n° 15583 | Fiche technique | 28076 caractères | 28076Temps de lecture estimé : 17 mn | 28/04/13 corrigé 10/06/21 |
Résumé: L'homme aux lunettes noires m'a avancé de l'argent pour rechercher Mokhtar, qui fréquentait une boîte de nuit branchée, de sale réputation. J'y suis allé à sa recherche et c'est là que j'ai connu Mika, une poupée pulpeuse et bien en chair. | ||||
Critères: fh fellation pénétratio | ||||
Auteur : Zahi (informaticien professionnel, écrivain amateur) |
Épisode précédent | Série : L'été de la vengeance Chapitre 03 | Fin provisoire |
Résumé des épisodes précédents :
Le narrateur que je suis venait de sortir de taule après trois ans d’enfermement. Il n’avait qu’une idée en tête : retrouver sa copine, Salma, et un bandit, Mokhtar, à qui il devait son incarcération. Mais il avait réussi à refaire sa vie avec une autre fille, et avait trouvé un travail dans un salon de thé branché. Son désir de vengeance allait en faiblissant jusqu’au jour où un homme avec des lunettes noires est venu le chercher dans ce salon de thé.
L’homme est revenu me voir à minuit pile, il n’avait plus ses lunettes de soleil. Son visage était aimable, avec des joues pleines, il gardait ses longues mains blanches superposées sur son ventre alors qu’il me parlait. Il portait une chemise blanche et un costume noir qui scintillait légèrement à la lumière des spots. Rapidement, il s’est présenté en s’éclaircissant la gorge. Si Riadh. Un homme d’affaires, qui fait de l’import-export et qui voyage régulièrement. Nous étions dans un coin du salon de thé, alors que Si Zoubir, le patron du salon, nous lorgnait du coin de l’œil.
Il a allumé une cigarette et m’en a offert une, puis il a commandé un jus d’orange frais.
Je n’ai rien dit. Il a mis sa petite valise sur la table, l’a ouverte habilement, les mains agiles comme des anguilles. Il a sorti une petite enveloppe, l’a déposée devant moi puis il a fermé la valise et l’a remise par terre. Deux filles qui s’étaient installées à la table voisine nous regardaient avec des yeux noirs en fumant et en projetant la fumée dans notre direction.
J’ai ouvert l’enveloppe et en ai sorti trois photos sur papier brillant. Il y avait des hommes et des femmes sur une piste de danse. Les garçons avaient des visages douteux et ils portaient des chemises largement entrouvertes. Les filles avaient des jambes fines, et elles exposaient plus qu’il ne fallait leurs cuisses. Elles étaient hyper maquillées, artificielles, comme des chattes perdues dans un magasin de fringues. C’étaient de fausses blondes, avec des regards débiles.
Il m’a regardé un instant dans les yeux, puis il allumé une autre cigarette. J’ai replongé dans les photos, scrutant les têtes une à une. C’étaient des clichés de la même scène, pris sous des angles différents. Il y avait dix ou onze personnes sur la piste. J’ai mis les trois photos sur la table et j’ai essayé de chercher les différences. C’était les mêmes personnes, mais il ne me semblait pas avoir croisé l’une d’entre elles. Intrigué, j’ai regardé Si Riadh qui était impassible. J’ai repris encore les photos une à une, et soudain, en un éclair, j’ai reconnu Mokhtar sur l’une d’elles. Il n’était pas parmi ceux qui dansaient, mais il était assis derrière, sur un fauteuil, entouré de deux filles. Loin de l’objectif, il était légèrement flouté, mais il n’y avait pas de doute, c’était bien Mokhtar ! Il portait un costume gris et tenait un gros cigare dans une main. Devant lui, une bouteille de whisky et des verres sur une petite table. Une des filles avait un verre à la bouche ; de l’autre, on ne voyait que les jambes superposées et les talons-aiguilles.
Je n’ai rien dit sur le coup. À vrai dire, cela faisait quelques semaines que je ne le cherchais plus. Je n’étais plus sûr de vouloir le chercher. J’avais évolué depuis ma libération, comme si le renouvellement de l’air dans mes poumons avait réduit d’un cran ma soif de vengeance : à quoi bon le tuer et passer le reste de ma vie en taule ?
Les filles à côté fumaient aussi et nous regardaient. L’une d’elles m’a fait un clin d’œil, avec une incroyable insolence. « Des putes, ce sont certainement des putes ! Il ne reste plus que des putes dans ce pays. » Et cette autre pute, la lune, se reflétait avec fracas sur le lac de Tunis. J’ai fumé profondément.
Son portable a sonné dans sa poche. Il a écouté en souriant, puis il a gribouillé un numéro de téléphone sur un petit bloc-notes qu’il avait sorti de l’intérieur de sa veste. Ses mains défaillaient légèrement. Soudain, il m’apparut plus fragile qu’il ne le laissait croire. Il y avait dans ses yeux une faible lueur, comme un rayon de lumière perdu dans un long couloir poussiéreux. Lorsqu’il a rangé son téléphone, il a arraché la feuille du bloc-notes.
Il m’a serré la main et il est parti en passant difficilement entre les clients tassés sur la terrasse, puis il s’est enfoncé dans le siège arrière d’une grande Mercedes aux vitres teintées.
À trois heures du matin, il n’y a avait plus aucun client. Ali était déjà parti au studio. J’ai nettoyé les derniers narguilés que j’ai rangés sur des étagères, puis j’ai marché pendant une demi-heure au bord du lac, jusqu’au bout de la chaussée. Après, je suis passé par-dessus le petit muret qui marque la fin de la corniche et je me suis aventuré dans les buissons qui bordent l’eau du côté nord du lac. Une meute de chiens s’est approchée de moi et s’est arrêtée à une dizaine de mètres en aboyant. J’ai enlevé mes chaussures, retroussé mon pantalon et j’ai avancé jusqu’à avoir les genoux à moitié trempés. J’ai marché doucement, de peur de glisser sur la vase.
J’ai pleuré pendant une heure – peut-être plus – puis je suis retourné sur le sable. Je ne savais pas ce que je devais faire ; mais quoi qu’il en soit, je me suis levé, j’ai marché sur le sable et je suis revenu sur la corniche. J’ai nettoyé le sable collé à mes pieds et j’ai remis mes chaussures. L’aube commençait à poindre ; une mosquée annonçait au loin la prière du matin. J’ai attendu le chant des coqs dans la prairie ; mais ici, il n’y avait que du béton et de l’acier.
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Cinq heures du matin ; le quartier de l’Espoir était vide, silencieux. Le taxi m’a abandonné sur la grande route, ne voulant pas s’aventurer dans les dédales du quartier. Un petit vent du matin faisait remuer les branches asséchées d’un bougainvillier qui n’a jamais été taillé, éclaté à tout hasard sur un mur lézardé. Des fils à linge vibraient sur les balcons et les toits ; quelques vêtements jaunâtres dansaient et claquaient au vent. D’un pas hésitant, j’ai avancé jusqu’à l’appartement de Fatma.
J’ai frappé à la porte en bois. Une minute après, j’ai entendu des pas lourds qui avançaient, puis la porte s’ouvrit. J’ai pu alors voir, dans la pénombre, Fatma dans un vêtement large. Elle se mouchait ; son visage était rose et boursouflé. Ses cheveux ébouriffés, d’une couleur bizarre, étaient sales, pas assez vifs, négligés. Son corps était enveloppé dans sa robe de chambre rouge.
Je suis entré et j’ai refermé la porte. Tout était en désordre, en décrépitude. Dans un coin, à côté de la chambre, des vêtements étaient jetés pêle-mêle. De la vaisselle de couleur douteuse jonchait la table ; par terre, des chaussures dépareillées avaient été jetées un peu partout. Des traces de pas sur le carrelage, une couche de poussière sur le canapé ; une autre, plus consistante, sur la télé. Et Fatma m’était apparue abattue, négligée, comme une vielle prostituée à la retraite. Ce n’était plus celle que j’avais connue il n’y a pas si longtemps que ça ; deux semaines à peine.
Le canapé m’allait bien ; je m’y suis enfoncé directement, avec mes habits et mes chaussures. Je n’avais plus la force de faire autre chose que dormir.
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J’ai cru rêver en me réveillant à midi : Fatma avait eu l’idée de tout nettoyer, de tout remettre en ordre. Et s’il n’y avait pas encore quelques traces de poussière sur le canapé où j’étais couché, j’aurais vraiment cru que j’avais halluciné la veille. Fatma n’était pas là. J’ai pris une douche puis je me suis allongé sur le canapé et j’ai branché la télé. J’ai sorti le petit papier que m’avait donné Si Riadh et je l’ai retourné plusieurs fois dans ma main. J’avais une demi-heure pour prendre une décision essentielle : appeler le numéro, ou rejoindre le salon de thé. Le pour et le contre se bousculaient confusément dans ma tête, jusqu’à en avoir le vertige.
Ali m’a appelé vers treize heures ; il s’inquiétait car je n’étais pas rentré au studio. J’ai dû inventer une histoire, selon laquelle j’étais malade et j’avais préféré aller me reposer chez des proches. Je lui ai demandé de prévenir Si Zoubir que je serais de retour au salon le lendemain, certainement. Ali a raccroché en me souhaitant un prompt rétablissement. Il est vraiment gentil, Ali ; je l’aime bien, mais je n’étais pas sûr de le revoir.
Un peu plus tard, Fatma est revenue. Elle avait fait arranger ses cheveux chez un coiffeur, sans doute, car ils étaient propres et lisses ; ils ondulaient agréablement sur ses épaules et sur son dos. Elle était discrètement maquillée, avec un rouge à lèvre légèrement criard, un peu de noir sur les cils, et ses ongles étaient fraîchement manucurés, rouge foncé. Elle brillait alors qu’elle marchait dans le petit appartement, lumineuse dans un corsage blanc ajusté avec un décolleté et une jupe noire qui lui arrivait aux genoux. Elle tenait dans une main un petit bouquet de roses rouges et blanches et, dans l’autre main, deux pizzas emballées.
Elle a déposé les pizzas et mis les fleurs dans un petit vase, puis nous avons mangé en nous regardant, sans rien dire.
Petit à petit, mon cœur s’était gonflé sous les regards incroyablement amoureux que présentait son beau visage. Ses yeux bruns brillaient avec chaleur comme je lui souriais, et ses joues devenaient incandescentes comme des braises. Soudain, nos regards s’enfermèrent dans un échange torride. Ma main a attiré son visage près du mien ; encore plus proche… Mes lèvres ont capturé les siennes, et ma langue s’en est allée piller sa bouche en une invasion brûlante. Je me suis mis debout et je l’ai entraînée avec moi. J’ai tourné plusieurs fois autour d’elle avant d’appuyer mon front contre son dos ; j’ai placé mes bras sous ses seins, puis je les ai glissés sur son cou. Mes doigts se sont enroulés autour de son menton, ont caressé ses joues, puis j’ai tourné pour lui faire face à nouveau. Nos regards sont restés verrouillés un moment. Mes bras se sont enroulés fermement autour de sa taille, mes lèvres se sont rapprochées des siennes, qui frissonnaient. J’ai entendu le balbutiement de son souffle, puis je l’ai attirée dans mes bras. Elle s’est complètement abandonnée ; alors je l’ai prise dans mes bras pour l’emporter dans la chambre, où je l’ai déposée sur le lit.
Elle a fermé les yeux pendant que je dégrafais son corsage et son soutien-gorge, puis j’ai empaumé ses seins opulents, plus clairs que sa peau, aux mamelons roses. Je les ai pétris, et caressés doucement alors que sa respiration s’accélérait et que tout son corps frémissait sous l’action de mes mains. Je l’ai sentie s’enflammer, pleine de désir. J’ai enlevé sa jupe et ses bas sans qu’elle ait esquissé la moindre résistance. Puis je se mis à nu, ne gardant que mon slip.
Elle ne m’a pas répondu, émue comme elle l’était. J’ai pincé le petit bout de tissu qui lui cachait son trésor alors qu’elle serrait les cuisses et l’ai fait glisser le long de ses jambes en embrassant son ventre et en passant ma langue autour de son nombril. Puis j’ai baladé une main le long de son corps, jusqu’à ses seins rebondis et excités que j’ai pétris délicatement avant d’en mordiller les mamelons tandis que les doigts de l’autre main pianotaient légèrement à l’entrée de son vagin humide et tiède. Puis j’ai introduit mes doigts dans son sexe, en tripotant ses seins en en l’embrassant dans le cou, sur les épaules. Sa respiration a accéléré et son torse a commencé à palpiter tandis que, sentant augmenter en moi le désir, je lui écartais les cuisses pour la pénétrer lentement.
Elle s’est crispée, prise d’une soudaine et fulgurante jouissance, enfonçant ses ongles dans mon dos, puis elle a tremblé en soupirant. Je lui ai caressé tendrement les flancs en faisant plusieurs allées et venues, puis j’ai éjaculé soudain, violemment, sans pouvoir me retenir. Ce faisant, je l’ai serrée dans ses bras alors qu’elle s’abandonnait, complètement flasque ; je me suis déversé en elle plusieurs fois. Lorsque je me suis senti vidé, je me suis laissé tomber tendrement sur elle et j’ai enfoui ma tête entre son cou et son épaule.
Je me suis tu, préférant ne pas m’engouffrer dans les sentiers compliqués de l’amour. Mais j’avais ressenti un vrai bonheur à la baiser, et cette pensée m’avait occupée un certain moment alors qu’elle mettait sa tête sur ma poitrine et passait un ongle sur mon ventre.
Un peu plus tard, ayant récupéré et repris un peu de pizza, elle a pris mon sexe entre ses délicieuses lèvres. Elle m’a pompé longuement. C’était incroyablement bon, d’une douceur exquise. Mais c’était court, car la chaleur intime de sa bouche a eu raison de mon jus, qui s’est déversé longuement sur ses seins.
Nous avons pris une douche ensemble et nous sommes revenus nous blottir l’un contre l’autre sur le lit. Je l’ai pénétrée encore une fois, aussi doucement que j’ai pu ; au bout de quelques poussées, elle s’est tordue sous mon corps en haletant. Je l’ai tenue serrée dans mes bras, en bougeant lentement en elle, et je lui ai parlé de moi, de mes agréables mémoires de jeunesse. C’était la première fois que je me confessais à elle. D’ailleurs, c’était la première fois que je me confessais à une personne.
Toujours enfoncé en elle, nous sommes restés longtemps enlacés, immobiles. Puis, sentant une poussée de plaisir, je lui ai soulevé les reins d’un coup et je l’ai pénétrée à fond, l’entraînant avec moi dans un petit mouvement de rotation. Je me suis laissé guider par les délices de la sensation, lui imprimant des mouvements lents et profonds, puis je me suis déversé en elle à nouveau. Lorsque je me suis calmé, je me suis s’effondré sur elle. Fatma a fermé les yeux, a eu de grands soupirs, et son corps a frissonné plusieurs fois de suite, en petits spasmes.
Ainsi sommes-nous restés plus d’une heure, puis Fatma s’est levée gracieusement pour prendre une autre douche ; ensuite, elle m’a fait un petit bisou avant d’aller gagner sa vie. Je me suis abandonné au sommeil et je ne me suis réveillé qu’à dix-huit heures. Je me sentais en très bonne forme, plein de bonheur. Je n’avais plus en tête qu’une seule idée : Si Riadh, et le numéro de téléphone qu’il m’avait laissé.
J’ai réfléchi, alors que je trottais dans le quartier de l’Espoir, à Mokhtar et à Salma. J’avais vingt-cinq ans, dont trois ans de taule. Je ne savais rien faire à part préparer les narguilhés. Je voulais croire qu’une autre vie m’attendait, et j’étais prêt à prendre n’importe quel risque. Mais à vrai dire, je n’avais rien à risquer : j’étais au plus bas, un vrai raté ; j’avais échoué dans tout ce que j’avais entrepris. Même Salma, la seule lumière qui chancelait encore dans mon âme, m’avait abandonné.
Je suis allé au Café de la Jeunesse, retrouver Boukthir, avec l’espoir qu’il pourrait m’illuminer par une petite idée. Un espoir mince, mais réel.
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J’ai gravi les marches et je suis entré dans la salle. C’était une grande salle de danse qui frémissait sous une onde incandescente. Des ombres qui dansaient dans une nébuleuse de corps tordus. Les genoux repliés, les cuisses tendues, tout baigne dans une fumée blanche. J’avais mis un nouveau costume beige rayé, choisi avec Fatma dans un magasin chic du centre de Tunis. Elle m’a demandé d’où provenait l’argent, question à laquelle je m’étais évidemment préparé ; mais je ne lui ai rien dit, et elle n’a pas insisté. L’agent de Si Riadh tenait à une complète discrétion. Il m’avait avancé deux milles dinars, une fortune : l’équivalent de cinq mois de travail dans le salon de thé à récurer les narguilés, comme ça, sur une poignée de mains. Il m’a dit qu’il m’avancerait plus au long de mes recherches. Mais avant tout, m’avait-il dit « Retrouver Mokhtar, mort ou vivant. ». L’idée que Mokhtar soit mort ne m’avait pas effleuré, mais elle m’avait amusée. J’ai demandé pourquoi Si Riadh lui en voulait tant, mais je n’ai pas eu de réponse.
J’ai commencé par chercher Mokhtar, mais il n’était pas dans la boîte de nuit. Jusque-là, c’était bien normal ; je ne m’attendais pas à mieux. Si Riadh et ses agents seraient alors vraiment nazes, ou aveugles. Au bar, j’ai avalé un whisky sec, puis un autre, tout en pensant à Mokhtar. Il pourrait être dans un hôtel aux Seychelles, allongé sur un lit, en train de lire un livre – s’il avait appris à lire – ou de faire l’amour à une fille. Salma ? Cette pensée me fit de la peine. Ou bien qu’il soit en train de courir dans une ruelle de Tunis, sans chaussures, pourchassé par un agent de Si Riadh. Dans tous les cas, il n’était pas là, et je devais le retrouver.
J’ai demandé à une des filles qui fumaient le long du bar si elle savait quand arriverait Mokhtar.
Mais cela ne faisait qu’une semaine qu’elle fréquentait la boîte, et elle était toute mouillée, emmitouflée sous des couches d’accoutrements débiles. Elle m’a coûté un whisky. Malgré son insistance, je ne lui ai pas demandé de danser.
J’ai posé la question à une autre fille ; elle était cuite, elle aussi. Je l’ai poussée vers la piste et j’ai dansé avec elle. Nous avons fait quelques tours. Nous étions mouillés et notre sueur a ruisselé, mélangée à son parfum de fleur de jasmin. Elle avait une grande bouche et des yeux azur ; elle s’appelait Mika. Elle m’a parlé des Droits de l’Homme et de la crise économique tout en effleurant ma braguette. C’est que je paraissais riche, et les filles aiment les riches ; on n’y peut rien. Des curieux regardaient avec des yeux gélatineux à travers la brume qui remplissait la salle avec, sur les lèvres, un large sourire béat. Je l’ai poussée au bar, je lui ai offert un whisky et je lui ai posé à nouveau la question.
Elle m’a indiqué un mec, à l’autre bout du bar ; il saurait peut-être. C’était un géant. Son teint était pâle et il était mal rasé. Ses cheveux étaient noirs, plissés, et ses sourcils étaient épais et se rejoignaient au-dessus de son gros nez. Ses oreilles étaient petites et bien fines, et les lueurs dans ses yeux paraissaient comme des larmes.
À vrai dire, le mec n’a pas rigolé. Il m’a tracé des yeux : ma chemise marron, ma cravate jaune, mon costume rayé, ma tête, mes épaules. Il a bougé sa grosse tête et a examiné tout ça sous plusieurs angles, puis il a regardé vers le bas mes chaussures neuves. Après, il a gloussé en silence, paraissant amusé. J’ai eu peur. Il a dit à nouveau, doucement :
Il regarda furtivement le barman derrière lui.
Puis il a posé sa main sur ma poitrine ; elle était épaisse, rugueuse. Il m’a poussé vers la sortie.
Vexé, le visage du gars s’est renfrogné. Personne avant moi ne lui avait parlé de cette manière, sans doute. Il a retiré sa main puis l’a levée et l’a fermée, faisant d’elle un poing de la taille d’un beau melon. Déjà une dizaine de curieux nous entouraient et attendaient avec des yeux étincelants le dénouement de la situation. Le type a dû penser à quelque chose ; peut être sa réputation de brute, le respect de son public. Il a pensé un instant à tout ça puis il m’a donné un coup de poing. C’était un joli coup, avec un petit soubresaut du coude, court et puissant, qui m’a atteint sur le côté de la mâchoire. Des cris et des soupirs se sont hissés dans la salle.
C’était un bon coup. L’épaule a chuté en entraînant tout le corps. Il avait mis tout son poids dans ce coup, sans doute avait-il une grande expérience. Mon cou s’est tenu droit, ma tête a légèrement bougé. Deux ou trois centimètres tout au plus. J’ai murmuré un petit son puis j’ai pris la gorge du mec. Il a tenté de me mettre un coup de genou entre les jambes, mais je l’ai retourné en l’air puis je l’ai tordu en arrière et j’ai essayé de le prendre par la ceinture, mais il était trop lourd. J’avais perdu des forces après plusieurs années sans entraînement. Alors je l’ai poussé de toute la force qui me restait contre le bar. Le son que le choc a fait était énorme ; le vacarme qui s’ensuivit l’était encore plus. Ne pouvant plus tenir debout, le mec est tombé par terre en secouant les jambes, comme un agneau qui vient d’être sacrifié. Cinq ou six hommes se sont penchés sur lui pour l’aider à se relever alors que les autres, garçons et filles – tous ceux qui avaient déserté la piste de danse – me regardaient avec admiration.
J’ai avancé vers le bar alors que les clients, seuls ou en groupes, regagnaient la piste. Je me suis accoudé au bar.
Le barman m’a servi le whisky dans un verre large et peu profond. D’une lampée, je l’ai ingurgité puis j’ai regardé avec condescendance le type que je venais de battre. Il s’était remis debout et il trottait sur place comme s’il avait mal au pied.
Il m’a regardé longuement, a craché dans un cendrier puis il s’est enfoncé dans la salle, jusqu’au fond, en trottant. Il atteignit une porte mal éclairée derrière la piste de danse ; il l’ouvrit et se glissa dehors.
Le jeune barman a regardé en direction de la porte par laquelle était sorti le grand homme.
J’ai pris un autre whisky avant d’aller voir Si Khaled. Mika est venue à mes côtés et m’a essuyé la joue avec un mouchoir en papier ; il y a avait une petite trace de sang, à peine visible.