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Temps de lecture estimé : 52 mn
15/11/11
corrigé 12/06/21
Résumé:  Thomas va se consacrer à sa mission. Il doit satisfaire la demande du fauteuil. De son côté, Bernard (le comptable collègue de Thomas - voir l'épisode 1) décide de mener sa propre enquête...
Critères:  #policier #fantastique #sorcellerie fh bizarre cunnilingu
Auteur : Rain      Envoi mini-message

Série : Le Fauteuil

Chapitre 04 / 04
Le Fauteuil : Chapitre final

Résumé de la première partie : Après avoir acheté un fauteuil sur eBay, la vie de Thomas (cadre travaillant dans une boîte de transports) devient un véritable enfer. Il dort très peu la nuit, fait d’étranges cauchemars, dans lesquels son esprit occupe des corps de femmes. Le jour où le patron annonce au personnel de la boîte de transports que Julia, une jeune et jolie stagiaire de l’entreprise, a disparu, Bernard, le comptable de la société, mène son enquête. Il a vu Thomas et Julia quitter ensemble la société la veille de sa disparition. Et lorsqu’il se décide à interroger Thomas à ce sujet, ce dernier se contente de lui dire que Julia n’est pas restée chez lui car elle souhaitait sortir. Mais Bernard est convaincu que Thomas ment…


Résumé de la deuxième partie : Au cours de ses multiples cauchemars, Thomas incarne successivement plusieurs femmes qui finissent sauvagement assassinées par l’homme qui hante ses nuits. Puis arrive le jour où il entre dans le corps et l’esprit du meurtrier, jour où sa vie bascule progressivement dans l’horreur et la démence…


Résumé de la troisième partie : Thomas, dans la peau du meurtrier, s’enfonce de plus en plus dans la folie. Il finit par comprendre et apprécier les actes de Philip, le chirurgien que les médias nommeront plus tard Jack L’Éventreur, et décide de poursuivre la mission que lui a confiée le fauteuil. Après une chute dans les toilettes de son travail, Thomas se retrouve à l’hôpital. En pleine nuit, il se réveille en hurlant et aperçoit la tête décapitée d’Irina (la femme de Philip) qui l’observe de ses yeux dénués d’expression. Dans la main, Thomas serre le scalpel qu’il a vu à l’œuvre lors de ses cauchemars…



***




Philip jette un œil à l’intérieur de la chambre. La tête de Charles s’agite entre les cuisses d’Irina qui, affalée en travers du lit, écarte les jambes comme une putain. Sa main droite s’est glissée dans les cheveux de son amant qui la dévore en produisant des bruits de succions que Philip trouve répugnants.


S’il s’écoutait, il trancherait la langue de son salaud de bras droit. Puis il l’opérerait vivant en faisant en sorte qu’il ne s’évanouisse pas malgré les profondes scarifications que laisserait le scalpel sur sa peau d’Irlandais.


Une meilleure idée a cependant germé dans son esprit.


Il retourne sur ses pas, marchant précautionneusement sur les lattes du plancher pour éviter de faire du bruit, dépose la dague dans le bureau, retourne au pied de l’escalier, et crie :



Des bruits de pas résonnent immédiatement sur le plancher, accompagnés de la voix de sa femme qui se fait entendre sur le palier de la chambre :



Philip sourit et attend patiemment son épouse en bas des marches. Dès qu’il l’aperçoit, il va à sa rencontre, dépose un rapide baiser sur ses lèvres, la contourne, et fonce vers la chambre.


Irina, paniquée, le suit et l’interpelle alors qu’il tend le bras pour actionner la poignée de la porte :



Irina s’empare de son bras, l’attire contre elle et l’enlace. Elle plante ses yeux dans les siens, un sourire aux lèvres.


Un pâle sourire, un sourire forcé. Sans conviction.


Philip détaille son visage. Derrière ce sourire factice transparaît la peur.


Cela lui plaît ! Son sexe se gorge de sang.


S’il laissait parler ses instincts primaires, il étranglerait sa salope de femme, ici même ! Il est certain que cela engendrerait une érection phénoménale.


Il lui rend son sourire, et retourne au rez-de-chaussée quand elle lui demande :



Le cœur d’Irina fait un nouveau bond dans sa poitrine.



oo00oo




Quand l’infirmière pénètre dans la chambre, Thomas hurle en sautillant sur le lit comme s’il marchait sur des charbons ardents. Il dodeline de la tête à la manière d’un shaman sous peyotl et, de son index, indique le pied du lit.


Dans la main, il tient un objet métallique que l’infirmière ne reconnaît pas tout de suite.


Elle essaie une approche rassurante, parlant calmement afin d’atténuer la folie qui semble s’être emparée du patient. Il ouvre la bouche, les lèvres prises de convulsions et balbutie :



Elle reconnaît alors l’objet qu’il tient dans la main droite. Un scalpel !


Que fait-il avec ça dans la main ? Et d’où le sort-il ?


Elle lui touche le bras :



Thomas lâche l’instrument chirurgical sur le lit et soulève le drap pour prouver à l’infirmière qu’il n’a pas encore perdu la raison.


En voyant la tête décapitée, ses orbites noires comme le péché, son corps est pris de tremblements et il hurle une nouvelle fois.


L’infirmière ramasse le scalpel avant qu’il ne marche dessus et se blesse, et tente encore d’apaiser ses craintes, employant une voix douce et posée, la voix qu’elle utilise avec son petit garçon de trois ans lorsqu’il est inquiet.


Il persiste pourtant à bramer :



L’infirmière recule et appuie sur la sonnette.


Une minute plus tard, deux autres infirmiers entrent dans la chambre et lui administrent un sédatif.



oo00oo




Un mois après le congrès de Manchester, Philip et Charles se donnent rendez-vous à l’hôpital. Ils passent la matinée à discuter des cas complexes de certains patients.


Après la pause déjeuner, sur le trajet retour, Philip propose à Charles :



Charles, surpris, répond :



Ce dernier reste bouche bée. Son ami, d’habitude si courtois, si peu intéressé par les choses du sexe – d’après ce que lui a confirmé Irina sur l’oreiller – semble libéré de son éducation bourgeoise protestante.


Philip ajoute :



Charles est abasourdi, atterré par le vocabulaire qu’emploie son ami et patron. Jamais Philip n’a utilisé un tel langage en sa présence. Jamais il n’a abordé un pareil sujet.



Charles ne répond pas et accompagne néanmoins son ami dans le fiacre qui les dépose dans ce pauvre quartier de Londres.


Il est étonné de voir Philip circuler aussi facilement dans ces ruelles, comme s’il était venu ici des centaines de fois.


Après avoir tourné trois fois sur la gauche, et une fois sur la droite, ils se retrouvent sur une place ronde au centre de laquelle quatre individus costauds, vêtus comme des vagabonds, s’abreuvent de tord-boyaux à même la bouteille. Dès qu’ils aperçoivent les deux chirurgiens, ils abandonnent la bibine et détaillent les deux nouveaux arrivants sous toutes les coutures.


Inquiet (complètement terrorisé), Charles suggère à son ami sur le ton de la confidence :



S’avançant vers les hommes aux visages de brutes épaisses, Philip s’écrie :



Charles est frappé par la terreur ! Il jette un regard apeuré à son ami qui le livre en pâture à ces malfrats.


Les gaillards foncent sur lui.


Charles ne bouge toujours pas. À quoi bon , pense-t-il, lorsqu’un poing percute sa mâchoire, faisant voler en éclats deux molaires. Un coup de pied au ventre l’envoie au tapis. Puis les coups pleuvent dans tous les sens ! Des poings et des pieds frappent son ventre, ses côtes, son dos et aussi son crâne. Les quatre brutes le rossent jusqu’à ce que les craquements de ses os ne se fassent plus entendre.


Philip demeure en retrait et attend que la dernière étincelle de vie dans les yeux de son traître d’ami s’éteigne.


Le massacre terminé, il paie les quatre individus et rentre chez lui.


Dès qu’il passe la porte d’entrée de sa demeure, il appelle Irina et s’empresse de lui faire savoir que Charles lui a avoué fréquenter des filles de joie à Whitechapel.


Il ne peut que condamner une pareille conduite, expliquant à son épouse que Charles ne sera plus le bienvenu dans cette maison.


Deux jours plus tard, lorsque les journaux révèlent qu’un chirurgien a été battu à mort dans ce sinistre quartier, Irina pleure de chagrin, mais aussi d’incompréhension.


Pourquoi rendait-il visite aux courtisanes ? Pourquoi ? Alors qu’il l’avait elle. Qu’elle lui avait offert son cœur.



oo00oo




Le lendemain, Thomas se réveille avec la bouche pâteuse comme s’il avait pris une méchante cuite la veille, dont il n’a aucun souvenir. Puis il se rend compte qu’il n’est pas dans sa chambre mais dans celle d’un hôpital. Il se souvient du reflet du tueur dans le miroir au-dessus du lavabo des toilettes de son boulot. Puis…


Rien d’autre ! C’est le trou noir !


Une infirmière lui explique en milieu de matinée qu’il a été victime la veille d’une hallucination probablement due à la fatigue générale dont il souffre. En effet, les prises de sang effectuées ont révélé de nombreuses carences et le médecin du service souhaite discuter avec Thomas.


En début d’après-midi, le médecin prépare une ordonnance bourrée d’antalgiques pour sa plaie au crâne, quelques anxiolytiques pour ses angoisses, et des somnifères pour ses nuits agitées. Il lui conseille vivement de se rendre dans un centre du sommeil afin d’étudier plus en détails ce qui l’empêche de se reposer convenablement.


Thomas remercie le médecin, lui promettant qu’il prendra rendez-vous avec le centre du sommeil.


Dès que son bon de sortie est prêt, il se dirige vers l’ascenseur. Au moment où il appuie sur le bouton d’ouverture des portes, une main se pose sur son épaule, le faisant sursauter.


Il se tourne et aperçoit l’infirmière qui essayait de l’apaiser, hier soir, dans son délire. Elle tient un chiffon en boule dans la main gauche.



Thomas ne répond pas. Une fois qu’elle a tourné les talons, il déplie le torchon et détaille le scalpel. Il n’avait pas remarqué la première fois, mais, sur le manche en argent est gravé :


To my dear friend Philip.



oo00oo




Depuis la mort de son bras droit, Philip nage dans le bonheur tandis que son épouse est ballottée entre tristesse, remords, et dépression. Elle est de plus en plus renfermée, parle peu, se contentant la plupart du temps d’hocher la tête quand il lui adresse la parole.


Lui rayonne, propose à son épouse d’aller au théâtre, de dîner au restaurant, sachant parfaitement qu’elle refuse systématiquement.


Il est gai, siffle lorsqu’il se rase, et sort de plus en plus le soir. Seul.


Il retourne à Whitechapel et prend du bon temps que ce soit lorsqu’il couche avec des filles ou lorsqu’il les larde de coups de couteau.


Chaque soir, il lit le livre qu’il s’est procuré à Manchester. Chaque soir, il récite les incantations pour conjurer L’Indicible, celui qui rendra son âme éternelle et lui permettra que d’autres personnes, à travers les âges, perpétuent sa mission.


Les femmes doivent payer pour leurs péchés ! Elles doivent être défigurées, enlaidies, torturées car tout ce qu’elles affichent, tout ce qu’elles ont à offrir, n’est que mensonge et tromperie. Il les hait ! Elles sont néfastes à l’homme !


Il s’installe dans l’entrepôt qu’il loue depuis quelques mois. Il s’y sent tellement bien, surtout depuis qu’il a ramené le fauteuil de sa grand-mère qui lui servira de réceptacle pour le rituel.


Il dépose les corps des prostituées avant de prélever des organes dont il aura besoin pour la cérémonie magique qu’il connaît par cœur.


Il dort parfois au milieu des cadavres de ses victimes et rêve que sa mission ne prendra jamais fin.


Il ne lui manque plus qu’un foie pour le rituel.


Sa dernière proie est encore chaude.


Il utilise le scalpel que lui a offert Charles (ce salaud de Charles) et ouvre le cadavre tiède.


Une fois l’organe retiré des entrailles de la femme, il le dépose sur un plateau en argent (comme le spécifie l’incantation du grimoire) qui contient un cœur, un intestin et une vésicule biliaire.


Il sort le scalpel et découpe proprement aux coutures le tissu rouge du fauteuil. Il y glisse ensuite les organes et récite la formule magique sept fois.



Le narrateur conseille aux lecteurs de ne pas lire sept fois ce passage s’il ne veut pas s’attirer de graves ennuis ! En aucun cas il ne pourra être tenu pour responsable de ce qui pourrait se produire si un lecteur tentait le diable !


Zyeweso, wecato, keoso, xunewe-rurom, xeverator, menhatoy, ziwethorosto, zui, zururogos Yog-Sothoth ! Orary, ysgewot, homor athanatos nywe, zumquros, ysechyroroseth xoneozebeth Azathoth, xono, zuweset, quyhet kesos, ysgeboth Nyarlathotep ! zuy rumoy quano duzy xeuerator YSHEETO THYYM, quanowe xeuerator phoenagoo, Hastur ! hagathowos yachyros, gaba Shub-Niggurath ! meweth, xosoy vzewoth ! *


Philip attend patiemment la fin de l’incantation. Ses yeux fixent le fauteuil.


Rien !


Il attend quelques minutes de plus.


Toujours rien !


Il commence à douter et se dit qu’il a été bien bête de se laisser manipuler par le vieux quand un puissant bourdonnement se fait entendre.


Le bruit que pourraient faire des abeilles dérangées dans leur ruche, pense Philip.


Le regard affolé, il cherche à la faible lueur de la lampe à huile un essaim d’insectes au moment où il discerne, au-dessus du siège du fauteuil, une colonne noire d’environ deux mètres de haut formée de centaine de milliers de mouches vertes, celles qui aiment traîner sur les cadavres et les excréments. Elles tourbillonnent en spirales en produisant un vrombissement inquiétant. Philip, les yeux écarquillés par la peur, ne peut plus bouger.


Les insectes changent brusquement leur angle de vol.


Le chirurgien, médusé, les observe adopter une forme vaguement humanoïde, même si l’endroit où sont censés se trouver les membres inférieurs garde l’aspect d’une spirale au bombillement effrayant. À l’endroit de la tête, Philip voit apparaître, sous la masse noirâtre de mouches agglutinées entre elles, deux points rouge vif qui lui donnent des frissons.


Sa gorge est nouée et sa langue semble aussi sèche que du papier-verre. Le bruit, produit par la multitude d’ailes s’agitant à l’unisson, s’affaiblit et l’apparition fonce sur l’assassin de Whitechapel.


Il crie, hurle, pleure en dansant d’un pied sur l’autre. Il pense que s’il s’en sort vivant, il n’aura plus toute sa raison. Il sera complètement fou même ! Quel homme peut conserver ses facultés psychiques après avoir vu pareille chose ?


Les mouches se dispersent et s’engouffrent dans sa bouche, remontent ses narines, et s’infiltrent dans son rectum après qu’une nuée d’insectes aient arraché son pantalon et son slip.


Le chirurgien est convaincu qu’il va s’étouffer à l’instant où des centaines de mouches plongent au fond de sa gorge, volant et vrombissant jusqu’à son estomac. La sensation est des plus désagréables, et malgré la nausée qui s’empare de lui, il ne parvient pas à vomir pour expulser les indésirables envahisseurs.


Dans le conduit nasal, passés les légers chatouillis que provoquent les mouches en remontant vers les sinus, Philip a ensuite l’impression que les insectes volettent au centre de son crâne, heurtant de temps à autre sa cervelle, ce qui est autant désagréable que douloureux.


Il lui faut un peu plus longtemps pour ressentir les mouches qui pénètrent son anus et se dirigent vers ses entrailles. Comment est-ce possible ? Peuvent-elles atteindre son colon ? Vont-elles dévorer ses intestins ? Les frottements des ailes et des pattes deviennent insupportables. Philip a besoin de se gratter à des endroits inaccessibles, situés sous la peau.


Il pousse des cris haut perchés, gémit comme un spectre qui se mire pour la première fois dans un miroir, et pleure comme un enfant perdu au milieu d’une vaste forêt la nuit. Il se pisse dessus.


Soudain, dans le conduit lacrymal, une mouche se fraie un passage pour atteindre le creux de son orbite.


Il s’égosille une dernière fois et s’évanouit.


Il se réveille avec un mal de crâne abominable. En passant la main dans ses cheveux, il y découvre une bosse qu’il a dû se faire lorsqu’il a perdu connaissance. Il ne sent plus les mouches grouillant dans ses orifices.


Mais, au fond de son crâne, il entend un léger bourdonnement.


Face à lui le fauteuil resplendit sous la pâle lumière qu’émet la lampe à huile renversée sur le sol. Il s’approche du fauteuil et constate avec stupéfaction qu’il est recousu à l’endroit où il l’avait éventré pour y glisser les organes. Il appuie fortement sur le tissu du siège afin de vérifier si les organes s’y trouvent encore.


Rien !


Afin d’en avoir le cœur net, il découpe une nouvelle fois proprement le tissu et finit par se résoudre à l’évidence. Les organes ont disparu, comme l’horrible créature constituée de mouches.


Les coutures se reforment et le tissu est de nouveau intact, comme par enchantement. Philip n’est qu’à moitié étonné.


Au fond de son crâne, un léger bourdonnement se fait entendre dès qu’il sort dans la rue déserte.



oo00oo




Après son bref séjour à l’hôpital, Thomas prend deux jours de repos. Il oublie les cauchemars pendant la journée, abruti par les calmants et les anxiolytiques que le médecin lui a suggéré de prendre pendant un mois, afin qu’il puisse se détendre et profiter d’un peu de repos.


Avec ou sans médicaments, les cauchemars continuent à hanter les nuits de Thomas. Il se réveille souvent, certes moins effrayé (étant donné que la conduite de son « hôte » lui paraît de plus en plus souvent justifiée) mais, lorsque débute la série de cauchemars sur le rituel, la terreur l’investit à nouveau.


C’est probablement à cette période-là que le pauvre Thomas a chuté définitivement dans le précipice de la folie que les psychiatres définiront plus tard comme schizophrénie aiguë.


Les peurs qui ont traversé le corps de son « hôte » lors du rituel resteront à jamais présentes dans son esprit. Elles l’accompagneront jusqu’à son dernier souffle. Peut-être seront-elles encore présentes même après sa mort ? Thomas s’est posé cette question maintes fois et a envisagé cette éventualité comme une hypothèse tout à fait probable.


Il a au début essayé de nier l’évidence. Que le fauteuil n’a pas d’histoires à raconter. Que tout cela se déroule peut-être dans son esprit malade. Mais comment expliquer l’apparition du scalpel alors ?


Il ne sait plus où il en est.


Le troisième jour, afin de ne plus avoir aucun doute, il se dirige vers le fauteuil, le scalpel dans la main. Il entend la voix lui annoncer que ce n’est pas une bonne idée. Qu’il devrait laisser tomber au lieu de se faire du mal. Il s’approche du fauteuil, lui demande pardon, et lacère le tissu rouge.


Une dizaine de secondes passent et le tissu se régénère. Thomas l’entaille à nouveau, abîme les accoudoirs avec l’instrument chirurgical, le regard sombre, les yeux brillant de folie. Un instant plus tard, le résultat est le même. Les marques laissées disparaissent comme si elles n’avaient jamais été là.


Obligé de se rendre à l’évidence, il abdique et accepte la mission que lui confie le fauteuil.


Les cauchemars qui suivent sont différents des précédents. Ils se produisent à l’époque actuelle. La première fois qu’il voit Julia, Thomas comprend que certains pourraient être prémonitoires.



oo00oo




Philip ignore qu’il ne lui reste que deux semaines à vivre après avoir ensorcelé le fauteuil. De toute manière, même s’il avait pu connaître l’heure de sa mort, cela ne l’aurait pas du tout angoissé, car il avait tout fait pour que son œuvre traverse les âges et que d’autres prennent le relais.


C’est donc avec un large sourire, malgré l’immonde créature qu’il a conjurée quelques heures plus tôt, qu’il rentre chez lui le lendemain matin.


Il appelle son épouse, mais ne reçoit pas la moindre réponse. Il fouille la plupart des pièces criant des « IRINA » à tue-tête jusqu’à ce qu’il la trouve, dans la chambre d’amis, pendue à la poutre.


Cette macabre découverte l’emplit de joie et il quitte sa demeure en fiacre jusqu’à Whitechapel, où il se contente de copuler toute la nuit avec trois prostituées. Sa vengeance est totale et mérite d’être fêtée !


Dès le lendemain, il déclare à la police le suicide de sa femme et cesse d’aller travailler.


Il passe le restant de ses journées à Whitechapel. Ses problèmes d’érection ont disparu et il dilapide son argent en compagnie de charmantes filles que, parfois, il se promet d’assassiner lorsqu’elles reprennent leurs airs de supériorité qu’il exècre chez les femmes.


Un matin, le bourdonnement au centre de son crâne refait surface. Il est amplifié. Il a l’impression d’avoir la tête dans un étau et a même la sensation de sentir son cerveau palpiter, ce qui lui arrache des cris de douleur. Il revit l’horrible épisode du rituel, au cours duquel les mouchent s’immiscent sous sa chair. Il sent sa tête pleine de mouches qui rongent son cerveau.


Il hurle lorsqu’il aperçoit deux points rouges qui s’avancent vers lui et meurt d’un arrêt cardiaque.



oo00oo




La première fois où Julia met les pieds dans la boîte de transport, Thomas passe une journée de merde. Les cauchemars des jours précédents ont considérablement diminué son temps de sommeil et ses collègues, incapables de se débrouiller seuls, passent leur temps de travail à lui demander s’il ne pourrait pas s’occuper de-ci ou bien les aider à faire cela.


Il ne peut pas s’empêcher d’envoyer paître Étienne, en lui disant qu’on se demande vraiment pourquoi il a obtenu son CDI, vu qu’il n’a toujours pas compris en quoi consistait son travail.


Le pauvre Étienne, petit, roux, au teint olivâtre, est devenu cramoisi et est parti sans demander son reste.


Mais celle qui a tiré le pompon, c’est cette grosse vache de Sylvie qui a osé l’envoyer bouler après qu’il lui a démontré par A plus B qu’elle était aussi utile qu’un trou du cul greffé sur le coude.


Elle a disjoncté et est entrée dans une colère telle que ses énormes joues étaient prises de tremblements. Ses nasaux se dilataient et de sa grande gueule jaillissait un flot d’injures. Il ne manquait plus que de la fumée sorte de ses narines et il affrontait le Cerbère.


Sa main a plongé dans la poche de son jean et a caressé la boîte dans laquelle il range le scalpel pour ne pas se blesser. Son esprit a vu, comme dans un rêve, la boîte s’ouvrir. Puis sa main a saisi le scalpel…


Julia passe derrière Sylvie qui ne comprend pas pourquoi ce petit con de Thomas sourit alors qu’elle l’insulte copieusement. Dès qu’elle réalise que son regard ne se porte pas sur elle, mais derrière elle, elle se retourne et aperçoit la stagiaire en train de discuter avec Éric.


Folle de rage, Sylvie traite une nouvelle fois Thomas d’infâme connard et s’en va en lui annonçant qu’elle ira se plaindre au directeur.


Thomas contemple un moment les courbes de Julia, mais ce qui l’a réellement interpellé, c’est son visage. Il l’a déjà vu quelque part. Mais où ?


Il se creuse la tête le restant de la journée et croise plusieurs fois les yeux noirs et haineux de Sylvie quand elle passe près de son bureau.


À 16 h, M. Fauchard lui téléphone. Il lui donne rendez-vous à 17 h 15 dans son bureau.


La salope a bavé , songe Thomas en tripotant le bistouri qu’il a sorti de sa boîte.



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Il s’en sort avec un avertissement et l’obligation de présenter des excuses publiques à Sylvie. Cette obligation lui écorche la gueule. Il en est malade de demander pardon à cette pauvre conne. S’il pouvait, il découperait cette truie, trouerait ses larges cuisses couvertes de cellulite avec le scalpel et la lui ferait bouffer.



Dans l’encadrement de la porte de son bureau, la jolie brune attend. Thomas ne l’a pas remarquée et répète :



Thomas sursaute dans son fauteuil, retire la main de sa poche – celle qui serre le scalpel – et sourit bêtement.



Elle sourit aussi en retour et répond :



Thomas est plongé dans ses pensées. Ce sourire a réactivé toutes ses connections cérébrales. Il l’a vue en rêve. Le fauteuil lui en a aussi parlé. Il lui a raconté ce qu’il devra faire.


Voyant que Thomas reste muet, elle continue :



Elle quitte son bureau en le trouvant plutôt sympa ce gars, pour un chef.



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Les trois semaines qui précèdent la disparition de Julia, Thomas est infect avec tout le personnel de l’entreprise hormis le patron, Julia, et aussi Sylvie (plus par obligation que par envie ou choix.)


Il a définitivement choisi de consacrer le reste de sa vie à remplir les missions que ne cesse de lui confier le fauteuil.


Sa toute première expérience remonte à trois jours avant la disparition de Julia.


Ce soir-là, en rentrant du travail, Thomas s’arrête à la boucherie et ramène du bœuf. Il va avoir besoin de protéine pour cette nuit.


Cela fait plusieurs jours qu’il voit dans ses cauchemars ce qu’il doit se passer ce soir. Ce qu’il doit faire ce soir.



Vers deux heures du matin, Thomas monte dans sa BMW et roule jusqu’au centre-ville. Il se gare à cinq cents mètres d’une discothèque.


Il avance d’une dizaine de mètres quand la voix lui annonce :



À contrecœur, il fait demi-tour et dépose sa nouvelle relique dans la boîte à gants.



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Comme c’est jeudi soir, l’air de la discothèque est respirable. Thomas s’est tout de suite installé sur un tabouret au comptoir du bar. Il sirote tranquillement une Desperado en se demandant pourquoi il persiste à boire cette saloperie qui n’est qu’une bière pour ado, ou pire, pour gonzesses, ces êtres qui le dégoûtent.


De sa place, il a une vue imprenable sur la piste de danse où se trémousse un groupe de filles que quelques garçons ne tardent pas à rejoindre. Après une minutieuse observation, il comprend qu’ils ont l’air de se connaître. Déçu, il s’apprête à aller dans la seconde salle où il espère trouver des proies venues seules.


En chemin, il aperçoit une fille seule, vautrée dans un canapé, un verre à la main. Elle doit avoir à peine vingt ans malgré l’épaisse couche de maquillage qui pourrait lui en faire paraître trente.


Thomas s’installe dans un canapé où il peut continuer à l’observer en restant discret.


Au bout d’une dizaine de minutes, la fille se lève et marche vers la salle de laquelle s’échappent des beats techno, on ne peut plus minimale. À distance, il l’épie et surveille ses faits et gestes. Est-elle venue seule ou bien accompagnée ? Va-t-elle repartir avec quelqu’un ?


Pour le moment, elle a l’air seule. Elle se trémousse dans un coin, face à un miroir sur la piste de danse.


Il décide de tenter une approche et se dirige sur la piste de danse en se rapprochant de la fille. Il passe un moment à quelques mètres d’elle sans jamais croiser son regard lorsqu’un un jeunot, qui a dû fêter ses dix-huit ans le week-end dernier, se place derrière la fille et se frotte à son postérieur. Elle lui lance un regard noir et fait quelques pas en avant afin que le contact peu courtois soit rompu.


Mais on n’arrête pas un blaireau bourré aussi facilement ! Le gars sourit bêtement et va se frotter une nouvelle fois contre la fille qui, ce coup-ci, fait volte-face, exaspérée, et glisse quelque chose à l’oreille du petit jeune qui lui répond de la même manière.


Thomas s’approche d’eux et lance à la fille :



Le jeunot promène son regard de Thomas à la fille, cherchant à savoir s’ils se connaissent.



Le jeune marmonne un truc dans sa barbe et s’éloigne.



Elle hésite un instant et finit par accepter.


Ils vont au bar où ils commandent une bière et une vodka orange. Ils passent trois quarts d’heure à bavarder et quittent ensemble la boîte.



oo00oo




Il est 5 h 05. Charline remercie Thomas après lui avoir fait la bise. Il s’éloigne en lui tournant le dos. D’un regard par-dessus son épaule, il l’observe marcher sur le trottoir d’en face.


Il attend une dizaine de secondes et court vers elle.


En attendant des bruits de pas, Charline se retourne et se retrouve nez à nez avec Thomas qui lui propose, un ravissant sourire accroché aux lèvres :



Après une brève hésitation, elle accepte :




oo00oo




Une fois confortablement installée dans la BM, alors que Thomas est en train d’attacher sa ceinture, Charline se penche sur lui et presse ses lèvres contre les siennes.


D’abord surpris, il ne lui rend pas son baiser, mais lorsqu’il sent la langue de sa proie se forcer un passage entre ses lèvres closes, il les entrouvre et plonge à son tour la sienne dans la bouche de sa future première victime.


Tout compte fait, cela risque d’être plus simple que ce qu’il avait prédit !


Il examine ses yeux et avant qu’elle entreprenne quoi que ce soit, il l’embrasse une nouvelle fois et lui propose :



Elle hésite. Thomas se dit qu’il a peut-être été un peu vite en besogne et s’apprête à lui expliquer qu’il s’est peut-être un peu trop emballé quand elle lui annonce :



Thomas se contente de sourire et passe la première.


Pas de problème ma chérie. Il n’y aura pas de sexe, chuchote la voix.



oo00oo




Thomas est relativement calme. Il va ôter la vie de quelqu’un pour la première fois de son existence et cela ne lui fait ni chaud ni froid. Il doit le faire, point final ! Le fauteuil lui a assigné cette mission et il va la mener à bien.


Arrivé dans le salon, Thomas est outré que cette salope pose son cul dans son fauteuil sans lui avoir demandé l’autorisation. En voilà des manières ! Ses parents ne l’ont-ils pas convenablement éduquée ?


S’il s’écoutait il se jetterait sur elle et lui tordrait le cou. Mais il doit utiliser le joujou de Philip. Et comme un con, il l’a oublié dans la boîte à gant. Il va lui servir un verre de whisky ou autre. Un petit ? Oui, un petit, peut-être qu’il la tuera avant qu’elle ait fini son verre.


Une voix le tire soudain de sa rêverie :



Il se force à sourire et répond :



Il est désappointé. Le temps de préparer le café va retarder le moment du passage à l’acte. Et pour être honnête, il a hâte de voir sa tronche quand il la menacera avec le scalpel.


Il court à la cuisine, remplit le récipient de la cafetière à moitié (toujours ça de gagné pour la tuer plus vite) et met en marche la machine à café avant de descendre au garage récupérer ce truc important.



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Il reste cinq grosses minutes à serrer le scalpel, assis côté passager. Il contemple la lame sous la lumière crue des néons quand il entend des bruits de pas dans l’escalier.


Décidément cette salope commence à les lui briser menu ! Il sort de la voiture, cache le bistouri dans son dos, et attend que Charline ramène sa fraise.



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Elle lui sourit et ouvre la bouche pour s’exprimer au moment où il la prend dans les bras et l’embrasse. Elle blottit ses mains sur le torse de Thomas. Il la serre dans ses bras, le scalpel bien au chaud dans la paume de sa main droite. Une minute s’écoule avant que Thomas incise le dos de Charline avec le scalpel.


Elle crie d’abord de surprise, puis de douleur quand Thomas entaille son dos sur une vingtaine de centimètres. Il lit de l’incompréhension dans ses yeux mêlée à de la peur.


Il se sent terriblement excité et en pleine forme, comme si la fatigue avait disparu. Il se sent au-dessus de l’humain. Il a le pouvoir de vie et de mort sur eux.


La lame continue à déchirer les chairs, crissant parfois lorsqu’elle effleure la colonne vertébrale. Malgré la terreur qui s’est emparée d’elle, elle se débat, essayant de se libérer de son étreinte, et n’y parvenant pas, elle lui envoie un puissant coup de genou dans les parties et court pendant qu’il se tord de douleur.


Le souffle coupé, de violentes pulsations douloureuses irradiant son entrejambe, Thomas crache un salope en se tenant les couilles.


La garce est en train de fuir. Elle essaie d’ouvrir le portail du garage.


Il se précipite sur elle, les couilles en compote, quand il voit le portail s’ouvrir.


Elle s’engouffre dans l’ouverture et sprinte jusqu’au portillon qui donne sur la rue.


Il accélère et la poursuit dans le jardin où elle a la bonne idée de se mettre à gueuler comme si on la violait.


Thomas va lui faire payer cher son comportement ! On ne braille pas à six heures du matin dans un quartier paisible. Dans son quartier, qui plus est !


Elle appuie sur la poignée du portillon qui s’ouvre en grinçant lorsqu’une main empoigne ses cheveux et la tire en arrière.


Elle cherche à hurler plus fort, se débat, mais la lame du scalpel s’enfonce dans sa gorge. Beaucoup de sang en jaillit, éclaboussant Thomas.


Il lance des regards dans toutes les directions afin de vérifier qu’aucun voisin n’a pu être témoin du meurtre. Pas la moindre lumière, toutes les maisons sont plongées dans l’ombre.



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Bernard a de plus en plus de difficultés à trouver le sommeil. Il ne peut pas s’empêcher de penser à la petite Julia. Des images horribles traversent son esprit. Thomas est obligatoirement coupable, il est en persuadé.


Il a fini par demander l’avis d’Aline concernant l’attitude à adopter. Elle lui a conseillé d’aller voir la police plutôt que son patron. Il pourrait même passer un appel anonyme, lui a-t-elle suggéré. Pourtant il n’arrive toujours pas à se décider. Peut-être devrait-il essayer de mettre un peu plus la pression sur Thomas, le pousser dans ses retranchements, jusqu’à ce qu’il craque.


Un matin, alors qu’il est pris dans les embouteillages, une idée surgit dans son esprit. Avant d’avertir la police, il pourrait mener sa propre enquête. S’il se faisait porter pâle et aller fouiner chez Thomas ? Peut-être trouverait-il des indices ?


Un cadavre, voilà ce que tu vas trouver. Tu es sûr de vouloir être confronté à ça ? Tu ne peux pas laisser ce travail-là à la police ? lui conseille la voix de la sagesse au fond de son crâne.


Il augmente le volume de son autoradio qui joue Money for nothing pour chasser cette pensée et attrape son portable qu’il laisse toujours sur le siège passager. Il compose le numéro du cabinet de son médecin ; la voix suave de Cynthia, sa jeune secrétaire, l’accueille avec la bonne humeur qui la caractérise. D’un ton enjoué, il répond :



Il entend un froissement de papier et elle reprend le combiné.



Il s’apprête à appeler son travail pour dire qu’il ne viendra pas travailler quand il aperçoit, à une centaine de mètres de là, une fourgonnette de la gendarmerie qui arrête des automobilistes au rond-point d’en face. Il lâche le portable sur le siège comme s’il était devenu brûlant et se gare sur la droite alors que la chanson de Dire Straits se termine.


Après avoir passé le coup de fil, Bernard reste dans sa voiture une dizaine de minutes à réfléchir. Il est décidé. Il va se rendre chez Thomas. Il faut qu’il découvre la vérité.



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Une fois dans le garage, Thomas jette le corps par terre et va chercher un seau et une serpillière. Il faut qu’il nettoie le sang qui a coulé sur la pierre de Bavière près du portillon. Il doit nettoyer le sang avant que madame Olchewski sorte son saucisson à pattes pour ses besoins. Comme si ce con de clébard avait besoin de pisser tous les matins à six heures pétantes.


Il regarde sa montre et constate qu’il est 5 h 44. La vieille est réglée comme une horloge et dans seize minutes il entendra son portail grincer (comme si son abruti de mari ne pouvait pas y mettre un peu d’huile, au lieu de passer son temps à râler après la terre entière).


Il remplit le seau d’eau chaude, cherche sous l’évier des produits d’entretien et finit par verser dans l’eau un cocktail de produits nettoyants en tous genres.


5 h 46. Il court avec le seau jusqu’au portillon quand il entend des volets s’ouvrir. Putain de merde ! C’est bien sa chance ! Albert (c’est le nom du cabot) a peut-être une gastro et mémé veut le faire sortir avant qu’il ne crépisse de merde le canapé en cuir.


Thomas dissimule le seau derrière son dos.


Les volets s’ouvrent sur le corps décharné de madame Olchewski, portant encore sa chemise de nuit.


5 h 52. La voisine sort avec son clébard accroché au bout d’une laisse rouge. Elle fait un signe de la main à Thomas qui lui sourit en agitant la sienne. Elle remonte la rue, s’arrêtant à chaque fois qu’Albert lève la patte pour marquer son territoire.


Thomas nettoie le sang près du portillon et retourne dans son garage qu’il ferme à clé.


Il doit se débarrasser du corps. Il a bien une ou deux idées, mais elles lui paraissent un peu saugrenues. Il a d’abord imaginé dissoudre le corps dans de l’acide comme Victor, le nettoyeur dans Léon. Puis, il a ensuite pensé à offrir le corps en pâture à des animaux dans un zoo comme à la fin du Père-Noël est une ordure.


Quand il pense que Philip se contentait de laisser les cadavres dans la rue, il regrette de ne pas avoir vécu à cette époque où tout était tellement plus simple, sans police scientifique.


Il s’assoit dans son fauteuil et caresse les accoudoirs, les yeux fermés, afin de faciliter la communion avec son objet. Ce dernier s’adresse immédiatement à Thomas :



Thomas ne dit plus rien. Il reste un quart d’heure à ressasser cette idée dans son esprit.


Il se lève du fauteuil, va chercher un couteau dans la cuisine et retourne dans le garage.


Il est temps de débiter du bifteck, glousse la voix.



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Bernard regarde l’heure. 8 h 34. Il a rendez-vous à onze heures chez le médecin, cela lui laisse presque deux heures et demie à attendre.


Il pourrait aller chez Thomas. À neuf heures il devrait être arrivé. Cela lui laisse une grosse heure à chercher…


À chercher quoi ? Tu sais ce que tu vas trouver, lui annonce son instinct. Un macchabée !


Il démarre sa voiture, s’insère dans la circulation et file chez Thomas. Au rond-point, la gendarmerie ne l’arrête pas et il se dit que c’est de bon augure. La chance est peut-être enfin de son côté et il va découvrir et pouvoir faire éclater la vérité.



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La première fois que Thomas mange son « steak maison », il est sujet à de nombreux haut-le-cœur qui se terminent en vomissements, principalement causés par son esprit qui prend un malin plaisir à rediffuser la scène du débitage de Charline.


La seconde tentative, moins écœurante, lui laisse simplement des pensées amères quant à ce qu’il a fait subir à sa première et seule victime. Lors des essais suivants, il dévore cette viande avec voracité, lui trouvant un goût nettement plus délicieux que toutes les viandes qu’il a testées.


Ses yeux sont aussi devenus étranges. Ses pupilles sont brillantes, sujettes à la mydriase, comme celles d’un camé sous amphétamine. On y décèle quelque chose de profondément dérangeant sans savoir exactement ce que c’est. De la folie ? Du sadisme ? Les deux ?


Thomas continue à dormir peu, réveillé par des songes qui le terrifient et en même temps lui donnent des envies, des pulsions sexuelles ou meurtrières. Rêve et réalité s’imbriquent, se mélangent, perturbant Thomas qui finit par les confondre.


La fatigue occasionne des problèmes de mémoire. Il ne sait pas s’il a rêvé ou s’il a réellement participé aux événements qui hantent son esprit.


Charline, il s’en souvient ! Il a passé presque toute une nuit avant de la mettre dans des sacs congélation !


Mais Julia ? C’est plutôt flou.



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L’affichage digital dans la voiture indique 9 h 02 quand Bernard se gare sur une placette, derrière la maison de Thomas.


Il descend de voiture, le cœur cognant dans la poitrine, essayant de respirer la bouche grande ouverte afin d’apaiser l’effroi qui s’est emparé de lui. Ses mains sont moites comme ses aisselles.


Je suis terrifié comme un enfant qui a peur du croquemitaine, songe-t-il.


Après avoir vérifié que personne ne peut le voir, il s’approche de la murette, l’escalade, et se laisse tomber dans le jardin, où il s’arrête pour reprendre son souffle.


Tu viens de franchir une murette et tu es déjà épuisé, se dit-il en souriant.


Il se redresse, le palpitant battant toujours la chamade.


Il est 9 h 06.


Par où va-t-il commencer ?


Il aperçoit une cabane de jardin en bois, sur sa gauche, dont la porte d’entrée est verrouillée par un gros cadenas. Sur sa droite, un cerisier déploie ses branches jusque sur l’avancée de toit de la terrasse carrelée, derrière laquelle une baie vitrée donne sur le salon où trône un vieux fauteuil d’époque, disposé de telle manière que le regard se porte naturellement sur celui-ci.


Si seulement je disposais d’une pince-monseigneur, regrette amèrement Bernard en s’approchant de la baie vitrée.


Il est 9 h 08.



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Thomas rêvasse dans son bureau, les yeux fixant l’écran de son ordinateur sans vraiment regarder les tableaux Excel qui s’y trouvent. Il est en train de réfléchir.


Bernard l’a pas mal gonflé avec toutes ses questions, mais lui a aussi ouvert les yeux. Thomas n’est plus certain de rien.


Qu’est-il arrivé à Julia ? Il lui semble qu’elle est partie de chez lui, qu’elle voulait prolonger la fête.


Lui a-t-il fait mal ? A-t-elle subi le même sort que Charline ?


Non, il s’en souviendrait s’il avait emballé Julia dans des sacs pour la mettre au congélateur. Puis il lui restait encore quelques bons « steaks » de Charline.


L’a-t-il attachée comme le lui a suggéré la voix ?


Il se concentre, ce qui est devenu extrêmement difficile, vu l’agitation permanente dans sa petite caboche qui ne trouve toujours pas le temps de se reposer.


Elle est venue chez lui, ils ont écouté du rock des seventies en buvant des bières et…


On s’est tripoté sur le canapé et j’ai ouvert les yeux. Je lui ai fait comprendre que je désirais me lever du canapé. Elle est d’abord restée assise. Je lui ai tendu la main pour l’aider à se mettre debout. On s’est enlacé. J’ai retiré son haut pour que je puisse admirer sa poitrine. Puis…


Thomas ne se souvient pas avoir vu ses seins. Sont-ils gros ? Petits ? Il n’en garde aucun souvenir. Puis une image de poitrine s’impose à sa mémoire.


Des petits seins en forme de poire… Je les ai léchés, aspirés entre mes lèvres. Je l’ai gentiment poussée sur le fauteuil où elle s’est assise alors que mes mains déboutonnaient son jean.


Thomas est soudain tiré de ses souvenirs par la petite voix qui s’écrie au fond de son crâne :


Toto ! Y’a quelqu’un chez toi !


Thomas jette un œil à sa montre.


Il est 9 h 08.



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Bernard reste figé sur place, le visage collé à la vitre. Cela fait deux minutes qu’il contemple ce fauteuil comme s’il s’agissait d’un tableau de maître.


9 h 10.


Il observe la façade et les fenêtres. Toutes sont fermées. Il se demande si c’est une bonne idée de s’être introduit chez Thomas. Il aurait peut-être mieux fait d’alerter la police. Il se hisse sur la terrasse et son regard s’attarde sur le barbecue à côté duquel pend une clé accrochée à un clou planté dans la brique réfractaire.


Bernard s’empare de la clé et se rue vers la cabane de jardin pour l’essayer. Elle semble adaptée à la serrure et ouvre le cadenas.


Il consulte sa montre. Il est 9 h 15.



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Thomas se lève et fait deux fois le tour du bureau.


Qui ? Voilà la question qui hante ses pensées et à laquelle la voix a refusé de répondre.


Il quitte son travail sans prévenir qui que ce soit. Arrivé dans le parking, il grimpe dans sa BM et met le contact.


Il roule à plus de quatre-vingt-dix à l’heure en ville, et lorsqu’il s’en rend compte, il appuie sur le frein pour atteindre la vitesse réglementaire.


Il est furieux de rouler si lentement. Il a l’impression que tous les automobilistes font exprès de conduire comme des sagouins. Il ne se prive pas d’utiliser plusieurs fois l’avertisseur sonore et engueule une mamie qui ne traverse pas assez vite un passage piéton.


Il est 9 h 20 quand l’esprit de Thomas se focalise sur Julia.


J’ai fait glisser son jean le long de ses cuisses satinées. J’avais une de ces triques ! (Thomas sourit.) Elle me l’a fait remarquer et j’ai arraché sa culotte rose rehaussée de dentelles de la même couleur. Et là, j’ai enfin pu voir sa petite touffe et ses fines lèvres ! Je me suis agenouillé et me suis emparé de son intimité que j’ai d’abord effleurée du bout des lèvres. Ça avait l’air de lui plaire ! Un peu chatouilleux au début. Puis ma langue a jailli de ma bouche et a dardé de la pointe le pourtour de son abricot avant de se planter dans la moiteur de ses profondeurs. À cet instant elle a pressé sur ma tête pour que mon visage écrase son entrejambe. Je l’ai dévoré comme une bête, aspirant ses lèvres et son clitoris, lapant sa fente ruisselante, explorant son fourreau aussi loin que ma langue puisse s’y aventurer. Elle gémissait. Ses cuisses se tordaient, comprimaient ma tête, puis elle a poussé un cri aigu et ses muscles se sont décontractés. Je lui ai proposé de jouer à un jeu.



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Un véritable capharnaüm règne dans la cabane de jardin. Des deux côtés des stères de bois qui font face à l’entrée, Bernard aperçoit une échelle pliable, une table de jardin renversée, une tondeuse à gazon, des piles de cartons, et un établi sur lequel des outils s’entassent pêle-mêle.


Il entre dans la cabane et ferme la porte derrière lui après avoir allumé la lumière. Il a besoin de réfléchir un peu. Jusqu’à maintenant, il a trop compté sur la spontanéité sans laisser le temps à ses idées de mûrir.


Il pourrait prendre l’échelle et essayer de s’introduire par une des deux fenêtres qui percent la façade de ce côté de la maison. Ou bien il pourrait essayer d’ouvrir la porte du garage de l’autre côté de la maison. La serrure ne doit pas être bien résistante. Mais de l’autre côté, les voisins sont nombreux et il serait facilement repéré.


De toute manière, s’il choisit l’échelle, il devra casser un carreau. Et ensuite ?


Bernard, indécis, balaie du regard l’établi. Un chiffon attire son attention. Il va passer par une des fenêtres et casser un carreau à l’aide d’un marteau dont le bruit sera atténué par le chiffon.


Il doit savoir ce qui est arrivé à Julia et il est convaincu que la réponse se trouve à l’intérieur de la maison de Thomas.


Il attrape l’échelle, la glisse hors de la cabane et la pose contre le mur. Il prend un marteau dont il recouvre la tête du chiffon et ramasse l’échelle avant de la disposer contre la façade, au niveau d’une fenêtre.


De la sueur perle aux tempes de Bernard qui, dans un état d’anxiété indescriptible, observe sa montre lorsque son pied s’appuie sur le premier barreau de l’échelle.


9 h 21.



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Dans sept minutes, Thomas se garera devant sa maison. Mais pour le moment il est trop absorbé par les souvenirs qui jaillissent dans son esprit.



  • — Je peux t’attacher ? ai-je demandé sans que cela ne m’occasionne la moindre gêne, même si nous nous connaissions si peu.

Elle a hésité, les jambes toujours écartées, exhibant son intimité luisante. Puis elle a dit :


  • — Si tu veux ! Mais un truc soft. J’aime pas trop les trucs hardcore.

Je lui ai souri pour la rassurer, mais je savais que j’allais être hardcore.


Je suis allé dans le garage et j’ai récupéré ma corde d’escalade (plus de vingt mètres) que je n’utilise plus depuis une dizaine d’années. Avant de retourner dans le salon où Julia m’attendait toujours les fesses rivées sur mon fauteuil, j’ai pensé au scalpel. Il a occupé mon esprit jusqu’à mon retour.


Les joies du sexe me l’avaient momentanément fait oublier mais je savais parfaitement où il se trouvait. Dans la poche de mon pantalon qui gisait aux pieds du fauteuil.


Julia m’a regardé avec des yeux à la fois doux et coquins. J’ai arboré mon plus beau sourire et j’ai commencé à faire passer la corde par les pieds du fauteuil, ensuite par les poignets et chevilles de Julia, pour finir par entrelacer l’ensemble.


À plusieurs reprises, alors que je serrais trop fort les liens, elle s’est mise à geindre un peu mais je n’en ai pas tenu compte. Pourquoi ? Parce qu’elle mérite le même sort que toutes les autres. Elle doit payer. Philip me l’a fait comprendre, le fauteuil aussi. (Thomas bande mais n’en a pas conscience.)


Puis l’expression de son regard s’est modifiée. Plus la moindre trace de coquinerie et encore moins de douceur ! De la crainte ! Voilà ce que n’importe qui aurait pu y lire. Julia flippait !


Je me suis penché au sol et ai sorti la boîte renfermant le scalpel de mon jean. Mon scalpel ! Cet objet qui a traversé le temps et est venu à moi par je ne sais quel enchantement. Cet artefact qui me permet de supporter la malédiction qui m’afflige.


À l’ouverture de la boîte, les yeux curieux de Julia ne pouvaient faire autrement que de découvrir son contenu. Quand j’ai saisi le scalpel et que la lumière s’est réfléchie sur sa lame, elle a crié.


Mon sexe qui était redevenu flasque a tout de suite pris de la vigueur. Et la danse de la lame a commencé…

Thomas, perdu dans ses vieux souvenirs, pile quand il voit un chien traverser la rue. Il a failli écraser Albert, le chien de sa voisine ! Ce con de clébard poursuivait un chat qui vient tout juste de s’engouffrer à travers un grillage.


Mme Olchewski grimace quand elle entend le crissement des pneus que provoque le freinage. Thomas est soulagé de constater qu’il n’a pas aplati le chien et sort de sa voiture après avoir jeté de rapides coups d’œil en direction de sa maison qui ne paraît pas occupée.


Il est 9 h 27.



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Bernard brise le carreau sans faire trop de bruit et ouvre la fenêtre qui donne sur la chambre de Thomas. Le lit n’a pas été fait et des piles de vêtements jonchent le sol tout autour. Un placard sur la droite, entrouvert, dévoile des vestes accrochées à des cintres. Sur la table de nuit, Bernard remarque un cahier.


Il le prend, l’ouvre, et s’attarde sur son contenu. Rien de bien intéressant si ce n’est des bribes d’informations concernant un certain Philip qui, lues comme ça, n’ont ni queue ni tête. Il repose soigneusement le cahier là où il était et sort de la chambre.


Des escaliers sur sa gauche permettent de descendre au rez-de-chaussée, le seul espace de la maison qu’il connaît après avoir été plusieurs fois invité par Thomas à venir prendre l’apéro.


Mais Bernard a une idée bien précise de l’endroit où il pourrait découvrir des indices : la cave ! Julia n’est certainement pas à l’étage !


Il se souvient l’avoir visitée un soir où Thomas l’avait invité à manger avec Aline qui, finalement, n’était pas venue à cause d’une grippe carabinée. Ce jour-là, ils avaient bu pas mal de vin et Thomas lui avait proposé de visiter sa cave située sous le garage.


Une trappe en bois s’ouvrait vers l’extérieur et révélait un escabeau qui descendait dans une pièce éclairée par une ampoule en son centre. Le plafond relativement haut permettait de marcher sans avoir à se courber. Bernard se souvient des bouteilles rangées par année selon la logique implacable de son collègue de travail.


Il se rappelle aussi que la cave est assez vaste, probablement une quinzaine de mètres carrés.


Il descend les escaliers et regarde sa montre qui indique 9 h 25.


Il ouvre la porte menant au garage et emprunte les escaliers.


Lorsqu’il soulève la trappe qui conduit à l’intérieur de la cave, il entend un bruit de freinage accompagné de crissements de pneus.


Son pouls s’emballe. Son cœur pulse dans sa poitrine. Il ouvre la bouche, respire profondément, et descend l’escabeau.



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Sa maison a l’air inoccupé, pourtant Thomas a un sentiment étrange. Il sent que quelque chose d’important va se jouer aujourd’hui. Quelque chose qui risque de tout changer.


La voix est de retour et lui annonce tranquillement :



Il cherche ses clés dans l’autre poche et ouvre la porte d’entrée.


Immédiatement, il remarque que la porte menant au garage est entrebâillée.


Putain, il y a quelqu’un chez moi ! se dit Thomas qui s’empare de son scalpel après avoir déposé la boîte sur un radiateur dans le vestibule.


Il retire ses chaussures et, tout doucement, descend les marches, le bistouri dans la main droite.



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Bernard est au milieu de la cave quand il entend un bruit provenant du rez-de-chaussée.


Il y a quelqu’un d’autre dans la maison ! Peut-être Thomas qui serait rentré chez lui parce qu’il aurait eu un problème de santé. Il en a pas mal en ce moment,s’inquiète le comptable. Comme un imbécile, Bernard a laissé le marteau dans la chambre de Thomas. Il aurait pu lui servir d’arme.


Une panique déstabilisante envahit son corps. Il est paralysé quelques secondes, le cerveau ralenti par la frousse qui l’assaille.


Bernard tend l’oreille, mais n’entend plus le moindre bruit. Il se demande un instant si son esprit ne lui aurait pas joué un mauvais tour. Il grimpe les marches de l’escabeau et referme la trappe, veillant à ne faire presque aucun bruit.


La respiration difficile, il se déplace jusqu’à l’interrupteur pour éteindre la lumière.


Une fois plongé dans le noir, il se dirige à tâtons derrière l’escabeau où il se terre dans l’espace offert. L’obscurité est totale et la peur qui le tiraille ne cesse de croître.


Il attrape une bouteille et attend que quelqu’un descende.


Que peut-il faire d’autre ?



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Thomas descend les trois premières marches et remonte aussitôt l’escalier.


Le fauteuil ! Il n’a même pas été vérifier qu’il ne lui était rien arrivé. La panique le saisit à la gorge et il avance le plus vite et le plus silencieusement possible jusque dans son salon.


Le fauteuil n’a pas bougé. Thomas s’avance et s’agenouille devant son objet. Il pose ses mains sur les accoudoirs et caresse le bois en fermant les yeux. Son esprit dérive sur le soir où il a joué avec Julia.


Le cri de Julia m’a amusé. Je bandais comme un âne, je me suis approché d’elle en décrivant des cercles avec le scalpel dans les airs, comme un samouraï dans un vieux film de karaté.


Les yeux apeurés de Julia suivaient les mouvements de la lame. Elle a crié une seconde fois puis j’ai labouré les chairs molles de sa gorge. Le cri suivant s’est transformé en gargouillis alors que des jets de sang pissaient de son cou.


Son corps a été pris de spasmes une dizaine de seconde et sa tête est retombée sur le côté.


J’ai défait les liens alors que Led Zeppelin jouait un morceau du premier album dont je ne me rappelle pas. J’ai pris son corps et je l’ai mis…


Tous ses souvenirs qui refont aussi facilement surface inquiètent Thomas qui rouvre les yeux et tourne un instant la tête. Une échelle (son échelle) est posée contre la façade de sa maison.


Il ramasse le bistouri qu’il avait déposé sur le siège du fauteuil. Ses mains le serrent jusqu’à ce que les jointures des doigts blanchissent.


Il fonce vers le garage. Plus la peine de se casser le cul à éviter de faire du bruit


Il va réduire l’intrus en charpie.



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Bernard a l’impression de manquer d’air. Les ténèbres et la peur d’être découvert ne font qu’augmenter cette sensation de malaise qui s’est immiscée en lui. Il ouvre grand la bouche, cherchant de l’oxygène qui semble s’être raréfié. Son cœur remonte dans sa gorge et fait battre ses tempes. Ses mains sont poisseuses, comme son dos où perle une sueur âcre dont l’odeur parvient jusqu’à ses narines. Ses mains tremblent.


Il récupère la bouteille qu’il a posée à ses pieds et se plaque contre un mur, les oreilles à l’affût du moindre bruit. Mis à part les battements de son cœur et sa propre respiration qui lui paraît chuintante, il n’entend rien.


La peur progresse un peu plus profondément.


Quelle idée à la con de jouer les Sherlock Holmes. J’aurais mieux fait d’aller travailler. Et pourquoi je n’entends plus rien. J’ai entendu un bruit tout à l’heure, il y a une éternité, il me semble. Peut-être l’ai-je rêvé ? Probablement mon esprit, sous les effets de la peur, qui m’a joué un mauvais tour. Je devrais rallumer la lumière. Il n’y a personne.


Bernard tend les bras en avant, palpant le mur où se trouve l’interrupteur quand il entend une porte s’ouvrir ainsi que des bruits de pas.


Il s’interrompt et bloque sa respiration sans vraiment l’avoir voulu et encore moins décidé. La peur a pris le contrôle de ses émotions. Elle le pilote.


Les pas proviennent du dessus.


Ils se dirigent vers la trappe. Des mains la tirent. La lumière du jour jaillit dans la cave.


Bernard retourne se positionner derrière l’échelle. Le bras tenant fermement la bouteille s’arme.


Deux pieds enveloppés dans des chaussettes s’engagent sur les marches de l’escabeau.


Bernard respire maintenant par le nez. La trouille lui donne envie de claquer des dents, mais il se mord les joues jusqu’au sang pour éviter que cela se produise.


L’homme descend l’escabeau.


Dès que l’homme s’apprête à allumer la lumière, Bernard fait un pas de côté et passe à l’attaque.


Thomas ne voit rien venir quand la bouteille heurte sa tête. Il croit un instant qu’un piano lui est tombé sur la tronche tellement le coup est violent. Une vive douleur irradie son crâne qui dégouline de sang et de vin. Il se retourne, chancelle, secoue la tête pour s’éclaircir les idées, et presse l’interrupteur.


Bernard balance un coup de pied à l’aveuglette qui n’atteint pas sa cible au moment où la lumière illumine la cave.


Le tesson de bouteille dans la main droite, Bernard décrit des arcs de cercle devant lui espérant faire reculer Thomas. Ce dernier fond sur le comptable en brandissant le scalpel. Bernard, apercevant l’instrument chirurgical, s’écarte, mais, Thomas, plus rapide, entaille son avant-bras. Le tissu de sa chemise ainsi que sa peau se déchirent. Bernard hurle de douleur, la lame s’est profondément enfoncée dans la chair et laissera une large cicatrice.


Thomas brandit le bras, prêt à utiliser son arme une nouvelle fois quand Bernard en profite pour lui décocher un coup de pied dans les couilles.


Les mocassins remontent et écrasent les testicules de Thomas qui tombe à genoux, les deux mains sur son entrejambe. Il a beau essayer de crier, aucun son ne sort de sa bouche. Ses bourses sont brûlantes, et d’épouvantables picotements remontent jusque dans son ventre.


Bernard s’avance et d’un puissant coup de pied au visage plonge Thomas dans l’inconscience. S’il s’était écouté, il aurait continué à le tabasser, probablement jusqu’à le tuer. Bernard pousse un cri d’animal, à la fois pour se rassurer et aussi pour dissiper la peur qui l’étreint encore. Il respire plusieurs fois, vérifie que Thomas est toujours dans les vapes et sort de la cave après avoir ramassé le scalpel.



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De retour dans le salon Bernard se précipite sur le téléphone. Il décroche le combiné et alors qu’il appuie sur le 1, quelqu’un sonne à la porte.


Bernard bondit, son cœur s’étant aussitôt remis à galoper dans sa poitrine. Il repose le combiné sur son socle et réfléchit. J’ouvre ou pas ?



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J’ai mis le corps dans le frigo. Il y est resté quelques jours. Et…


Thomas se redresse en prenant appui sur ses bras. Sa tête est lourde et douloureuse. Il se met debout quand une atroce douleur irradie ses couilles comme si une aiguille à tricoter chauffée à blanc venait de se planter dans son scrotum.


Il cherche des yeux son scalpel.


Cet enfoiré de Bernard l’a récupéré.


Il est fou de rage et remonte l’escabeau. Dans le garage, il y a la tronçonneuse !


On va voir s’il la ramènera toujours autant quand les chaînes de la tronçonneuse déchireront ses intestins.


Thomas sourit et se dirige vers la tronçonneuse. Quand il la prend dans les mains, ses pensées retournent sur Julia.



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Bernard a décidé de ne pas ouvrir, espérant que le visiteur se lassera. Il saisit le combiné et compose le 17 quand l’individu derrière la porte d’entrée se met à appuyer plusieurs fois sur la sonnette en hurlant :



Bernard raccroche avant que quelqu’un ne prenne la communication et se dirige vers la porte d’entrée en se demandant combien de temps a pu s’écouler depuis qu’il a laissé Thomas dans la cave.



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Thomas reste un moment à contempler le mur, perdu dans ses pensées. Il se rappelle le corps contorsionné de Julia dans le frigidaire.


J’ai dû lui casser les bras et les jambes pour arriver à l’extraire du frigo à cause de la rigidité cadavérique. (Thomas sourit.) J’ai d’abord pensé à la débiter comme Charline pour m’en faire de la barbaque pour tout l’hiver. Mais à quoi bon ? Voilà ce que je me suis dit. Et j’ai commencé par arracher une de ses oreilles avec mes dents. Trop cartilagineux ! J’ai alors planté mes incisives dans la joue froide de Julia et j’en ai récupéré un morceau que j’ai mâché et avalé. C’était encore meilleur cru que cuit ! J’ai donc dévoré son visage jusqu’aux os…


Ramené à la réalité par la sonnerie de la porte d’entrée, Thomas décide de sortir par le garage, la main sur le câble de démarrage de la tronçonneuse.



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Bernard essaie le trousseau de clés accroché à un clou à droite de la porte. La première clé qu’il introduit dans la serrure est la bonne. Il ouvre la porte et découvre une vieille dame qui pousse un cri de surprise quand elle le voit.



Mais elle ne l’écoute pas ! Elle se contente d’observer le sang sur la chemise de Bernard et, les yeux emplis de colère et d’incrédulité, lui demande :



Un bruit de motoculteur se fait entendre. Mais le son est trop proche pour provenir du jardin d’un voisin !


La panique saisit Bernard à la gorge quand Thomas apparaît derrière la vieille dame, une tronçonneuse rouge dans les mains. Il voudrait crier à la dame de se pousser mais sa voix s’étrangle dans sa gorge.


Madame Olchewski se retourne, mais Thomas est déjà sur elle et la projette à terre d’un puissant coup de coude au visage. Bernard se rue dans la maison en fermant la porte. Ses doigts se précipitent sur la clé et il la verrouille.


Thomas hurle de l’autre côté de la lourde :



La tronçonneuse se plante dans la porte provoquant de profondes entailles dans le bois. Bernard traverse le salon et sort par la baie vitrée quand il entend les panneaux de bois de la porte d’entrée qui se pulvérisent. Il se faufile dans la cabane de jardin et récupère un marteau sur l’établi.


Il entend le rugissement de la tronçonneuse et se cache derrière la porte de la cabane au moment où Thomas franchit la baie vitrée.


L’horrible bruit de la tronçonneuse est tout proche. Bernard soulève le marteau, prêt à frapper.


Les dents d’entraînement de la chaîne de la tronçonneuse apparaissent dans l’encadrement de la porte. Bernard attend de voir la main qui tient la tronçonneuse. Dès qu’il l’aperçoit, il l’écrase avec la tête du marteau, pulvérisant deux phalanges. Thomas gueule de colère et de douleur, lâchant la tronçonneuse qui rebondit sur le sol en tournant sur elle-même.


Bernard surgit de derrière la porte, enjambe la tronçonneuse, et allonge une droite sous l’œil gauche de Thomas qui s’effondre.


Le comptable se jette sur lui et, s’asseyant sur sa poitrine, le frappe au visage cinq ou six fois. Thomas sombre de nouveau dans l’inconscience.


Après avoir vérifié que la vieille dame va bien (elle s’en sortira avec une dent ébréchée), Bernard attache Thomas avec de la corde d’escalade qu’il trouve dans le garage et appelle les flics. Il ne sait toujours pas ce qui est arrivé à Julia mais espère que la police parviendra à obtenir des aveux de Thomas.



Épilogue




Après la mort de Philip, l’entrepôt a été racheté par Mr Scott, un Américain, qui a récupéré le fauteuil dans la transaction. De la poussière s’est accumulée sur le fauteuil jusqu’au début du vingtième siècle. En 1904, Mr Scott, ayant décidé de retourner dans sa terre natale, a rapatrié le fauteuil après avoir revendu l’entrepôt. Il l’a abandonné dans le grenier de sa demeure californienne. En 1967, son petit fils, Charles, l’a délogé du grenier de son grand-père. Alors âgé de trente-trois ans, Charles s’est tout de suite laissé embarquer dans les histoires que lui racontait le fauteuil. Très vite, il a fondé sa communauté, The Manson Family, comme le lui avait conseillé le fauteuil. Quatre ans plus tard, il a commandité le meurtre de Sharon Tate, à l’époque femme de Roman Polanski, assassinée sauvagement par des membres de sa secte.


Charles Manson a été incarcéré la même année et condamné à la prison à perpétuité. En 1993, un riche Américain a acheté la maison de Manson aux enchères et a récupéré le fauteuil, qu’il a fini par offrir à un de ses amis, Trent Reznor, chanteur, compositeur et principal et unique fondateur du groupe Nine Inch Nails, après lui avoir juré que ce fauteuil était étrange comme s’il était doté de pouvoirs. Un an plus tard, Reznor a enregistré son nouvel album, The Downward Spiral, dans la propriété où a été assassinée Sharon Tate. L’album a été un franc succès, mais Reznor a décidé de ne plus utiliser le fauteuil comme source d’inspiration musicale. Il l’a cédé à un ami qui, après l’avoir gardé jusqu’en avril 2011, a pris la décision de le mettre en vente sur le célèbre site d’enchères.


Les interrogatoires menés en août 2011 par la police n’ont donné aucun résultat. Thomas s’est muré dans le silence, le regard hagard. Les rares mots qu’il a prononcés n’avaient pas le moindre sens. Il n’a même pas reconnu ses parents quand ils lui ont rendu visite après son arrestation. Il les a appelés Philip et Irina. Les pauvres ont quitté le poste de police les yeux emplis de larmes et, deux jours plus tard, ont accepté de placer leur enfant en hôpital psychiatrique après avoir lu les conclusions du neurologue qui l’avait examiné en garde à vue et un peu plus tard lors d’un entretien individuel.


Bernard, lors de sa déposition, a bien essayé d’expliquer à l’officier qui l’interrogeait que Thomas avait de très grandes chances d’être à l’origine de la disparition de Julia. Mais cela est resté sans effet. Le policier lui a tout simplement répondu que sans cadavre, pas d’affaire pour la brigade des mœurs !


Thomas est resté un mois en hôpital psychiatrique et a été placé (sous la décision du psychiatre en chef) en UMD (Unité pour Malades Difficiles) après avoir agressé d’autres patientes qu’il menaçait de dépecer en brandissant un couteau qu’il prenait pour un scalpel. À l’UMD, Thomas a encore agressé une patiente, mais cette fois-ci, il brandissait un vieux scalpel dont le personnel ignore encore la provenance et qui a été consigné dans un coffre.


La petite voix lui adresse toujours la parole mais elle est devenue railleuse et se complaît à lui rappeler qu’il a lamentablement échoué dans sa mission. La voix du fauteuil ne se fait plus entendre ! Cela a plongé Thomas dans une profonde dépression et il est actuellement convaincu d’être Philip et répète souvent aux infirmiers psys, en éclatant de rire, que sa salope de femme l’attend à la maison et qu’il doit rentrer pour la taillader.


Ses parents ont vendu sa maison il y a quelques jours. Le fauteuil s’est encore retrouvé en vente sur eBay. Un certain Boss75 a acheté le fauteuil pour la coquette somme de trente et un mille euros.


Boss75 est actuellement dans son somptueux bureau. Il a fait un rêve étrange la nuit dernière, le jour où il a remporté l’enchère. Il était dans le corps d’une femme. C’était plutôt agréable ! Ces souvenirs dessinent d’hideux rictus sur son visage. Le fauteuil devrait arriver demain ! Il ne sait pas pourquoi mais il est déjà sous le charme de sa nouvelle acquisition. Il est intimement convaincu que le fauteuil va lui permettre de mener sa campagne à bien.


Au moment où il clique sur l’image du fauteuil pour l’agrandir, sa queue se tend et son sourire de requin s’élargit. Une multitude de projets pour 2012 se bousculent dans son crâne. Le fauteuil sera son guide, il en est certain comme d’être le père de sa première fille qui vient de naître.







* Extrait d’un livre, Le Nécronomicon, que j’ai acheté il y a longtemps dans une librairie ésotérique. Évidemment la plupart des informations contenues dans ce bouquin sont bidon, mis à part la première partie qui est une biographie de H.P Lovecraft.


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