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Temps de lecture estimé : 20 mn
27/01/11
Résumé:  Si Alice meurt d'envie d'être une jeune femme comme les autres, elle n'y arrive pas.
Critères:  fh ff jeunes ascendant copains fête anniversai amour chantage pénétratio confession
Auteur : Shiva__  (Des fantasmes, mais pas que !)      Envoi mini-message

Série : Alice

Chapitre 01 / 02
Une nouvelle vie

Depuis qu’elle est sortie de son sommeil, Alice, pensive, a les yeux rivés sur le plafond blanc de la chambre. Les rayons du soleil percent les jointures des volets en bois. Il doit être 7 h 30, peut-être 8 h. Peu importe. Manou, couchée à sa droite, dort encore. Comme à son habitude, elle devrait dormir jusqu’à 10-11 h. Alice n’ose pas se lever. Elle craint de réveiller Manou. Elle ne souhaite pas errer seule dans cette maison encore silencieuse, qu’elle ne connaît pas.


Alice c’est moi. Je repense à la nuit que nous venons de passer. J’étais arrivée la veille.


Depuis que j’ai changé d’internat, et quitté ma bande de copains, je m’arrange pour revenir tous les week-ends et sortir avec eux.


Il y a du chemin entre ma chambre du lycée et celle que je retrouve chez mon grand-père, après ma semaine de cours. Mais j’ai eu mon permis cet été, l’année de mon bac, et la vieille Talbot Horizon que m’a donnée ma grand-mère, est encore suffisamment en état pour me permettre de faire mes allers-retours répétés entre l’internat, à 140 km de la maison de mon grand-père, et les copains, encore éloignés de 40 km de plus. C’est ainsi tous les week-ends.


Mon grand-père vit dans une vieille maison, l’ancien château de la commune, perdu au milieu de nulle part. La « demeure » aurait sérieusement besoin d’un ravalement, et de travaux conséquents de rajeunissement, à voir les murs se fissurer, la peinture jaunasse sérieusement altérée, le plafond taché et perforé des vieilles traces de fuites d’eau du toit, la poussière sur les meubles et bibelots… Mon grand-père, veuf depuis dix ans, se contente du strict minimum : nettoyer les sols.


C’est tellement déprimant ! Même le nom de la commune semble inventé, comme « Pétaouchnock ». Mais je n’avais pas eu le choix. Devant l’échec scolaire cuisant qui s’annonçait pour moi, mon père avait consenti à me laisser partir en internat. Loin, très loin. La condition de mon père : je partais, parce que je ne m’entendais pas avec ma mère. Alibi officiellement plausible, aux vues de nos relations conflictuelles. Officieusement, nous savions tous les trois que je fuyais le comportement incestueux de mon père.


La perspective d’un week-end en ayant pour seules distractions, les devoirs, la télé et les septuagénaires amis de « Papy » est loin d’être transcendante. Et à 19 ans, je veux me distraire et m’amuser.


Pourtant, mon Papy, il est gentil. C’est une crème. Ma grand-mère lui reprochait tout le temps d’avoir le sang blanc. Je n’ai compris que bien plus tard ce qu’elle voulait dire par là. Et personnellement, je préfère qu’il en soit ainsi. S’il avait été aussi sanguin que l’auraient voulu ses origines portugaises, je n’aurais certainement pas eu les loisirs que je m’octroyais tous les week-ends. Il aurait fait preuve de plus d’autorité, et avec un caractère comme le mien, cela aurait fait plus d’une étincelle ! Mais considérant que je ne suis pas sa fille, il estime n’avoir aucun droit d’interdiction sur mes actes, même s’il les désapprouve.


En général, quand je n’ai pas les copines à la maison, qu’il n’y a pas de copains pour taxi et sortir, je me débrouille pour avoir bouclé la question des devoirs pour 18 h, me douche, me change, prépare un sac d’affaires pour la nuit et cours les 40 km qui me séparent des copains.


Je ne me soucie jamais de l’endroit où je dormirai, si je ne suis pas en état de rentrer chez Papy. Je sais que je peux toujours compter sur les parents de Pierre, Paul ou Jacques, pour m’accueillir la nuit. J’ai gagné les cœurs de tous les parents. Sans aucune prétention, quand leurs enfants sont avec moi, ils ne s’inquiètent pas. Ils m’admirent de vivre à plus de 700 km de mon cocon familial, sans avoir jamais compris pourquoi, réussissant à tout gérer seule, sans compromettre ma réussite scolaire depuis trois ans déjà. Ils déplorent que leurs enfants, en ayant tout à portée de mains, n’aient aucune conscience de leur chance de vivre encore chez eux. À leurs yeux, j’ai la tête sur les épaules et on peut me faire confiance. Je suis « comme une fille aînée » pour eux.


Ce week-end-là, aucune inquiétude sur mon lieu de couchage, Paul fête ses 19 ans. Je dormirai chez lui. Dans la chambre de son frère ou chez « mamy Jeanette », sa grand-mère, qui habite juste à côté. Il n’y a que la cour à traverser.




19 h 30.


Ils ont décidé de dîner au restaurant, puis d’aller faire un bowling, avant de filer en discothèque. Après un apéritif chez les parents de Paul, direction la pizzeria, où ils ont réservé. Nous goûtons l’herbe que Jacques avait prévue pour l’occasion et roulons vers cette soirée qui s’annonce excellente. Nous devions être une dizaine. Pierre, Paul, Jacques et moi, les cousins et cousines de Paul et son petit frère Matthieu.


Il y aura Manou, bien sûr. J’ai hâte de la retrouver. Quand elle est là, elle met de l’ambiance et je me sens moins seule à scruter du regard, les potentielles conquêtes d’un soir. Elle me donne meilleure conscience d’avoir de telles intentions à chacune de mes sorties.




20 h 00.


Nous arrivons au restaurant et y retrouvons nos acolytes, famille de Paul. Les braillades et embrassades n’ont pas manquées de nous distinguer de l’ensemble des clients. La pizzeria est réputée et le samedi soir c’est blindé.


Chacun range son cadeau dans un coin, nous nous installons à notre table et commandons nos apéritifs. Moment de solitude pour la serveuse, qui nous connaît, pour être des clients réguliers. Même si elle a une grande sympathie pour nous, elle sait combien elle peut appréhender la soirée, vu l’état dans lequel elle a accueilli les garçons. C’est donc entre franche rigolade et quiproquos qu’elle réussit à terminer de prendre la commande de chacun d’entre nous, soit trente minutes plus tard.


Pierre, Paul et Jacques, ne s’amusent pas, ils délirent. Ce sont des gamins, complètement dépourvus de bon sens quand ils boivent, et c’est encore pire quand ils fument du shit ou de l’herbe. Je ne participe qu’à moitié à leurs écarts de conduite, surtout spectatrice amusée après deux verres et un joint, même si parfois leurs comportements m’embarrassent. Jamais je ne leur en veux ; je les trouve vraiment attachants, prévenants et adorables, quand ils sont clean. Je les envie pour leur insouciance… Et puis, il faut quelqu’un pour conduire ce soir.


Le dîner se déroule dans l’euphorie qui les gagne par l’alcool qui commence à bien faire son effet. Arrivé au plat principal, c’est une bataille de nourriture qui est lancée à notre table, pas vraiment partagée par le reste de la salle, on peut le comprendre. La serveuse vient les sommer de se calmer, sinon de sortir.



Il avait repéré la serveuse et comptait bien lui demander son numéro, ou l’inviter à nous rejoindre dans le courant de la soirée, comme à son habitude. Il était incorrigible. Pas de goût arrêté sur le physique ou le genre, il voulait s’amuser, il prenait ce qui se présentait. La folle équipe se calme donc et nous nous dépêchons de passer au dessert et à l’ouverture des cadeaux. Un café, l’addition et nous partons.




Il est 22 h.


C’est encore un peu tôt pour aller en boîte et l’idée du bowling n’enchante plus grand monde. La plupart des cousines de Paul nous abandonnent, il reste : Manou, son demi-frère Olivier, et Matthieu.



*****




J’aime beaucoup Manou. Au départ, nos relations n’étaient ni bonnes, ni mauvaises, je ne pouvais simplement pas l’encadrer. Il y a maintenant un an que nous nous connaissons. Manou est une jeune femme de 21 ans à l’allure fragile. Elle mesure 1,50 m, s’habille en 14 ans, n’est pas forcément jolie, mais elle a du chien, une belle poitrine et un petit cul bien rebondi.


La première fois que nous nous sommes « vues », nous nous sommes « ignorées ».


C’était aux 18 ans de Paul. Difficile de m’en souvenir, sinon très vaguement, et pour cause : ce soir-là, Manou était un zombie squelettique, isolée dans un coin, en proie aux alcools et drogues, quelques uns de ses démons à l’époque.


Nous nous étions ensuite revues à l’occasion des 18 ans de Pierre, quelques mois plus tard. Je m’en souviens beaucoup mieux, puisque ce soir-là, Manou avait jeté son dévolu sur Pierre. Elle le voulait pour elle, ça se sentait à sa façon de l’accaparer, de monopoliser son attention, de se dandiner en exhibant sa généreuse poitrine. Une vraie chatte en chaleur ; c’était si vulgaire ! J’en étais verte de rage. Ce soir-là, j’avais cerné le tempérament bien trempé de Manou, sous son apparence de fille fragile, elle semblait plutôt être une fille facile. Tout ce dont Pierre avait besoin.



Pierre : grand dadais à l’allure sportive. Je tombe sous le charme dès les premiers jours de classe en seconde. Je suis l’élève sérieuse et pertinente des premiers rangs. Lui, c’est le profil du clown. Au fond de la salle, il se distinguait rarement par des interventions intelligentes, et pourtant, il était loin d’être idiot. Lui, je l’intéresse. Très vite nous nous lions d’une complicité, d’une complémentarité qui n’échappe à personne. Nous passons de longs moments, quasiment tous les jours, tous les soirs, à discuter, rigoler. Je deviens « sa p’tite Alice », avant que naissent des sentiments partagés entre amour et amitié. Nous flirtons, en toute discrétion, trop timides et pudiques pour supporter les railleries ; ça avait quelque chose de magique.


Ça me rassurait d’entretenir une relation pleine de pudeur. Un ami sur lequel je pouvais compter. Il était bienveillant et protecteur. C’était tellement précieux pour moi. Je n’aurais jamais imaginé que l’on puisse m’aimer simplement pour ce que je suis, sans me voir comme un objet sexuel. Parce que finalement, avant lui, tout ce que je retenais des garçons et des hommes, c’est qu’ils ne pensaient qu’à une chose : le sexe.


Ça ne me dérangeait pas, tant que j’y trouvais mon compte. En fait, à l’époque où je flirte avec Pierre, il n’y avait eu que Patrick. Avec lui, j’assouvissais mes fringales débordantes de sexe, sans complexe. Mes parents m’avaient dégoûtée de l’amour et mon père des rapports sexuels. Mais les envies étaient là quand même. Leur farce grotesque m’avait convaincue que sexe et amour n’étaient pas compatibles. Avec Patrick je tentais, à ma façon, de dépasser mon histoire personnelle : accepter mon intimité et oublier ce que j’avais subi. Difficile de comprendre ma vision des choses, moi-même j’étais perdue dans tout ça. Patrick était une sorte de remède, un accessoire, et il ne s’en plaignait pas.


Sans le savoir, Pierre a été ma bouée, pendant nos années lycée. Je l’avais fait mien, malgré lui. Il avait été le refuge de la bête apeurée que j’étais devenue, en proie à un prédateur pendant des années. Je ne voulais rien d’autre avec lui que tendresses et plaisirs tactiles. Pas de touche pipi, pas de pelotage ; juste être avec lui. C’était spirituel et je n’étais pas prête à salir et gâcher notre merveilleuse relation en y intégrant la question de rapports plus charnels. Il me réconciliait avec moi-même.


Si j’ai toujours su où j’en étais de mes sentiments pour Pierre, lui, était perdu. Je constatais que systématiquement, dès que nous nous rapprochions, nous nous heurtions et prenions aussitôt de la distance, à la limite du détestable. Finalement, nos relations depuis trois ans, avaient alterné entre déclarations d’amour et de guerre. J’étais affectée et épuisée par ces jeux de yo-yo. J’avais fini par me rendre à l’évidence : malgré tous les sentiments qui bouillaient au fond de mon cœur pour Pierre, je me résignais à constater qu’il était faible et immature ; incapable d’assumer ses sentiments. Parfois, il me suppliait. Il était si minable, si pitoyable dans ces moments là, qu’il m’inspirait du mépris, au point qu’il m’est arrivé de le gifler, les yeux trempés, jusqu’à ce qu’il tarisse de ses :



Pour autant, je n’acceptais pas de voir Pierre flirter avec une autre. Et le soir de ses 18 ans, Manou face à lui, il se saoulait de ses paroles. Bien entendu, l’affaire fut conclue avant la fin de la nuit. Elle avait l’entreprise que lui n’avait pas (et moi non plus d’ailleurs), c’est ce qui l’excitait sûrement d’avoir une fille qui ose, sans complexe de gêner ou pas. Ce fut un beau cadeau d’anniversaire.



*****




Je déteste les faibles. Ils m’inspirent du mépris, une perte de temps. Pierre m’a trahie, parce que finalement il se prêtait aux mêmes bassesses que tous les autres « Y ». Comme mon père m’a déçue parce qu’il a été un lâche. Depuis l’enfance, je ne pouvais guère compter sur ma mère pour s’occuper de moi. Toujours perdue dans ses dépressions et incapable de faire preuve d’autorité ou d’éducation. Mon père était ma référence de caractère et de réussite, même si dans ses excès de colère, il devenait physiquement violent avec ma mère. Ça me tétanisait.


Mon père, avait le profil de l’homme idéal, comme pour toutes les petites filles qui imaginent qu’elles se marieront un jour avec leur papa. Et c’est vrai qu’il était beau, intelligent, généreux, fort, autoritaire. Moi je voulais être sa « Laura », comme dans « La Petite Maison dans la Prairie ». J’étais l’aînée, il avait compté sur un garçon à ma naissance. Petite, je ne pouvais pas mettre des mots dessus, mais mon père était misogyne. C’est sans doute pour cela que j’étais devenu un garçon manqué. Pas de poupées, pas de Barbie, la marchande, la dînette… tout ça, ce n’était pas mon truc. Je voulais m’élever au-dessus de ces femmes que mon père dénigrait. Chaque jour, par sa niaiserie, ma mère lui donnait raison.


Ma mère avait rencontré mon père quand elle avait 15 ans. Il travaillait sur la ferme où mon grand-père était chauffeur. Elle séchait les cours et faisait le mur pour retrouver mon père qui s’était amouraché d’elle. Jusqu’au jour où, à 17 ans, elle lui annonça qu’elle était enceinte. Mon père faisait son service militaire. J’ai eu l’occasion des années plus tard de lire sa réponse, sur une carte postale, traduction manifeste de ce qui n’aurait jamais dû se passer pendant 15 ans, et dont j’avais été le prétexte. Mon père n’en revenait pas de cette nouvelle. Comment cela avait-il pu arriver ? Ils n’avaient rien. Comment allaient-ils faire ? L’avortement était peut-être une solution ?


Mais mon grand-père, avec tous les principes de la tradition catholique et pour l’honneur de sa fille, avait entretenu mon père en lui confiant d’un ton solennel et entendu :



Mes parents s’étaient donc mariés en mai. J’y étais, photos à l’appui, de ma mère avec une montgolfière en guise de bidon, pour cette femme fluette d’1,50 m. Je naissais un mois et demi plus tard, à l’aube de sa majorité.


Je ne comprendrai jamais son état taciturne constant. Faisant « semblant de », paraissant plutôt que d’être elle-même. Je n’ai pas l’impression d’avoir réellement existé un jour pour elle. Avec le recul, je pense qu’elle s’est contentée d’être ma génitrice, et que c’était déjà presque trop pour elle. Je ne retiens que des conflits de nos relations mère-fille. Parce que, avec le temps, aussi bizarre que cela puisse paraître, j’ai eu l’impression que la petite fille que j’étais devenait la maman. D’ailleurs, pour la famille, j’étais une « p’tite mère ».



*****




Tout ce laïus pour dire que je n’aurais pas imaginé un jour sympathiser avec Manou, après qu’elle ait touché à un de mes trésors. L’histoire entre Manou et Pierre fut de courte durée. Elle s’est lassée de lui… Cet intermède avec Pierre lui avait permis de se rapprocher de son cousin Paul, meilleur ami de Pierre. Aussi, depuis quelques mois, elle était systématiquement de la partie dans nos soirées des samedis.


Ça avait l’avantage de me faire une compagnie féminine. Et c’est comme ça que, petit à petit, j’ai découvert Manou. Sa personnalité généreuse et spontanée, aussi rebelle qu’attachante. Cette fille qui avait souffert de l’abandon de son père, qui s’était laissée embarquer dans des histoires saugrenues mêlant sexe, alcool, drogues et désintoxication et qui ne trouvait pas sa place ni sa voie. Une alliée dans ce que j’éprouvais depuis toujours.


Finalement, j’avais conclu que nous pourrions nous comprendre et nous apprécier vraiment. Manou avait ce tempérament, cette force de caractère qui lui permettait de tout oser. Elle avait cette assurance que je n’avais pas. Pourtant il émanait d’elle un énorme sentiment de solitude et de mélancolie. Nous avions cela en commun : une souffrance inexprimable, qui nous poussait à façonner un masque pour nous fondre dans le décor et donner l’illusion que nous étions « comme tout le monde », et peut-être mieux encore.


En fait, elle me fascinait réellement et la moindre de ses attentions à mon égard, quand elle me serrait dans ses bras, dans mes moments de blues par exemple, me mettait en émoi. Elle était très féminine, alors que moi, je me cachais derrière des vêtements qui dissimulaient tout ce que je pouvais avoir d’attirant. J’aimais plaire sans oser me montrer. C’était une vraie prouesse de désirer ce qui se cachait dessous.



*****




22h donc.



Paulo à un humour bien à lui, bien lourd, qu’il est le seul à comprendre. Il en rit tout seul et nous, nous l’accompagnons de le voir heureux de ses blagues vaseuses. L’alcool et la soirée bien avancée aidant, elles ont l’avantage de maintenir une atmosphère joviale, quand on ne sait pas quoi faire, comme c’était le cas à ce moment précis.



Direction le pub donc. En guise d’1 h-1 h 30, nous avons fait la fermeture. Les bières ont tourné, Manou et moi dansions sur les tables, sur les banquettes, flirtant et entraînant une bande d’inconnus, ravis de se mêler à nos jeux de séduction. Nous étions comme ça : séduire nous amusait. De vraies petites allumeuses, je dois l’avouer. Nous jubilions de voir les garçons singer et presque ramper : pauvres mecs ! Avec de ridicules parades nuptiales mal interprétées sous l’effet de l’alcool. Nous, les filles, nous avions bu, mais étions restées raisonnables, feignant d’enchaîner les verres, qui en réalité étaient bus par nos compères.


Manou et moi, sommes pourtant toutes guillerettes, on se frotte, on se tripote, on rigole et on s’allume aussi du regard. C’est d’autant plus jubilatoire que les garçons n’en reviennent pas ; ça les excite et ça nous amuse beaucoup.




1 h du mat’


Nous, les filles, choisissons de rentrer. Manou me demande de la ramener et souhaite que je dorme chez elle. Ce n’était pas prévu, mais, pas grave. J’avoue préférer la raccompagner. Je me sens bien avec elle. Et puis je serais la seule fille, si elle s’en va. D’habitude, ça ne me dérange pas. Mais après avoir passé une soirée ensemble, je n’avais pas envie qu’on se sépare. Matthieu peut prendre le volant. C’est lui qui reconduira les garçons.


Je la ramène avec Olivier. Il est resté sobre. Il est mineur, sage, ne boit pas et déplore nos comportements « d’alcooliques ». Nous arrivons chez eux et allons nous coucher. Manou me prête un T-shirt pour dormir, mes affaires étant restées chez Paul. Je me couche avec elle, dans son lit.


L’euphorie qui nous a gagnés durant toute la soirée, nous a rendues coquines. Nous nous couchons. Manou m’adresse un bonsoir avec un smack… sur la bouche ! À cet instant précis, je suis complètement déstabilisée, troublée. Jusqu’à présent je me complaisais à jouer, sans imaginer que le jeu me mènerait à ça. Un millier de choses se bousculent dans ma tête, sans que je sois capable de les retenir. C’est ridicule, à ce moment-là, de jouer les prudes. Je sais qu’elle y voit clair et je transpirais le désir d’elle.


Cette attention ne me déplaît donc pas. Je dois même dire que j’ai aimé son geste, et qu’il a un goût de « trop peu ». J’ai toujours préféré les garçons (surtout leur pénis), mais depuis Manou, je suis très intriguée par le fait de vivre un jour une expérience avec une fille. C’est la seule qui a suscité ma curiosité jusqu’à aujourd’hui. Je ne me voyais partager cette expérience avec aucune autre qu’elle.


Elle était restée face à moi, une banane pour seule expression, ses yeux ne décrochant pas des miens, satisfaite, attendant ma réaction visiblement imperceptible sur mon visage et dans mon regard. Quelques secondes passent, et je lui rends son baiser avec candeur, aussi furtif qu’a été le sien.


Nous nous enlaçons, par des gestes plutôt mécaniques et moins assurés que nos provocations de la soirée. Je ne crois pas que ce soit la première fois pour elle, contrairement à moi. Une vague à la fois de chaleur et de bien-être m’envahit. Je me sens vraiment légère, extrêmement sensible à ses caresses. Elle prend les initiatives auxquelles je n’ose même pas penser. Je me laisse guider, avec toute la quiétude et la confiance d’une élève avec son professeur, en la mimant.


Nos lèvres charnues s’épousent avant de laisser nos langues s’emmêler. Elle a le goût subtil du dernier cocktail au Soho qu’elle a bu ce soir. Chacune à notre tour, nous ôtons nos T-shirt, avant de nous serrer de nouveau. Nos mains s’explorent mutuellement. Quand je la sens pincer mes tétons qui bandent, je palpe à mon tour sa poitrine.


Ses seins sont une énigme pour moi. Ils sont bien ronds et lourds ; je les trouve beaux et j’ai souvent rêvé de les toucher. Sauf que là, je suis paralysée par la stupeur. J’ai osé poser ma main sur elle, après quelques secondes. Je suis d’une horrible maladresse. Mon index dessine ses aréoles, machinalement, presse ses tétons, avant que je les gobe du bout des lèvres et les aspire, laissant courir ma langue par moment. Je n’éprouve aucune émotion particulière. Ce serait tellement plus facile si je la caressais dans l’idée de lui procurer du plaisir… Je finis par me détendre et bascule sur le lit. Si je ne ressens rien par mes entreprises, les siennes ne me laissent pas insensible. Mon corps frémit.


Progressivement, elle s’approche de mon sexe à la fois transi mais excité. Il se contracte, puis se détend laissant couler sur mes lèvres ce liquide visqueux, encore mystérieux pour moi. Elle est délicate. Elle presse mon clitoris que je sens raide, sous sa langue et ses doigts, alors que ma vulve est charnue, humide et poisseuse. Elle pénètre un doigt. Je me cambre, saisie d’une soudaine douleur qui m’a déchirée la chair à l’intérieur. Se sont ses ongles. Ils contribuent à me donner une sensation surprenante et désagréable, contrairement à son doigt que je sens coulisser sur les parois de mon antre, très subtile, mais efficace pour mon plaisir qui commence à monter, se mêlant à mes soupirs ; mes sons se fondant dans mon souffle.


Très vite, à force d’agiter ses doigts sur mon clitoris à cadences variées, tandis que d’autres explorent mon sexe, je suffoque. C’est submergeant, je ne me contrôle plus et me fige complètement d’extase, avant de retomber sur les draps, complètement détendue, comme vidée. Quelques légers spasmes se manifestent encore. Elle me caresse tendrement, m’embrasse l’épaule.


Je suis recroquevillée, en position fœtale, un sentiment de honte s’empare de moi, me plongeant dans un mutisme total. C’était bon, mais ce qui vient de se passer brise tout le charme de notre amitié naissante. Adieu l’innocence. Je regrette et je n’aime pas ça. C’est tellement plus naturel avec Patrick ; plus bestial. Elle brise le silence pesant :



Rien de plus, rien de moins. Un câlin chaleureux avant de nous plonger chacune dans notre sommeil ; jusqu’à ce matin. La nuit a été courte pour moi. Je suis allongée, les bras croisés ramenés sous ma nuque, les yeux collés au plafond. Pensive.



*****




Pourquoi les choses ne peuvent-elles pas être autrement ? J’ai imprimé dans la mémoire de mon corps la façon dont il doit réagir, et je ne tire jamais aucun réel plaisir de mes expériences. Pourtant il me semble que j’aime et que j’ai toujours aimé l’acte sexuel. Surtout depuis ce jour où j’ai visionné « Emmanuelle ». Je l’avais chipé dans la vidéothèque « secrète » de mes parents (ou plus exactement de mon père, puisque ma mère se montrait trop « pieuse » pour apprécier le genre). Ce film a révélé combien je trouvais ça beau de faire l’amour. Pour moi, ça s’est inscrit comme un art. Et c’est avec elle que j’ai découvert mon corps et sa sensibilité.


Ma réalité à moi n’avait jamais été très artistique. Dix ans plus tôt, sous le prétexte d’un amour inconditionnel pour moi, mon père m’a étreinte d’une manière beaucoup plus insistante que de coutume. Prise d’un sentiment de culpabilité de m’être sans doute glissée une fois de trop dans la couche de mes parents, ma mère hors de la chambre, j’ai fait un blocage. Aucun geste pour le repousser, aucun son ne sortait de ma bouche, je ne savais pas comment réagir. La tentative de mon père, cette première fois ne fut que de courte durée, ma mère revenant dans la chambre. Il se dégagea et me passa la main dans les cheveux, qui signifiait : tu es une bonne petite…


La nausée ne s’est pas fait attendre, ma sortie du lit non plus. J’étais hagarde, je ne savais pas quoi faire, sinon d’oublier cet épisode, et filer au toilettes pour viser ce qui se passait dans ma culotte. J’ai cru que ce moment avait suffi à déclencher mes premières règles. J’étais indisposée oui, mais pas par le sang qui coulait. J’étais encore loin de me douter que cela se reproduirait rapidement et souvent. Mon père s’était mis en tête que cela m’avait plu. Nous avions jusqu’alors été complices, j’adorais mon père comme une fille (À quel prix ?), j’étais sa petite fille bien-aimée. Je n’imaginais pas à quel point et c’est à cause de cela que je pensais mériter ce qui m’arrivait. Ça ne pouvait être que ma faute. Je l’avais poussé à penser ce dont il s’était persuadé : son amour était réciproque.


Dès lors, j’avais adopté une attitude toute simple, efficace selon moi, qui me permettait de supporter son harcèlement, sa perversité, ses obscénités. Quand je n’arrivais pas à « lui échapper », je faisais la morte. Plus exactement, pendant des années, mon esprit a fui et a quitté mon corps. Je me sentais comme en lévitation, spectatrice d’en-haut de ce qui se passait en bas. J’abandonnais mon corps devenu une marionnette.


Ma mère se doutait, mais elle avait choisi de couvrir son mari et de fermer les yeux ; pour avoir la paix, troquée contre une mauvaise conscience qui la rongerait à vie, comme on vendrait son âme au diable.



*****




Quand mon père a accepté de me laisser partir, j’ai sagement écouté ses conseils. J’ai essayé d’oublier, en tout cas, c’est ce que je croyais. J’ai développé un instinct de survie incroyable, à l’inverse de mes envies de suicide récurrentes avant ça. Heureusement, l’internat, les amis, les professeurs… cette retraite m’a redonné goût à la vie. J’étais toujours sur la défensive, prête à mordre.


J’ai choisi d’exorciser le « mâle » de mon père, gravé au plus profond de mon être, en cherchant à avoir des relations uniquement sexuelles et ponctuelles. Je ne veux pas tomber amoureuse, je ne veux pas me marier. Les hommes sont des faibles. Je n’aime pas les faibles. S’ils s’intéressent à moi ? Ils doivent être capables de me donner du sexe et du bon sexe, sinon, ils sont inutiles.


Ils ne doivent pas être mielleux d’un amour écœurant. Si j’entrevois une once de sentiment, c’est la fuite. Ils deviennent des amis. De chers amis. Je ne veux pas les faire souffrir d’une vengeance qui m’anime. Je ne veux pas de compassion, je ne suis plus victime. Je jouis de mon indépendance. C’est mon bien le plus précieux.


C’est avec cette vision des rapports X-Y, que j’ai rencontré Patrick. Il était idiot et vulgaire, rien de vrai et profond dans l’esprit, mais il était bandant ! Encore adolescents, curieux de découvrir nos corps, nous avons appris à nous apprécier pour le seul point commun que nous avions : la gourmandise du sexe.


Depuis cinq ans, nous sommes toujours aussi goulus et nous abandonnons à nos instincts les plus primitifs, pour satisfaire nos pulsions, à chaque fois que nous nous retrouvons. Il a été le spectateur des convulsions de mon corps, quand il était gavé et repu de sexe. Je n’avais aucun complexe avec lui, puisque rien à perdre. J’ai cru au début que je l’aimais. Mais très vite j’ai compris qu’il y avait une différence entre l’attirance pour un homme (le magnétisme animal), et l’amour le vrai.


À 19 ans aujourd’hui, mon « idylle » avec Patrick s’est essoufflée. Il a trouvé une amie que je lui ai présentée. Il est manifestement amoureux. Je n’ai jamais su comment il avait vécu nos ébats. Ce dont je suis sûre, c’est qu’il n’en parle jamais. J’ai appris que ce que nous avons vécu ne devait pas être évoqué, il devenait distant et amer.


Tandis que moi, je suis dans ce lit, allongée et célibataire. Personne d’autre que lui n’a encore réussi à combler mon appétit sexuel. Quant à mes sentiments amoureux, il n’y a eu que Pierre. Je ne serai jamais plus amoureuse, je ne me marierai jamais. Voilà ce que sera ma vie.



*****




Trois heures ont dû passer, perdue dans mes pensées. Manou s’extirpe de son sommeil. Elle n’est pas belle au réveil et pas bonne non plus (son sale caractère qui revient au galop). Nous n’échangeons aucune parole sur ce qui s’est passé cette nuit. Elle se plaint d’un vilain mal de tête. Elle a la barre au front. J’avoue que moi aussi. Nous enfilons rapidement nos jeans avant d’aller nous faire couler un café. C’est une nouvelle journée qui commence. Pour le déjeuner, nous sommes attendues chez Paul.