n° 15301 | Fiche technique | 66353 caractères | 66353 11770 Temps de lecture estimé : 48 mn |
25/11/12 corrigé 11/06/21 |
Résumé: Une idée a germé dans l'esprit d'Émile, le déficient du groupe. Kim et Cédric décident de la suivre...
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Critères: #policier #fantastique fh handicap humilié(e) vengeance chantage cérébral voir fellation | ||||
Auteur : Rain Envoi mini-message |
Épisode précédent | Série : Confessions d'un apprenti délinquant Chapitre 04 / 04 | FIN de la série |
Résumé de l’épisode 1 :
Cédric, le narrateur, raconte sa vie de délinquant qu’il s’est choisie par nécessité. Il devient donc dealer de cannabis pour subvenir aux besoins de sa famille mais finit derrière les barreaux. Sa femme le quitte et part en Argentine avec leur fils pendant qu’il purge sa peine.
À sa sortie de prison, il retourne faire les quatre cents coups pour engranger dix mille euros qui lui permettront de traquer son fils en Argentine avec l’aide d’un détective privé du coin. Contraint de quitter l’Ariège suite à un cambriolage où la police a failli lui mettre la main dessus, il se rend dans l’Aveyron où il croise la route d’Émile, adulte déficient d’une quarantaine d’années dont Cédric tue les parents alors qu’il les surprend en train de rouer de coups leur propre enfant. Ne désirant pas abandonner Émile à son triste sort, Cédric lui propose de le suivre dans ses aventures.
Ils attaquent la Poste d’Olemps (bled de l’Aveyron) quand une femme les surprend et les braque. Émile jette un coup d’œil par-dessus son épaule et annonce à Cédric que c’est Kim Basinger (une actrice qu’il aime bien) qui les menace !
Résumé de l’épisode 2 :
Cédric et Émile quittent la Poste les mains au-dessus de la tête, menacés par une femme qui est le sosie de Kim Basinger lorsqu’elle était jeune. Elle les conduit dans une cabane au milieu des bois, perdue dans la campagne. Elle se montre attentionnée avec Émile. En revanche, avec Cédric, elle n’hésite pas à le remettre à sa place et en vient même aux mains.
Cédric est forcé à passer la nuit dans le grenier tandis qu’Émile perd son pucelage avec le sosie de Kim Basinger.
Le lendemain, Cédric découvre Émile, seul, dans la cuisine. Il essaie de le convaincre d’en profiter pour fuir, mais Émile s’y oppose parce qu’elle lui a demandé de ne pas quitter la cabane et d’empêcher Cédric de partir.
Ne pouvant pas rivaliser sur le plan physique avec son compagnon, Cédric allume la radio et entend que le véhicule qu’ils utilisent a été repéré par un automobiliste. De plus, la dame au jogging, cliente de la Poste présente lors du braquage (cf. Épisode 1) explique à un journaliste que les deux braqueurs sont ressortis de la Poste, sans prendre l’argent, les mains en l’air, en faisant marche arrière, comme s’ils avaient subitement perdu la raison.
Résumé de l’épisode 3 :
Cédric comprend que les autres ne voient pas Kim. Tandis qu’il essaie de convaincre Émile de quitter la cabane, à travers la fenêtre, Cédric aperçoit un policier à cheval qui observe leur voiture. Émile sort de la cabane et se dirige vers le gendarme qui le met en joue avec son arme. Une détonation claque. Le flic gît au sol, mort, alors que Kim serre l’arme qui vient de l’abattre.
Excédé par la situation qui dérape de plus en plus, Cédric disjoncte et finit par obtenir des informations sur Kim. Cette dernière lui explique qu’elle est une sorte d’ange gardien, invisible aux yeux d’autrui, et dont le but principal est de protéger Émile. Si elle est apparue comme une personne physique, c’est parce qu’Émile allait finir en prison lors du braquage de la Poste (cf. épisode 1).
Soudain, Émile interrompt la discussion entre Kim et Cédric en leur annonçant qu’un autre poulet à cheval arrive. Cédric et Émile grimpent dans la voiture et s’enfuient et laissent Kim derrière eux qui rassure Émile en lui disant qu’elle le retrouvera.
Sur la route, ils aperçoivent des gendarmes sur le bas-côté. La radio joue subitement Break on Through et la voiture passe en pilote automatique et sème les militaires. Entre temps, Kim réapparaît, comme par enchantement, sur la banquette arrière.
Le trio quitte la route nationale, brûle la voiture et va se perdre dans un bois. Cédric et Kim reprennent leur conversation là où elle s’était arrêtée et, pour démontrer à Cédric la véracité de ses dires, elle utilise ses pouvoirs pour lui permettre de voir son fils un court instant. Cédric peut contempler son enfant comme s’il était réellement à côté de lui mais ne peut pas le toucher. Anéanti par cette expérience, il ne trouve pas le sommeil.
Le lendemain matin Kim et Émile complotent à mi-voix et expliquent à Cédric l’idée qui a jailli dans le cerveau de son compagnon.
Lorsqu’il a fini de m’expliquer son idée foireuse, je suis saisi d’un violent fou rire. Mon compagnon est vraiment frappé ! Comment une personne déficiente peut-elle élaborer un plan aussi tordu ?
Bien qu’on dise que le fou rire soit communicatif, il demeure sans effet sur Émile et Kim qui, de leurs yeux ronds, me jaugent, comme si c’était moi qui avais une araignée au plafond.
Je remarque de la colère poindre dans les yeux délavés de notre ange gardien et essaie de me calmer. Je n’ai pas trop envie qu’elle passe ses nerfs sur moi ! Elle s’avance (ça y est je vais en prendre une) et je lève les bras pour parer sa baffe.
Pas de claque ! Elle me tire par la manche de mon pull et me glisse à l’oreille qu’elle veut me parler en tête à tête. Nous nous éloignons d’Émile qui s’empresse de demander à sa dulcinée ce qu’il se passe. Elle le rassure en se pendant à son cou et lui roule une pelle toute langue dehors. Une fois encore, je dois avouer que j’aimerais bien être à sa place. D’ailleurs, ne fait-elle pas cela pour me narguer ? J’ai eu l’étrange impression qu’elle m’observait du coin de l’œil à l’instant où leurs langues se goûtaient et se mélangeaient.
Nous nous enfonçons dans le bois et quand nous sommes hors de portée des oreilles d’Émile, elle m’expose ce qu’il m’a déjà dit en clarifiant ses propos et en insistant sur les avantages de cette idée qui, bizarrement, devient intéressante alors qu’il y a cinq minutes à peine je la trouvais saugrenue.
Charismatique, oratrice née, elle me retourne le casque et je suis finalement conquis, ne discernant que les aspects positifs. Qui plus est, je suis convaincu que cela va régler mes problèmes financiers en un temps record. Évidemment, le risque n’est pas négligeable quand on y regarde de plus près, mais elle a avancé de tels arguments que je n’entrevois que notre succès.
En rebroussant chemin, nous retrouvons Émile qui s’amuse au samurai avec un morceau de bois qu’il manie comme un katana. Quand il remarque notre présence, il cesse de jouer et demande :
000
Après de multiples concertations, nous décidons de passer la journée dans le bois. Pendant la nuit, j’irai voler une caisse dans le lieu-dit et nous partirons pour le Larzac.
Émile ne cesse de se plaindre de la faim qui le tiraille. En début d’après-midi, je me rends à pied dans le hameau pour y glaner de la nourriture. La maison devant laquelle se trouvait et se trouve encore le Partner la veille, semble déserte. Arrivé devant la porte d’entrée, j’appuie sur la sonnette. Personne ne m’ouvre. Pas le moindre bruit à l’intérieur.
Les autres maisons ont l’air aussi inoccupées, mais je vais quand même toquer à chaque porte afin de m’assurer que personne ne risque de me voir m’introduire dans une baraque pour en soutirer de la bouffe. Tout le monde a dû partir bosser et je parviens à pénétrer aisément dans un garage par un portail non verrouillé.
Au fond de la pièce faiblement éclairée, j’aperçois une tondeuse à gazon ainsi qu’une meuleuse, un établi et ses outils, et tout un tas de matériel de bricolage entassé dans un coin. Une porte sur la droite donne sur une autre pièce.
Je l’ouvre. J’ai à peine le temps d’entrevoir dans la demi-pénombre une grosse gamelle en plastique jaune remplie de croquettes multicolores quand j’entends au fond de la pièce un grognement. Mon regard se reporte sur un parallélépipède blanc qui ne peut être qu’un énorme congélateur. À côté de celui-ci, un molosse aux yeux jaune grogne, pattes repliées, prêt à bondir.
L’énorme clébard – probablement un Rottweiler – s’élance sur moi, ses babines retroussées dévoilant ses affreuses canines. Je referme la porte à temps et entends ses griffes lacérer le panneau de contre-plaqué ainsi que ses aboiements qui doivent être audibles à bonne distance. Ce con-là va rameuter tout le quartier !
Sans réfléchir, je retourne vers l’établi et m’empare d’une pioche posée contre celui-ci. Il y a de la victuaille de l’autre côté et il me la faut ! Je ne me suis pas plaint comme Émile, mais je commence moi aussi à avoir les crocs et ce n’est pas un chien qui va m’empêcher de parvenir à mes fins. Quoi qu’il en soit, je ne désire pas tuer le cabot qui continue à hurler à la mort et esquinte la lourde à coups de griffes. À l’aide d’un marteau, je retire le manche de la pioche que je vais utiliser comme arme pour me défendre contre le cerbère qui va finir par passer à travers la porte tant il met de l’ardeur à tenter de la réduire en pièces avec ses pattes.
Alors que j’échafaude une stratégie pour l’ouvrir sans me faire croquer, je constate avec effroi que les aboiements, les grognements et le bruit des griffures ont cessé. Surpris, mais aussi inquiet par ce soudain silence, je m’approche de la porte que j’entrouvre de la main gauche, le manche que je serre dans la main droite est brandi au-dessus de ma tête, prêt à s’abattre sur le coin de la gueule du chien.
Il n’est plus là ! J’entre dans la pièce et me rue sur le congélateur. J’y dérobe un gros poulet fermier et constate qu’une trappe dans un mur donne sur le jardin. Le clebs a dû sortir par là. Ai-je refermé le portail du garage ? Je n’en ai aucun souvenir et, par précaution, je referme la porte que j’ai franchie il y a une trentaine de secondes.
Tandis que je suis sur le point de déplacer un buffet pour obstruer la trappe, mes oreilles captent le bruit que font quatre pattes de iench au galop. Il franchira le passage avant que j’aie le temps de le boucher. Je récupère donc le manche de la pioche, me positionne sur le côté droit de la trappe et attends que le chien montre son museau.
Tout va très vite ! Le chien se glisse dans l’ouverture et j’abats de toutes mes forces ma massue improvisée sur sa truffe. Il pousse un couinement de douleur et fait immédiatement marche arrière.
Je reste à ma place, prêt à frapper une nouvelle fois.
Plus aucun son ne parvient à mes esgourdes et je renverse le buffet au niveau de la trappe sans me soucier de ce qu’il contient. Un vacarme infernal se produit à l’intérieur du meuble. Tous les objets en verre se sont brisés.
Maintenant, le chien ne peut plus entrer, mais je ne peux plus sortir ! Face à moi se trouve une volée de marches qui doivent conduire dans la maison. Cependant, je crains que la porte que j’aperçois en haut des escaliers soit fermée. Je grimpe et me rends compte qu’elle est verrouillée comme je le craignais. J’ai tiré un poulet congelé et me voilà prisonnier, avec un sale cabot qui veut me bouffer ! Pourquoi tout est toujours autant compliqué ?
Dans ma tête, la ligne de basse et la batterie de Been Down So Long accompagnées de la voix de Jim qui entonne :
Well, I’ve been down so Goddamn long
That it looks like up to me*
Well, I’ve been down so very damn long
That it looks like up to me
Yeah, why don’t one you people
C’mon and set me free
Voilà que Jim se fout de ma gueule ! Comme si j’avais besoin de ça ! J’ai beau essayer de penser à autre chose, le premier couplet me martèle le crâne en boucle. Paniqué, je redescends les escaliers et entends alors une nouvelle fois les griffes du clébard contre le buffet qui, heureusement, tient bon et l’empêche de venir m’arracher un mollet. Mes yeux retournent vers la porte et Jim entame le second couplet :
I said, warden, warden, warden
Won’t you break your lock and key
I said, warden, warden, warden
Won’t you break your lock and key
Yeah, come along here, mister
C’mon and let the poor boy be
Je retourne en haut de l’escalier et remarque un paillasson que je n’avais pas vu. Je le soulève et y découvre une clé que j’introduis dans la serrure. Elle fait tourner le pêne et je me faufile à l’intérieur de la maison. Tout compte fait, Jim voulait peut-être attirer mon attention, mais n’ayant pas de chanson dans son répertoire avec une clé sous un paillasson, il m’a servi celle qui s’en approchait le plus.
Je ne reste même pas cinq minutes dans la baraque que je quitte par une fenêtre après avoir dérobé un fusil de chasse dissimulé dans un coffre dans une chambre et une trentaine d’euros dans un pot en terre dans la cuisine.
Je chute de deux mètres et, lorsque je me relève, mes yeux affolés rencontrent ceux du chien dont la gueule écume de la bave épaisse qui coule en longs filets des deux côtés de ses mâchoires.
Il fonce sur moi !
Je ramasse le fusil et presse la détente qui fait un petit clic.
L’arme n’est pas chargée !
Le chien bondit, sa gueule s’ouvre en grand et se referme sur ma cuisse. Les quinze premières secondes, je ne sens absolument rien. Puis, arrive la douleur accompagnée de la peur. De violentes sensations de brûlure irradient ma cuisse. Le haut de mon pantalon est devenu rouge. Les crocs sont toujours profondément plantés dans ma cuisse et la saloperie secoue sa tête, ce qui déchire un peu plus la chair.
Je récupère le fusil que la morsure m’a fait lâcher et frappe le crâne du cabot avec la crosse. Au premier impact, il desserre sa mâchoire et, avant qu’il tente d’achever de me becter la guibolle, je lui aplatis la truffe une nouvelle fois avec la crosse. J’entends un crac ainsi qu’un jappement suivi des gémissements canins caractéristiques de douleur : le fameux « kaïe-kaïe ».
Le chien détale. Je suis fou de rage. Je farfouille dans la poche interne de ma veste à la recherche de balles. J’espère qu’il s’agit du même calibre que mon fusil à canon scié abandonné dans la Poste. Je glisse la première dans la chambre. Elle s’y insère sans problème.
Même si j’aime les animaux, si cet enfoiré revient, je lui fais sauter la cervelle ! Ma jambe me lance, la douleur l’a complètement envahie, ce qui me fait boiter. Je me traîne dans le jardin sans me soucier d’être vu. De toute manière, je suis tellement furieux que le premier qui croise ma route connaîtra mon courroux.
Le chien est parti loin apparemment. Peut-être l’ai-je tué ? Cette pensée m’inquiète alors qu’il m’a arraché une partie de la cuisse que je n’ose pas regarder sous le vêtement par crainte de tourner de l’œil.
Au bout d’un quart d’heure où je me traîne au bord de la route, je réalise que je n’ai plus le poulet fermier ! Je l’ai laissé comme un con dans la cuisine où j’ai dérobé le pognon. Le hurlement que je pousse pour maudire ma stupidité brise la quiétude de la campagne environnante.
000
À mi-chemin, la souffrance est devenue insupportable, je fais une pause et retire mon pantalon pour constater l’ampleur des dégâts. Ce n’est pas beau à voir ! Sous l’épaisse croûte de sang à moitié sec, ma cuisse est lacérée à plusieurs endroits. Des morceaux de chairs encore rattachés par des filaments de peau pendouillent jusqu’à mon genou, le tout baignant dans mon propre sang. Cette vision provoque un haut-le-cœur et je détourne le regard pour éviter l’évanouissement.
Je me fais un garrot à la cuisse avec un morceau de mon T-shirt et retrouve mes compagnons trois heures plus tard. Il m’aura fallu six fois plus de temps qu’à l’aller !
Lorsque je pénètre dans le bois, le ciel s’est déjà paré de son noir manteau. Je suis à bout de souffle, le front couvert de transpiration, les membres endoloris ; la cuisse souffreteuse me soutire des pleurnichements de plus en plus fréquents. Je claudique jusqu’à l’endroit où nous nous sommes installés lorsque j’entends des gémissements.
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Mais ce n’est pas croyable ! Le spectacle sous mes yeux fatigués m’emplit de colère !
Le gros cul d’Émile recule et avance entre les jambes de Kim qu’elle a repliées. Une des paluches de mon pote englobe le sein droit de sa partenaire qui halète, le derche à même le sol alors que la température doit péniblement atteindre les six ou sept degrés.
Ce coup-ci, c’en est trop ! Je leur gueule dessus :
Émile tourne la tête vers moi et lorsqu’il aperçoit ma jambe rouge de sang, il se retire de Kim et, la queue droite comme un I majuscule, s’avance vers moi. En temps normal, voir un gaillard en pleine érection s’approcher de moi, m’aurait probablement inquiété. Là, cela me fait chaud au cœur.
Malgré la douleur, je ne peux m’empêcher d’observer la vulve de Kim éclairée par la lune. Je suis persuadé qu’elle a remarqué que je la reluquais et le doigt qu’elle glisse entre ses lèvres et fait remonter jusqu’à son clitoris – que je devine sous ses poils pubiens – m’est destiné.
Émile me tire de mon songe érotique en me demandant :
Il se fout de moi ! Je suis à l’agonie et il ne pense qu’à sa panse de gros bœuf.
Pendant que nous discutons, Kim s’est rhabillée et elle me surprend en me demandant d’enlever mon pantalon. Si elle ne s’était pas refroquée, j’aurais pu croire qu’elle allait me proposer un plan à trois. Je me tourne alors vers elle et lui dis :
Elle ne m’écoute plus, déboutonne mon pantalon, le retire et examine ma blessure après avoir délicatement enlevé le garrot.
Je sais qu’elle a parfaitement raison, ma jambe n’est pas belle à voir, mais je flippe. J’imagine la douleur lorsque l’aiguille traversera ma chair, faisant coulisser un fil (qui sert généralement aux boutons des pantalons) à travers ma peau.
Qu’est-ce que je pourrais prendre pour atténuer la douleur ? Mon esprit passe en revue le contenu de notre sac, mais, à part quelques comprimés de paracétamol, je ne vois rien qui puisse m’être d’un grand secours.
Puis l’image d’un champignon au chapeau rouge moucheté de points blancs se matérialise dans mon cerveau. L’amanite tue-mouche, ou amanita muscaria pour les spécialistes. J’en ai aperçu quelques-unes lorsque nous sommes entrés dans le bois. Je sais que ce champignon est un puissant hallucinogène et, d’après une discussion que j’avais eue avec les Ariégeois fans de techno et de stupéfiants, ce serait le champignon le plus consommé au monde par les chamans et autres agités du bocal qui aiment partir en sucette pendant plusieurs heures à des fins religieuses et médicinales. En revanche, ce que j’ignore, c’est la quantité à prendre.
Seulement deux choix s’offrent à moi : se faire recoudre en serrant les dents ou me défoncer au champignon magique pour arriver à supporter la douleur. Le problème est vite résolu et j’explique à mes compagnons mon plan et pars à la cueillette de champignons.
Je reviens cinq minutes plus tard avec une amanite. Je me souviens que les Ariégeois m’avaient expliqué que le champignon se prenait séché. J’espère qu’en l’absorbant frais, les effets ne seront ni estompés ni augmentés. Je décide de prendre la moitié du chapeau qui doit mesurer quatre à cinq centimètres de diamètre.
C’est dégueulasse ! J’avale en mastiquant le moins possible et attends.
Le temps s’écoule lentement. Personne ne jacte. Ma cuisse me fait un mal de chien et j’attends patiemment que l’intoxication se produise.
Trente-cinq minutes sont passées, d’après ma montre, et il me semble que quelque chose est en train de se produire. J’ai chaud ! Mes aisselles ruissellent de transpiration. Je suis en train de sentir la montée comme on dit.
J’ai rapidement l’impression que les effets vont être trop puissants. Mon ventre est ballonné et la nausée me submerge. En même temps, j’ai la sensation d’être dans une forme cérébrale olympique, boostée par le début des effets du fongus. Plus aucune douleur dans la cuisse, juste cette envie de dégueuler.
Je ne parviens pas à me retenir et me vide l’estomac quatre fois d’affilée, enfin de la bile. En relevant la tête, je constate que les visages de Kim et Émile sont bizarres. Ils chatoient de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Je ne distingue plus leurs traits, seulement des jeux de lumières et des halos de couleurs vives qui scintillent autour de leur tête. Quand ils m’adressent la parole, le son de leur voix me parvient de loin, comme s’ils s’exprimaient de l’autre côté d’un mur.
Je me rappelle avoir passé un moment à observer la feuille d’un arbre qui me paraissait posséder une forme géométrique complexe au pouvoir hypnotique. Alors que je contemple cette feuille, Kim tente de jouer au docteur. Je n’ai pas réellement conscience qu’elle essaie de me recoudre. Au début, quand elle s’agenouille, je suis persuadé qu’elle va me tailler une pipe. Je suis jouasse et, si j’étais moins stone, je baisserais mon futal et sortirais mon sexe pour ne pas perdre de temps.
Au moment où l’aiguille perce la peau, je suis convaincu qu’une saloperie de frelon vient de m’embrocher de son dard, même si à cette époque de l’année, ils sont tous retournés au chaud. Dès que le fil s’insinue sous la peau, je commence à m’agiter et, le visage de mon médecin improvisé, toujours auréolé de multiples couleurs, se métamorphose en quelque chose d’animal.
La peau de ses joues se couvre de poils drus et le bleu de ses yeux a laissé place à deux orbites vides au fond desquelles brille une lueur malsaine. La peur me gagne. Je suis en train de faire un bad trip et, même si une toute petite partie de mon cerveau en a conscience, je reste persuadé que l’horrible créature à mes côtés veut me faire du mal.
Je me débats, donne des coups de pied à l’aveuglette et lorsque Kim demande à Émile de me maîtriser, mon esprit s’emballe comme les hallucinations. Je ne reconnais pas mon pote ! Il est lui aussi recouvert de poils et sa tête est celle d’un taureau. J’ai transformé Émile en Minotaure rien que par le pouvoir de mon hypothalamus chamboulé par le champignon. La peur devient terreur et je crois que je m’évanouis.
À mon réveil, ils me racontent ce qu’il s’est passé. Ma cuisse a été recousue pendant que je comatais. Pour le moment, la douleur a disparu. Il faut dire que les effets de l’amanite ne se sont pas encore estompés. J’ai l’impression que la tronche d’Émile enfle à vue d’œil et la chevelure de Kim change fréquemment de couleur. Par moments, des insectes grouillent dans son cuir chevelu.
Je m’abstiens de les informer que je suis encore défoncé et, quand ils m’annoncent qu’à peine deux heures viennent de s’écouler, je me dis que je risque de rester encore perché quelques heures.
Il faudra douze heures supplémentaires pour que les effets cessent.
000
Je suis loin d’être clair et il me faut pas loin de deux minutes pour réussir à faire tourner la clé, l’habitacle étant devenu un gouffre profond où mes repères spatio-temporels s’embourbent.
La conduite s’avère difficile, je roule aussi bien à droite qu’à gauche et freine de temps à autre quand je crois qu’un arbre essaie de traverser la route. Je ne suis pas sûr de pouvoir conduire jusqu’au Larzac sans faire courir trop de risques à mes compagnons.
Il va falloir que je leur dise dans quel état je suis…
000
Je ne leur dis rien ! Malgré les visions qui persistent, j’oublie de leur parler de mon état, trop accaparé par les spectacles fabuleux qui défilent sous mes yeux hallucinés. Il me semble que Kim me demande si je suis en état de conduire et je lui affirme que oui.
Je démarre et nous partons pour le Larzac en plein milieu de la nuit. La lumière des phares perturbe ma conduite chaque fois qu’elle se réfléchit sur un panneau de signalisation. J’aperçois des formes sur le bas-côté, des lumières scintillantes qui s’élèvent comme des feux de joie. Parfois, des créatures étranges émergent au milieu de la route et je freine brusquement, ce qui me vaut un regard noir de la part de Kim qui a bien compris que je suis toujours foncedé et des éclats de rire d’Émile qui, ballotté à l’arrière du Partner, s’amuse comme un gosse.
Nous contournons Saint-Affrique par les petites routes de campagne et, lorsque nous arrivons au rond-point devant le Champion de Millau pour prendre la Route du Larzac, une fourgonnette de la gendarmerie empiète sur la chaussée tandis qu’un conno en bleu joue de la maglite.
Je ne suis pas du tout inquiet ! Cela fait une heure que je me vois rouler sur une bande de sable, les deux côtés de la route s’étant transformés en mer huileuse. Je comprends que la lumière devant moi n’est pas un esprit céleste, mais un flic au moment où Kim me l’annonce sèchement. Et, si je ralentis, c’est parce qu’elle me l’ordonne.
Le militaire me fait signe de m’arrêter et j’obéis, parfaitement calme, hypnotisé et amusé par la lumière qui jaillit de la lampe-torche.
Ce qui s’est passé avec la flicaille, je l’apprends le lendemain lorsque j’ouvre les yeux sur les terres désertiques du Larzac.
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Nous avons emprunté un sentier qui nous a conduits sur un vaste plateau de calcaire. Il s’étend à perte de vue devant mes yeux ébahis. Aucune habitation à l’horizon, juste des rapaces qui tournoient dans les airs un peu plus loin.
Je suis assis à la place du mort. J’ai un mal de crâne pas possible et je constate que le tableau de bord n’est plus celui du Partner, mais celui d’une grosse berline. Émile ronfle sur la banquette arrière. Quand je me tourne vers Kim, je remarque des larmes sur ses joues. Ce qui me frappe, c’est qu’elles ne sont pas rouges, mais transparentes comme les miennes ou les vôtres.
Elle se tourne vers moi, les yeux rougis par les heures passées à pleurer en silence, essaie d’ouvrir la bouche pour dire quelque chose, mais les mots s’étranglent au fond de sa gorge. Je l’enlace et la serre contre moi, caressant ses cheveux afin d’essayer de l’apaiser.
Des larmes continuent à rouler sur ses joues. Le silence entrecoupé par les ronflements d’Émile est devenu pesant au bout de cinq minutes. La tête de Kim repose sur mon torse et je m’évertue à tenter de la calmer en massant son cuir chevelu ou ses épaules.
Au bout d’un quart d’heure, rassérénée, elle m’explique ce qu’il s’est passé dans la nuit avec les poulets.
000
Kim a tout de suite pressenti que les gendarmes allaient nous arrêter. Son don de prémonition lui a permis de voir ce qui allait se produire. Les pandores auraient voulu vérifier l’arrière du véhicule et seraient tombés sur Émile qui dormait comme une bûche, sa grosse tête dépassant de la couverture censée le dissimuler.
Alors, elle a enfreint les règles. Elle s’est détournée de la ligne de conduite qu’elle et ses semblables s’imposent. Elle a décidé de devenir visible aux yeux de tous, ce qu’elle ne doit jamais faire sous peine de perdre tous ses pouvoirs ainsi que son statut, voilà comme elle me le présente. Elle est devenue humaine sans en être vraiment une. Et elle a commencé à réagir comme une humaine.
Paniquée, elle m’a ordonné de ralentir, a déboutonné mon pantalon, baissé mon caleçon, et sorti ma verge molle qu’elle a introduite dans sa bouche. Elle espérait que les poulets se rincent l’œil et nous laissent partir avec une petite contravention. Mais, ce qu’elle ignorait, c’est que mon pote s’est pile-poil réveillé au moment où elle se penchait pour me tailler une pipe, laquelle ne m’a malheureusement laissé aucun souvenir.
Quelques secondes plus tard, le gendarme, d’un geste, me demande de m’arrêter. J’obtempère. Au même moment, Émile, fou de rage, pousse un cri de guerrier qui fait sursauter tout le monde sauf moi, qui demeure sous le charme qu’exerce la lampe-torche sur mon esprit perturbé par le psychotrope. Je n’ai même pas conscience que Kim suce ma queue !
Dévoré par la jalousie, Émile surgit de la bagnole. Le premier cogne a à peine le temps d’ouvrir la bouche qu’un des poings massifs de mon pote lui enfonce la pommette et le projette au tapis. Le second, qui essaie de se saisir de son arme, reçoit une volée de coups de poing qui le laisse K.O., le visage tuméfié et maculé de sang.
Le suivant à essuyer le courroux d’Émile ? C’est moi ! D’un violent coup à l’estomac, suivi d’un crochet dans la mâchoire, il m’envoie dans les bras de Morphée jusqu’au lendemain matin.
Il faut plus d’une heure pour que Kim parvienne à apaiser Émile. Quand il finit par entendre raison, ils abandonnent le Partner, volent une autre tire que Kim conduit jusqu’au Causse du Larzac où elle se morfond en silence jusqu’à ce que j’ouvre un œil.
000
À son réveil, Émile s’empresse de prendre des nouvelles de ma mâchoire. Il se confond en excuses et, le visage rouge de honte, me demande de bien vouloir le pardonner. J’accepte ses excuses. Pour le rassurer, je lui confirme que je n’ai aucun souvenir de ce qui s’est passé la veille.
Petit briefing. Nous passons toutes les données du plan de mon pote au crible et nous roulons vers le hameau où réside notre cible.
J’allume la radio et cherche une station d’informations. Je ne suis pas étonné d’entendre rapidement parler des deux gendarmes, roués de coups par un forcené, pour reprendre les termes du journaliste. Le Partner a été retrouvé et des empreintes sont en cours d’analyse. Je me souviens avoir omis d’utiliser mes gants et une boule se forme dans ma gorge. Bientôt, ils auront mon nom ! Facile d’obtenir l’identité d’un ancien taulard !
Si le plan d’Émile échoue, nous sommes cuits !
000
Dans deux jours, une grande manifestation organisée par un important syndicat agricole aura lieu sur le Larzac. Nous avons tout misé sur notre kidnapping en espérant que notre homme ait déjà regagné ses pénates.
Nous garons la voiture dans un champ à quelques kilomètres de la maison de notre cible. Émile avait prévu d’utiliser la manière forte, mais, maintenant que notre Kim est visible aux yeux de tous, je viens d’avoir une idée. On pourrait l’utiliser pour capturer notre homme en douceur. On pourrait se servir de son physique avantageux pour piéger celui qui, j’espère, me permettra de me faire assez d’oseille pour rechercher mon fils.
Je soumets cette idée à mes compagnons. Kim partage ma conviction alors qu’Émile craint pour le bien-être de sa bien-aimée qui, je ne peux le nier, est beaucoup moins impressionnante depuis qu’elle n’a plus ses pouvoirs. Cela se remarque sur son visage et sur les postures qu’elle adopte. L’assurance qui la caractérisait s’est étiolée et il ne reste de l’ange gardien d’Émile qu’une jolie femme assaillie de doutes.
Je propose alors :
Elle m’a cloué le bec et cela semble plaire à Émile dont le visage se fend d’un sourire qui s’étire d’une oreille à l’autre !
Effectivement, je ne sais pas ce qu’elle pourrait bien lui raconter qui puisse exciter sa curiosité et motiver son militantisme. Je n’entrave pas grand-chose aux OGM et m’intéresse peu aux actions de ce type qui, en toute honnêteté, m’agace lorsque j’aperçois sa tronche à la télé.
Cette fois-ci, ce sont eux qui demeurent muets et nous remontons dans la voiture pour nous rendre au bled le plus proche à la recherche d’une Poste ou, à défaut, d’un annuaire.
Kim prend un café dans un rade occupé par quelques clients qui lui lancent des regards incessants. Elle revient avec le numéro de celui qui va casquer et nous retournons dans le champ que nous avons quitté une heure plus tôt.
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Nous reprenons le plan étape par étape. Une fois que la confiance a l’air de transpirer par tous les pores de sa peau, Kim compose le numéro :
Un instant, je crains que Kim en ait trop fait, son interlocutrice gardant le silence. Mais celle-ci reprend :
Kim raccroche avant que l’autre ait le temps de parler, un sourire illuminant son visage. Elle peut être fière d’elle ! Il va rappliquer illico presto ! Dès ce soir ! j’en suis persuadé comme deux et deux font quatre.
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Le soir, c’est lui qui rappelle, sa femme a probablement dû conserver le numéro de mon portable. Je décroche, essaie tant bien que mal de masquer ma surprise et passe le téléphone à Kim qui lui fixe rendez-vous dans le champ où nous avons garé la tire et où nous avons passé l’après-midi à chercher des moyens de pression susceptibles de le faire rapidement cracher au bassinet.
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Une demi-heure plus tard, il se pointe dans une bétaillère, seul derrière le volant. Émile et moi sommes cachés derrière un rocher et observons la rencontre.
Ce moustachu, héros local, descend de son G8 et salue de la main notre Kim qui lui rend son bonjour. Elle a revêtu un jean, une paire de baskets blanche et une chemise en lin dont les boutons déboutonnés du haut laissent entrevoir sa poitrine à peine dissimulée par un soutif à moitié transparent. Lorsqu’il se retrouve proche d’elle, Émile et moi constatons qu’il reluque ses seins (ce qui était plus ou moins mon plan) et je dois poser ma main sur l’avant-bras de mon pote pour l’empêcher de se lever et de foncer sur le bonhomme pour lui massacrer la tronche.
Ils discutent quelques minutes et après une cordiale poignée de main, notre futur otage retourne vers son fourgon. Peu de temps avant qu’il ouvre la portière, je me dresse et le menace de mon fusil en lui ordonnant de lever les mains en l’air. Je suis à plus de vingt mètres et je doute sérieusement de mes capacités à l’atteindre s’il tentait de grimper dans son G8 pour prendre la fuite.
Il s’exécute et je m’approche de lui en le braquant, talonné par Émile. Il se tourne vers Kim et lui lance un regard noir, un regard qui signifie « salope ! Tu m’as bien eu ! », mais il ne moufte pas. À la place, il me fait face et me demande d’une voix qui dégueule d’assurance, une assurance surfaite :
Ce que je lui veux, à cet instant précis, c’est l’attraper par sa bacchante et lui coller une mornifle pour qu’il rabatte son caquet de petit coq. C’est ce côté orgueilleux qui m’exaspère quand j’aperçois sa trogne à la télévision. En revanche, une partie de moi admire son courage alors que je le menace avec un fusil. Je me contente donc de lui répondre :
Il ne dit rien pendant plusieurs secondes et finit par s’esclaffer, ce qui me donne envie de presser la détente pour lui faire sauter la caboche.
Un bruit de portière qui s’ouvre. Et claque.
Je sursaute.
Quatre bouseux en bleu de travail et bottes en caoutchouc jaillissent des deux côtés du fourgon et nous menacent avec leurs quatre fusils de chasse.
On s’est fait baiser et en beauté ! Tout compte fait, le célèbre écolo est plus rusé que je ne le pensais.
Je continue à le tenir en joue tout en essayant d’arborer un visage effrayant et confiant. Les quatre potes de ma cible me braquent en retour et l’un d’eux m’ordonne :
Les mots sont sortis tout seuls de ma bouche. J’ignore ce que je ferai quand j’arriverai à trois. Peut-être les quatre m’auront-ils déjà tiré dessus quand je dirai deux ?
Les quatre persistent à me menacer de leur arme.
Je cesse de compter et tente une ultime réflexion. Rien ! J’ignore ce que je vais faire, mais j’ai aussi un mauvais pressentiment qui m’annonce qu’ils vont me descendre quand une des plus célèbres chansons du premier album des Doors se fait entendre au sein de mon crâne :
This is the end
Beautiful friend
This is the end
My only friend, the end
Of our elaborate plans, the end
Of everything that stands the end
No safety or surprise, the end
I’ll never look into your eyes…again
Can you picture what will be?
So limitless and free
Desperately in need…of some…stranger’s hand
In a… desperate land?
Lost in a roman…wilderness of pain
And all the children are insane
All the children are insane
Waiting for the summer rain, yeah
There’s danger on the edge of town
Ride the King’s highway, baby
Weird scenes inside the gold mine
Ride the highway west, baby
Ride the snake, ride the snake
To the lake, the ancient lake, baby
The snake is long, seven miles
Ride the snake…he’s old, and his skin is cold
The west is the best
The west is the best
Get here, and we’ll do the rest
The blue bus is callin’ us
The blue bus is callin’ us
Driver, where you taken’ us ?
Le temps a suspendu son vol ! Plus de la moitié de la chanson vient de défiler dans ma tête et personne ne réagit, comme si j’étais le seul à être soumis au passage du temps, les autres étant coincés dans une sorte de pause temporelle.
Est-ce la fin comme me l’annonce calmement et froidement Jim ? Une peur incontrôlable m’envahit. Je me dirige vers l’écolo en jetant un coup d’œil vers Émile qui, lui aussi, est figé. Reportant mon regard sur Kim, je constate qu’elle est aussi immobile qu’une pierre.
Tout à coup, alors que j’essaie de songer à quelque chose d’intelligent à faire – décidément ces derniers temps ma cervelle semble avoir pris un repos prolongé – j’aperçois, à environ deux cents mètres de la bétaillère, un combi Volkswagen bleu qui fonce sur nous.
Les quatre chasseurs chevronnés me braquent toujours, mais ils donnent l’impression d’avoir été frappés par une paralysie fulgurante.
Jim Morrison chante toujours The end dans ma tête et, lorsqu’il entonne ride the snake, un gigantesque serpent, du genre anaconda, apparaît comme par enchantement et s’enroule entre les jambes des quatre hommes qui me menacent de leur arme.
Paniqués, deux d’entre eux détalent comme des lapins.
Le temps a l’air d’avoir repris son cours.
Sans réfléchir, je donne un puissant coup de crosse dans la tempe de l’écolo. Il s’effondre au sol, probablement K.O.
Le reptile poursuit les deux gugusses qui ont pris leurs jambes à leur cou.
Effarés et terrifiés par ce qui vient de se produire, les deux autres observent la scène sans bouger. J’en profite pour faire signe à Émile de se charger de celui qui me paraît le plus baraqué tandis que je frappe violemment – derrière les genoux – le moins balèze qui se retrouve sur le cul. Émile saisit celui que je lui ai désigné par le colbac et lui allonge une mandale qui le laisse inconscient.
Lorsque le combi Volkswagen bleu s’arrête à côté de nous, je ne suis pas vraiment surpris de constater que l’homme derrière le volant est celui qui s’adresse à moi en chanson depuis que ma carrière d’apprenti délinquant est partie en couille.
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Jim m’offre son plus beau sourire, celui qui devait faire craquer toutes les filles de Venice Beach à la fin des années soixante. Je demeure sans voix, intimidé par cette rencontre extraordinaire.
Il s’avance d’une démarche qui respire la tranquillité, jette un bref regard à Émile qui lui sourit (mon pote le voit-il ?) et s’attarde sur les courbes avantageuses de notre Kim qui l’ignore royalement (peut-être ne le voit-elle pas ?)
Il me tend la main et dit :
Cette remarque ne plaît pas à Émile qui lance un regard noir à mon ange gardien. Je traîne le corps inerte de notre otage à l’arrière du minibus bleu, lui attache les mains dans le dos avec un scotch de chantier ultra résistant et nous partons.
Les deux fuyards sont toujours en train de courir lorsque nous les dépassons. Le serpent a l’air d’avoir disparu…
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Sous la direction de Jim, nous roulons à travers champs pendant un bon quart d’heure avant d’arrêter le van. Personne n’a jacté pendant le trajet : Émile a surveillé Jim d’un œil torve alors que celui-ci contemplait Kim d’un œil concupiscent, plongeant sans vergogne son regard dans son décolleté.
Le célèbre écolo est toujours sonné. À la seconde claque que je lui colle, il entrouvre les paupières. Au moment où il réalise où il se trouve, son visage se renfrogne et il marmonne quelque chose que je ne comprends pas.
Je ne peux m’empêcher de le frapper du plat de la main sur la joue, une petite tape humiliante, mais peu douloureuse.
Il ne répond rien, se contentant de soutenir mon regard.
Nouvelle claque, plus puissante que la précédente. Il ne bronche pas, les yeux emplis de mépris et de haine.
Son regard me transperce et me met mal à l’aise. Ce n’est pas dans ma nature d’être brutal avec quelqu’un qui ne peut pas se défendre, mais j’ai besoin de cet argent pour retrouver mon fils et je ne vois pas d’autre solution que d’essayer de l’effrayer. Je reprends donc mon discours improvisé de méchant gangster :
Il tique légèrement, l’espace d’un instant, mais persiste néanmoins à me défier du regard. Je le mets à plat ventre et fouille ses poches : un portefeuille, un trousseau de clés, un téléphone portable (que je glisse dans ma poche) et quelques pièces de monnaie. J’ouvre le larfeuille et sors son contenu. Une carte bancaire, le permis de conduire et la carte vitale, des tickets de caisse ainsi que des photos de ses enfants.
Il lève les yeux vers moi et se contente de sourire, un sourire en coin qui me fout les boules. Sans que cela passe par la case cerveau, je lui décoche une nouvelle torgnole, plus violente que les deux précédentes. Maintenant, un filet de sang s’échappe de sa lèvre fendue et cela me réjouit. C’est la première fois que la violence m’apporte pareille satisfaction et cela m’inquiète, mais je persiste à jouer au dur :
La colère l’ayant emporté sur la raison, je m’apprête à lui dévisser la tête quand la main de Kim attrape mon poignet.
Je la suis et elle me glisse dans le creux de l’oreille son plan machiavélique.
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Son plan m’apparaît naturellement efficace mais possède de nombreux aspects déplaisants. Si je ne suis pas adepte de violence, je ne suis pas non plus partisan du chantage et autres bassesses. Et ce qu’elle me propose est un savant cocktail d’humiliations. Je lui explique ma réticence mais, une fois encore, elle parvient à me convaincre en me disant que ce ne sera que du bluff et que mon intention est louable puisque je compte retrouver mon fils, ce qui prouve que je n’agis donc pas par méchanceté mais plutôt par amour. Vu comme ça, elle me donne l’impression d’être moins dégueulasse et je change de conversation pour éviter de trop analyser la situation :
Je sors l’iPhone de notre otage pendant que Kim retire ses baskets et son jean sous lequel je découvre une paire de bas résille. Elle enlève son soutif et garde la poitrine nue ainsi qu’une culotte noire rehaussée de dentelles.
Les pointes de ses tétons durcies par le froid automnal sont violettes. Elle est splendide ! Si j’osais, je lui goberais un sein et le téterais lentement en jouant de temps à autre avec ma langue sur son aréole. Cette pensée réveille Popaul, mais le regard glacial qu’elle me lance, au moment où elle se rend compte que je la reluque, calme immédiatement mes ardeurs. Elle a peut-être perdu ses pouvoirs, cependant, rien ne l’empêche de m’en retourner une.
Elle ouvre la porte de notre nouveau véhicule, très seventies, et s’engouffre à l’intérieur.
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Les mains toujours attachées derrière le dos, il la dévore des yeux un court instant, puis il détourne le regard. Elle s’accroupit, se penche sur lui et lui susurre quelque chose à l’oreille que je n’entends pas. Il ne réagit pas.
Elle se relève, se trémousse au-dessus de lui, ses seins se balançant au rythme de ses mouvements de hanches. Du bout des doigts, elle dessine le contour de ses aréoles, pince ses tétons, pétrit sa poitrine. Il ne peut s’empêcher de contempler le spectacle cochon qui se déroule sous ses yeux. Sous son pantalon une bosse est en train de se développer et j’en profite pour prendre une photo sur laquelle on puisse facilement le reconnaître, avec une trique d’enfer et une blondasse à moitié à poil à ses côtés !
J’ouvre la portière et entre à l’arrière du van où j’annonce, avec un large sourire :
Elle s’accroupit, défait la ceinture et retire le pantalon de notre otage. Je m’attendais à voir un slip blanc kangourou, il n’en est rien, notre homme porte un boxer d’une marque que les jeunes affectionnent.
Je prends une nouvelle photo en lui expliquant que ce cliché ira sur Facebook.
Il ne bronche pas. Je me tourne vers Kim et lui dis :
Il finit par rendre les armes en m’interrompant :
Le bluff a fonctionné à merveille ! Six heures plus tard, nous avions quinze mille euros en liquide et de faux papiers réalisés par un de ses collègues du Larzac. Pourtant, j’avais encore un service à lui demander.
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C’est la première fois qu’il a réellement l’air d’écouter attentivement ce que je débite. Pendant le quart d’heure où je lui expose les raisons qui m’ont poussé à entrer dans le monde de la délinquance, ses yeux ne me quittent pas, sa concentration ne faiblit pas et, surtout, il ne m’interrompt pas, se contentant de me donner ses assentiments en hochant de la tête de temps à autre.
En revanche, lorsque je lui explique qu’il va nous conduire jusqu’à Barcelone après nous avoir acheté des billets d’avion pour l’Argentine et filé du pognon pour le détective privé argentin qui va m’aider à retrouver mon fils, sa tête remue énergiquement de gauche à droite. Mais il n’a pas le choix ! Je lui rappelle que je pourrais toujours imaginer un scénario érotique dans lequel il aurait le premier rôle et qui finirait inévitablement sur le Web sans oublier, évidemment, de transmettre le lien des photos, voire de la vidéo, à tous les membres de sa famille. Cela l’amène à adopter son faciès renfrogné que je commence à connaître et il accepte à contrecœur.
Selon mon plan, il contacte son épouse pour lui dire qu’il doit s’absenter quelques jours pour des activités militantes de la plus haute importance et dont il ne peut rien divulguer pour l’instant. Il téléphone ensuite aux quatre bouseux qui m’ont menacé avec leur arme et leur demande de garder le silence. Il leur explique – comme je lui ai demandé de le faire – que sa famille risque d’être en grave danger s’ils venaient à s’adresser à la police. Devant l’inquiétude que chacun de ses amis manifeste, il les rassure en leur certifiant que tout sera rentré dans l’ordre d’ici deux ou trois jours et qu’ils n’ont nul besoin de se faire du souci tant qu’ils n’iront pas baver aux flics.
Une fois tous les petits détails techniques réglés, je retrouve Émile et Kim qui m’annoncent que Jim est parti.
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A-t-on pu rêver avec Émile ? Jim ne serait-il qu’une hallucination ? Impossible ! Le van de hippy est toujours là, sous nos yeux.
Je suis déçu que Jim ait disparu. J’avais tellement de questions à lui poser. Tellement de choses à apprendre. Je chasse ces pensées et installe notre otage à l’arrière du véhicule. Il est temps d’acheter les billets d’avion et de louer une voiture pour aller à Barcelone.
Le premier vol pour Buenos Aires est le lendemain matin à 6 h 15.
L’écolo va devoir payer l’hôtel !
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Après avoir claqué des milliers d’euros en billet d’avion, des centaines dans la location d’une Mercedes, ajoutez à cela dix mille euros qu’il a été retirer en liquide à sa banque, nous voilà enfin partis.
Pendant le trajet nous écoutons les nouvelles à la radio et je ne suis pas surpris d’entendre que l’identité d’un des braqueurs (bibi) est dorénavant connue des services de police puisqu’il s’agit d’un ancien détenu comme le précise le journaleux. Je suis rassuré de ne rien entendre concernant la disparition du moustachu, même si en entrant dans Béziers, un journaliste annonce qu’il sera absent à la grande manifestation organisée par son syndicat pour des raisons de santé ; nouvelle qui tire une grimace à notre otage.
À la frontière, la Guardia Civil le contrôle sans regarder nos papiers d’identité puisqu’il leur présente sa carte de haut fonctionnaire, comme je lui avais demandé, qui lui octroie de nombreux passe-droits. Nous roulons jusqu’à Barcelone où nous nous arrêtons dans un hôtel luxueux. Il tire un peu la tronche, certainement parce qu’il sait que la note sera pour lui. Quant à moi, je commence à me sentir bien. Si tout se déroule sans accrocs, demain, je volerai vers l’Argentine. Vers Paco.
L’écolo s’offusque quand je lui dis que nous allons dormir tous les quatre dans la même chambre. De toute manière, encore une fois, je ne lui laisse pas le choix.
Il paye pour une suite spacieuse qui déleste son compte en banque de cinq cents euros supplémentaires.
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À l’hôtel, je contacte le détective privé argentin qui, après avoir reçu un acompte de mille euros via le compte Paypal de notre victime, s’est immédiatement mis à la recherche de mon ex.
En début de soirée, en relevant mes courriels à l’ordinateur, j’ai l’agréable surprise de lire un message de Monsieur Ramirez. Il a retrouvé ma femme ! Elle est retournée chez sa mère avec notre enfant, à Mar Del Plata, la plus grande station balnéaire argentine à trois cent cinquante kilomètres de la capitale.
Cette excellente nouvelle ne peut qu’égayer ma soirée.
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Pourtant, dans la nuit, tandis que je suis proche de sombrer dans le sommeil, j’entends un bruit dans notre chambre.
J’entrouvre un œil et constate que notre otage est debout. Il se déplace sur la pointe des pieds. Autant de sollicitude à notre égard m’interpelle et je décide de faire semblant de dormir.
Il glisse sur le sol, sans bruit, et s’avance vers mon lit. Il s’arrête et je sens ses yeux me détailler.
Le salaud est en train de nous jouer un mauvais tour ! Je prétends cependant d’être endormi.
Lentement, il pose sa main sur mon sac à dos que j’ai laissé au pied du lit.
Je ne bouge pas.
Tout doucement, il farfouille à l’intérieur un moment. Il en extirpe son téléphone. Avant qu’il ait le temps de l’allumer pour effacer les photos que j’ai faites, je bondis hors du lit comme un pantin de sa boîte en hurlant :
Son premier coup m’atteint en pleine poire, pile sur le coin du pif que Kim m’avait déjà ruiné.
La douleur se propage dans mon crâne ! Des larmes coulent de mes yeux. Dans un réflexe, je me tiens le nez en pleurnichant.
Mon adversaire grimpe sur le lit d’un seul bond et se propulse sur moi comme un catcheur. Je me retrouve sur le dos, son cul sur mon bide pendant que ses doigts rugueux se referment sur mon cou.
Le con a de la force ! Il va me tuer ! Je n’arrive plus à respirer et je sens que la pression qu’exercent ses doigts sur ma gorge va bientôt avoir raison de ma trachée. Mon visage doit être rouge. Ou bleu ?
Je tente de lui assener des coups de pied qui restent sans effet.
Si près du but, je vais crever ! J’entends les ronflements d’Émile ainsi que la respiration régulière de Kim. Un militant écologiste est en train de m’étrangler dans une chambre d’hôtel et tout le monde ronque !
Une idée qui aurait dû me traverser immédiatement l’esprit naît dans mon cerveau qui n’est pas loin de s’éteindre définitivement. Dans un dernier instinct de survie, je plante mes dents dans la chair tendre, entre le pouce et l’index, de sa main.
Le sang coule dans ma bouche et y laisse un goût cuivré. Il hurle. Mes dents déchirent un peu plus la chair sanguinolente. Un court instant ses doigts se desserrent mais, aussitôt, s’emparent à nouveau de ma gorge.
La dernière chose que je vois est une ombre massive qui nous surplombe.
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Je ne reste inconscient qu’une trentaine de secondes. Les baffes répétées d’Émile me remettent rapidement sur pieds, les joues marquées de stries rouges laissées par ses gros doigts.
L’écolo est face contre terre. Un instant, je pense qu’Émile l’a tué, mais un mouvement de tête de Kim que j’interroge du regard apaise immédiatement cette crainte.
Mon pote l’a bien amoché, mais il devrait rapidement guérir, bien qu’une cicatrice risque de marquer d’un léger trait blanc son arcade sourcilière. Demain, nous ne serons plus qu’un mauvais souvenir et il pourra alors aller se faire soigner et rentrer chez lui.
Plus personne ne ferme l’œil de la nuit et nous demeurons tous les quatre muets comme des tombes. Le moustachu a l’air de souffrir mais, malgré les multiples propositions de Kim pour panser ses plaies, il s’obstine à refuser. À l’aube, je m’approche de lui et lui dis :
Il ne répond rien, n’arbore aucune expression, comme si je m’étais adressé à un sourd.
Arrivés à l’aéroport, nous le quittons et lui rendons son téléphone. Il repart, dans un crissement de pneus, sans rien dire.
L’embarquement ne pose aucun problème. Les faux papiers de Kim n’éveillent aucun soupçon et personne n’appelle la sécurité lorsque je leur présente les miens.
L’avion est spacieux et les hôtesses de l’air ravissantes. Dans une dizaine d’heures, nous serons à Buenos Aires où nous rencontrerons le détective privé qui nous conduira à Paco.
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Cinq ans se sont écoulés depuis que nous avons définitivement cessé de mener une vie de délinquant.
Il m’a fallu six mois, au prix de conversations téléphoniques interminables, pour parvenir à convaincre mon ex de me laisser voir Paco. Depuis, chaque semaine, mon fiston passe une journée complète chez nous, même si elle ne l’a encore jamais laissé dormir à la maison. Elle n’a pas confiance en moi et croit que je traficote toujours un peu. Pourtant, ça fait cinq ans que je me tiens à carreau !
Malgré le pognon qu’il nous restait de l’écolo, avec Émile, nous avons enchaîné les tafs merdiques, travaillant aussi bien le jour que la nuit, pour des salaires de misère. Nous avons mis de l’argent de côté dans le but de le rembourser. Ce n’est que le mois dernier que j’ai pu lui envoyer un mandat cash de dix-huit mille euros. Vous auriez vu les yeux de la femme qui m’a accueilli au guichet quand elle a vu tout ce fric en liquide. En pesos, ça fait un paquet de biftons ! Je n’espérais pas un merci, mais au moins un mot de sa part. Il ne s’est pas donné la peine de nous répondre bien qu’il ait très vite encaissé la tune, avec les intérêts promis.
L’Amérique latine n’a pas réussi à Kim. Son moral a rapidement décliné et elle a fini par s’enfermer dans une sorte de dépression permanente de laquelle elle émergeait rarement. Incapable de se faire une place dans le monde des humains, elle n’accordait plus la moindre attention à Émile qui, à son tour, s’est mis à déprimer. Voyant mon pote dépérir, j’ai suggéré à Kim qu’elle mette les bouts. Pour la tendresse et l’amour qu’elle a su porter à mon compagnon, elle a accepté et a disparu de nos vies comme elle y était entrée.
Émile a mis presque un an à s’en remettre. Encore aujourd’hui, pas une journée ne se passe sans qu’il ne me parle d’elle. Pour être tout à fait honnête, je dois avouer qu’elle me manque aussi. Souvent, avant de m’endormir, je me demande où elle a pu aller traîner ses guêtres…
Quant à Jim, je ne l’ai jamais revu. Je ne l’entends plus chanter dans ma tête. Pourtant, en réécoutant L.A. Woman, je deviens nostalgique et imagine les choses que l’on aurait pu partager…
L’avenir est néanmoins prometteur ! Ce week-end, Paco arrive vendredi en fin d’après-midi et Salma a accepté qu’il reste tout le week-end. Elle a aussi accepté de partager le repas du dimanche midi avec nous.
Au moment où j’écris ces lignes, j’aperçois le facteur de la fenêtre du salon. Il sort un gros carton de son véhicule.
Je viens de récupérer ce colis. Mon nom et mon prénom, écrits à la main, apparaissent sur le dessus du carton. Le tampon de la Poste m’indique qu’il a été posté à Millau.
Mon cœur ne cogne plus dans ma poitrine, ma respiration est coupée. J’arrache le scotch marron et découvre à l’intérieur du carton deux Roqueforts de deux kilos et demi ainsi qu’une enveloppe sans en-tête qui contient une lettre manuscrite :
Salut Cédric !
Tout d’abord, je dois avouer que j’ai été agréablement surpris de constater que tu tenais tes engagements. Quand j’ai eu le mandat cash entre les mains, je me suis dit, c’est un petit branleur, mais un branleur qui n’a qu’une parole et cela a beaucoup de valeur pour moi.
Trêve de lustrage de fion ! Tu dois certainement te demander comment j’ai pu obtenir votre adresse et la réponse à cette question se trouve à l’intérieur de ton sac à dos, celui dans lequel j’ai récupéré mon portable avant de te mettre une déculottée.
Tu dois déjà être en train de regarder dans ton sac. Tu n’as rien trouvé ? Cherche mieux ! Si tu l’as découvert, tu dois te demander à quoi sert ce petit truc. Je suis sûr que tu finiras par l’apprendre ! Tu dois aussi te demander où je dissimulais ce petit truc et la réponse s’est pourtant trouvée sous tes yeux. Tu te souviens de mon sous-vêtement moulant qui portait le logo d’une marque célèbre ? Tu penses réellement qu’un homme comme moi attache de l’importance aux marques !
En te contactant, je ne cherche pas à obtenir de nouvelles, ni même à te donner des miennes ! Je viens tout simplement demander un peu d’aide. Tu me dois bien ça avec tous les tourments que toi et tes amis m’avez fait subir.
Il y a maintenant trois semaines, un hurluberlu a débarqué chez moi ! Il était ivre comme un polonais lorsque je l’ai surpris à épier mon épouse qui s’apprêtait à se prélasser dans son bain. J’ai tout de suite crié en le voyant ! Je l’ai menacé tandis que ma femme me fixait avec des yeux ronds, me demandant à qui je m’adressais et pourquoi je hurlais. J’ai cru qu’elle avait perdu la raison alors que ce hippy sortait de la poche intérieure de sa veste un sachet de poudre blanche pour se faire une ligne sur mon lavabo !
Tu dois te demander pourquoi je te raconte cette histoire à dormir debout. Le jour où vous m’avez kidnappé, avec le débile et la blondasse, je l’ai vu. Cette loque qui squatte chez moi ! Tu vois qui je veux dire ? Votre copain qui ressemble à ce chanteur américain que l’alcool, la drogue et, Dieu sait quoi encore, ont envoyé au Père-Lachaise à l’âge de vingt-sept ans.
Toute la journée, ce cinglé me suit et me prodigue ses conseils. Apparemment, je suis le seul à le voir et j’en suis venu à me demander s’il ne me droguait pas à mon insu. Puis je commence à en avoir vraiment marre de le retrouver tous les soirs bourré après avoir sifflé la moitié de mon bar. D’ailleurs, ma femme croit que je suis devenu alcoolique et a récemment parlé de divorce ! Si je m’en remets à toi, c’est parce que tu as l’air de bien le connaître et je me souviens de la joie qui animait ton visage lorsque tu lui as serré la main quand il est sorti de son van bleu.
Toutefois, afin de m’assurer de ton soutien, je t’offre un cadeau, que tu as dû sentir, ainsi que la copie d’une lettre que je n’hésiterai pas à remettre entre les mains de la PJ de Rodez si tu es assez stupide pour ne pas accéder à ma demande qui, il est vrai, s’apparente plus à un ordre. Mais la roue tourne, c’est le principe du cycle de la vie ! Et parfois, la proie devient chasseur !
Dans ma grande bonté, je te laisse un mois pour retourner en France où ma chambre d’ami t’es réservée jusqu’à ce que tu me débarrasses de ce cloporte.
Cordialement,
La Moustache.
À la fin de la lecture de cette lettre, je suis sur le cul. J’ai bel et bien trouvé une capsule ronde métallique dans mon sac à dos et le Net m’a rapidement appris qu’il s’agissait d’une balise GPS utilisée par l’armée. Il nous a bien eus ! La copie de la lettre qui est censée me motiver à l’aider contient de nombreuses informations me concernant, lesquelles, entre les mains de la Police, pourraient permettre à cette dernière de m’extrader en France et m’enverraient à l’ombre pour un bon bout de temps.
Mais ce qui m’a le plus atterré reste la réapparition subite de Jim et surtout le fait que l’écolo ait pu le voir. Je me rappelle que Kim m’avait expliqué que si j’étais capable de la voir, c’était probablement en partie en raison du lien profond qui nous unissait, Émile et moi. Y aurait-il un lien entre la moustache et moi ? Peut-être que la haine ou la rancœur jouent le même rôle et que cela lui a permis de voir Jim ?
Plus tard, dans l’après-midi, j’ai acheté un billet d’avion pour la France. Cette fois-ci, c’est moi qui n’ai pas le choix. Lundi, je décolle et abandonne derrière moi ma famille que j’ai eue tant de mal à retrouver.
Pour le repas du dimanche midi, je sors le Roquefort. Salma et Émile se régalent et se resservent. Paco ne tient pas trop à y goûter et moi, je n’ai toujours pas touché à mon morceau de fromage, l’esprit trop occupé par mes nouvelles aventures qui commencent demain.
J’ai décidé de partir seul et je n’ai rien dit à personne. Je ne veux plus impliquer qui que ce soit dans mes histoires.
Si je parviens à ne pas me faire pincer par la volaille à l’aéroport de Blagnac ; si la lettre de l’écolo n’est pas un prétexte pour m’attirer dans un piège afin qu’il puisse exercer sa vengeance ; si je réchappe vivant des péripéties qui m’attendent et reviens parmi les miens, alors peut-être, mes trois ou quatre fidèles lecteurs, je vous conterai ces nouvelles aventures…