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n° 14593Fiche technique23123 caractères23123
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Temps de lecture estimé : 17 mn
27/09/11
Résumé:  Un fauteuil va transformer la vie de Thomas...
Critères:  #policier #fantastique fh bizarre
Auteur : Rain      Envoi mini-message

Série : Le Fauteuil

Chapitre 01 / 04
Le Fauteuil : L'objet

Il se réveille en hurlant chaque nuit. Son corps ruisselle de sueur dont l’odeur âcre emplit la chambre. Son cœur cogne dans sa poitrine. Sa respiration devient difficile. Douloureuse presque. Il semble manquer d’air dans la pièce. Il suffoque. Les premières fois, il croyait même être devenu asthmatique.


Il n’en peut plus ! Chaque nuit, il est réveillé une dizaine de fois par d’horribles cauchemars qui le gardent éveillé un bon moment avant que le sommeil ne le terrasse et qu’un autre rêve tout aussi affreux le réveille encore et encore.


Du coup, la fatigue est épuisante. Elle l’accompagne toute la journée comme une malédiction.


D’ailleurs il est aujourd’hui convaincu que le mal qui l’afflige ne peut être qu’une malédiction.



oo00oo




Thomas est un jeune cadre de trente-huit ans que les employés de la boîte de transport apprécient, même si certains l’affublent parfois de quolibets désagréables en sirotant une boisson chaude à côté de la machine à café.


Un jour, Thomas change. Il n’est plus le même. Il est désagréable, se permet de faire valoir à des employés, avec lesquels il avait des relations cordiales auparavant, qu’il est leur supérieur hiérarchique.


Au début, ils ont mis ça sur le compte d’une dépression. « Vous avez vu les cernes sous ses yeux ? » répète quotidiennement Sophie, la secrétaire à l’accueil, avant de parler des tremblements qui agitent ses mains.


« Il doit prendre des médocs… » est l’autre phrase que prononce Véronique, la DRH ! La plupart des autres salariés pensent comme Sophie et Véronique ! Thomas est leur sujet principal de conversation.


Mais d’autres, plus conciliants, le plaignent : « Ce n’est pas facile d’être cadre. », « Il doit faire une dépression. », « La pression de ses supérieurs hiérarchiques… »


Puis arrive le jour qui fait que tout le monde oublie Thomas et ses sautes d’humeur, sauf Bernard, le comptable.



oo00oo




Les conversations des employés tournent maintenant autour de la petite Julia, la stagiaire embauchée pour l’été (« encore du piston » répètent inlassablement certains des employés) qui, un jour, ne se présente pas au travail.


Les employés n’ont pu s’empêcher de critiquer le manque de sérieux dont font preuve les jeunes, surtout quand ils ont appris qu’elle n’avait même pas pris la peine de téléphoner pour s’excuser de son absence.


Trois jours plus tard, M. Fauchard (le grand patron) annonce que Julia n’est pas rentrée chez ses parents et que la police a été informée de sa disparition.


Il ajoute que les forces de l’ordre risquent de venir interroger le personnel auquel il demande de se montrer coopératif.



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La disparition de Julia affecte tous les employés. Personne ne comprend pourquoi elle a pu fuguer, dans le meilleur des cas.


Tous envisagent le pire.


Elle a parlé à certains des employés de sa famille avec laquelle elle semble avoir de bons rapports. Elle a l’air d’être une fille bien, comme on dit. Polie, toujours un large sourire accrochée aux lèvres quand elle vous adresse la parole. À l’écoute. Serviable.


Les personnes interrogées par la police n’ont pas tari d’éloge à son égard.



oo00oo




Un soir, alors qu’il finit de préparer les fiches de paie, Bernard voit entrer Julia dans le bureau de Thomas. Ils passent une vingtaine de minutes à discuter et quittent ensemble la boîte.


Bernard ne peut pas s’empêcher de regarder par la fenêtre de son bureau qui donne sur le parking des employés.


Julia monte dans la BMW flambant neuve de Thomas.


Pourtant, Julia vient tous les matins en scooter.


Il regarde alors à l’endroit où elle gare généralement son deux roues et le voit. Sur le coup, cela le fait sourire. Il faut bien que les jeunes s’amusent et Julia est une jolie brune aux yeux bleu marine qui ne laissent personne indifférent.


S’il était plus jeune il aurait aimé, lui aussi, s’amuser avec Julia. Mais il pourrait être son père, presque son grand-père, vu les quarante années qui les séparent.


Et il est aussi marié…


Il pèse le pour et le contre. Il n’est pas du genre à porter des accusations contre un collègue, lui qui est délégué du personnel depuis près de trente ans et qui brandit des pancartes à chaque appel de son syndicat.


Mais là, la coïncidence est trop troublante.


Puis, arrive ce jour pluvieux dont il se souviendra toute sa vie, du moins jusqu’à ce que la maladie d’Alzheimer efface progressivement ses souvenirs quand il aura soixante et onze ans.


Toute cette journée, la pluie fouette les grandes vitres des bureaux. Bernard se retrouve dans le parking avec Thomas, qui lui propose de le conduire jusqu’à sa voiture en l’abritant de la pluie avec son grand pébroc noir.


L’occasion est trop bonne pour ne pas aborder le sujet ! Il n’y a personne et, même si des dizaines de gens se trouvaient à quelques mètres d’eux, la pluie battante aurait étouffé leur conversation.


Jusqu’à sa voiture, il hésite à lui poser la question quand elle sort de sa bouche comme un bonjour ou un merci :



Un ange passe. Bernard interprète immédiatement ce silence comme de la culpabilité. Thomas feint d’abord d’avoir mal compris ce que Bernard vient de dire (Bernard en est convaincu comme deux et deux font quatre) :



Depuis quand n’a-t-il pas dormi ? Il prend de la coke peut-être. Il a entendu dire que beaucoup de jeunes cadres carburent à la poudreuse. Ses yeux noirs luisent.


Un regard de psychopathe qui lui fout les jetons.


Ne voulant rien laisser transparaître, il se rassérène et demande :



Bernard l’écoute attentivement, analysant chacun de ses mots, décortiquant la structure de ses phrases, examinant le rythme afin de relever des hésitations.



Bernard analyse cette interruption brutale et est convaincu que, bien au contraire, il est inquiet. Il ne veut pas mettre Thomas plus mal à l’aise. Ou bien est-ce Thomas qui le met mal à l’aise, lui ?


Il décide de mettre rapidement fin à la conversation :




oo00oo




Thomas entre dans sa voiture. Bernard l’a mis en colère avec toutes ses questions. On dirait qu’il le soupçonne. Qu’il l’accuse même ! Et de quoi l’accuse-t-il d’ailleurs ? D’avoir découpé la petite et de dissimuler les restes dans son congélateur ?


N’importe quoi !


Bon d’accord il n’a pas dit toute la vérité. Et alors ? Il ne lui a pas fait mal ! Ou bien il n’a pas eu le temps ? Il ne sait plus ! Tout s’embrouille dans son cerveau.


La fatigue !


Cette putain de fatigue qui le harasse en permanence. Et ces cauchemars ! Effrayants ! Ce n’est pas lui le personnage principal de ses affreux songes. Chaque fois il est dans la peau d’une femme. Il ressent ses émotions, ses peurs, ses doutes et parfois il perçoit même des odeurs.


C’est cela qui le trouble ! Ces odeurs ! Il ne se rappelle pas avoir déjà remarqué des odeurs quand il rêvait normalement, avant, il y a une éternité il lui semble. Dans ses rêves qui l’épuisent les odeurs sont entêtantes, souvent écœurantes.


Et pourquoi est-il toujours une femme dans ses songes ? Cela aussi est nouveau. Quand il rêvait avant, il était toujours le personnage principal.


Il se souvient soudain d’un cauchemar dans lequel il fait une fellation à un homme au sexe sale. À son réveil il avait encore le goût de cette immonde bite dans la bouche.


Ces souvenirs lui donnent la nausée et il décide de mettre le Live At Donington d’AC/DC dans l’autoradio. Cela lui rappelle des bons souvenirs de jeunesse et il oublie toute cette histoire.


Brian Johnson braille Dirty deeds done dirt cheap lorsqu’il actionne le portail électrique de son garage. La pluie martèle toujours le toit de la BM qui avance dans la lumière crue du garage.


Arrivé dans son vaste salon, il se cale dans le fauteuil luxueux qu’il a acheté sur eBay pour plus de quinze mille euros ! Un fauteuil du XIXe siècle ayant appartenu à un illustre personnage, bien qu’aucun nom ne soit mentionné.


Bien qu’il n’y ait eu aucun certificat d’authenticité, de nombreux enchérisseurs du monde entier se sont battus à coups de clic gauche lors des cinq dernières minutes de l’enchère.



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Il est pris d’une frénésie et clique et tape des sommes de plus en plus colossales, en pressant la touche Entrée avec l’index, les yeux rivés sur l’écran de son Mac. Il ne sait qu’une chose. Il le veut comme il lui arrive de désirer de charmantes inconnues dans la rue ou dans les bars.


C’est pareil ! Il ne peut l’expliquer mais il lui faut cet objet. Il faut qu’il le touche, qu’il respire sa boiserie. Que son dos se colle au dossier, s’y frotte.


Quand eBay le congratule d’avoir remporté l’objet, il est tout content, tout fou, comme un gamin à qui on offre le dernier jeu PS3 pour son anniversaire alors que cela n’est pas prévu. Il est tellement heureux qu’il s’ouvre une bouteille de champagne et la boit jusqu’à la dernière goutte, sans prendre la peine de la laisser un instant au frigo pour le boire frais.


Ce soir-là, lorsqu’il se couche, il s’endort vite. Probablement à cause du champagne. Mais pendant la nuit son sommeil devient agité et il fait un cauchemar.


UPS se gare devant sa porte dans leur van marron foncé. Un type sort le fauteuil auquel il manque deux pieds sur quatre !


De derrière sa baie vitrée, il est furieux !


C’est quoi ce bordel ? Il n’est pas cassé sur la photo d’eBay ! Puis sa colère se mue en courroux divin. Celui de l’Ancien Testament. Le Talion et tout le tralala.


Plus le type approche et plus il devient fou de rage. Le tissu du fauteuil n’est pas rouge, mais bleu. Un bleu moche. Un bleu fade qui ne ressemble à rien ! Il part dans la cuisine et se met derrière la porte d’entrée, un couteau pour découper de la viande dans les mains.


Ding Dong. Il ouvre la porte. L’homme lui tend le bon de livraison avec un stylo pour qu’il signe. Il lui sourit d’abord, répond à son bonjour et, d’un coup, sa main droite, toujours derrière son dos, serrant le manche du couteau jusqu’à ce que les jointures de ses doigts blanchissent, surgit et taille profondément le livreur à la joue.


Il ne dit rien les vingt premières secondes, se contente d’examiner sa blessure du bout des doigts, stupéfait par ce qui lui arrive.


Trop tard ! Il ne pourra plus jamais rien dire ! La lame brillante du couteau s’enfonce dans son ventre. Plusieurs fois. Et le cauchemar s’arrête.


Jusqu’à la livraison du fauteuil, il ne fait plus de cauchemars. Au contraire, il fait des rêves érotiques ! Il n’en avait plus fait depuis son adolescence. Du moins, pas aussi intenses.


Il vit des idylles paradisiaques avec des nymphes toutes plus belles les unes que les autres. Et surtout toutes plus salopes les unes que les autres. Il peut tout faire. Tout leur faire.


Le jour où le fauteuil arrive (il est content de constater que ce n’est pas UPS qui le lui livre), il est dans une espèce de transe mystique. Jamais il n’a ressenti autant de bonheur rayonner dans tout son corps.


Il se dit que l’illumination divine doit s’apparenter aux sentiments nouveaux qu’il éprouve. Il a une pêche d’enfer et se sent d’attaque à soulever les montagnes.


Le fauteuil est bel et bien comme sur la photo du célèbre site d’enchères et cela lui procure tant de plaisir qu’il décharge dans son caleçon. Cela ne le gêne pas et il laisse cent euros de pourboire au livreur qui repart en sifflotant après l’avoir plusieurs fois remercié.


Il l’installe dans son salon, à droite de son canapé en cuir, et fait ce qu’il veut faire depuis qu’il est le meilleur enchérisseur.


Il le dispose légèrement de biais face à un grand bureau en noyer sur lequel trône son Mac d’une blancheur immaculée. Puis, il se met à le caresser pendant plus d’une heure. Ses doigts parcourent le bois des accoudoirs alors que sa tête repose sur le tissu rouge comme si cela était les genoux de son amante. Il s’y installe de toutes les manières possibles. Il l’a même embrassé, il lui semble. Il est raide dingue de cet objet.


Son objet.


Installé confortablement dans son fauteuil, il se remémore cette histoire et ses souvenirs dessinent de nombreux sourires sur ses lèvres qui laissent place à des lèvres closes au fur et à mesure que d’autres souvenirs, moins plaisants, remontent à la surface.



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Bernard rentre chez lui et finit par se servir un whisky. Aline n’est pas là. Elle a un repas entre collègues de travail.


Il ne doit plus boire, son foie est endommagé à cause d’une hépatite qu’il traîne depuis plusieurs années. Encore un conseil de son cher médecin de famille qui, lui, picole comme un trou et fume clope sur clope.


Pourtant ce soir il a besoin d’un verre, et sans même s’en rendre compte, il s’en sert un deuxième, puis un troisième. Sa femme étant absente, il se verse un quatrième verre qu’il boit en deux gorgées et se dirige vers le frigo pour se préparer un sandwich.


Bernard est pas mal éméché. Cela fait plus de cinq ans qu’il n’a pas bu une goutte d’alcool. Au début, l’alcool produit les effets escomptés. Au second verre, il a déjà oublié la conversation qu’il a eue avec Thomas.


Une fois son casse-dalle terminé, le visage de Julia se matérialise dans sa tête et il a beau essayer de se concentrer sur autre chose, elle revient sans cesse hanter ses pensées.


Il se dépêche de ranger la cuisine, lave le verre (l’objet du délit) et le range immédiatement ainsi que la bouteille de Whisky.


Aline ne doit pas savoir qu’il a picolé, sinon elle piquera une crise. Ce soir, il n’a pas besoin de ça. Il ne sait toujours pas ce qu’il doit faire concernant Thomas. Doit-il en parler à quelqu’un ? À la police ? À son patron ?


Oui, il en parlera d’abord à son patron. Il n’y a pas pensé, mais pourquoi n’en a-t-il pas parlé à sa femme ? Aline est toujours de bon conseil.


Il attend qu’elle rentre mais le sommeil le submerge avant. Il ne se réveille que lorsque la voix de Sting, à travers son radioréveil, scande I can’t stand losing you.



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Il passe la journée à faire semblant de travailler, l’esprit trop occupé par la décision qu’il doit se résoudre à prendre.


Lorsqu’il aperçoit Thomas dans l’encadrement de la porte, il n’est pas surpris.



Thomas entre et ferme la porte derrière lui. Avant que sa main saisisse la poignée, Bernard sait qu’il va fermer la porte de son bureau. Pour être tranquille. Pour que personne n’entende !



Profondément carré dans son fauteuil, Bernard écoute Thomas avec une grande attention, scrutant son visage et ses mains afin de détecter le moindre signe de stress. Il n’en voit pas mais reste persuadé que Thomas ment. Il a dû préparer son petit speech hier soir.


Il se lève du fauteuil, regarde Thomas dans les yeux et répond simplement :



Pourtant cette journée, Bernard glande. Il n’arrive toujours pas à prendre de décision.



oo00oo




Thomas retourne à son bureau, content. Bernard ne lui posera plus de problèmes. Il a gobé son histoire !


De toute façon, je n’y suis pour rien. Je ne sais pas ce qu’elle a fait, une fois qu’elle est partie, se rassure-t-il.



Il ferme les yeux, se focalise sur son fauteuil…


C’est là qu’il l’a déshabillée. Là qu’il a glissé sa langue entre ses lèvres douces. Là qu’il a…



Ce coup-ci, il évite de parler à voix haute. Les gens vont finir par le prendre pour un fou s’il parle seul. Déjà que certains le regardent bizarrement.



La voix résonne dans son esprit et ne semble pas se lasser de lui demander ce qu’il a fait.


Qu’a-t-il fait ? Il ne s’en souvient pas !


Ils ont pas mal picolé en écoutant du rock des 70’s. Elle s’est laissé faire quand il s’est approché d’elle pour l’embrasser. Elle a tout de suite entrouvert ses lèvres pour qu’il puisse y engouffrer sa langue. Puis il l’a prise par la taille où sa main est restée un moment avant de remonter vers son sein droit.


Elle n’a pas protesté. Sa main a naturellement pétri sa poitrine tandis que son autre main a dégrafé son soutien-gorge. Ils se sont ensuite déshabillés l’un l’autre avant de s’enlacer et de se peloter sur le canapé. La fièvre qui s’était emparée d’eux les poussait à explorer le corps de l’autre dans ses moindres détails.


Il se revoit en train de suçoter son téton, les yeux fermés. Sa langue tournoie sur la pointe érigée quand il ouvre les yeux. Il voit d’abord en gros plan la poitrine de Julia et, du coin de l’œil, remarque son objet.


Son fauteuil.



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Le jour où Thomas reçoit le fauteuil, il passe la soirée en sa compagnie. Après l’avoir cajolé de longues heures, Thomas est allé prendre un livre, chose que d’ordinaire il ne fait jamais. Il a choisi Les liaisons dangereuses, un roman qu’il a lu au lycée, et est retourné s’asseoir dans son fauteuil.


Il passe la soirée à lire. Au moment où la fatigue le terrasse, il est à la page 215. Le livre tombe par terre et il plonge dans un étrange rêve.


Il est à l’intérieur d’un bâtiment en pierres dont le sol est dallé. L’obscurité envahit la quasi-totalité de l’espace ouvert devant lui. Il distingue bien au loin de faibles lumières provenant de lampes à huile fixées aux épais murs de pierre.


Il a l’impression d’être seul dans cette vaste pièce quand il s’aperçoit qu’il est attaché aux poignets par des entraves reliées par de lourdes chaînes à des anneaux fixés dans le mur.


Ses poignets lui paraissent étranges, plus fins. Moins poilus aussi ! Il remarque ensuite, sur ses épaules, que ses cheveux sont longs et bouclés alors que les siens sont courts et raides.


Puis il constate qu’il est nu. Et là la frayeur s’empare de lui.


Il n’a plus de sexe ! Juste un triangle sombre de poils ainsi qu’une poitrine féminine.


Il hurle.


Des bruits de pas résonnent au fond de la pièce. La peur s’immisce lentement dans son esprit qui ne réagit pas comme d’habitude. Il pense différemment et l’instinct de survie qui habite son nouveau corps tire la sonnette d’alarme.


Celui qui avance dans cette gigantesque salle n’est pas là pour le détacher. Il est là pour pratiquer un jeu qui ne l’amuse que lui.


Il sent soudain de vives douleurs dans le dos, comme des brûlures. Les pas marchent dans sa direction, sans se presser.


Il se recroqueville et attend que son bourreau arrive. Car il s’agit bien d’un bourreau ! L’instinct du corps féminin dont il a pris possession le lui annonce aussi tranquillement que la voix féminine de la SNCF annonce que votre train est annulé.


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Il se réveille en braillant avant de pouvoir discerner le visage de son bourreau dans la pénombre.


Il se renverse du fauteuil, le corps couvert de sueur. Il est obligé de boire de l’eau pour annihiler la peur qui l’étreint. Une fois calme, il va dans sa chambre et s’endort avec la lumière allumée.


Ce soir-là il ne fera pas d’autres cauchemars.



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Le lendemain, à son retour du travail, il s’installe tout de suite dans son fauteuil sans en avoir vraiment conscience. Assis, les bras caressant les accoudoirs, son esprit dérive vers le cauchemar de la veille. Son pouls s’accélère quand il se remémore les pensées qui traversaient l’esprit de la fille qu’il incarnait en songe. Une effroyable terreur accompagne les souvenirs qui défilent dans sa tête.


Une singulière sensation l’assaille. Alors qu’il est éveillé, il lui semble possible de continuer à éprouver les craintes de la fille. Cela lui hérisse tous les poils du corps. Ses mains se crispent et ses ongles se plantent dans la boiserie du fauteuil quand il entrevoit en images, aussi claires que celles d’un film en HD, une lame brillante qui se plante à maintes reprises dans le ventre livide d’une femme affaissée contre un mur de briques orange.


La fille qu’il est devenu en rêve a été témoin du meurtre d’une autre demoiselle et, devant ce spectacle affreux, elle n’a pu s’empêcher de pousser une plainte animale qui pourrait aussi être un gémissement lugubre, pense un instant Thomas.


L’homme se retourne. Son visage reste flou, la ruelle dans laquelle ils se trouvent est envahie par les ténèbres. Seuls de faibles rais de lumière jaunâtre projetés par un lampadaire permettent de distinguer un chapeau sur le crâne du meurtrier.


Il se rue sur la fille, le long couteau tournoyant dans les airs. Elle décampe en regardant une dernière fois la victime de ce fou furieux qui reste immobile, probablement morte.


Il la prend en chasse à travers d’étroites ruelles désertes en plein milieu de la nuit. Thomas ressent la peur de la fille. Assis sur le fauteuil de grosses larmes se répandent sur ses joues.


Le tueur n’est plus qu’à quelques mètres d’elle. Elle essaie de courir plus vite et trébuche en s’étalant de tout son long sur la chaussée froide.


Thomas pousse un cri étrange (jamais il n’a produit un tel son) et se lève du fauteuil comme si celui-ci avait subitement pris feu.



(À suivre…)