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Temps de lecture estimé : 9 mn
15/03/13
Résumé:  Une rencontre improbable au soir de deux vies, le coup de foudre est-il possible ?
Critères:  fh hagé fagée inconnu vacances amour revede humour
Auteur : Tylodine  (Où la Belle Hélène n'est pas celle qu'on pense...)            Envoi mini-message

Série : Hélène de Crète

Chapitre 01 / 02
Hélène de Crète - 1

Quinze heures viennent de sonner à l’horloge de l’église de la Sainte-Croix… Sur les hauteurs qui dominent Chania, La Canée pour les francophones, le petit village d’Alikianos somnole.

Confortablement installé sur la terrasse ombragée de la grande et pittoresque maison que je loue en Crète depuis deux ans, je relis, un peu distraitement Le Bateau fabuleux, un des romans de Philip José Farmer que j’ai trouvé, et en français, chez un des rares bouquinistes d’Héraklion, la capitale.


Il fait chaud, mais une légère brise descendue des proches montagnes, le mont Volakias n’est qu’à quelques dizaines de kilomètres, se faufile à travers les oliviers omniprésents pour tempérer les effets du soleil.

Le ciel est d’un bleu limpide qui se confond à l’horizon avec l’azur foncé de la Méditerranée.

La musique magique de Debussy – Arabesques – sous les doigts délicats de Brigitte Engerer, me transporte dans un ailleurs improbable, parfumé de ciste, de romarin et du fumet particulier qui accompagne le retsina bien frais que je déguste à petites gorgées… le paradis !



Boum ! D’un seul coup me voilà redescendu sur terre… malgré mes écouteurs, la phrase a sonné comme un coup de canon dans la quiétude de l’après-midi…

De la maison voisine s’échappe l’écho d’une discussion orageuse… Un couple, francophone de surcroît, vient de détruire ma paix… La barbe ! Qu’ils aillent se plumer ailleurs !

Perdu pour perdu, je risque quand même une oreille… et un œil en direction du lieu présumé de l’algarade.

À peine vingt mètres me séparent d’une petite maison de plain-pied où je distingue une silhouette féminine appuyée à un pilier de la véranda.

La silhouette me semble agréable, peut-être un peu mince, cheveux mi-longs, mais à cette distance, difficile d’en savoir davantage…



L’homme est invisible dans la chambre, mais la voix est avinée, hargneuse et semble celle d’un individu d’une cinquantaine d’années.

La femme semble tout d’abord indécise, puis saisit un petit sac de toile, se coiffe d’un chapeau et sort de la villa en claquant derrière elle le portillon de bois.

« Tiens ? me dis-je. Voilà peut-être une occasion de sortir un peu de ma torpeur vespérale et de faire une rencontre, qui sait, intéressante. En plus j’ai des courses à faire à Chania, pourquoi ne pas joindre l’utile à l’agréable ? »


Je viens de fêter (?) mes soixante ans, capitaine au long cours en retraite et veuf depuis quelques années. Mes deux filles sont adultes et indépendantes et je me sens en pleine forme… pourquoi refuser l’aventure lorsqu’elle frappe à votre porte !

Je prends mon vieux chapeau de toile, mon sac à dos et me dirige vers le jardinet où ma vieille deudeuche sommeille à l’ombre d’un olivier.



Rosalie a tout compris et répond à mon premier coup de démarreur… elle non plus n’est plus toute jeune, 24 ans pour être précis, mais toutes ses garnitures et, dans ce pays, une décapotable n’a pas besoin de sortir de chez Porsche !


La route qui descend vers le village flamboie sous le soleil, le calcaire blanc des murs la transforme en four et je distingue au loin la silhouette de ma voisine qui avance en s’efforçant de profiter de l’ombre, relative, des constructions, assez espacées de cette partie du village.

Arrivé à quelques mètres, je ralentis et apprécie les jambes bronzées, la taille fine, les épaules plutôt larges.

« Elle doit faire du sport, me dis-je, de la natation peut-être ? »

Les cheveux s’échappent du chapeau de paille et tombent en rouleau sur la robe de toile écrue… ils sont châtain clair.

Je suis arrivé à sa hauteur, elle se tourne vers moi, interrogative, le regard de ses yeux bleus illumine un fin visage hâlé.



Un sourire, elle a vite compris, c’est bon signe…



Gagné ! Je lui ouvre la portière et elle s’installe à mes côtés, son sac à ses pieds.



La voix est gaie, chaleureuse et je sens un petit frisson me parcourir la colonne vertébrale.

Aussitôt après quoi je me tance intérieurement « Hé papy, on se calme, pas la peine de fantasmer ! »

Tout en continuant prudemment ma descente dans les rues étroites, je détaille, en essayant d’être discret, ma passagère, sagement assise, les mains sur les genoux.

Elle doit avoir entre 45 et 50 ans, évalué-je, musicienne, ça c’est chouette, sportive, je le suppute, mais que fait-elle avec un type qui me semble un parfait goujat ?

Le profil est délicat, un joli nez, des lèvres bien dessinées, avec aux commissures de petites rides en étoile. De légères ridules aussi autour des yeux aux longs cils, un fin duvet blond à peine visible adoucit la marque du temps sur ce visage que je découvre et qui déjà me fait battre le cœur.

« À ton âge, vieux coquin, reste un peu réaliste » murmure la petite voix dans ma tête.

« Bon, allez, je me lance, advienne que pourra, au pire j’aurai fait une jolie rencontre » me coupé-je.



Là, elle m’en bouche un coin ! Elle est belle, elle a de l’humour… « Aïe, Hervé, mon garçon, garde le contrôle. »



Je vais vous confier un secret (de polichinelle !) : les mecs, on n’est vraiment pas conçus pour être solitaires et autonomes. On frime, on plastronne et en un tour de main la première jolie fille ou femme, sans rien faire, sans même apparemment sembler en être consciente, vous entortille et, comme le dit si bien Brassens, vous prend par le bout du cœur.


Autour de nous défile le paysage crétois, oliviers à perte de vue, avec la montagne aux sommets encore un peu enneigés (nous sommes en mai) en arrière-plan.

Plus bas, au-delà de Chania, les eaux turquoise du golfe de Souda et, un peu voilée par la brume de chaleur, la presqu’île d’Akrotiri où se trouve l’aéroport.


La Canée, j’aime ce nom un tantinet moyenâgeux, est l’ancienne capitale de la Crète. C’est une ville attachante, à l’architecture foisonnante, mélange de culture antique, minoenne d’abord, dorienne ensuite, grecque bien sûr, mais aussi romaine, vénitienne, ottomane.

Un vrai casse-tête pour les archéologues qui ne peuvent accéder aux vestiges les plus anciens qu’en détruisant les plus récents…


Je garde de ces quelques heures un souvenir presque irréel, Hélène s’est révélée une compagne aussi attachante que cultivée, j’ai vite compris qu’elle avait dévoré des montagnes de documents sur le pays au point que je me suis parfois fait prendre en défaut sur des points de détail historiques !

Un comble ! On en a ri comme des gosses et lorsque je l’ai amenée chez Cronos, le grand pâtissier du centre-ville, j’ai cru qu’elle allait tomber en pâmoison devant l’étalage de friandises, de gâteaux brillants de sucre, dégoulinants de miel…


J’ai oublié à quel moment nous en sommes venus au tutoiement, mais ce fut si naturel…

Installés à une terrasse de l’immense port vénitien, nous avons dévoré nos achats, une bouteille d’ouzo avec « Ena bocca di nero pagomeno* » pour faire descendre le tout.

Pour ma part, je me serais bien contenté de dévorer Hélène des yeux, mais mieux vaut tenir que courir, et les kandaifis, les « profiteroles » ne m’avaient jamais semblé aussi bons qu’en cette journée.



D’un seul coup, un nuage de tristesse sembla voiler ses yeux bleus ; je me remémorais l’altercation qui avait attiré mon attention. Je n’osais aborder le sujet, après tout, ce n’était pas vraiment mon affaire, de quel droit me serai-je immiscé dans leur vie privée.

Comme si elle avait lu en moi, ce fut elle qui se jeta à l’eau, ce que j’attendais et redoutais à la fois.



Sa main, sur la mienne, son genou contre ma cuisse, nos regards rivés l’un à l’autre, j’eus soudain presque peur de la soudaine émotion qui m’étreignait.

Que nous arrivait-il ?



Le retour, alors que le jour commençait à décliner, fut presque silencieux, mais pas triste.

Sublimé par une soudaine fraîcheur, le parfum de la campagne était d’une densité presque palpable. Bien qu’habitué à cette transition, c’est une chose qui n’est jamais banale.

La tête d’Hélène sur mon épaule, l’était encore moins, Rosalie s’en rendait compte et acceptait de rouler en troisième à vingt à l’heure sans brouter !


Lorsque nous fûmes garés sous son olivier habituel, Rosalie se tut, je regardais Hélène, Hélène me regardait.

Notre baiser fut bref, mais il me brûle encore les lèvres et je restais figé tandis qu’elle s’éloignait dans le jour finissant.

Tapi dans l’ombre de ma terrasse, je regardais la maison voisine…





(Fin du 1er épisode)




*Une bouteille d’eau fraîche