Une Histoire sur http://revebebe.free.fr/
n° 15341Fiche technique37486 caractères37486
Temps de lecture estimé : 22 mn
14/12/12
corrigé 11/06/21
Résumé:  Comment renouer après une séparation? Est-ce possible? Compréhensible ? Mystère !
Critères:  fh couple amour jalousie dispute cérébral revede -consoler
Auteur : Veilleur

Série : Partage

Chapitre 05 / 05
Parce que c'est elle, parce que c'est moi

Le chapitre en trop




Résumé des parties précédentes : Une réflexion de sa stagiaire conduit Hervé à son domicile où il découvre sa femme au lit avec une autre femme. Il en tombe des nues et dans l’escalier. Ramassé par les lesbiennes, soigné, entraîné dans un tourbillon de volupté, il accepte le ménage à trois. Tout nouveau, tout beau. Il est rattrapé par la fatigue, la lassitude et le sentiment d’une frustration. Pour rétablir un certain équilibre il introduit un veuf dans ce club libertin. Il y est de plus en plus isolé. Les autres le fuient. La stagiaire à l’origine de ses déboires prend pitié, s’offre à lui. Ce jour, on lui REND sa précieuse infidèle. Il n’a pas le cœur à triompher. Le passé et le passif le poussent à la prudence. Piano, piano ! Qui va piano, va sano. Peut-être.








Parce que c’est elle, parce que c’est moi.




Pardonnez-moi le rappel d’un extrait de Montaigne et l’application laborieuse que je prétends en faire à notre cas. Peut-être certains lecteurs tentés de dire de mon texte qu’il est cucul, gnangnan, peu plausible, ringard, absolument invraisemblable, à l’eau de rose, ou d’autres trouvant ridicule un homme trop permissif, qui subit si facilement ou se révolte à contretemps, souvent à côté de la plaque, hésitant, naïf, incapable de s’imposer et donc voué inéluctablement à un rôle de victime bien mérité, peut-être donc ces lecteurs trouveront-ils dans cette citation de quoi alimenter un ruisselet d’indulgence envers Hervé, le narrateur.


« Au demeurant, ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu’accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s’entretiennent. En l’amitié de quoi je parle, elles se mêlent et confondent l’une en l’autre, d’un mélange si universel qu’elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer, qu’en répondant :

Parce que c’était lui, parce que c’était moi.

Il y a, au-delà de tout mon discours, et de ce que j’en puis dire particulièrement, ne sais quelle force inexplicable et fatale, médiatrice de cette union »

(Montaigne)




ooo000ooo





Louise en haut de l’escalier pleure. Les fiancés nous quittent. Plus tard Louise m’apprendra que chez Nora, il y a eu de sérieuses empoignades pour la contraindre à partir. Les bleus ? Oui, et quelques gestes proches de la maltraitance de la part de Richard le plus souvent, mais depuis peu de la part de Nora aussi, comme des pinçons censés éveiller les sens endormis au cours des jeux à trois, toujours sur elle, jamais pour l’infidèle Nora ; ou encore les gifles sur ses fesses : si belles quand elles étaient rouge vif, soi-disant pour accroître son plaisir, jamais sur les rondeurs de Nora. Pour l’obliger à les quitter, elle le saisit enfin, mais elle ne voulait pas y croire. Qu’attendre du retour forcé d’une femme déçue et rejetée ? Je l’ai tant aimée, je suis son mari…


Chloé partie rejoindre son copain du moment, parti le couple enfin affirmé et uni de Richard et de Nora, je me retrouve donc en tête à tête avec Louise, l’épouse « rendue ». Quelle situation embarrassante ! De plus, je sors des bras de la géniale Chloé. Louise l’a constaté en découvrant la verdeur de la nymphe nue dans nos draps. Une Chloé diabolique, devrais-je dire. À dix-neuf ans elle a réussi l’exploit de renouer le lien entre son père et la veuve Nora et de faire revenir chez moi l’infidèle, ma femme partie en quête d’une difficile aventure de partage, passionnément attachée à Nora, heureuse de pouvoir vivre sa bisexualité avec Richard. Au prix tout simple d’un abandon de domicile et d’époux progressif puis définitif, me laissant seul dans une maison vide.


Chloé m’a-t-elle rendu service ? Le tête-à-tête s’annonce difficile. Pour l’instant je laisse couler les larmes, des larmes de déception, de rage, d’humiliation, de crainte peut-être. Je comprends son désarroi, il me peine. J’essaie d’analyser la situation. Ses sanglots ne lui permettraient pas de m’entendre.


Qui de Nora ou de Richard s’est lassé en premier de cette relation triple et compliquée ? Quels ont été les arguments utilisés par la fille de Richard, pour convaincre son père de se contenter d’une femme après des années de veuvage et de me restituer la mienne : la question reste posée. Car Chloé, la délurée gamine, ne cultive pas à outrance des idées de fidélité : le don fougueux qu’elle m’a fait de son jeune corps de nymphe à peine éclose avant de rejoindre joyeuse son copain juste après, montre à quel point la petite s’assied sur les conceptions classiques du mariage. Le copain sera-t-il à la hauteur de cette désinvolture ou est-il condamné à n’être qu’une étape dans une vie sentimentale et sexuelle très agitée ? À mon image.


Si Richard s’est un moment grisé de son soudain succès à mes dépens, s’il a trouvé formidable d’être préféré, aimé, chéri, charnellement désiré et comblé par deux femmes à la fois, si le spectacle de deux lesbiennes en amour a pu lui faire perdre la tête pendant quelques semaines, il est fort plausible aussi que, comme moi, il ait ressenti au fil du temps une lassitude physique à la suite d’exploits charnels trop souvent réclamés par ses deux partenaires aux exigences constantes.


Par ailleurs, la concurrence des deux femmes pour occuper la première place près de lui, pour être prises mieux, plus souvent possédées, plus fortement baisées, transpercées, défoncées et leurs allusions chuchotées à propos des mérites de l’une comparés aux petits défauts de l’autre ont pu créer une ambiance lourde dans ce trio encore peu rompu à l’exercice difficile du partage. Passés les premiers étonnements, passé l’enthousiasme de voir les papouilles des femmes entre elles, atténué l’émerveillement d’être sexuellement désiré et aimé doublement, avec une dévotion touchante et toujours renouvelée, quand sont apparus les premiers signes forts de jalousie entre elles, soit parce que l’une avait décelé une attention de plus en faveur de l’autre, soit parce que l’autre avait joui plus fort qu’elle sous le mâle, pour des riens sans importance aux yeux de l’homme, mais auxquels les femmes sont si attentives et si sensibles, Richard a-t-il vu sa dépression physique renforcée par une lassitude mentale ? Ce n’est pas impossible. J’en parle d’expérience.


Quand, à deux, elles se dévoraient la chatte, s’envoyaient des doigts dans les orifices ou restaient longuement prostrées, corps collés, bras devenus lianes, jambes croisées comme des vrilles, sans souffle, sans un regard pour lui, autant il avait admiré ces unions au début, autant il se sentait désormais seul, oublié certaines fois. Cela aussi je l‘avais éprouvé. Bien sûr, quand elles redescendaient de leur nuage, elles lui tombaient dessus à deux, le prenaient en bouche ou le masturbaient à qui mieux mieux, avant de le chevaucher et de l’épuiser. La plus prompte engloutissait son dard dans sa gaine vaginale avide de frottements, l’autre l’étouffait en appuyant sur son nez ou sa bouche une vulve débordante de fluide. De l’abattement il passait à l’exaltation, puis à l’épuisement. Avant lui j’avais connu l’alternance de la jalousie de l’oublié, de l’extrême plaisir du sexe, puis de l’anéantissement physique.


Il n’est pas donné à chacun de servir à la fois, au lit deux femmes chaudes. Et je ne parle pas de servir le café et les croissants, mais d’activités sexuelles intenses à répétition, sans cesse ravivées par la concurrence. Certes, elles offraient des intermèdes. Elles savaient manifester leur goût pour les amours saphiques. Le spectacle de leurs baisers, de leurs enlacements délicats, de leur tendresse féminine, comme celui de leurs moments de chasses affolées à l’orgasme ravageur constituaient des plages de repos et de joie pour l’homme heureux. Quand encore les deux femmes pourtant épuisées de s’être aimées ne se battaient pas pour s’offrir avec lui et par lui une dernière extase.

Tout cela accumulé pendant des semaines, avec des piques lancées d’un ton badin par sa coquine de fille, a probablement amené le « trop aimé » Richard à envisager une vie plus conventionnelle, plus calme, plus sereine. Comme c’est compréhensible !


L’antériorité de Nora dans sa vie de veuf lui aura valu une préférence ainsi que son veuvage. Le sentiment d’avoir volé, même malgré lui, la femme d’un ami a desservi dans sa conscience les intérêts de Louise (permettez-moi un doute sur la sincérité de ce remords tardif). Il a fait son choix. Nora sollicitée a trouvé bon de bâtir un couple avec un veuf sans la menace de la présence devenue envahissante de Louise. Si Richard repoussé, rejeté par Nora, proposait à Louise de vivre en couple, Nora risquait de se retrouver seule une nouvelle fois. Chacune était capable de calcul, moins aveuglée par une passion en déclin.


La vie en trio semblait compromise par le désir de Richard de se simplifier l‘existence, par sa crainte de s’épuiser en travaux amoureux. La crainte panique de la panne sexuelle que j’avais éprouvée a dû l’effleurer à son tour.


Déchirée entre ses deux amours, Nora a choisi la sécurité. Cela a fait boule de neige. Moins aimée ou recherchée, Louise est devenue plus jalouse, donc plus désagréable, moins aimable, et par suite encore moins aimée. Les petites vacheries pour se débarrasser d’elle ont commencé : des claques sur les fesses venues de Nora comme de Richard, des supplices étranges comme celui des pinçons ou pires, des remarques peu amènes. Quand on veut se débarrasser de son chien, on lui trouve des puces… Donc ils ont grossi de petits défauts, l’ont vexée.


Désespérément Louise a subi coups, vexations, privation de rapports sexuels dispensés par contre abondamment à Nora et sans discrétion. Pendant que la préférée criait sa jouissance, en silence Louise s’est accrochée à son rêve d’amour partagé, à son amour de l’autre femme, à la qualité particulière des pénétrations de Richard, bien que cette qualité fût en baisse progressive depuis qu’elle m’avait quitté ou se fît rare en dernier.



Maintenant Richard et Nora nous ont laissés en face à face. Louise pleure, peste, insulte, passe par toutes les nuances d’un arc-en-ciel du ressentiment. Je laisse passer l’orage puis j’écoute ses récriminations et l’expression précipitée de sa colère, de sa rancœur envers les deux traîtres :



Les pleurs reprennent de plus belle. Elle se barbouille le visage de larmes, de rimmel et de poudre. Elle avait dû se maquiller pour la visite, se faire belle pour paraître devant son ex, pour étaler sa bonne santé, pour me rassurer sur son bonheur. Ça partait d’une bonne intention. Impuissant, ému par son désarroi, je reçois des confidences qu’elle tairait si elle était dans un état normal. Elle a besoin d’épancher sa douleur, de la raconter aux murs plus qu’à moi.



Je le sais trop. Devant moi, l’ex-mari muet, elle laisse couler son fiel. Elle raconte les heures heureuses, les « parties de cul » à trois, les envolées orgasmiques, la douceur de ses rapports avec Nora quand Richard était au travail. Tout cela vient de se briser. Ses phrases tombent pêle-mêle en désordre, comme les tessons de mon vase grec le jour du début de la fin.


Avec animosité elle relate sa soumission aux sévices, le goût qu’elle y prenait, y voyant un avantage sur Nora. Plus on la maltraitait plus elle se croyait aimée. Si l’homme battait tambour sur son cul ou la pinçait ou la brutalisait, c’était parce qu’il la trouvait plus souple, parce qu’il l’aimait plus que sa bien-aimée Nora.


De même, plus elle se sentait privilégiée, plus elle couvrait la veuve de preuves de son amour, et elle se réjouissait de recevoir des coups de son amoureuses. Nora en la maltraitant lui témoignait sa préférence.



Son dépit et son ressentiment se traduisent par ses larmes et par la perte de maîtrise de son vocabulaire. Je compatis, elle vient de traverser une épouvantable épreuve. Sa déception est d’autant plus forte qu’elle s’est vue refoulée sans avoir vu venir le coup. L’excès d’amour au moment de l’abandon et du rejet se transforme en une haine violente. J’écoute et je la plains.


Cependant dans sa rage, a-t-elle une pensée pour le sort qu’elle m’a fait ? Avec Nora elle avait mené une vie amoureuse secrète. Quand j’ai découvert leur liaison, elle a consenti à m’associer à leurs rapports pour m’imposer la présence permanente de sa maîtresse dans notre lit. Puis elle s’est donnée et imposée à Richard, a commencé à me délaisser une nuit par semaine, puis deux nuits et enfin m’a quitté, a disparu avec ses deux amours. Et là, plaquée par eux, refoulée sans possibilité de retour, elle passe ses nerfs à les maudire.


Je pourrais m’attendre à l’expression de regrets, à des excuses. J’aurais bien tort ! Car soudain sa colère change de cible, se tourne contre moi. Puisqu’ils ne peuvent plus l’entendre, puisque j’écoute, elle décoche ses flèches, elle se lâche :



Voilà, j’ai bien fait de ne pas applaudir son retour. D’un air dégoûté, elle se venge :



C’est vrai, on ne m’a pas laissé le temps de faire ma toilette. Mais il y a des limites à tout.



Ce rappel à la réalité stoppe le flot de réclamations. J’ai droit à un torrent de larmes. Un de plus. Louise s’effondre sur une chaise, cache son visage gonflé et défait entre ses bras posés sur la table de la salle à manger. Entre deux sanglots elle bredouille :



C’est la tournée des sentiments extrêmes. Honte, dépit puis colère d’être repoussée, forte amertume et rage contre les méchants complices, ensuite animosité envers moi et jalousie à cause de la présence de Chloé dans notre lit, hostilité parce que je refuse ses reproches injustes et enfin le désespoir de se trouver dans une situation peu enviable, d’être humiliée devant celui qu’elle a si mal traité. Le désespoir d’être abaissée à mon niveau aboutit à l’envie de mourir, la mort serait l’ultime refuge, le lieu de l’oubli.


Mais si j’ai une dent contre elle, je ne veux pas sa mort. Ses larmes et son désespoir me brisent le cœur. Il m’est arrivé de la maudire quand elle était loin de moi, quand je l’imaginais en train de copuler avec Richard ou de crier d’amour entre Nora et Richard dans leurs orgies. Mais devant sa détresse profonde, à l’entendre appeler la mort, je ressens pitié et solidarité. Elle n’en a pas manifesté pour moi quand elle m’a oublié. Mon épreuve l’a laissée indifférente car son cœur et son esprit étaient uniquement occupés par sa recherche du bonheur, par la chasse aux sensations fortes, par son besoin de forniquer, par sa volonté de démontrer que c‘était possible. L’échec de ses vœux m’a ramené une loque vindicative d’abord et complètement découragée enfin.


Elle fait peine à voir, je ne supporte pas son malheur. Mais que faire, que lui dire ? Je me sens incapable de la consoler de cette avalanche de coups du sort. Elle les a cherchés, inconsciente victime de son désir d’obtenir toujours plus, toujours mieux, de s‘envoyer en l‘air toujours plus haut. Elle s’est cassé le nez, la chute vient d’être rude ; elle souffre, elle pleure, elle n’en peut plus. Alors, à court de paroles, je pose une main sur son épaule secouée par ses pleurs. C’est un geste d’apaisement. Mais Louise réagit vivement, soulève brutalement l’épaule effleurée : quel mauvais souvenir a réveillé mon geste bien intentionné ? Je ne l’ai jamais battue ni maltraitée.



Trouver le coupable ! Trop facile de se défausser. Je ne suis plus décidé à tout admettre de sa part.



Et c’est reparti pour des pleurs sur son malheureux sort de femme-objet. Je me défends, il est temps qu’elle ouvre les yeux. Je ne suis pas parfait, j’ai aussi calculé, tenté, lancé un hameçon, mais de là à me laisser charger de toutes les fautes… C’est trop fort, je ne supporte plus ses accusations injustes



Elle s’essuie le nez sur le dos de la main, me regarde surprise par la fermeté de la réplique. Elle aimait tant s’imposer, diriger, prêter l’un ou l’autre. C’est fini, elle doit le comprendre.



Lui rappeler qu’elle a des droits, ça me semble la bonne voie. Je souhaite lui faire comprendre un message : elle a des droits, elle existe, elle est une personne, pas un paquet de linge sale, pas un rebut de la société



Un sourire montre qu’elle remonte dans son estime. Je plante des jalons pour me défendre d’une tentative de domination ou d’asservissement. On ne sait jamais.



Elle me regarde par en-dessous, prend un air de chien battu. Pour moi, il n’est pas question de dormir à deux et de recommencer le cirque sur l’air de :



Non ! Un temps de réflexion lui permettra de choisir sa voie. Ma maison ne sera pas un moulin ouvert à tous les vents et si elle rétablit une circulation d’étrangers dans son lit, je la ficherai dehors, ce sera son affaire, j’ai assez souffert, je blinde mon cœur



Mes parents m’ont enseigné la tolérance, certains en parlent beaucoup et si bien, je m’efforce de la pratiquer, mais Louise ne transformera plus notre demeure en maison de tolérance.



Elle serre les dents. Je lui tends un mouchoir pour sécher ses yeux. Je les ai tant aimés.


Dans le fond, si Chloé m’a estimé « baisable » ou consommable du haut de ses dix-neuf ans, si elle s’est donnée à moi aussi joyeusement qu’incroyablement, si elle m’a proposé ses services sexuels jusqu’à son mariage après une mémorable partie de jambes en l‘air, j’ai encore un avenir en amour. La conduite passée de Louise ne doit pas me désespérer. Par contre je n’ai jamais été partisan des grands bouleversements, je vais prendre mon temps avant de m’engager. Mais je ne laisserai plus entrer le loup dans la bergerie. Elle sera libre de faire des galipettes, mais ailleurs.

J’en ai assez vu.


Résignée elle accepte mon hospitalité à mes conditions et elle va s’installer dans son domaine privé. À moi le fameux grand lit destiné par elle à ses orgies avec Nora et moi puis Richard.

Je vais en cuisine. Je dois préparer un repas pour deux ce soir. Qu’est-ce encore ?

On sonne. Richard livre les effets de Louise.



Les larmes sont séchées, mais je ne veux pas que Richard ne connaisse aucun remords et reparte trop gai, trop fier de ses petites ou grosses saloperies passées et présentes.



Cette fois, il me prend pour un imbécile. Je lui retourne le compliment à ma manière, avec rage mêlée de perfidie calculée :



Je serais surpris d’obtenir ce que je présente comme une solution possible. Franchement, je m’amuse à suggérer un plan inacceptable afin de contrer l’idée saugrenue de se déshabituer des situations sexuelles ambiguës progressivement en pratiquant le triolisme. Ce n’est pas en baisant qu’on détruit le goût du plaisir. Les deux vicieux regrettent déjà d’avoir jeté leur jouet et tentent de le récupérer. Mais pourquoi me suis-je senti obligé de défendre Louise ? Après tout.


Richard encaisse mal, il n’aime pas mon humour :



Excédé, je monte le ton pour un défi vengeur :



Attirée par le ton vif de la conversation, Louise se penche au-dessus de la grille de la cage d’escalier.



Sa précipitation me remplit de crainte. Nourrit-elle encore des espoirs, ses larmes ne l’ont-elles pas purgée ? Je laisse la parole à Richard. Cette fois il est plus embarrassé pour présenter son plan. J’exprime mon opinion, je donne mon accord goguenard avec le bémol de la réciprocité, et une priorité laissée à Nora. Richard proteste. Je sollicite l’avis de Louise



La réponse a été instantanée. Je la croyais irrémédiablement fâchée avec Nora et Richard, puis j’ai redouté la rechute. Force est de constater la rapidité du changement de dispositions envers eux. Elle est prête à renouer. Pourquoi ajoute-t-elle : si Hervé est d’accord ? Elle était partie sans cet accord. Richard s’en tire avec un :



Louise m’en veut moins, j’ai droit à un compliment, le premier aujourd’hui :



Au risque de la décevoir je lance :





L’espoir renaît. La vie reprend. Louise attend une offre du Pôle Emploi. Comme je m’y suis engagé lors du mariage j’apporte assistance, je la loge et je la nourris. Nous continuons à faire chambre à part. Parfois j’entends des pleurs le soir. J’ai une cuisinière aux petits soins, la poussière ne couvre plus les meubles, le jardin refleurit. Louise sourit, Louise est omniprésente, fait des efforts considérables pour attirer mon attention, soigne sa tenue, sa coiffure et son maquillage. Elle affiche une bonne humeur qui finit par m’inquiéter. Si tout cela était fait pour quelqu’un d’autre ? Qui sait ce qu’elle fabrique quand je travaille. Revoit-elle ses anciens compagnons ? J’ai beau m’interdire d’être jaloux, me dire qu’elle est libre, supposer que si elle veut faire l’amour avec une femme ou un homme, il faudra qu’elle sorte, malgré moi je suis plus attentif, plus soupçonneux. Le doute, n’est pas cartésien chez moi.


À plusieurs reprises j’ai fait des retours surprises à la maison sous divers prétextes, je n’ai rien remarqué d’alarmant. L’autre jour je marchais derrière une femme. Je l’ai vue entrer dans notre jardin. Aussitôt après, elle est ressortie en courant : c’était Nora. Et j’ai entendu que ma douce ménagère était capable de grosse colère et possédait un catalogue fourni de mots grossiers. Un samedi, Chloé est venue nous présenter son fiancé. Louise ne l’a pas quitté de l’œil, j’ai été obligé de faire un café pendant que Louise conversait avec nos hôtes, s’informait des détails du futur mariage et vantait les mérites de la fidélité dans le couple. Oui, il faut le faire.


Le comble se produit. Je fais des courses dans une grande surface. C’est étrange, j’ai l’impression d’être surveillé. Il m’arrive de saluer des connaissances, de faire un brin de conversation. Quand je lève la tête, je vois disparaître en bout de gondole une ombre furtive. On m’espionne. Sur la table de cuisine ma facture en rejoint une autre du même magasin à la même heure. L’espion est dans la maison. Louise me surveille donc. Serait-elle jalouse ? Se soucie-t-elle de moi ? Je me repose dans un fauteuil, je souris.



L’ourlet remonte au-dessus des genoux.



Louise a toujours eu des jambes sublimes. Aujourd’hui elles me paraissent encore plus admirables. Elle a surtout un sourire détendu au-dessus d’un décolleté osé qui met ses seins en valeur. J’ai une bouffée de chaleur. Depuis Chloé je n’ai plus connu de femme. Je vis à côté de mon épouse, je la côtoie, mais depuis son retour j’évite de lui donner l’illusion qu’elle m’intéresse. Femme libre, elle a été trop libre, j’ai peur de retomber dans ses pièges, je me méfie. Mais je veux garantir sa liberté, sa liberté matérielle, sa liberté sentimentale, sa liberté sexuelle, de pensée et d’action, de jugement. Par contre, de façon illogique, je crains de la voir s’évanouir dans la nature. Sa surveillance m’émeut. Éprouve-t-elle, elle aussi la crainte de me perdre ? C’est bon de le croire ; tout n’est pas perdu. Combien de temps va durer ce manège ?



Les cuisses se creusent à hauteur du sexe enveloppé dans un string ultra étroit. Louise n’en peut plus d’attendre, elle s’expose avec la volonté de m’attirer. Elle a tissé sa toile avec patience, mais ses sens réclament un apaisement. La robe continue son ascension, passe par-dessus la tête. La statue de chair bouge, des pièces de lingerie s’envolent, Louise se dresse nue devant moi et me hurle :



Elle tombe à genoux devant mon fauteuil, lève les yeux et commet l’inimaginable



J’ai honte de l’avoir poussée dans ses retranchements, je suis un sombre imbécile, un mari stupide. Je n’ai pas le droit de lui infliger cette humiliation. Vivre à côté d’une épouse capable de ce geste et faire semblant d’ignorer les manifestations de son amour, c’est idiot. Quoi qu’elle ait fait auparavant, depuis son retour elle a été irréprochable. S’il y a un coupable ici, c’est moi. Elle est si belle, si sincère, si attirante. Je suis debout, je la relève, je la serre longuement dans mes bras. Nous pleurons de bonheur, nous nous embrassons timidement comme des adolescents.


Mes vêtements tombent, notre étreinte se resserre, notre baiser est plus passionné. Nos épidermes se reconnaissent, nos regards ne se quittent plus. En aveugles, nous traversons le salon et aboutissons sur le fameux grand lit. Désormais nous n’y serons que deux, mais nous y serons deux. C’est juré. Tout est neuf. Je la couvre de bisous, sur le front, sur le nez, sur le menton, les joues, les oreilles. Elle rit. Dans le cou, sur les seins, sur et sous le nombril, des lèvres et de la langue je reprends possession de ce corps lavé par le temps des vilaines traces des égarements. Comme une jeune vierge, au contact de ma bouche sur la vulve épanouie, elle soulève son ventre et le tend pour un baiser profond. Nous réinventons les gestes de l’amour, un à un, avec fébrilité. Il y a si longtemps. Enfin !



Dieu que je suis bien, la verge enfouie dans son vagin que des mois d’abstinence ont raffermi. L’instinct nous guide, nous nous étreignons, nous ne nous lâcherons plus, c’est promis.



J’ai des tonnes d’amour à donner et je déverse la réserve de sperme reconstituée dans l’épouse amoureuse.



La marche a été longue, maintenant nos cœurs sont heureux et nous allons vivre une vie plus sereine. Peut-être ! « À deux » chante Louise.




Allez expliquer pourquoi on oublie. Allez comprendre ce revirement. Pourquoi ? Je voudrais répondre : Parce que c’est elle, parce que c’est moi ?



Quelqu’un, là, a dit « quel pauvre con ». Si, j’ai entendu ! Aura-t-il raison ?