Résumé
Rien ne va plus, à bord du Souffle-Étoile. Attaqué à plusieurs reprises par un mystérieux adversaire, les prouesses de son équipage (et en particulier de ses deux plus jeunes membres, Braise et Ardent) lui avaient jusqu’à présent permis de s’en sortir… Mais cette fois-ci, « ils » sont passés à la vitesse supérieure, assassinant le capitaine et oncle adoptif des deux jeunes gens. Ceux-ci parviennent malgré tout à s’esquiver une fois de plus, et, malgré le choc du deuil, se mettent à la recherche d’informations concernant leur ennemi et les raisons de ses persécutions.
Heureusement pour eux, tout n’est pas d’un noir intersidéral ! Ils ont en effet ajouté de nouveaux aspects à leur relation, de plus en plus intime et charnelle – tant physiquement que psychiquement, puisqu’ils parviennent maintenant à partager leurs émotions et sensations, ce qui se révèle également être un atout dans d’autres domaines, comme les arts martiaux.
Convaincus d’être la cible d’une puissante organisation, ils décident de se laisser capturer à la prochaine occasion, pour savoir à quoi s’en tenir. Non qu’ils aient le choix, finalement, puisque leur adversaire ne prend cette fois aucun risque et arraisonne leur vaisseau sans coup férir. Nos héros se retrouvent effectivement aux mains de la « division Zéro », une branche secrète de l’armée. Ils sont de suite « interrogés », passant un sale moment entre les mains de leur ennemi, sans grands résultats pour celui-ci. Ardent et Braise, en revanche, profitent d’un instant d’inattention de leurs geôliers – et de leur intense entraînement –, pour se rendre maîtres de l’astronef et de son équipage !
En quelques semaines, ils ont pris la mesure du fraîchement rebaptisé Diamant-Noir, et ont atteint le seul monde Inconnu qu’ils aient déjà visité, Sa’Styria. Ils ont réussi à convaincre les autorités locales de les débarrasser pacifiquement de leurs encombrants captifs – avec une attention toute particulière portée à leur commandante !
Alors que leur séjour sur ce monde se prolonge, Ardent rencontre, lors d’une randonnée dans l’arrière-pays, une jeune femme étrange, Kina, qui se dit elfe. Elle parvient à les convaincre de la prendre à bord, et c’est donc à trois qu’ils repartent et découvrent la base secrète de leur Némésis, la division Zéro. Reste à trouver un moyen de s’y introduire.
Au bout de plusieurs semaines, ils tiennent enfin une piste sérieuse – une certaine plante, le bamkoia, est très prisée par leur adversaire, et ces énormes grumes ont la particularité de devoir être congelées et transportées d’une pièce… Un parfait cheval de Troie. L’affaire est vite entendue et, moyennant quelques magouilles avec la faune autochtone (donc ils capturent d’ailleurs un spécimen un peu trop curieux), les deux filles arrivent à se glisser dans un de ces troncs géants, suivies à distance par leur compagnon, à bord du Diamant-Noir…
Cette tactique leur permet effectivement de pénétrer dans la base. Malheureusement, ce qu’elles y cherchent se trouve à l’abri dans la partie la mieux protégée, et malgré toutes leurs précautions, elles finissent par être repérées, au moment où elles touchent enfin au but. Ardent doit se livrer à une manœuvre extrêmement risquée pour les sauver in extremis.
***
Ils n’eurent finalement pas l’occasion d’aller plus avant ce jour-là. Le Pilote était tout bonnement hors-service, et le duo de ninjettes ne valait guère mieux. Ils sombrèrent donc dans un profond sommeil, au « petit matin » (selon l’horloge du bord, calée sur l’heure de la base secrète pour l’occasion), pour n’en émerger qu’en soirée.
Ils se réunirent autour d’une tardive collation, pour faire un premier point rapide sur toute l’opération.
- — Globalement, c’est un succès, attaqua Braise, résolument optimiste. La preuve : on s’en est tous sortis !
- — Ouais, enfin, on n’est pas sortis de l’auberge pour autant, si ce qu’on a cru comprendre se confirme… Au fait, où sont nos méms ? s’inquiéta subitement Kina.
- — Elles étaient avec vos lambeaux de combiléons, intervint Sylandre. À propos, ce serait chouette si vous les remettiez – z’étiez foutrement bandantes, hier…
- — Mais bien sûr, très cher – dès qu’on t’aura dévêtu d’une parure de lingerie, avant de te faire parcourir quelques centaines de mètres au milieu d’une avalanche de rocs en apesanteur… Je suis sûre que tu en sortirais très sexy, comme ça, toi aussi, contre-attaqua Braise, bien décidée à ne pas se laisser faire.
- — Elle a du répondant, commenta l’interpellé, en se tournant vers l’autre mâle présent.
- — Elle porte bien son nom, fit Ardent, laconique. Pour en revenir à nos moutons, puisque tu as apparemment récupéré ces méms, on peut savoir ce que tu en as fait ? Si j’ai bien compris, à côté de ce qu’elles contiennent, une supernova passerait pour une gentille petite chandelle cosmique…
- — Ça, tu peux le dire, lâcha benoîtement Sylandre.
Ses trois compagnons se regardèrent quelques secondes dans un silence de mort, avant que la jeune elfe ne lui demande :
- — Comment peux-tu savoir quoi que ce soit là-dessus, toi ?
- — Ben, j’avais pas vraiment sommeil – après tout, je n’ai rien foutu, hier… Alors, pendant que vous dormiez, j’ai lu une partie de ces méms…
- — Quoi ? explosa Braise. Tu les as lues ? Où ça ?
- — Ben, sur le système auxiliaire de bord, c’est le seul auquel Ardent m’a laissé l’accès, vu que je ne pouvais rien faire de « méchant » avec… Mais rassure-toi, s’empressa-t-il d’ajouter devant son regard meurtrier, je me doutais que vous préféreriez ne pas laisser de trace de ce truc, alors j’ai utilisé un système temporaire en mémoire volatile.
Devant le soulagement affiché par la jeune femme, il se rengorgea :
- — Eh, je te rappelle que je suis un spécialiste de l’illégalité, encore heureux que je connaisse deux-trois trucs dans l’genre…
- — C’est ça, on va t’attribuer une médaille, en plus, grogna-t-elle. Ardent, tu pouvais pas le surveiller un peu mieux ? Maintenant, il en sait plus que nous !
- — Eh, oh, j’étais plus en état, moi ! se défendit l’accusé.
- — Ce qui est fait est fait, trancha Kina, avant de se tourner vers l’indiscret : peut-être pourrais-tu nous faire part de tes découvertes ?
- — Mais certainement ! Je n’ai évidemment pas tout lu, mais voici en gros l’histoire – vous allez voir, c’est mieux qu’un roman !
» Il y a trente ans, la balise d’un micromodule autonome en orbite autour de la quatrième planète d’un obscur système solaire s’est mise à émettre. Le 8 mars 3216, un vaisseau de l’HUF en patrouille dans les parages a capté son signal et l’a récupéré. Il contenait une masse assez considérable de données, en vieil anglois, et donc essentiellement incompréhensibles pour le commun des mortels. Pourtant, le médecin de bord est parvenu à déterminer qu’il s’agissait de la synthèse des travaux d’un biologiste, Sayr Vault…
- — Jamais entendu parler, commenta Ardent, aussitôt appuyé par ses deux compagnes.
- — Pas étonnant, il n’a apparemment laissé aucune trace derrière lui – l’armée n’a même pas réussi à retrouver son état-civil… Pourtant, les scientifiques qui ont eu accès à la traduction de ces documents l’ont qualifié de plus grand biologiste de tous les temps – rien que ça ! En tout cas, le tout a été très vite confié aux services secrets de l’HUF, qui a placé le dossier en « hors classe », et a fait effacer toute trace officielle de cette découverte. Et pour cause, il retraçait le projet ELFE, pour Enhanced Life Form Experiment – désolé pour l’accent – du vieil anglois qui se traduit à peu près par…
- — « Expérience de forme de vie améliorée », le coupa Kina d’une voix blanche.
- — Ah, tu connais cette langue antique ? Enfin bon, oui, c’est ça, confirma-t-il en lui glissant un regard lourd de sous-entendus. Et donc, ce projet visait à créer des êtres « humains » améliorés – en fait, c’était l’aboutissement d’une vie consacrée à percer les secrets du génome, et surtout de son expression… Le plus fort, c’est que selon ses dires, ce « savant fou » a réussi ! Il y a même quelques photos de ses « enfants », comme il les appelle… Et ils ont tous de longues oreilles pointues et des yeux de chats ! assena-t-il en fixant la jeune elfe.
Après un court silence, Braise remarqua :
- — Ça ferait un peu trop de coïncidences, non ? Je crois qu’on est fortuitement tombés sur ce que tu cherchais, Kina…
- — On dirait, oui, murmura l’interpellée. Écoute, Sylandre, je t’expliquerai mes yeux et mes oreilles plus tard, si tu veux bien…
- — Donc, ils ont confié l’ensemble de ces documents à un collège de leurs experts qui ont tout passé au crible. Apparemment, ils ont été convaincus, parce qu’ils ont rapidement monté un projet entièrement basé sur ces travaux, baptisé MAGA, pour « Manipulation de l’ADN et des Gènes Architectes ». Il a assez vite été accepté et financé, et il a démarré il y a presque vingt-neuf ans, dans la zone III de la base que vous venez de « visiter ».
» Je pense que vous, vous avez déjà deviné la suite : après presque huit années d’efforts – et six échecs – ils ont réussi à obtenir deux « individus », selon leurs termes, fort poétiquement dénommés C6 et C7. Une femelle rousse aux yeux verts, et un mâle « malencontreusement albinos », je cite… C’est vous, n’est-ce pas ?
- — Ça risque, approuva sobrement Ardent. C’est tout ?
- — Non, il y a encore un truc. Au bout de quelques mois, devant la réussite, qualifiée d’impressionnante, de leur expérience, la fameuse unité Zéro a décidé de mettre les bouchées doubles. Je vous passe leurs nauséabondes élucubrations sur les « troupes d’élite constituées de surhommes » et autres joyeusetés, mais en gros, ils ont décidé de dédier une base entière à ce projet, et d’y transférer les « produits » déjà créés. Vous avez donc embarqué à bord d’un croiseur léger, accompagnés d’une bonne partie de l’équipe scientifique et… vous n’êtes jamais arrivés à destination !
» Évidemment, ils ont remué ciel et terre pour vous retrouver, mais sans succès. Jusqu’à ce qu’il y a trois ans, quelque chose les réveille – je n’ai pas eu le temps de voir quoi, mais ça a eu l’air de les convaincre que vous étiez toujours vivants, et ils ont lancé une « procédure de récupération »…
Braise et Ardent échangèrent un long regard, mêlé de leur invisible échange psychique. Tout collait, les pièces du puzzle s’imbriquaient parfaitement… Et ce n’était pas vraiment rassurant !
- — Et ils n’ont pas essayé de relancer ce projet ? interrogea Kina, pour briser le silence.
- — En fait, je n’en sais rien. Je n’ai pas tout lu… mais n’oubliez pas qu’ils ont en même temps perdu une bonne partie de l’équipe scientifique ! Et puis, de toute façon, s’ils ont essayé de le relancer, c’était sur cette nouvelle base, donc il n’y en aurait peut-être pas de traces dans ces données…
Le silence menaçait à nouveau de s’éterniser, Sylandre se demandant pour la nième fois dans quoi il avait mis les pieds, et les trois autres remâchant douloureusement toutes ces informations. Finalement, Ardent lâcha en guise de conclusion :
- — Ouais, on n’est effectivement pas sorti de l’auberge, on dirait… Braise, tu peux nous faire des copies de ces méms ?
- — Bien sûr. J’y ajouterai même de quoi les lire sans laisser de trace.
- — Parfait, comme ça, on pourra fouiner là-dedans tout notre saoul – et y réfléchir. Dans l’immédiat, on devrait être tranquilles…
- — Et moi ? s’enquit Sylandre.
- — Toi ? Mais tu nous tiens compagnie, tu nous cocoones, tu nous mitonnes des p’tits plats…
- — Ah non ! s’exclamèrent en chœur les deux garçons.
- — J’ai passé deux semaines à essayer de lui enseigner des rudiments de cuisine, précisa l’albinos, avant d’y renoncer – c’était ça, ou m’ouvrir les veines !
- — Voilà au moins une qualité qui m’est définitivement hors de portée, confirma le jeune homme.
Les deux filles se regardèrent d’un air navré.
***
Il leur fallut près de trois semaines pour digérer la masse de documents qu’ils avaient si périlleusement subtilisés… Ceux-ci ne leurs apprirent pas grand chose d’autre, si ce n’est qu’il y avait bien eu tentative de relancer MAGA après la disparition de l’astronef, et que cela n’avait apparemment pas abouti… Mais ils avaient malgré tout besoin de les décortiquer, notamment les aspects scientifiques (dans la mesure du possible, puisqu’aucun d’eux n’était biologiste), pour matérialiser, donner du corps à l’idée qu’ils étaient issus d’expériences biologiques…
La sensation d’avoir été des rats de laboratoire n’était guère agréable, mais cela resserra encore leur lien. Finalement, ils se réunirent pour déterminer les suites à donner à ces découvertes.
- — Bien, attaqua Braise, la question est de savoir ce que nous pouvons faire maintenant, à la lumière de nos récentes découvertes.
- — Il y a au moins une chose que nous ne referons pas, c’est nous attaquer directement à l’HUF et à son unité Zéro, lâcha Ardent après quelques instants de silence. On y a épuisé notre stock de chance pour plusieurs vies, je pense, la dernière fois – et on les a pris par surprise. Le problème, c’est que si ça nous a appris beaucoup, on leur a aussi livré quelques précieuses infos…
- — Comme ? le relança Sylandre.
- — Eh bien, par exemple, avec toutes les traces ADN laissées par nos deux espionnes de choc dans la base, ils doivent déjà avoir compris qu’ils ont reçu la visite de leur si précieux « sujet C6 » et – pire ! – d’une descendante de l’expérience ELFE ! J’imagine, Kina, que tu es sûre qu’ils ne savaient rien de votre existence ?
- — Autant qu’on peut l’être, soupira l’interpellée. Le problème, vois-tu, c’est que nous ignorions complètement l’existence de MAGA – enfin, moi, en tout cas. Vu que l’histoire de nos origines m’était interdite, les miens ne m’auraient pas non plus informée de ça, s’ils en avaient eu connaissance. Je ne sais pas… Mais c’est clair que maintenant, notre bouclier d’anonymat est menacé, par ma faute.
- — Par notre faute, corrigea Ardent. Mais maintenant, on n’y peut plus rien. La question, c’est doit-on prévenir les tiens de cette menace ?
La jeune elfe prit le temps de la réflexion avant de répondre.
- — Je pense qu’ils en auront vent assez rapidement… L’ouverture de la chasse à l’Elfe est inéluctable, et elle ne pourra se faire dans une discrétion absolue, malgré tous les efforts de l’HUF. Mais oui, je crois qu’on devrait les prévenir, ça pourrait leur donner une précieuse avance.
- — Alors, on fera un saut sur Sa’Styria, affirma Braise. Et ailleurs, s’il le faut !
- — Ça ne sera pas nécessaire. Une fois une colonie prévenue, ils utiliseront les mécanismes de communication habituels, sûrs et bien rodés. Tous les elfes seront prévenus en quelques mois.
- — Tant mieux ! grogna Ardent. C’est peut-être lâche, mais je ne tiens pas à éprouver plus que nécessaire leurs sentiments sur nos « exploits ».
- — Si tu veux tout savoir, moi non plus, murmura Kina. Même pour une alchimiste, j’ai vraiment fait fort, pour le coup…
Après un long silence pensif et gêné, Braise, peu encline à l’auto-flagellation, reprit d’une voix brusque :
- — Bon, je pense que les elfes sont nos seules victimes – pour indirectes qu’elles soient. Alors maintenant, qu’est-ce que nous, nous allons faire ? Parce que je vous signale que si la chasse à l’Elfe va s’ouvrir, nous, on est certainement devenus l’ennemi-secret-numéro-un. On va avoir, au sens propre, toute l’HUF sur le dos !
- — Du calme, petite flamme, il leur faudra quand même quelque temps pour reconstituer toute l’histoire.
- — Le problème, c’est qu’on ne peut plus chercher d’aide nulle part. On est devenu une bombe vivante, nous mettrons en danger tous ceux que nous ne ferons ne serait-ce que contacter.
- — Exact.
- — Et aussi merveilleux que soit notre astronef, nous ne pourrons pas y vivre indéfiniment !
- — Je sais.
- — Alors quoi ? s’impatienta la jeune fille. Vas-y, fais-nous profiter de l’idée géniale qui semble te trotter dans la tête !
Après un court silence plein d’expectative, le Pilote reprit :
- — Je vous préviens, c’est une idée dingue…
- — Encore plus que de vous attaquer à une base secrète de l’armée ? lâcha ironiquement Sylandre, se rappelant par là même au bon souvenir de ses compagnons.
- — Oui, encore plus. Bon, Braise, tu sais comme je perçois mieux l’heptaspace avec les capteurs de ce vaisseau qu’avec ceux généralement accessibles aux civils comme nous ? Eh bien, ça m’a permis de… discerner des détails…
- — Oui ? le relança Kina au bout de quelques secondes.
- — Rah ! Au diable les détails, de toute façon, il faut l’expérimenter pour pouvoir comprendre. Disons, pour simplifier, que dans les diverses Vagues, Vaguelettes, etc., j’ai eu des « aperçus » d’autres univers, ou continuums, comme vous voulez…
Cela laissa ses compagnons sans voix. Puis Sylandre ne put se contenir plus longtemps.
- — Ha ha ha ! Ah non, c’est trop drôle, tu nous ressers les univers parallèles, c’est ça ?
- — En gros, oui.
- — Attends, d’abord, tu n’es pas le premier à utiliser ce type d’astronef, pourquoi les autres avant toi n’auraient-ils pas fait la même découverte ? Et surtout, quand bien même cela serait vrai, à quoi ça nous servirait ? demanda l’elfe, très sérieuse.
- — À ta première remarque, je vois au moins deux réponses. D’une part, ce vaisseau n’a jamais été utilisé que par des militaires, donc s’ils ont découvert ces autres continuums, ils ont très bien pu n’en rien laisser filtrer. Ensuite, je te rappelle que question heptaspace, j’ai des capacités largement au-dessus de la moyenne – et même moi, je les discerne à peine… J‘ai mis des mois à me convaincre que je « voyais » bien d’autres univers.
- — Moui… Admettons ! Et alors, tu comptes en faire quoi, de tes « continuums » ?
- — Eh bien, mais, leur rendre visite ! répondit benoîtement le jeune homme, savourant leur incrédulité.
Même Sylandre en resta sans voix.
- — Tu veux dire que tu crois pouvoir passer dans un autre continuum ? s’étrangla finalement Braise. Alors que tu les « discernes à peine » ?
- — Bon, d’abord, quand on Surfe, on quitte « notre » univers, les nœuds d’inflexion créent une petite « bulle » de notre monde autour du vaisseau, et le tout prend une espèce de « raccourci » en s’accrochant à la Vague… Comment veux-tu qu’on puisse faire des bonds de plusieurs centaines d’années-lumière en quelques secondes, sinon ? Seulement, les systèmes de Surf ont toujours été programmés pour ne fonctionner qu’avec des Vagues qui sont en quelque sorte des « ondes de surface », qui restent toujours à proximité immédiate de notre univers – c’est pour ça qu’on peut arrêter quasiment quand on veut, par exemple. Ça va jusqu’ici ?
Son auditoire acquiesça, avec plus ou moins d’enthousiasme.
- — Le truc, c’est que les autres continuums font partie du même heptaspace que nous – sinon, je n’aurais jamais pu les percevoir. Et logiquement, il y a des Vagues qui passent d’un univers à l’autre… ’Y a plus qu’à en prendre une !
- — ’Y a plus qu’à ! répéta sardoniquement Braise. Et d’abord, comment sais-tu qu’il y a des Vagues entre continuums, puisque tu viens de nous dire que les systèmes de Surf étaient conçus pour ne prendre en compte que tes « ondes de surface » ?
- — En fait, j’ai toujours aimé l’idée des multivers – après tout, dans sept dimensions, on peut mettre une infinité d’infinités d’infinités d’infinités d’univers en trois dimensions – tout comme un pourrait mettre une infinité de feuilles de papier dans une boîte, si elles n’avaient aucune épaisseur… Alors, quand j’ai commencé à discerner des trucs bizarres, à peine sensibles, dans mes observations de l’heptaspace, j’ai quelque peu… bricolé les programmes des capteurs, jusqu’à ce qu’ils veuillent bien me montrer ces Vagues « interdites » ! Notez que je n’ai pas touché aux systèmes de Surf eux-mêmes, trop dangereux – et trop bien protégés pour moi ! Il me faudra ton aide, petite flamme, si on décide de tenter l’expérience…
- — Eh ben, moi, je décide qu’on ne va rien décider tout de suite ! assena Kina. De toute façon, il faut avant tout que nous prévenions les miens, ça nous laisse du temps pour y réfléchir – et toi, Ardent, pour peaufiner tes observations ! Je vais sûrement te trouver plein de questions retorses, et tu auras intérêt à avoir de bonnes réponses.
Sa remarque ayant reçu l’approbation générale, elle conclut provisoirement la discussion.
***
Deux semaines plus tard, le Diamant-Noir refaisait son apparition dans la proche banlieue de Sa’Styria. Mais cette fois, il ne sema pas la panique – et pour cause, son niveau de furtivité le rendait indétectable. Son équipage avait en effet jugé préférable de ne pas révéler sa présence, afin d’éviter autant que possible de faire courir des risques à sa population. L’incognito faisait maintenant partie intégrante de leur vie…
Plus ou moins rassérénée par les encouragements de ses compagnons, Kina embarqua dans la navette furtive du bord, et descendit seule à la rencontre des siens – elle avait fermement refusé d’être accompagnée. Sans que cela ait été dit, tous avaient compris qu’elle n’était pas sûre de pouvoir remonter…
En attendant, ceux restés en orbite n’avaient plus qu’à prendre leur mal en patience. Sylandre s’enferma dans sa cabine, pendant que Braise et Ardent s’attaquaient à l’une des deux consoles de Surf restées verrouillées depuis leur prise de possession des lieux. Si, quelque peu hypocritement, ils n’avaient pas encore décidé s’ils tenteraient le projet du Pilote, ils s’étaient au moins tous quatre entendus sur la nécessité de préparer le terrain. Ne voulant pas risquer d’endommager la console en service, il leur fallut en débloquer une autre, avant de lui « trifouiller les systèmes », selon l’expression de l’experte du cru.
Au terme de quatre jours d’efforts intenses, Braise, assistée de son albinos préféré, estima que le plus gros du travail était fait – le « verrou dimensionnel » était contourné, et les tests automatiques passaient sans problème. Restait encore à calibrer la console pour Ardent, et un long programme de validation… Épuisée après une nuit quasiment blanche, elle avait encore pu extorquer à son compagnon la promesse solennelle de n’en rien faire jusqu’à nouvel ordre, avant de littéralement s’endormir dans ses bras.
Lui-même n’était plus très vaillant – parfois, être spectateur peut être aussi éprouvant qu’acteur, et puis, ils n’avaient toujours aucune nouvelle de leur amie au sol… Bref, une fois qu’il l’eut ramenée dans sa cabine, déshabillée et glissée sous ses draps, il n’eut que le courage de la rejoindre.
***
Ardent émerge doucement des calmes profondeurs du sommeil. Le corps tiède de sa compagne est toujours niché dans ses bras – elle dort encore profondément, s’il en croit leur lien… À peine deux heures du matin. En même temps, ils se sont endormis en fin de matinée, alors… Et puis, pour une fois, il a tout le temps pour savourer ! Savourer la douceur de son dos plaqué contre son torse, savourer sa lente respiration qui fait légèrement aller et venir son sein droit contre ses doigts…
Aïe ! La traditionnelle érection – très matinale pour le coup – se manifeste. Non qu’il y voie à redire en temps normal, mais là, ça va être difficile à gérer s’il ne veut pas réveiller son amie… À un moment quelconque, elle a replié ses jambes, faisant de son délicieux fessier un réceptacle naturel au naja qui se dresse à sa rencontre.
Alors qu’il lutte depuis cinq bonnes minutes pour ne pas bouger malgré son membre douloureusement plaqué contre l’intimité de sa belle au bois dormant, celle-ci remarque :
- — Tu ne crois pas qu’elle serait mieux en moi ? Je n’en peux plus de l’attendre !
Elle relâche en même temps le contrôle qu’elle maintenait sur son esprit pour tromper son partenaire. Celui-ci accuse le coup quelques secondes, avant de se redresser dans le lit, faisant théâtralement voler les draps :
- — Ah tu ne dormais pas ! Et moi qui me torturais pour te laisser te reposer – ne pas bouger, ne pas me branler contre ton cul, ne pas te fourrer la chatte… Petite peste, va !
- — C’est vrai ? C’était une torture ? interroge-t-elle d’une petite voix, recroquevillée à ses pieds.
- — Tu n’as pas idée ! À côté, le supplice de Tantale n’est que peccadille !
- — Oulà… Ma faute est grave, alors ! Comment me faire pardonner ?
- — Tu me laisses vraiment décider ? Tu es sûre ? grince-t-il en la surplombant de façon menaçante.
Braise se jette à genoux avec humilité, s’incline au ras du matelas – et creuse les reins en toute impudeur.
- — Oh oui, seigneur, je me livre à votre bon vouloir, je ferai tout ce que vous voudrez pour racheter ma faute !
- — Fort bien, je te condamne donc à être mon jouet pour ce qu’il reste de la nuit !
Ils gardent la pose encore quelques secondes, avant de céder à l’hilarité.
- — On aurait fait des acteurs terribles ! lâche la jeune fille entre deux fous rire.
- — Reste à voir dans quel sens on aurait été « terribles »…
- — Alors c’est vrai, je serai ta poupée jusqu’au matin ?
- — Ben oui ! Et d’ailleurs, je m’en vais commencer par t’habiller !
Pendant qu’il farfouille dans les tiroirs de son nouveau jouet, celui-ci demande d’une petite voix :
- — J’ai le droit de parler ?
- — Bien sûr, tant que je ne te l’ai pas interdit…
- — Tu ne voudrais pas inviter Sylandre à venir s’amuser avec toi ? Il doit se sentir bien seul, en ce moment…
- — Oui, difficile de ne pas remarquer qu’il porte un intérêt marqué à notre elfe préférée, hein ?
- — Intérêt qui pourrait bien être partagé, je crois. En tout cas, ça fait quelques semaines qu’elle ne partage plus du tout nos jeux, regrette Braise.
- — Hélas ! Mais ce que je veux dire, c’est que ce ne serait pas bien de le débaucher maintenant, non ?
- — Le concept d’infidélité rétroactive me semble quand même assez fumeux…
- — À moi aussi, mais je crois que sous ses dehors cyniques, notre ami est assez « rigide » sur ce plan-là ! Rappelle-toi sa réaction quand il a découvert que la superbe Lilya était en fait un garçon… Il s’est senti ridiculisé et trahi, et il m’en veut toujours, quelque part.
- — Bon, ben tant pis ! J’ai plus qu’à nous dégotter un autre mâle avec qui tu pourras faire mumuse !
- — On croyait avoir trouvé un autre partenaire de jeu, et on se retrouve à devoir se débrouiller seuls à nouveau !
- — Dur ! Bon, et maintenant ?
Ardent n’a pas chômé, enluminant son amante d’une indécente parodie de parure nuptiale. Il a recouvert le haut de sa chevelure feu d’une résille de toutes petites pierres étincelantes, avant d’y nouer différents rubans piqués à d’autres pièces de lingerie, faute de matériel plus adapté – il a même détourné un string pour en faire une virginale rose de dentelle ! Par contre, pour son corps, il a remis la main sur un ensemble de neige à peine rehaussé de quelques broderies rose pâle, très sophistiqué, qu’ils ont déjà su apprécier à plusieurs reprises. Soutien-gorge lacé entre les seins, dont la bordure des balconnets de mousseline, par un jeu de lanières élastiques, enserre délicatement des tétons pudiquement escamotés par un jeu de volants de tulle… Serre-taille en satin incrusté de dentelles crochetant de ses quatre longs doigts deux bas aux jarretières également ouvragées… Shorty-string se résumant à un lâche entrelacs de rubans, à nouer sur la hanche gauche et à l’entrejambe, ce qui permet de résoudre le fameux dilemme du porte-jarretelles. Lui aussi use d’affriolants froufrous pour veiller vaille que vaille sur les trésors à sa garde… Il juche finalement sa poupée sur ses seules sandales blanches, dont les talons, même s’il les eut préférés encore plus longs, lui donnent déjà une belle cambrure.
- — Sublime ! commente le jeune homme. En plus, ta peau donne par transparence quelques éclats dorés aux étoffes… Hmmmrrrarrrr !
- — On dirait un grand méchant loup prêt à se jeter sur une innocente agnelle… minaude sa compagne.
- — Je vais tâcher de me tenir en laisse, alors, grogne le fauve, et de ne pas déchiqueter de suite ma muselière. Par contre, tu m’excuseras, mais t’es pas trop crédible dans le rôle de « l’innocente agnelle »… Je te verrais plutôt en jeune renarde des neiges, débordante de sensualité perverse !
- — Ça me va aussi ! Mais tu n’as pas répondu à ma question.
- — Eh bien, maintenant, on va aller faire une petite balade.
- — Quoi ? Non mais, je te rappelle qu’on n’est plus seuls à bord !
- — Et alors ? À cette heure, il doit dormir. Et puis, ça ne serait pas forcément déplaisant s’il nous surprenait, non ?
- — … D’accord, on verra bien, on ne risque pas grand chose de toute façon. Et toi, tu ne t’habilles pas ?
- — Non. Surtout vu ce que j’ai à ma disposition ici – tu as déjà vu un loup en combi spatiale, ou pire, en petite culotte et mini-jupe ?
- — Non, mais j’adorerais !
- — Je n’en doute pas – et je ne détesterais pas non plus, mais je te rappelle que tu es sensée être punie, là. Allez, sors, je te rejoins dans un instant.
Après avoir ainsi mis Braise à la porte de sa propre cabine, il retourne à ses tiroirs pour récupérer un dernier accessoire, avant de la rejoindre dans la coursive. Contrôlant leur lien mental pour qu’elle ne perçoive pas ce qu’il prépare, il lui dit :
- — Bien, la première partie de la punition va commencer. Tu vas faire un tour complet du tore !
- — Avec ces chaussures ?
- — Oui, je sais qu’elles ne sont pas faites pour la randonnée, mais j’y tiens beaucoup. Et maintenant, ferme les yeux et accroupis-toi !
Une fois en position, il s’assied à son tour sur ses talons, plaquant contre le bas de ses reins sa turgescente excitation, écarte les volants de tulle de sa petite culotte et glisse dans son fourreau humide deux boules de geisha.
- — Allez, marche ! Et gare à toi si tu les laisses tomber, tu es largement assez musclée pour les maintenir au chaud !
- — Sinon ? le provoque-t-elle.
- — Fessée ! lâche-t-il laconiquement, avant de se plonger dans les sensations de sa poupée.
Celle-ci commence alors sa petite expédition – dans les trois cents mètres, tout de même ! – marchant tranquillement, toute aux secousses assenées aux parois de son antre par les sphères magiques, qu’elle n’hésite pas non plus à pétrir de ses muscles… Grâce au partage de leurs esprits, leurs excitations se nourrissent l’une l’autre en un cercle on ne peut plus vicieux, et elle a bien du mal à tenir jusqu’au bout. C’est presqu’en courant qu’elle avale les derniers mètres pour se jeter dans les bras d’Ardent, et céder enfin à un orgasme ravageur, pendant qu’il la bâillonne d’un baiser. Heureusement que le barreau de son amant s’est glissé entre ses cuisses, empêchant une évasion qu’elle n’était plus en état de prévenir…
- — Ouf ! Merci, j’ai échappé à la fessée de peu !
- — Dommage… Par contre, ’y a eu crue…
- — L’eusses-tu cru ?
- — Au lieu d’essayer de faire de l’humour, viens donc nettoyer celui que tu as si généreusement arrosé alors qu’il t’épargnait un supplice !
Elle se penche et vient lécher d’une langue mutine le jus qui recouvre son membre, avant de l’avaler quelque peu. Mais le jeune homme met rapidement fin au délice, et entraîne son jouet vers la suite de sa punition.
***
Ça y est, le truc qui l’a tiré d’un sommeil qu’il venait à peine de trouver se reproduit. Une sorte de claquement rythmé, étouffé, qui semble provenir de la coursive… Sylandre pousse un grognement contrarié, il a tout sauf envie de quitter sa couche, mais il va quand même falloir qu’il aille voir ce qui fait ce bruit. Déjà qu’il a lâchement décidé de l’ignorer la première fois… En plus, il lui rappelle quelque chose, mais impossible de mettre le doigt dessus.
Après avoir attendu quelques instants, il ouvre sa porte dans un discret chuintement caractéristique, et risque prudemment un œil hors de sa cabine, juste à temps pour voir deux paires de pieds blancs disparaître dans le plafond.
Il ferme les yeux, secoue la tête… Ah oui, bien sûr… Décidément, il a du mal à se faire aux espaces incurvés d’un tore de vie ! Bon, il voit à qui il a affaire. Et les sons mystérieux sont élucidés – il aurait dû les reconnaître tout de suite, mais il n’imaginait pas des talons aiguille à bord d’un vaisseau spatial… Il peut retrouver son lit, sauf que maintenant il n’est pas prêt de se rendormir. Il en a trop vu, ou pas assez s’il écoute son petit démon voyeur domestique.
Et puis zut, ça leur apprendra, aussi, à faire des trucs pas possibles sous son nez, à ces deux dingues ! Il attrape sa combi et, sans prendre le temps de la passer, s’élance silencieusement à la suite du couple. Il ne vaut peut-être rien en pleine brousse, mais la filature ça le connaît, et ici il est dans son élément. Tirant parti de la courbure de la coursive, il se plaque souvent au sol afin de mieux voir tout en s’assurant de rester hors de vue. Ardent dans sa nudité glaciale le met toujours aussi mal à l’aise – déjà qu’il a du mal avec le corps masculin, alors cet albinos transformiste… Par contre, la mise sulfureuse de Braise l’attise fort agréablement, surtout avec sa démarche déhanchée et parfois étrangement heurtée…
Après avoir ainsi parcouru les deux tiers du tore, ils disparaissent finalement dans le gymnase. Leur spectateur arrive juste à temps pour discerner à travers la cloison la remarque de la jeune fille :
- — Je vois, tu as choisi le pack « Braise fait du sport » avec ta poupée…
- — T’as tout compris, petite flamme ! Allez, après la marche, on va te faire courir un peu.
- — Avec mes talons ? Non mais t’es pas bien !
- — T’inquiète, je serais derrière toi pour te tenir… Entre autre !
- — Vieux satyre pervers !
Un « clac » retentissant suivi d’un petit cri indigné.
- — Ça t’apprendra à me traiter de « vieux », chipie !
- — C’est promis, je ne le ferai plus, bébé satyre sadique !
Sylandre profite de la mise en marche de la machine pour ouvrir l’écoutille et se glisser dans l’espèce de vestiaire qui précède la salle d’exercice proprement dite. De là, il peut suivre tout ce qui se passe sans trop risquer d’être remarqué, et il pourra s’y planquer si les deux tourtereaux décident de s’en aller inopinément. Le spectacle vaut le coup d’œil, même si hélas l’angle de vue, de trois-quarts arrière, n’est pas des plus heureux. La jeune fille court effectivement en hauts talons sur le tapis, son compagnon plaqué contre son dos et les deux pieds solidement ancrés de part et d’autre de la machine assure son équilibre. Et pas que, probablement, avec une main glissée entre les cuisses de la joggeuse, et l’autre fourrageant dans les fanfreluches de sa poitrine… Dommage que la gomme étouffe le claquement des sandales.
Il a à peine commencé à profiter du spectacle que Braise se tend et pousse un long miaulement peu équivoque. Ardent la soulève aussitôt du tapis roulant et la dépose sur un sol plus ferme, en la gardant plaquée contre son torse.
- — À peine un quart de kilomètre, tu tiens pas la distance ! se moque-t-il gentiment.
- — J’aurais voulu t’y voir, moi. T’as bien senti ce qu’elles me faisaient subir, c’est démoniaque quand on court, ces trucs-là !
Le jeune homme retire alors une main détrempée d’entre ses cuisses, ramenant avec elle deux grosses boules noires luisantes de mouille. Sylandre comprend mieux le rapide embrasement de sa compagne – et découvre incidemment une autre caractéristique de sa lingerie, qui lui plaît décidément beaucoup.
- — Toujours bien nettoyer ses outils après usage ! professe sentencieusement le maître des jeux. Ça en fait une chacun !
Une fois le gadget – et les doigts ! – soigneusement léchés, ils échangent un long baiser passionné.
- — Et quelle est la prochaine épreuve de ta poupée préférée, petit fantôme ?
- — Hmmm… On va lui faire faire un peu de muscu’.
Il l’allonge alors sur le dos, la déchausse pour glisser ses pieds voilés de blanc dans les étriers idoines, et place ses mains sur l’autre barre.
- — Te voilà les quatre fers en l’air ! Allez, hop, flexion… extension…
Ce nouvel instrument est bien mieux placé que le précédent, du point de vue de Sylandre. S’il a dû se reculer pendant l’installation, il peut maintenant bénéficier d’une vue imprenable sur l’entrejambe de la belle, qui s’ouvre et se referme au gré de ses exercices. Les volants de tulle, alourdis de cyprine, ne cachent plus grand chose de son fruit juteux, qui ne tarde pas à recevoir la visite d’une main fureteuse. Ardent lui donne un ou plusieurs doigts, en rythme ou à contre temps de ses efforts, cherchant manifestement à jouer avec le travail de ses muscles… La bouche et l’autre main du jeune homme papillonnent quant à elles sur tout le corps de son amante, qui n’hésite pas, quand l’occasion se présente, à tenter de lui rendre la monnaie de sa pièce. Son partenaire ne fait rien pour retarder le nouvel orgasme qui secoue derechef son jouet.
- — Tu vas me tuer, si tu continues comme ça… Et puis, tu n’as encore rien eu, toi.
- — À part l’immense plaisir de partager tes jouissances ? Non, en effet, mais on a encore plein de temps. Allez, tu as bien mérité une bonne douche…
- — Ahhh…
- — … froide !
- — … rrrgh ! s’étrangle la jeune fille. Salaud !
Alors qu’elle fait mine de se dévêtir, il l’arrête en lui attrapant les poignets.
- — Non, je vais tout laver en même temps, ta lingerie aussi a souffert de tes efforts. Allez, fais pas cette tête, c’est tout léger, ça séchera tout seul – surtout si j’utilise ça ! conclut-il en lui désignant un sèche-cheveux.
Cette fois, Sylandre ne voit pas comment il pourrait faire pour assister à la suite, et puis, il a déjà été gâté ! Il décide donc de revenir dans ses appartements, il est plus que temps de s’occuper de son cinquième membre, qu’il a à peine effleuré de tout le spectacle. Mais maintenant, ces images, auxquelles se mêle l’exhibition dont l’avait gratifié Kina juste avant de le capturer, occupent tellement son esprit qu’il manque d’en oublier sa combi derrière lui !
***
Sylandre se sentait en pleine forme à son réveil. La nuit avait certes été courte, mais bien plus agréable que prévu… Et une bonne surprise l’attendait au petit-déjeuner, que les deux démons de la nuit finissaient de préparer. La jeune femme avait apparemment décidé (ou s’était laissée convaincre) de conserver son costume nocturne, le complétant tout de même d’une mini-robe également blanche, qui ne cachait pas grand chose. Le nouveau venu poussa un long sifflement en pénétrant dans la cuisine.
- — Eh ben, te voilà habillée en princesse de l’espace, Braise… À moins que ce ne soit en « prinsexe » ? ajouta-t-il malicieusement.
- — Ah oui ? Je me demande ce qui peut te donner cette impression…
- — Non mais, le haut est quasiment transparent, le bas ne t’arrive pas au haut des bas – et je n’ose même pas imaginer ce que ça donne si tu te penches…
- — Tu veux dire, comme ça ? lui demanda-t-elle innocemment, joignant le geste à la parole.
- — Glargh ! Euh, oui, ben voilà, quoi !
Il lança un regard presque désespéré vers Ardent, qui observait la scène, hilare. Leur cobaye réagissait mieux que prévu à leur petit numéro…
- — Et l’autre qui se marre comme une baleine ! Ça te fait rien, que ta copine soit quasiment en train de me pousser au viol ? l’apostropha-t-il.
- — Après sa… démonstration, je ne suis pas sûr qu’on pourrait parler de viol… De toute façon, on a déjà partagé nos ébats avec une fille, je serais mal venu de me plaindre si elle voulait y inviter un garçon, ou même se le garder pour elle toute seule. Elle fait ce qu’elle veut, elle ne m’appartient pas plus que je ne suis sa propriété !
- — C’est vrai, tu veux me violer ? minauda l’objet des débats.
- — Oui, enfin, non, en fait, je préfère regarder.
- — Ça, on sait ! On n’est pas près d’oublier tes photos de « chatte ondée dorée », ricana l’albinos.
- — Et sinon, tu as passé une bonne nuit ? s’enquit vicieusement sa compagne, faisant mine de changer de sujet.
- — Excellente ! Et avec un réveil, j’vous dis pas !
- — Tu fais référence à ma tenue ?
- — Bien sûr, à quoi d’autre ?
Un signal sonore les empêcha de poursuivre plus avant ce dialogue de dupes. Ils se jetèrent tous trois sur le petit poste de communication – Braise avait redirigé le système de communication laser sur le réseau interne. Il n’y avait donc a priori qu’une seule personne à pouvoir les joindre par ce biais.
- — Kina !
- — Enfin !
- — Ça va ?
- — Eh ben, je vous manque tant que ça ? Désolée, les amis, mais je ne pouvais pas risquer encore plus l’existence de la colonie en vous contactant…
- — On sait, mais on commençait à s’inquiéter… Comment ça s’est passé ?
- — Bien, je suppose, soupira la jeune elfe. Mais franchement, j’ai pas envie de parler de ça maintenant. Tout ce que je veux, c’est décoller et vous rejoindre ! Je peux y aller maintenant ?
- — Euh, on est dans la cuisine, là, attends cinq minutes, on file à la passerelle.
Les quelques vieux coucous qui assuraient la surveillance de l’espace proche étaient pour l’instant suffisamment loin, le contrôle aérien local quasiment inexistant, et c’était la fin de la nuit, au sol – bref, des conditions quasi idéales pour tenter de décoller aussi discrètement que possible !
Une bonne heure plus tard, la navette rejoignait son berceau, et les quatre compagnons étaient à nouveau réunis. Une fois passées les effusions d’usage, devant le malaise évident de la messagère, Braise la lança :
- — Allez, raconte ! C’était dur ?
- — Ça n’était pas facile, non… Surtout que je les connais depuis toute petite, j’ai vécu cinquante ans parmi eux, alors leur annoncer que j’ai détruit ce qui les protégeait depuis un millénaire…
- — Mais tu es une alchimiste, non ? C’est ton rôle.
- — Je suis sensée être un facteur d’évolution, pas de révolution ! Encore heureux qu’on soit capable de bloquer nos émotions, sinon ils m’auraient lynchée, quand je leur ai appris que leur anonymat avait volé en éclats, qu’ils le veuillent ou non.
- — Mais ils t’ont quand même laissée repartir, finalement, remarqua Sylandre.
- — Oui, ça n’a pas été évident, mais ils ont fini par convenir que je n’avais pas sciemment révélé notre existence, et que je pouvais difficilement faire plus de dégâts. Piètre consolation ! Enfin, ils sont prévenus et s’occupent d’alerter les autres colonies. Et nous, on fait quoi ?
- — Ben, d’abord, on s’éloigne de tout système habité, histoire de pouvoir réfléchir en toute tranquillité, expliqua Ardent. Et puis, on décide si on tente mon petit voyage vers l’inconnu, hein ?
- — D’accord ! Mais pas tout de suite, j’ai besoin de me reposer un peu, là, précisa Kina avec un petit sourire triste, avant de quitter la passerelle.
- — Euh, on ne devrait peut-être pas la laisser seule ? risqua Sylandre.
- — Peut-être pas, sourit Braise. Allez, va la rejoindre, de toute façon, on n’a pas besoin de vous pour un ou deux Surfs « classiques ».
***
Rassemblés sur la passerelle du Diamant-Noir, ils attendent une Vague. Ardent dans sa console, sa compagne au monitoring, et l’elfe et son nouveau compagnon en simples spectateurs, se tenant par la taille. Tous deux ont refusé mordicus l’idée de ne pas participer à l’expérience.
Durant les longues semaines nécessaires aux vérifications et calibrations de la console de Surf modifiée, ils en ont appris un peu plus sur ce dans quoi ils s’apprêtent à se lancer. D’après les observations du Pilote, les autres univers semblent soumis aux mêmes lois physiques, ils ne risquent donc pas, normalement, d’être « quarkisés » à cause d’une quelconque incompatibilité entre eux ! En fait, le plus gros risque est de ne pas pouvoir revenir. Ils disposent d’un système de coordonnées heptaspatiales, mais le problème est qu’en revenant, ils peuvent se retrouver à des milliards d’années lumière de la Voie Lactée. Or non seulement personne n’a jamais tenté de Surfer aussi loin – en fait, personne n’a jamais quitté la galaxie, pour autant qu’ils sachent – mais surtout, la localisation poserait alors de très gros problèmes !
Ils s’apprêtent donc à entamer un voyage qui pourrait bien être sans retour…
Soudain, Ardent ressort la tête de sa console.
- — Ça y est, ’y en a une qui arrive !
- — Oui, elle est juste ce qu’il nous faut, confirme sa compagne, les yeux rivés à ses écrans.
- — Vous avez encore trois minutes pour changer d’avis…
- — Non, c’est trop tard pour ça, on a eu des semaines pour réfléchir, rétorque Sylandre.
- — Je ne raterais ça pour rien au monde, de toute façon ! appuie Kina.
- — Moi non plus. En plus, tu as déjà réussi bien plus difficile, conclut Braise.
- — Ce n’est pas le Surf qui risque de poser problème, grogne le Pilote avant de se remettre en position, ce sont ses conséquences !
Les ultimes secondes s’égrainent interminablement. Lorsque l’onde invisible enveloppe leur vaisseau, Ardent l’y agrippe sans hésitation, et le Diamant-Noir s’évanouit en toute discrétion de l’univers connu.
Lequel ne semble guère perturbé par cet événement pourtant sans précédent – pour la première fois en plus de treize milliards d’années, il a perdu un peu d’énergie…