, de lingerie et de fanfreluches. Ma salle de bain débordait de pots de crème, de tubes, de brosses, de pinceaux et d’un tas d’autres ustensiles encore plus féminins dont j’ignorais jusqu’alors l’existence. Sans parler des brosses à dents rose et verte !

Je veillais à ce qu’elles ne manquent jamais de rien : les yaourts à la vanille d’Anne-So, les céréales d’Elodie et tout le reste… Le pire, c’était les tampons. Elles m’avaient prévenu, d’un ton sentencieux: « ne t’avise surtout pas qu’il en manque ces jours-là ! » Alors régulièrement, je dévalisais le rayon hygiène féminine de la superette du quartier sous l’œil suspicieux de la caissière qui devait me prendre pour un fétichiste pervers.



J’avais compris depuis longtemps que les deux filles n’étaient pas farouches, je découvris rapidement qu’elles étaient même chaudes comme des lapines.

Si Elodie était la plus entreprenante, Anne-Sophie jouissait d’une imagination débordante, toujours prête pour une petite fantaisie pourvu que la situation ne manque pas de piment et il était bien rare qu’une journée se termine sans un câlin à deux ou à trois, selon l’appétit des demoiselles.

Elles ne dédaignaient pas non plus les plaisirs solitaires, en public bien sûr. Je fus d’ailleurs rapidement mis à contribution.


Un soir de grosse envie, alors qu’elles étaient excitées comme des puces à l’idée de passer sous la couette, j’eus la mauvaise idée de traîner un peu dans la salle de bain avant de les rejoindre.

Anne-So n’avait pas pu attendre et lorsque je ressortis, elle était déjà en pleine action. Toute nue sur le lit, une main glissée entre ses jambes et l’autre massant doucement ses petits mamelons rose tendre, elle se caressait, les yeux fermés, sans un bruit. Ma présence ne lui faisait ni chaud ni froid. Quand à Elodie elle finissait de se déshabiller, indifférente.


Je m’assis, incrédule : Anne-Sophie se masturbant devant moi, sans la moindre gêne ! C’était incroyable ! Dire qu’il y a encore quelques semaines, un simple regard de cette fille suffisait à me terroriser !

Elle ondulait lentement, avec grâce, telle une nageuse immobile qui prendrait tout son temps.

Mais la chair s’impatiente vite et son corps ne put résister à l’appel du désir. Sa main se fit plus ferme, ses gestes plus précis. Comme happée par un tourbillon, ses doigts lui échappèrent, ses soupirs devinrent halètements et ses doux mouvements tremblements. Prise de toute part, elle ouvrait les yeux et gémissait, le visage tendu, la bouche ouverte.


Et puis soudain, tout s’emballa. Serrant convulsivement ses cuisses sur sa main, elle se raidit et se jeta sur le coté, les jambes repliées. Gémissant de plus belle, elle lutta quelques instants avant de succomber en poussant un long cri, recroquevillée sur son bras, dans une grimace d’orgasme pleinement satisfait.

Le temps sembla se figer et elle resta ainsi de longs instants, immobile, les yeux fermés, avant de se remettre doucement à plat et de nous regarder avec un grand sourire.


Elodie, aussi nue qu’Anne-Sophie, mais semble-t-il encore plus pressée qu’elle, finissait de ranger ses vêtements tout en se caressant. Marchant à travers la chambre une main entre les cuisses, elle faisait rouler ses lèvres entre ses doigts, les frottait, les étirait, sans même y prêter attention, comme elle se serait gratté la tête ou le bout du nez. Par moments elle s’arrêtait, passait la main dans sa petite toison, venait dessiner du bout des doigts de gracieuses courbes sur ses larges aréoles puis recommençait. Quand chaque vêtement, chaque bijou, chaque bracelet fut rangé à sa place, elle s’assit au bord du lit, les cuisses grandes ouvertes.

De ses mains, elle écarta des lèvres roses et humides, déjà gonflées de désir et baissant la tête, regarda son intimité, l’air satisfaite.

À cet instant, elle fit semblant de s’apercevoir de ma présence.



Je pris immédiatement un coussin dans la figure.



Puis elle se retourna et s’allongea à plat ventre près d’Anne-Sophie.

La tête sur le coté, les yeux fermés, elle glissa ses deux mains sous son ventre et reprit ses caresses en silence.

Fasciné, je restais immobile, regardant ses fesses et ses épaules se soulever doucement, devinant le lent mouvement circulaire de son index sur son petit bouton, imaginant le glissement des autres doigts sur ses replis les plus secrets.

Je vis ses reins se creuser, je la sentis frémir alors que sa respiration s’accélérait.

Puis vinrent les premiers gémissements, accompagnant les secousses d’un corps qui commençait à lui échapper. Elle lutta de longues minutes contre ce plaisir qui tentait de la submerger, repoussant l’instant fatidique où elle devrait lâcher prise, haletant, tendue comme une corde prête à rompre, tremblant sous ce feu qui voulait l’envahir.

Et soudain ce fut l’éruption. Dans un grand cri de plaisir, ses mains se crispèrent alors qu’elle se cambrait, relevant la tête quelques instant avant de la laisser retomber lourdement sur le côté.

C’était fini. Elle resta longuement ainsi, les yeux fermés avant de se retourner et de prendre la main d’Anne-So dans la sienne.

Les deux filles se regardèrent et rirent, l’air plus complice que jamais.



Tout heureux de ce qui semblait s’annoncer, je retirais mon caleçon et sautait dans le lit. C’est Elodie qui dégaina la première :



J’essayais de jouer celui qui n’avait pas compris tout en sachant très bien que la messe était déjà dite.



J’aurais quand même voulu gagner un peu de temps, par principe, histoire de leur montrer que j’avais aussi mon mot à dire mais c’était peine perdue et un regard insistant d’Elodie suffit pour que je rende les armes.

L’affaire ne dura d’ailleurs pas bien longtemps. Leur petit prélude à une main m’avait mis dans un état pas possible et je ne tardai pas à me répandre sans aucune dignité, réussissant à ne pas souiller la couette mais ne pouvant éviter de m’en coller partout.

Dépité, je ne laissai même pas à Anne-So le temps de me dire que c’était dégoûtant ce que je venais de faire et je filai dans la salle de bain soigner ce qui me restait de virilité. Quand je revins, propre comme un sou neuf, Elodie fut toute mimi avec moi et cette nuit-là, pour la première fois, elle s’endormit dans mes bras. En m’assoupissant à mon tour, je pensais que, finalement, si c’était là le prix à payer, j’étais prêt à me tripoter tous les soirs devant elle !



***




Les apparences sont souvent trompeuses et leur monde n’avait rien à voir avec l’image lisse d‘étudiantes un peu fantasques mais sérieuses qu’elles donnaient au labo. En dehors du travail, elles ne pensaient qu’à rire et à faire la fête.



Leur grande copine, c‘était Jessica. Autrefois, elle avait fait du théâtre avec Elodie, avant de devenir professeur de danse. Une fille vraiment étonnante ! Rien à voir avec les grandes maigrichonnes à chignon, genre sévères mais justes, qui infligent des exercices sans fin à de pauvres élèves que les parents amidonnent avant de les obliger à rentrer dans la salle de cours. Non, Jess était plutôt petite, avec de vraies formes et des cheveux courts noirs de jais. Pantalon de baroudeuse, mains dans les poches et air de poulbot, elle avait toujours une blague à sortir et passait son temps à rigoler, sauf pendant les leçons, cela va sans dire !

Quand les trois filles passaient une soirée ensemble, cela se terminait invariablement en boîte jusqu’à point d’heure. Bien sûr, j’étais trop heureux de suivre !


La première fois, j’avais un peu hésité parce que, la danse, ce n’est vraiment pas mon truc, mais Jess prit les choses en main et j’eus rapidement l’air bien moins cruche que tous ces m’as-tu-vu qui se trémoussaient dans tous les sens et s’agitaient comme des spermatozoïdes en détresse.

Et puis il y avait les slows. Elles n’avaient pas leur pareil pour écarter les fâcheux et les machos un peu trop entreprenants. « Propriété privée de Mickaël, circulez, il n’y a rien à voir ». Le bonheur, surtout quand Elodie, collée contre moi, posait sa tête sur mon épaule et fermait les yeux.


Un beau jour, Jessica décréta que je devais participer à son spectacle de fin d’année :



Moi, je ne me voyais pas faire le clown devant des centaines de personnes mais je ne voulais surtout pas faire de peine à Jess, alors j’avais dit « peut être, on verra, selon mon travail… »

Ce qu’elle avait immédiatement traduit par « super, Mickaël est enthousiaste » en se dépêchant de prévenir Elodie et Anne-So qui avaient tout de suite réservé leur soirée pour voir ça.



Et puis il y avait Lourdes. Son vrai nom, c’était Maria-Lourdes mais tout le monde l’appelait Lourdes.

Un soir, Anne-So et Elodie avaient décrété que cela nous ferait du bien de partir aux sports d’hiver.

J’avais loué un chouette studio au pied des pistes et comme il y avait quatre couchages, elles avaient invité la petite Lourdes. Enfin, petite, pas tant que ça ! Elle avait sûrement un peu abusé de la paëlla et de la zarzuela quand elle était jeune et ça avait laissé des traces. Du coup, elle essayait d’éviter les excès ce qui ne l’empêchait pas de se venger sur les glaces, les sucreries, le chocolat et autres friandises.


Lourdes était infirmière. Elle adorait son métier mais ses vraies passions étaient l’Histoire et la littérature. Une affaire de famille avec un père spécialiste de l’Espagne médiévale qui lui avait très tôt transmis son amour du Moyen-âge et une mère écrivain, auteur de plusieurs livres sur l’évolution de la société espagnole.

Enfant, elle ne rêvait que de château forts, de tournois, de preux chevaliers et, une fois son diplôme d’infirmière en poche, elle s’était lancée avec délectation dans des études d’Histoire à la faculté de Madrid.

Mais cela ne suffisait pas à ce trublion boulimique de connaissances et elle était ensuite venue compléter sa formation à Paris. La nuit, elle travaillait dans un service d’urgence, le matin elle dormait et l’après-midi, elle suivait des cours de littérature française à l’université.


La première fois que je l’avais vu, elle m’avait sauté au cou, comme si on se connaissait depuis une éternité :



Lourdes était à peine moins bavarde qu’Elodie et tout aussi exubérante. D’ailleurs, il suffisait de la regarder pour comprendre. Sa tenue favorite, c’était chaussures multicolores, minijupe ou short sur collants fluos et haut du style « plus flashy que moi, tu meurs ». Sans oublier les bijoux, pas forcément très discrets mais au moins en accord avec sa personnalité et son style de beauté.


Bref, Lourdes, soit on ne la supportait pas, soit on l’adorait, et moi, j’étais tombé dans la marmite du fan-club au premier regard. J’avais certes un peu de mal à l’imaginer étudiant La Princesse de Clèves ou la Carte de Tendre mais cela n’ajoutait que plus de mystère et de charme au personnage.


Dans la location, il y avait un lit deux places et deux lits simples. Je m’étais dit que peut être… Mais non, Elodie et Anne-So ensemble, comme d’habitude et bibi dans un petit lit, à côté de Lourdes. Ça lui avait d’ailleurs beaucoup plu :



Il n’y avait qu’une chose qui stressait Lourdes, c’était l’épreuve du « Noutella » au petit déjeuner. Elle contemplait le pot, approchait la main, se ravisait, dévisageait sa tartine, refaisait une tentative puis finissait par nous interroger du regard, l’air suppliant, attendant que nous prenions une décision pour elle. Le premier matin, elle s’était lâchée et il avait fallu qu’Anne-So la sermonne pour qu’elle accepte de quitter la table. Cela avait dû la traumatiser car, le lendemain, elle avait résisté au moins cinq minutes avant de craquer. Les filles n’osaient plus la regarder tant elles avaient peur d’éclater de rire. Du coup elle s’était retournée vers moi.



J’avais pris des gants pour lui expliquer que les hommes aimaient bien les rondeurs et qu’il ne fallait pas accorder trop d’importance à ces histoires mais elle n’était pas tombée de la dernière pluie. Elle voulait une réponse précise.



Avec un air de vieux connaisseur sûr de lui, j’avais répondu :



Du coup, elle s’était sentie en confiance.



Et en moins de deux elle s’était déshabillée pour que je lui donne mon avis.

J’avais du mal à garder mon sérieux parce qu’un strip-tease de Lourdes au petit dèj, il faut voir ça !

Le sous-tif était ravissant mais aurait mérité au moins deux tailles de plus. Du coup, elle avait presque les seins en dehors.



Anne-So en pleurait de rire dans son bol de café. Lourdes me glissa d’un ton complice :



Quand au slip, il était, disons, minimaliste et en tout cas suffisamment transparent pour ne rien cacher, même pas son épilation intégrale.

Moi, je lui avais dit qu’elle était ravissante avec son visage d’ange et sa peau cuivrée, que oui, c’était une vrai ronde, voluptueuse, aussi appétissante qu’elle était gourmande et qu’il ne fallait surtout rien changer car elle ne serait plus la même et que c’était comme ça qu’on l’aimait.

Alors elle m’avait sauté dans les bras en me disant que j’étais « oun amour ». Sous le choc, j’avais failli tomber en arrière, ses doudounes étaient définitivement passées par dessus bord et le soutien avait presque explosé.

Anne-Sophie et Elodie étaient sur le point de s’étrangler de rire mais Lourdes, imperturbable continua :



Ce qu’elle fit, presque à poil, pendant qu’Elodie et Anne-So essayaient de reprendre leur sérieux.

Et comme je suis un bon garçon, je lui ai racheté, sans rien dire, un maxi pot pour le lendemain.



Lourdes était passionnante, une véritable encyclopédie d’Histoire et de littérature. Un soir, elle nous parla pendant des heures de « Scarborough Fair », une vieille chanson anglaise du moyen-âge, remise au goût du jour par Simon et Garfunkel et plus récemment par Sarah Brightman.


Are you going to Scarborough Fair? Parsley, sage, rosemary, and thyme.

Remember me to one who lives there, she once was a true love of mine.


Tell her to make me a cambric shirt.

Parsley, sage, rosemary, and thyme.

Without no seams nor needlework.

Then she’ll be a true love of mine.


Tell her to find me an acre of land.

Parsley, sage, rosemary, and thyme.

Between salt water and the sea strands.

Then she’ll be a true love of mine.


Tell her to reap it in a sickle of leather.

Parsley, sage, rosemary, and thyme.

And gather it all in a bunch of heather.

Then she’ll be a true love of mine.


Are you going to Scarborough Fair? Parsley, sage, rosemary, and thyme.

Remember me to one who lives there, she once was a true love of mine.




Des paroles d’une telle douceur écrites avec de la dynamite, pas de doute, je souis soure que cette chanson est la plous belle déclaration d’amour qui soit !


Elle était intarissable. Anne-So et moi, on a fini par s’endormir mais avec Elodie, elles ont continué si longtemps que je ne suis pas certain qu’elles se soient couchées cette nuit-là !



***




La séance de location du matériel de ski avait été épique, je crois que le vendeur s’en souvient encore.

Lourdes voulait un surf assortit à sa tenue et il avait eu le malheur de lui dire lui que cela risquait d’être un peu difficile. En guise de représailles, elle lui avait fait déballer le magasin de la cave au grenier et avait tout essayé avant de déclarer qu’elle reviendrait après s’être changée.

Puis Anne-So et Elodie lui avaient pris la tête en le bombardant de questions auxquelles il était bien incapable de répondre. Quand était venu mon tour, il n’en pouvait déjà plus. Je m’apprêtais à être sympa avec lui mais Lourdes en avait repassé une couche.



J‘avais jeté mon dévolu sur un modèle noir avec de sobres motifs blancs mais elle souhaitait quelque chose d’un peu plus « exotique ».



Finalement je m’étais laissé faire et j’étais reparti avec un surf tellement flash qu’il fallait mettre des lunettes de soleil rien que pour le regarder, laissant derrière moi un vendeur au bord de la crise de nerfs !



On passait nos journées sur les pistes. Les filles se débrouillaient très bien. Même tout schuss, Elodie et Lourdes trouvaient le moyen de bavasser entre elles et on ne peut pas dire qu’elles passaient inaperçues.


Moi, j’étais le plus heureux du monde avec cette petite bande. Mais un après-midi, les choses se sont un peu gâtées !

Alors que je collais Elodie, histoire de ne pas me laisser distancer et d’arriver en même temps qu’elle au télésiège, une bosse a traversé la piste juste devant ma planche, sans prévenir.

Je me souviens avoir vu le ciel qui passait sous mes pieds, puis plus rien et je me suis retrouvé allongé dans la neige avec mal partout.

Lourdes a déboulé comme une tornade en criant :



Mais quand elle a compris que j’avais du mal à me relever, elle a moins rigolé.



À trois, elles ont réussi à me remettre debout mais je n’étais quand même pas très vaillant et Lourdes n’a pas voulu que je continue.



Elle avait peut être raison mais il n’était pas question que je gâche leur journée et elle eut beau insister, ce fut un non catégorique : je redescendrais tout seul et ce n’était pas négociable !


Enfin, pas négociable, il faut voir, parce que, quand Elodie, m’a pris par la main direction chemin du retour d’un air décidé, j’ai pensé qu’il n’y a vraiment que les imbéciles pour ne jamais changer d’avis.



Moi j’avais super mal mais je ne pouvais pas rater une occasion pareille.



Elle n’a pas répondu, elle s’est juste blottie contre moi, la tête sur mon épaule.

On était bien comme ça. Malgré le froid, j’aurais donné n’importe quoi pour ne jamais arriver en bas.

Pour la première fois, j’eus l’impression d’avoir marqué un point.



De retour à l’appart, je me sentais déjà beaucoup mieux.



Moi, je voulais sortir. Je n’avais aucune envie de me faire examiner et encore moins de me déshabiller pour jouer à l’infirmière, mais elle n’en démordait pas.



La solidarité entre ces trois là, c’est quelque chose. De toute façon, elles savaient bien que je n’allais pas risquer de leur faire mal en me débattant pour de vrai. Du coup, je me suis retrouvé en caleçon. Lourdes m’a papouillé, manipulé, examiné sous toutes les coutures avant de déclarer :



Et puis quoi encore ? Il n’en était pas question ! J’ai protesté avec véhémence mais ça n’a servi à rien, à part amuser un peu plus les deux autres, parce que Lourdes, quand elle a une idée quelque part, elle ne l’a pas ailleurs !



Lève-toi et baisse le slip. C’est plou facile à palper comme ça parce que, debout, les testicoules, ils tombent dans les bourses.


Anne-So et Elodie n’arrivaient plus à reprendre leur souffle tant elles riaient mais Lourdes était imperturbable.

Pendant qu’elle me tripotait, j’essayais de me concentrer sur autre chose et je me demandais comment elle avait bien pu deviner pour Elodie, parce que, franchement, je savais me tenir et je n’étais pas du genre entreprenant en public.



J’ai essayé de négocier parce que je n’aime pas trop les médicaments mais elle est restée intraitable.




Après, ce fut une super-soirée. Pour m’aider à me remettre de mes émotions, les filles m’ont offert le resto et j’ai profité d’un instant de tranquillité pour demander à Lourdes comment elle avait pu se rendre compte de quelque chose au sujet d’Elodie.



Quand au traitement, j’avais fini par me résigner. De toute façon, avec elle, il n’y avait rien d’autre à faire. Tous les soirs, elle me massait le dos et chaque matin elle me faisait avaler mes comprimés :





Après une semaine aussi extraordinaire, le dernier soir fut pesant, malgré les efforts de chacun pour ne rien laisser paraître. Un lourd parfum de nostalgie flottait dans l’air et Lourdes eut beau en faire des tonnes, l’esprit n’y était plus.

Ce n’était pas la perspective d’une séparation qui nous taraudait ainsi. Non, c’était la crainte de voir se refermer ce livre dont nous venions d’écrire ensemble de si belles pages.


Bien sur, j’étais la clé de ce malaise et les filles s’inquiétaient de savoir quel serait désormais mon comportement.

Allais-je, égoïstement, forcer Elodie à choisir entre elles et moi et faire ainsi exploser notre petit groupe ?

Allais-je m’enferrer dans un rôle d’amoureux transi et devenir le boulet qu’on regrette d’avoir un jour croisé ou le frustré acariâtre qui s’accroche et dont on n’arrive plus à se débarrasser ?


C’était mal me connaître. Moi, ça me rendait malade de les voir aussi tristes, et même si je me serais damné pour quelques jours seul avec Elodie, je ne pouvais concevoir mon bonheur au dépend du leur.

D’ailleurs, je voulais tout : Elodie pour moi avec Anne-Sophie et Lourdes autour de nous, le fromage et le dessert, le beurre, l’argent du beurre et même la fille de la crémière.



Anne-Sophie et Elodie levèrent la tête et me regardèrent avec un immense sourire complice, Lourdes les prit de vitesse et me sauta au cou pour m’embrasser.



Sans rien dire, on s’est tous compris. Anne-So a beaucoup ri et, pour la première fois, je vis Elodie baisser les yeux en rougissant. Je venais de marquer un deuxième point. Et de me faire deux meilleures alliées incontournables.



***




J’avais souvent revu Lourdes après ces vacances. Nous passions ensemble de longs moments à refaire le monde, à parler d’histoire, de littérature, de science… Discrètement, elle suivait mes affaires de cœur, comme une grande sœur ou une confidente. C’était, d’ailleurs, notre seul vrai sujet de désaccord : elle était persuadée qu’Elodie n’attendait plus de moi qu’une belle déclaration d’amour, j’étais certain de n’être encore pour elle que le meilleur copain du monde.



Pourtant, le temps commençait à presser. L’époque bénie de l’insouciance n’avait que trop duré et l’heure des séparations se profilait déjà à l’horizon.

Anne-Sophie d’abord, qui partirait bientôt aux USA pour un post-doctorat. Et il ne fallait pas être grand clerc pour deviner que les américains sauraient facilement la convaincre de rester.

Lourdes ensuite, qui en avait presque fini avec son cours de littérature française et s’était mis en tête de retourner poursuivre je ne sais quelles études d’histoire de l’art à Madrid.

Et enfin Elodie, qui, comme moi, allait devoir trouver un poste pour l’année prochaine… quelque part… en France… ou en Europe… ou plus loin encore…


Même si nous n’en avions jamais parlé ouvertement, Lourdes n’ignorait rien de tout cela. Elle qui connaissait déjà la déchirure de l’éloignement pressentait avec acuité ce qui allait arriver.



Mais nous ne pouvions pas nous comprendre : elle vivait à cent à l’heure et ne savait que foncer ; la crainte de découvrir que, finalement, tous mes espoirs n’étaient qu’illusions me paralysait.



Moi, je ne voyais pas trop ce que Jess venait faire dans cette histoire mais ce n’était pas la peine d’essayer de discuter, il valait mieux suivre.



Jessica ne fut pas étonnée de nous voir. Elle semblait même m’attendre et je compris vite que tout avait déjà été organisé dans mon dos.



Tu sais, danser, c’est un peu comme parler sans ne rien dire. Alors, puisque tu insistais tellement pour participer à mon spectacle de fin d’année, on va changer le programme. Au lieu de t’amuser avec la fine équipe des maris et des copains, tu feras un solo et par la même occasion, tu déclareras ta flamme à ta belle. Et entre nous, ça ne sera vraiment pas un scoop. Il n’y a que bien que toi pour croire au secret, la terre entière s’en est rendue compte.


Au début, je crus qu’elle blaguait, mais pas du tout !




Et voilà comment je m’étais collé dans ce trip complètement cinglé.

Officiellement, j’allais juste aux répétitions pour aider à l’organisation du spectacle et, peut être, faire vaguement de la figuration dans une danse. Bien sûr, personne n’était dupe et sûrement pas Elodie mais c’était silence radio absolu, sujet tabou. Pourtant il me semblait qu’imperceptiblement, quelque chose avait changé. Rien de tangible, juste un souffle, une impression, peut être dans son regard, dans sa manière de me croiser ou dans son sourire.



Ce qui revenait à me dire que je ne pouvais plus reculer sous peine de tout perdre. Une fois pourtant, j’avais failli abandonner tellement j’avais peur d’être ridicule sur scène. Ce jour-là, Lourdes s’était sacrément mise en colère :



Elle était comme ça Lourdes, super cool ou violente quand il le fallait, mais jamais tiède. Elle ne se posait pas de question, sauf pour le « Noutella ». Dans la vie, elle fonçait et tout lui réussissait.


J’avais repris les répétitions. L’angoisse montait, inexorablement, jour après jour. J’avais beau essayer de ne pas y penser, rien n’y faisait.

Discrètement, Lourdes veillait au grain. Sans en avoir l’air, elle s’occupait de tout, gérait l’intendance, vérifiait qu’il ne me manquait rien, occupait les filles pour qu’elles ne mettent pas trop le nez dans mes affaires.


Les derniers temps, elle passait chez moi chaque soir pour s’assurer que je tenais le coup.

La veille du spectacle, nous étions restés ensemble très tard et je l’avais remercié de tout mon cœur pour son soutien. Elle en avait été très émue.



Alors, je l’avais prise dans mes bras en lui disant que quoi qu’il arrive, je ne pourrais jamais l’oublier. Je crois que je suis la seule personne au monde à avoir vu un jour ses yeux s’embrumer.



Le lendemain, c’est elle qui était venue me chercher pour m’emmener au théâtre.




***




Deux heures à attendre dans l’ambiance surchauffée des coulisses, le brouhaha incessant des gamins, les cris des parents.

C’est une incroyable fourmilière qui s’active sans relâche, au milieu d’un désordre et d’une cacophonie inimaginables.

Des mamans hors d’elles recousent en catastrophe des costumes déchirés ou reprennent pour la dixième fois la coiffure de leur chère tête blonde. D’autres, désespérées, courent en tout sens à la recherche de je ne sais quel accessoire ou harcellent Jessica.

Jess, elle est partout, voit tout, surveille tout ! Une vraie pile électrique qui houspille, admoneste, encourage, vérifie ou donne les derniers conseils. Je la regarde faire, impressionné et peinant à reconnaître la copine si cool avec qui j’aimais tant rire.

Je pense à Elodie qui connaît depuis longtemps cette ambiance survoltée, je l‘imagine attendant calmement de rentrer sur scène avant un concert ou une pièce de théâtre. Dire que c’est uniquement pour elle que je suis ici ! Où est-elle donc en cet instant ? Pense-t-elle au moins un peu à moi ?


Et puis, lentement, toute cette petite armée se met en ordre de bataille. Les moniteurs de rappel s’allument dans les coulisses, montrant la salle qui commence à se remplir et la scène encore vide dans la pénombre. La régie s’active, teste les jeux de lumière. Musique d’ambiance. Les cœurs commencent à battre plus fort, même les plus volubiles semblent soudain moins sûres d’elles.

Jessica fait une dernière fois le tour des popotes et donne de la voix. Quelques noms d’oiseaux, puis tout rentre dans l’ordre.



C’est clair, et, vu le ton, personne n’a envie de se frotter à elle. Incroyable Jess, métamorphosée en général avant la bataille.

En s’habillant pour la première danse elle donne les ultimes consignes :



Pour la danse d’ouverture, elle s’est entourée de ses meilleures élèves.

Sur l’écran de contrôle, je les vois se mettre en place. Extinction des lumières dans la salle. Tout le monde retient son souffle.

Quelques secondes encore… le rideau s’ouvre, et c’est parti pour deux heures de magie !



Comme je ne passe qu’à la fin, j’ai obtenu, à titre exceptionnel, l’autorisation de sortir de la salle.



Mais j’étais bien trop angoissé pour profiter de quoi que ce soit. C’est à peine si j’ai vu l’entracte passer.

Ensuite, les choses se sont accélérées. Encore trois danses, puis deux, puis une. Ce n’était pas possible, ça allait être à moi ? J’en avais presque la nausée. J’aurais voulu être au bout du monde.

Et puis, Jessica m’a fait signe.



Dans un état second, j’ai vu le groupe précédent saluer et quitter la scène sous les applaudissements. Ça courrait dans tous les sens, je me suis avancé et j’ai gagné ma place. La lumière s’est éteinte. Mon cœur était sur le point d’exploser. À peine le temps de penser à Elodie et le lourd rideau rouge s’est ouvert pour moi.

Ça a été comme un plongeon dans le noir…



***




Voix off : « Dans l’ancien empire du Katanga, au cœur de la jungle équatoriale africaine, la légende raconte que, pour devenir des hommes, les jeunes mâles des tribus Balubas devaient se mesurer à la redoutable déesse N’SO. Elle les obligeait à se surpasser, exigeant des faibles la force, des peureux le courage, des téméraires la sagesse. Peu d’entre eux sortaient vainqueur de ses sortilèges. KATANGAAAAA….. »


Un son de flûte lointain qui se rapproche, enfle, roule, devient strident puis se calme et reflue. Les couleurs de la jungle émergent lentement du néant sur l’immense écran qui occupe le fond de la scène.

Accompagnant les cris des oiseaux qui s’éveillent, la lumière tamisée de l’aube s’étend sur le sol, abandonnant quelques points de couleur où se reflète le vert des arbres millénaires.

Les premiers rayons du soleil se fraient un chemin, jetant sur le sol une lumière crue qui trahit ma présence. C’est le signal du départ.


Lentement, je déplie mes bras et je me redresse, révélant des peintures de guerre rouges et ocre sur mon torse, mes bras et mes pieds nus. Le visage caché derrière un masque, je m’étire, scrutant la jungle qui m’entoure.

Soudain, quelques notes déchirent le silence. Je me jette en avant… une roulade et je retombe sur le sol pour m’accroupir, aux aguets, comme un fauve.

Pour l’instant tout va bien. Ne pas se déconcentrer. Ne pas regarder la salle. Ne penser qu’à ce qui vient.

La mélodie de la flûte a repris. J’enchaîne les mouvements, mimant les déplacements du chasseur, ses sauts furtifs, ses pas mesurés, son attention de toutes les secondes.

Puis la musique qui s’éloigne et le son des tam-tams qui monte, petit à petit, remplissant progressivement tout l’espace.


Dans un bruit assourdissant, Jessica entre en scène, déesse blafarde habillée tout de blanc. Avec une incroyable souplesse, elle glisse sur le sol, s’arrête, bondit, repart en arrière, feint de m’ignorer tout en traçant de longues arabesques qui me repoussent inexorablement vers le centre.

Sur l’écran, le vert des arbres a laissé place à des flammes jaunes et rouges qui dansent en projetant leurs lumières menaçantes sur le sol. Le rythme des tam-tams s’accélère en un chant guerrier.

Le face à face s’annonce. Accroupis, nous tournons l’un autour de l’autre comme des bêtes avant le combat, esquissant des gestes provocateurs, mimant l’assaut.


Soudain, Jessica se jette sur moi et arrache mon masque, me forçant à l’affronter.

Dos à dos nous luttons. Cette scène, je l’ai travaillée des centaines de fois. Nous sommes deux mais c’est elle qui règle tout. Elle me dirige, corrige la vitesse de mes mouvements, leur amplitude. Je me laisse faire, je me contente de suivre. Danser avec Jess, c’est magique, tout devient possible.

Nos corps s’enlacent, chutent, roulent sur le sol, se relèvent, reprennent la lutte, retombent, se relèvent encore. Je tente de fuir, elle me rattrape, me pousse à terre, se jette sur moi. Des éclairs rouges et jaunes balayent la scène, des cris d’animaux se mêlent aux percussions. Nous ne faisons plus qu’un, emmêlés comme des lianes. Je faiblis, le combat devient inégal. N’SO redouble de violence. Les coups pleuvent, je ne peux plus rien faire. Comme une lionne, elle s’acharne, me laissant inanimé au sol.

Épuisée par l’effort, elle vacille, se reprend, vacille encore, rassemble ses dernières forces.

Les tam-tams se sont tus, l’ombre a envahi la scène et seul un grand disque de lumière blanche éclaire nos deux corps. Dans un ultime effort, elle se précipite sur moi pour accomplir le sortilège.

Le passage le plus difficile, mille fois répété : d’une main faire mine de la saisir à la gorge, et de l’autre la pousser et la faire rouler sur le côté.

Réussi…

Fracassée en plein vol, la déesse maléfique chute lourdement et s’effondre par terre, secouée pendant quelques instants de mouvements convulsifs avant de rendre l’âme dans un grand cri, les bras en croix.

Je me relève en chancelant. Je trébuche, tombe à genou, me redresse. La douce lumière de la forêt inonde de nouveau l’espace et le rythme des tam-tams redevient entraînant.

J’ai vaincu N’SO. Je suis devenu un homme !

Je saisi Jessica et, dans un cri de victoire, le visage tourné vers le ciel, je la soulève à bout de bras au-dessus de ma tête.


Fin du tableau.


Le rideau se tire. Jess saute à terre.

Je n’en reviens pas, j’ai réussi la première danse. Dans la salle, ils applaudissent comme des fous, tapent des pieds. Surtout pour Jess, bien sûr mais aussi un peu pour moi. Pour la première fois de ma vie, on m’applaudit !

Au milieu des cris, je ne peux pas rater Lourdes :



Je reconnais aussi les voix d’Anne-So et d’Elodie : Mickael, Mickael, Mickael…


Tout le monde reprend en cœur puis c’est au tour de Jess : Jessica, Jessica, Jessica…



Yolande ! Un personnage incroyable! Professeur de danse africaine, ivoirienne, amie de Jessica depuis toujours, chargée de m’apprendre une vraie danse tribale.



Yolande m’avait regardé de travers, avec ses gros yeux et son air sévère.



Et c’est ainsi que, devant Jess hilare, j’ai pris mon premier cours de danse africaine en caleçon à fleurs !



Trois fois par semaine, Yolande s’occupait de moi et, rapidement, elle rendit son verdict : ce serait un mélange de rythmes africains et de break-dance. Et en plus de cela, j’étais prié de me remettre à la gymnastique.



C’était une pure folie. Entre les cours de gym, les cours de danse africaine et ceux que Jess me donnait, cours collectifs du groupe avancé et cours particuliers pour ma chorégraphie, je n’avais plus que le dimanche et les nuits de libres. Et une thèse de génétique à finir !


Yolande était intransigeante et me faisait répéter jusqu’à l’épuisement.

Au début, ce fut l’enfer. Chaque leçon commençait par une interminable séance d’assouplissements puis je répétais inlassablement les mêmes mouvements au son d’un tam-tam traditionnel qui eut vite fait de me sortir par les oreilles.



C’était devenu notre blague préférée. Dès que quelque chose n’allait pas, le gros piment pointait son nez.


Scott, un de ses copains, s’était chargé de m’apprendre des rudiments de break-dance.

Ça l’amusait beaucoup, un étudiant sérieux qui voulait jouer les racailles !

J’ai découvert les pass-pass, le freeze et la couronne. Je me suis explosé le coude sur le clash, j’ai souffert le martyr avec la coupole et je n’ai jamais réussi un thomas…


Petit à petit, les choses se structurèrent. Un mois avant le spectacle, tout était finalisé.



Au bout des six mois, je connaissais mes enchaînements par cœur. J’aurais pu les refaire les yeux fermés, avec ou sans musique, en commençant au début, au milieu ou à la fin, mais avec Yolande, ce n’était jamais assez. Même hier, elle avait exigé que je vienne répéter !



***





Je me remis en place, à peine un peu plus rassuré qu’à mon premier passage.


Voix off : « La légende raconte aussi que seul ceux qui avaient vaincu la déesse N’SO pouvaient prétendre prendre épouse. Et que c’est par la danse qu’ils devaient séduire leurs promises. »


Le rideau s’ouvre une nouvelle fois et, divine surprise, j’entends de suite cris et applaudissements. Rien à voir avec le silence de ma première apparition !

Début immédiat en courant autour de la scène et en tapant dans les mains au son du tam-tam, avec des cabrioles « en veux-tu, en voilà ». En moins de deux, tout le monde s’y met et reprend en cœur, saluant comme il se doit chacune de mes pitreries.

Pas le temps de se lasser. Changement d’ambiance avec Johny Clegg, et s’est parti pour une danse zoulou endiablée. Je bénis Yolande et ses entraînements. Tout passe, aucune erreur, je ne sens même pas la fatigue. En bas c’est du délire. J’entends les cris de Lourdes au milieu des applaudissements qui rythment la musique :



Je m’amuse comme un fou. Finalement, c’est génial de pouvoir jouer les rock-stars !

À peine le temps d’en profiter et on passe à la break. Ça crie, ça tape dans les mains ! Je glisse quelques saltos entre les pass-pass. À chaque figure réussie, ce sont des hurlements. Un dernier flip avant le saut de l’ange, comme disait Yoyo. Attention, les lumières devraient maintenant se rallumer dans la salle… ça y est… le temps de bien cadrer la place des trois filles et je m’élance de la scène pour atterrir juste à leurs pieds dans une roulade d’enfer.

Moment de folie, tout le monde est debout. Trop facile.


Et là, brutalement, la musique s’interrompt et les projecteurs s’éteignent, plongeant le théâtre dans l’obscurité.

Pendant quelques instants, c’est l’étonnement, le brouhaha, puis le silence.


Une douce lumière se lève du fond de la scène, éclairant un petit bout de chou haut comme trois pommes habillé en Pierrot de la lune avec, dans les bras, un énorme bouquet de roses rouges, plus gros que lui. Au son des trémolos d’une mélodie italienne, il déambule, fait mine de me chercher, se penche vers les spectateurs avec de grands gestes, regarde partout puis finalement, l’air désespéré, revient au centre et s’immobilise, les bras ballants, ne sachant que faire.


Ce passage, je ne l’ai jamais répété, je le découvre, comme tout le monde. C’est Jess qui l’a mis au point avec un tout petit et, franchement, c’est irrésistible.


Lentement, la lumière réapparaît dans la salle et le petit Pierrot m’aperçoit enfin. Après avoir séché ses larmes, il s’avance d’un pas hésitant, s’approche du bord et, avec un grand sourire, me tend ses fleurs, avant de s’évaporer dans le noir.

L’émotion est palpable. Les projecteurs n’éclairent plus que le gros bouquet, Elodie et moi. Chacun retient son souffle.

Alors, sans un bruit, sous le regard de tous, je lui offre ces roses dans une révérence à faire pâlir d’envie tous les danseurs étoiles du monde !


Voilà, c’en est presque fini ! Six mois de ma vie, six mois délirants pour en arriver là.

Maintenant, je n’ai plus qu’à l’embrasser, lui chuchoter à l’oreille ce que je n’ai jamais osé lui dire et remonter saluer avant que Jessica n’enchaîne pour un dernier solo.


Mais soudain tout bascule. Rien ne se passe comme prévu. Si Elodie prend les fleurs, elle ne me laisse même pas le temps de l’embrasser et se dépêche de se retourner. Je suis pétrifié. Elle ne va quand même pas s’en aller, elle ne peut pas me faire ça aujourd’hui ! Cela n’a duré qu’une seconde mais ça a été le pire moment de ma vie, jusqu’à ce qu’elle me regarde de nouveau… après avoir saisi l’étui à violon caché à ses pieds !

Là, je ne comprends plus rien ou plutôt, je comprends que les filles m’ont caché quelque chose.


En courant, elle m’attrape par la main et m’emmène sur scène, au milieu des cris et des applaudissements. Les lumières n’ont pas le temps de s’éteindre qu’Amandine, l’âme damnée de Jessica, m’attire déjà vers les coulisses.



Elodie, restée seule, s’avance et se met en place. Calmement, elle pose son violon sur l’épaule et regarde vers moi, en souriant.

Et quand, dans un silence absolu, les premières notes commencent à s’élever dans les airs, je comprends instantanément son message, sa réponse à la danse du guerrier:


Are you going to Scarborough Fair? Parsley, sage, rosemary, and thyme.

Remember me to one who lives there, she once was a true love of mine.


Scarborough Fair, la plous belle déclaration d’amour qui soit…


L’extraordinaire semaine que nous avons passés ensemble resurgit brutalement dans ma mémoire.

C’est de l’émotion brute qui me prend au dépourvu et m’assaille de toute part. Impossible de contenir les larmes qui me montent aux yeux. Ça coule de partout, ça déborde, je ne contrôle plus rien… Ah, je dois avoir l’air fin. Elle doit bien rigoler en douce la petite Amandine qui fait semblant de ne rien voir !

Je repense à Anne-Sophie, pleurant elle aussi toutes les larmes de son corps dans le rôle d’Antigone.

Maintenant, c’est à mon tour ! Ce doit être une manie chez Elodie, dès qu’elle est sur une scène, il faut qu’elle fasse chialer quelqu’un !

Il y a bien longtemps, elle m’avait dit: « on ne peut savoir qui on est que lorsqu’on a accepté de sortir ses tripes en public. »

Était-ce une remarque anodine, un conseil, une prophétie qui se réalisait enfin aujourd’hui ?

Peut-être un peu des trois. Et si elle attendait cela depuis longtemps ? Si c’était un passage obligé ? Si Lourdes le savait depuis toujours, elle qui m’avait poussé et soutenu plus que de raisonnable dans cette improbable aventure ?


Peu m’importe, c’est tellement beau quand Elodie joue au violon. Et puis soudain, Jessica qui apparaît et vient danser autour d’elle. Je ne l’avais jamais vu dans un répertoire classique, c’est à vous couper le souffle. Une harmonie parfaite entre la danse et la musique. Avec sa grande robe blanche d’un autre temps, elle semble portée par la mélodie, glissant sur le sol comme par magie.


À cet instant, je saisis enfin tout ce qui m’avait échappé, tout ce que je n’avais pas su voir, moi qui croyais naïvement qu’Elodie ignorait mon projet. Je repensai à Lourdes qui m’avait évité de commettre l’irréparable quand j’étais sur le point d’abandonner. Je pensai à toutes ces femmes sans qui je serais perdu et qui faisaient de moi ce qu’elles voulaient… pour mon plus grand bonheur.


Et lorsque la dernière note se fut définitivement éteinte, lorsque Jessica ne bougea plus, il fallut encore plusieurs secondes au public pour revenir à lui et, debout, applaudir à tout rompre ce qui restera le plus extraordinaire moment de cette soirée.


Amandine dut presque me pousser sur la scène pour aller saluer. Coincé entre Jess et Elodie, tout sourire, et le petit Pierrot qui cherchait obstinément ses parents dans l’assistance, je me sentais totalement perdu. Les yeux rougis par les larmes de l’émotion, je me souvins de ce que m’avait raconté Anne-Sophie et je compris ce que l’on peut vraiment ressentir en ces moments magiques.

Il y eut des rappels, des applaudissements à n’en plus finir… Lourdes et Anne-So hurlaient mais je n’entendais pas, j’étais déjà ailleurs, dans une autre histoire.



Quand le rideau se referma, nous laissant quelques instants d’intimité, ce fut d’une voix tremblante que je m’adressai à Elodie.

Je n’avais plus le cœur à cette belle déclaration dont j’avais ciselé chaque phrase et pesé chaque mot au cours de ces longs mois de travail.

Alors, je lui ai simplement dit que ce que j’avais fait ce soir, c’était pour qu’elle soit fière de moi, que si je m’étais trompé, ce n’était pas grave mais qu’il fallait qu’elle me le dise et que je recommencerai autre chose. Que si elle le voulait, j’irais lui décrocher la lune, que pour lui plaire, rien ne me serait impossible mais qu’il fallait qu’elle sache que je ne pourrais jamais vivre sans elle à mes cotés.



Je ne suis pas sûr d’avoir bien entendu la fin parce que je me suis effondré sur son épaule en pleurant comme une madeleine.

Trop d’émotion pour un seul soir !





Épilogue.


Aéroport International de Madrid Barajas, deux ans plus tard.


Elodie, cramponnée à ma main, ne lâche pas des yeux les écrans.



J’ai beau essayer de la raisonner, lui répéter qu’avant que les passagers sortent, récupèrent leurs bagages et passent à la douane, on a tout notre temps, c’est peine perdue. Elle ne tient pas en place et j’ai presque du mal à la suivre dans les couloirs.



Elodie devine ma pensée et se fait pardonner par un grand sourire et un petit bisou.



Ça, il n’y avait pas de risque !

Cela faisait plus de six mois qu’elle n’était pas revenue. Et bientôt deux ans qu’elle avait quitté la France.

Je ne pourrai jamais oublier le jour fatidique de son départ. Même si nous nous y étions depuis longtemps tous préparés, ce fut une déchirure. Sans parler de Lourdes qui rentra peu de temps après en Espagne.

Je ne sais pas ce que je serais devenu si je n’avais pas eu Elodie ! Depuis que nous vivions ensemble, nous nagions dans le bonheur. Mais Anne-Sophie, Lourdes et Jessica faisaient toujours autant partie de notre univers.


Voilà pourquoi, dès qu’elle en avait le loisir, une petite bande d’inséparables qui se surnommaient eux même « les tapas » n’hésitait pas faire des milliers de kilomètres pour se retrouver.

Il y avait là, une biologiste de l’Université de Boston, une ancienne infirmière défroquée reconvertie dans les conférences sur l’art et l’histoire du moyen-âge, une prof de danse et deux éternels étudiants, chargés de cours à la faculté, qui ne pensaient qu’à roucouler et à profiter de la vie.

Cet été, tout le monde se retrouvait chez Lourdes.


J’avais pourtant l’habitude des retrouvailles exubérantes de ces deux filles, plus proches que des sœurs jumelles. Mais ce fut ce jour là du délire quand Anne-Sophie, déboulant en courant de l’avion, découvrit le secret que nous lui cachions depuis des mois et posa ses mains sur le petit ventre rond d’Elodie.




Are you going to Scarborough Fair? Parsley, sage, rosemary, and thyme.

Remember me to one who lives there, she once was a true love of mine…




FIN