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Temps de lecture estimé : 78 mn
17/10/13
corrigé 10/06/21
Résumé:  Suite et fin de mon récit à Londres. Où l'on repart de zéro, à ceci près qu'on y ajoute une vengeance bien féminine !
Critères:  fhh vacances hotel hsoumis fdomine vengeance journal lettre
Auteur : camilleM            Envoi mini-message

Série : Pensées pour moi-même

Chapitre 04 / 04
Pensées pour moi-même (4)

16. Trio pour deux flûtes et soprano

Ouverture : balade toute intérieure




Quand ils ont quitté ma chambre, il était une heure et demie du matin. Les émotions m’avaient un peu cassée mais après une petite douche, me suis-je dit, les choses iraient beaucoup mieux. J’étais en tout cas très fière de ce que je m’étais promis de réaliser et plus que jamais solidement attachée à ce que tout se passe comme prévu : et cette fois, cela se passerait bien comme je l’avais décidé !

Tout ce que j’avais proposé à David, il l’avait accepté. J’étais fin prête à me mettre en marche dans moins d’une heure pour réaliser ce qui est le pire en matière d’amour : la vengeance d’une blonde. Mais je me sentais aussi de taille à offrir à David les marques d’affection qui – j’en étais sûre – me donneraient l’occasion de l’attacher à moi autant charnellement que sentimentalement.



* * *



Ils sont évidemment partis comme ils sont venus : totalement à poil, à l’exception toutefois du cache-sexe que j’avais rendu à Jean-Philippe, cache-sexe constitué de sa pile de livres pornos. Bien entendu, j’ai gardé le sac et c’est avec beaucoup de mal probablement qu’il sera parvenu à éviter qu’ils ne tombent par terre, dans quel cas ils auraient dû non seulement ralentir dans le couloir mais surtout prendre le risque d’en perdre d’autres en ramassant les premiers. Il est probable que David, trop gentil, s’est arrangé pour partager le fardeau (parce qu’ici, contrairement à la première fois, on peut dire que c’en était un, de fardeau).


Mais avant tout cela, prendre une douche. J’ai donc pris un drap dans le tiroir supérieur de la salle de bains, l’ai déposé sur le bord de l’évier et c’est en avançant le pied sur le carrelage de la salle de bains que je me suis rendu compte que… Ce n’était pas possible ! Le sol en était plein et il y en avait même sur un des murs ! Ce gros loubard avait éjaculé (et pas un peu !) dans ma salle de bains et son sperme s’étalait partout. Il était vraiment dégueulasse et il aurait quand même pu nettoyer les traces de sa pollution ! Il me dégoûtait (ceci dit, quelques heures plus tôt, être moi-même salie comme l’était ma salle de bains m’aurait probablement honorée : fragilité des choses et influence du contexte) ; et, alors que j’étais à genoux en train de frotter les traces gluantes de son forfait avec le papier WC et à en remplir dangereusement la cuvette, je me suis juré de profiter autant que possible de tout ce que je m’étais promis pour le lui faire ravaler (enfin, rassure-toi, c’était juste une façon de parler).



* * *



On dit toujours que lorsqu’on se présente à un rendez-vous, ce sont les cinq premières minutes qui sont les plus déterminantes. Si vous ratez votre entrée, alors vous pouvez être certaine de rater votre examen d’embauche.


Je me suis donc pomponnée : d’abord, j’ai refait ma coiffure et l’ensemble de mon maquillage (maquillage qui, après ma crise de larmes, ressemblait trop fort à celui des femmes qu’on dit de mauvaise vie), j’ai remis mon parfum (celui que j’avais emporté etc. etc.), mes chaussures à talons et, enfin, j’ai choisi la robe bleu clair qui me va si bien.


Je l’ai observée avec beaucoup de plaisir dans le miroir ; elle mettait magnifiquement en valeur mon cou, mes deux seins, mon nombril, mes fesses et mes longues jambes, ainsi que mon sexe d’ailleurs : il faut dire aussi que, contrairement à la précédente, la rouge avec laquelle j’avais dansé, elle n’était pas constituée de fines mailles mais au contraire de mailles très larges et, pour le dire tout de go, les cordes (bleu clair) qui la constituaient correspondaient à 1 ou 2% de l’ensemble, les 99 ou 98 % étant pour leur part constitués de ma peau elle-même : certes, je n’étais pas nue mais je trouvais que cette robe, achetée l’après-midi dans ce splendide magasin de lingerie, en mettant en évidence les meilleures parties de moi-même, me déshabillait plus encore que si je n’avais strictement rien mis.


Et au moment où Big Ben s’est mis à sonner les deux coups, moi j’ai frappé les trois miens. Si je ratais mon entrée, on n’aurait pas pu en tout cas me reprocher de ne pas y avoir mis les formes requises.



* * *



Comment ai-je osé entreprendre ce que j’ai fait ensuite ? J’en suis encore à me le demander. Il est même probable que si l’occasion m’en avait été donnée plus tôt, j’aurais exclu cette possibilité en toute hâte, me contentant d’exiger des autres ce que je n’aurais en aucune manière exigé de moi-même. Mais il fallait que je le fasse : c’était même indispensable à la réussite de toute la suite de l’opération.


Alors, ramassant les deux revues que j’avais oubliées de donner à Jean-Philippe et les plaçant dans ma main gauche, attrapant la clé de ma chambre dans l’autre, j’ai prudemment tourné la poignée de la porte, écouté l’oreille tendue si le silence était bel et bien de mise, passé la tête pour regarder à gauche et à droite puis, résolument, (dé)vêtue de ma seule robe bleu clair, j’ai mis un pied dehors, puis le suivant, me suis retournée pour insérer la clé dans la serrure et la reprendre dans ma main gauche ; je me suis redressée et je suis restée là sans bouger pendant une minute ou deux au milieu de ce couloir aux murs récemment blanchis ; et profitant de la sensation de liberté que procure la transgression de l’interdit, je me suis dit, en poussant un grand soupir de contentement, que maintenant, c’était vraiment l’aventure exaltante qui commençait !


Au niveau de mon étage, cette sensation euphorique de libération m’a accompagnée pendant toute mon avancée. Je suis passée sans m’inquiéter de savoir si un ascenseur allait ouvrir le chemin à un habitant de l’hôtel (on ne percevait de toute façon aucun son venant de la salle des machines) ; ceci dit, j’ai quand même renoncé à en utiliser un.


Dans l’escalier de secours, j’ai commencé à m’interroger sur mon état d’esprit : contrairement aux couloirs, la cage d’escalier n’était pas chauffée (et c’est alors que je me suis rendu compte que la robe que je portais était quand même fort peu appropriée à la circonstance) mais de plus cette cage, constituée de très grandes baies vitrées, s’est vivement allumée une fois que j’y suis entrée, de sorte que, depuis l’extérieur, un badaud aurait pu sans souci observer cette apparition tellement hallucinante qu’il en aurait probablement suspendu sa promenade nocturne.


Mais c’est au niveau du troisième étage que les choses sont devenues nettement plus scabreuses.


D’abord, malgré le retour à la température ambiante, il faut bien dire que ma peau était restée à chair de poule pendant toute la fin de mon voyage. Pourtant, ce ne fut pas cela le pire.


La chambre où je devais me rendre était la 310-311. Anne, si tu te rends un jour dans cette résidence universitaire, tu constateras toi-même que l’agencement des couloirs est pour le moins surprenant : cela fait penser en fait à un hôpital avec des couloirs qui vont dans tous les sens et qui se ressemblent tous. Je me suis donc trouvée de plain-pied dans un labyrinthe de ce genre. Et pour ne pas arranger les choses, contrairement à ce qui se faisait à mon étage, il n’y avait aucune indication sur les murs me disant la direction à suivre (tu sais, du style, chambres 300 à 340 à gauche, chambre 341 à 380 à droite). Et là, je me suis dit qu’il fallait maintenant me grouiller un petit peu.


Mais tu connais le principe de Murphy : c’est quand tu crois que rien ne peut t’arriver de pire que cela arrive quand même ! Eh bien, les chambres ne se suivaient pas dans l’ordre numérique : par couloir, oui ; mais quand tu passais d’un couloir à un autre, derrière chaque porte coupe-feu, la numérotation recommençait de façon discontinue. Et ce qui devait arriver arriva.



* * *



De plus en plus agacée par l’impossibilité de repérer cette satanée chambre 310-311, passant devant je ne sais combien de portes, c’est au moment même où j’ai tourné dans un couloir identique à tant d’autres que j’ai fait la rencontre improbable de cet adolescent boutonneux d’environ 16-17 ans, revenant de je ne sais où, mais vu son état de fatigue, probablement d’une boîte techno londonienne.


Il lui a quand même fallu le temps d’arrêter de fixer sa boîte de messagerie, de lever les yeux vers le bout du couloir, de les arrondir et, enfin, d’entrouvrir la bouche. Je suppose que Bernadette Soubirous a dû faire la même tête quand la Vierge Marie lui est apparue. Ceci dit, même si je n’étais plus vierge depuis longtemps, et même si je n’avais pas d’auréole au-dessus de la tête, je ne compensais pas trop mal avec celles qui ornaient le centre de mes seins.


J’aurais pu faire demi-tour mais j’ai craint de me perdre à nouveau, sans parler du fait que je savais que la destination finale ne pouvait plus être très loin (après tout ce que j’avais déjà éliminé, ce ne pouvait être que par là) : il fallait donc que je force le passage en passant à côté de lui. Et c’est le cœur vaillant que je me suis approchée, tout en lui faisant, le doigt sur la bouche, le signe de se taire.


Cela servit-il à quelque chose ? J’en doute. Il était surtout hypnotisé par la vision qui s’offrait (pour la première fois de sa vie probablement) d’une femme nue en chair et en os. Et en passant, à quelques centimètres de lui, j’ai eu l’idée, pour le remercier de ce silence, de lui remettre les revues que j’avais emportées.


Sans demander mon reste, j’ai alors mis le turbo, mes seins sautillant au rythme de ma course, donnant à ce garçon, pour la première fois de son existence, le plaisir de se rendre compte que la vie était belle et qu’il fallait savoir en profiter tant qu’on était en bonne santé.


Je le soupçonne aussi d’avoir utilisé son GSM une fois que je lui ai tourné le dos et d’avoir pris une photo souvenir de ce moment inoubliable, comme tout touriste que se respecte : mais après tout, je ne pense pas que mes fesses soient tellement célèbres qu’elles puissent permettre de m’identifier si, par hasard, un de ses parents trop bien-pensants se mettait en recherche de l’auteur de cet acte contraire à la moralité publique.


Il me plaît en tout cas de penser qu’aujourd’hui, j’ai donné à cet adolescent la possibilité de fantasmer non seulement sur ce qu’il a vu mais aussi sur tout ce qu’il pourrait s’imaginer des causes de ma présence dans ce couloir nocturne (et ma superbe robe ainsi que les revues qui ne pouvaient lui laisser aucun doute sur la portée de mes intentions en me promenant ainsi nue). M’a-t-il poursuivie ? Je pense que non : qu’aurait-il fait si je m’étais retournée pour lui donner la fessée ? Et puis il avait son petit cadeau.



* * *



Mais revenons-en à moi : je me hâtais comme je le pouvais : 302, 303, cette fois c’était bon, 304, 305 306-307 (des chambres doubles), 308-309, 312-313… « Non, elle est où cette chambre ? » Et c’est seulement en me retournant que j’ai alors vu, dans un petit renfoncement du couloir, l’entrée de cette cour des miracles à laquelle j’aspirais depuis tellement longtemps. Allaient-ils me faire le coup de savoir combien de mecs je m’étais déjà envoyés auparavant et me laisser ainsi essoufflée avec un poursuivant muni de son portable susceptible de me canarder ? J’étais plutôt anxieuse de le savoir, je te l’assure, et c’est sans hésiter une fraction de seconde que j’ai mis la main sur la poignée de la porte et que je l’ai tournée. Elle n’était pas fermée à clé : je suis donc entrée aussi vite que je l’ai pu, j’ai poussé pour que la porte se referme aussi vite que possible, et me suis alors retrouvée dans un petit couloir à peine éclairé par une petite lampe économique.


Il fallait d’abord que je reprenne mon souffle, et c’est appuyée contre le mur que j’ai observé ce que je voyais : trois portes : celle devant moi était ouverte et donnait sur la salle de bains (tiens, pas de traces par terre, ici), les deux autres portes ne permettant pas de se faire une idée des locataires respectifs des lieux. David a mis rapidement fin à mon incertitude en ouvrant la porte de sa chambre (celle de droite) et en m’y introduisant. Juste le temps de lui demander s’il était certain de ne pas avoir changé d’avis, ce qu’il m’a confirmé, tout en m’affirmant par ailleurs qu’il pensait bien trouver beaucoup de plaisir dans ce qui l’attendait. Cette fois, c’était la bonne, on allait pouvoir y aller !





17. Trio pour deux flûtes et soprano [ad libitum]




Alice, si tu veux mon avis, c’est dans ce genre de moment que l’on se dit que l’on a vraiment de la chance de vivre au début du XXIème siècle : un demi-siècle plus tôt j’en aurais été quitte pour devoir annoncer à mon confesseur qu’en moins de 24 heures j’avais eu des pensées très peu chastes (péché d’envie), que je m’étais concocté un plan pour diriger à ma guise les opérations de séduction (péché d’orgueil) tout en refusant de m’offrir trop vite à celui qui avait répondu à mon appel (péché d’avarice), que j’avais avalé avec tant de plaisir l’objet de sa virilité (péché de gourmandise) et que j’avais injustement fait porter le poids de mon ressentiment sur des innocents (péché de colère). Il ne restait donc plus que le péché de paresse (mais celui-là, ce serait pour demain) et le pêché de luxure. Et ce péché-là, je comptais bien l’assouvir, pleinement, franchement, en franchissant, sans aucune idée de retour et sans aucun état d’âme, une étape supplémentaire vers la route qui conduit à l’enfer : j’allais faire l’amour avec deux hommes.



* * *



Bien entendu, tu penses toujours ce que tu veux de mon état d’esprit ; mais, s’il te plaît, sois sincère avec moi et dis-moi si, dans le fond de tes pensées, ne se trouve pas enfouie l’une ou l’autre petite idée tordue qui te révulse et t’attire à la fois ; et jure-moi qu’elle ne perce pas de temps à autre sous le vernis de ton self-control : j’attends en tout cas avec confiance que tu me jettes la première pierre. Quant à moi, dois-je vraiment t’expliquer comment j’en suis arrivée à cette extrémité tellement éloignée des repères de notre si chère éducation judéo-chrétienne ?


D’abord, j’assume pleinement : les deux garçons ne m’avaient strictement rien demandé : tout à l’heure, Jean-Philippe était enfermé dans la salle de bains à attendre sagement (enfin, après ce que j’y ai découvert tout à l’heure, le dernier mot n’est pas le plus approprié) et David était totalement abattu. Mais, une fois la colère, la peur et l’angoisse définitivement bannies de mes pensées, l’idée a fait son chemin toute seule, et s’est cristallisée spontanément : je me rendais compte que je venais de passer à côté de quelque chose qui ne se produirait probablement plus jamais : non pas qu’il soit difficile de trouver deux garçons qui veulent te faire l’amour en même temps (ça, je pense que si tu es un tout petit peu déterminée, tu en trouves partout) ; non, mais je percevais bien que je ne pourrais certainement plus jamais refranchir plus tard tout le parcours qui fut le mien au cours de cette journée ; et que l’abaissement de mes barrières morales ne pourrait durer éternellement ; et, surtout, qu’il était plus que susceptible de ne pas se reproduire : c’était maintenant ou jamais qu’on pouvait tout reprendre à zéro.


Bref, même si je n’avais rien pris pour me shooter, j’étais quand même, en une certaine façon, dans le même état que ces gens qui ont bu un petit verre de trop, juste celui qui leur permet de garder la conscience de leurs actes et qui, simultanément, leur donne l’audace d’annihiler leur bonne conscience et d’aller jusqu’au bout de leur envie. Et dans ce delirium tremens sexuel, au point où j’avais déjà reculé les limites de la décence, faire une étape de plus ne portait plus beaucoup à conséquence : c’était comme faire un régime si tu veux : si tu craques une fois, puis une deuxième, tu te dis que tout cela ne sert à rien et qu’on recommencera la semaine prochaine, et tu profites du mercredi pour t’enfiler tout le sucre dont tu as envie. Et c’est ainsi que d’entorse morale en entorse morale, j’en suis arrivée à me retrouver dans cette double chambre où je n’avais jamais mis les pieds, et à me préparer à allumer le bouquet final de ce séjour à Londres hors du commun.



* * *



David était prêt à lancer la machine. Il ne restait donc plus qu’à réveiller Jean-Philippe. Je me suis donc rendue dans le vestibule qui conduisait à sa chambre, ai ouvert délicatement la porte intérieure et, une fois mes yeux habitués à la pénombre, je l’ai vu, là, allongé sur le lit et me tournant le dos, le corps au-dessus des couvertures.


De toute évidence, il était revenu un peu fatigué de sa visite courtoise : non seulement il n’avait pas eu le temps de mettre son pyjama, mais en outre tous les livres étaient impudiquement éparpillés par terre, signe d’un endormissement rapide et soudain. Le colosse terrassé, c’est vraiment à cela qu’il m’a fait penser et j’ai apprécié comme il convenait de le faire la richesse du contraste entre le Jean-Philippe de tout à l’heure, tellement impressionnant dans son rudesse si masculine, et la sérénité quasi-enfantine qu’il affichait sur son visage dans ce moment précis.


Derrière l’oreille. C’est derrière l’oreille que ça marche le mieux. Alors, appliquant à la lettre cette pratique née de ma longue expérience avec Nicolas, je me suis glissée derrière lui et j’ai inséré ma langue entre l’oreille et la joue que je voyais là devant moi.


Il a juste ouvert les yeux, a voulu se retourner pour voir qui était là, et avant qu’il ait la force de se réveiller effectivement, je lui ai chuchoté :



Et pour conserver encore quelques secondes le spectacle de ce petit enfant qui allait grandir tellement vite, j’ai ajouté :



Et l’embrassant sur le front, je suis sortie non sans lui laisser l’occasion de voir combien le costume d’Ève m’allait si bien et de se dire que les cadeaux, et quoi qu’on en dise, c’est quand même mieux sans l’emballage !



* * *



David était vraiment un ange. Pendant mon absence, il était allé chercher les bières et les gobelets qui étaient restés dans ma chambre, deux étages plus haut, les avait installés sur sa table à lui. Il ne nous restait donc plus qu’à attendre Jean-Philippe.


A-t-il cru avoir fait un (délicieux) rêve, a-t-il cru à une mystification ou à une plaisanterie ; ou, pourquoi pas après tout, s’est-il amendé après ce qui s’était passé et a-t-il préféré ne pas prendre le risque de gâcher tout une seconde fois ? J’en étais à me le demander quand soudain un bruit délicat est venu me délivrer de ces méditations.


David est allé lui ouvrir en lui souhaitant la bienvenue au « Pub des Bons Buveurs » (comme il l’a annoncé) et ils se sont tapé mutuellement sur l’épaule comme des vieux amis qui se retrouvent, se pardonnent et se réconcilient une bonne fois pour toutes.



Et pour une surprise, c’en était une ; cela se voyait, cela ne pouvait que se voir : il avait en effet le même air que les enfants privés de Noël pour mauvaises notes au bulletin et qu’on réveille à minuit moins le quart, en allumant en grand les lumières, pour quand même leur offrir ce à quoi ils ne s’attendaient plus.


Et non seulement, c’est un cadeau, mais en plus c’en était un beau ! Après tout, jusqu’à présent il ne m’avait vu dans cet état de déshabillage qu’à peine le temps de le dire. Et prenant tout son temps pour s’avancer vers moi, il doubla, tripla, puis finalement décupla le temps passé à admirer ce que la Nature avait fait de meilleur en moi.


Quant à lui, certes, il n’était pas aussi peu couvert que la dernière fois, il est vrai, mais il ne m’était pas difficile de deviner que si le pyjama qu’il portait ne présentait pas exactement les plis qu’on lui voyait ordinairement dans les prospectus des grands magasins, ce n’était pas par suite d’un défaut de fabrication mais bien parce que dans sa partie inférieure il recelait un habitant dont j’avais déjà fait la connaissance (et très bien d’ailleurs) dans la première partie de la soirée. Mais enfin, à l’exception de cette petite anomalie vestimentaire (preuve ceci dit que son ardeur à la tâche n’avait pas trop été entamée par l’opération de salopage de ma salle de bains), il fallait bien reconnaître que Jean-Philippe était un maître d’hôte parfait, combien différent de l’invité que j’avais accueilli dans ma loge. Restait à espérer qu’il ne le resterait pas trop longtemps.


Je ne veux pas anticiper sur la suite, Alice, mais en tout cas il est une chose qu’il avait bien comprise (j’ignore si c’était tout seul ou bien par l’intervention de David) : c’est que les expressions salaces n’étaient vraiment pas les bienvenues avec moi. J’aurais dû le remercier pour cette délicate attention mais, comme tu vas le lire, j’ai été malheureusement tellement prise par d’autres événements que j’ai oublié de le faire, et je le regrette encore un peu aujourd’hui.



* * *




Alors, autant empressés l’un que l’autre, ils se sont approchés et ont entrepris de m’ôter ce qui les empêchait encore de m’admirer telle que j’étais en moi-même.


Bien entendu, comme tous les hommes qui entreprennent de déshabiller la femme qu’ils veulent coucher dans leur lit, ils ont fait preuve d’une maladresse extraordinaire : d’abord, ils ont voulu me faire passer les bras dans les trous des cordes, mais évidemment la robe n’était pas conçue pour être enlevée ainsi ; ils ont donc bien dû se résoudre à la défaire, comme je le leur stipulais, en partant de l’endroit où se trouvait le nœud principal, celui qu’il fallait d’abord dénouer pour que les autres puissent également être délacés.


Tu imagines bien que je ne les ai pas aidés (d’autant plus qu’ils ne pouvaient toucher ni aux cordes ni à moi tant qu’ils n’avaient déterminé l’endroit exact d’où la robe allait se détricoter). Ils ont tout regardé, et je pense qu’à la longue l’image subliminale de mon corps a dû rester imprimée de façon indélébile sur la rétine de leurs yeux qui me scrutaient. Je le dis sans honte : j’avais beaucoup de plaisir à me sentir ainsi sous le feu croisé de leurs regards, c’est comme une préfiguration de ce qui m’attendait.


Enfin, après avoir tout éliminé, le Sherlock Holmes de la nuit a déclaré :



Et sur mon acquiescement, en partant du dessus du dos, quelque part entre mes omoplates, et tout en appliquant légèrement son ongle sur ma peau, son doigt fit le trajet du fil à plomb, plongeant au sein de mes deux lobes fessiers ; et poursuivant encore un peu en avant jusqu’au but ultime de son voyage, il atteignit sans embûche le point névralgique de la corde, à quelques encablures à peine du point névralgique de celle qui la portait. Ce fut ensuite trop facile peut-être : les autres nœuds ont capitulé trop vite à mon goût et, probablement aussi, au goût de ces deux braves gens.


J’étais, pour la première fois enfin, entièrement nue. Mon côté exhibitionniste s’en est alors donné à cœur joie. Bombant le torse autant que possible pour mieux faire ressortir ma poitrine qui n’en avait pourtant pas besoin, et écartant légèrement les jambes, je leur ai parlé pendant quelques minutes et lorsque, pour un prétexte fallacieux, je me suis penchée pour ramasser ce qui venait de tomber par terre, c’est de toute évidence avec beaucoup d’intérêt qu’ils n’ont rien ignoré de tout ce que je leur montrais.


Mais mon plus grand plaisir, c’était de capter et de fixer leurs regards avec le mien, de les empêcher ainsi de me parcourir le corps et de les voir craquer, puis revenir dans mes yeux, et craquer encore.



* * *



Enfin, après les avoir remerciés de m’avoir si bien reçue, j’ai levé mon verre, ai prononcé les mots historiques :



(ce à quoi ils ont bien souri), ai avalé ma bière d’un trait en m’arrangeant bien pour que le liquide s’engouffre trop vite dans ma bouche, déborde de mes lèvres et me coule le long de la gorge, des seins et du ventre ; puis, j’ai prononcé sur un ton très aristocratique :



Le premier crétin a voulu avancer la main pour m’essuyer ; le second, plus crétin encore, est parti à la recherche d’un mouchoir. Alors, les arrêtant tous deux, j’ai lancé la première vague de l’assaut en suggérant, d’une voix qui ne tremblait pas :



Bon, je te l’accorde, j’exagère un peu. J’étais moins lyrique que cela, c’est vrai. Mais si je t’avais dit que les mots que j’ai réellement prononcés étaient moins subtils et plus directs, que c’était en fait :



Je suis persuadée que tu m’aurais reproché de n’avoir aucun sens de la poésie.



* * *



Ils ne s’en sont pas privés, tu imagines bien. Je ne sais si ton homme de temps à autre te passe ainsi la langue tout le long du corps. Bon, a priori, ça a l’air dégoûtant : c’est vrai, quoi ! On a tous en tête les lèches que nous ont faites, à un moment ou l’autre de notre vie, les caniches et autres chiens du genre, et on se souvient tous que c’est à la fois terriblement mouillé et même bavant (comme dans La Folie des Grandeurs, tu te rappelles), et en plus, froid et râpeux au pas possible. Franchement, j’en ai moi-même encore la chair de poule.


Mais quand c’est un homme qui te fait cela, mmm ! Il faut le dire : ça, c’est quand même fort différent : d’abord, s’il applique la langue sur ta peau, c’est loin d’être comme le toutou de mémère. S’il le fait, c’est uniquement avec le bout de la langue ; et là, non seulement ce n’est pas mouillé, ce n’est pas bavant, ce n’est ni froid ni râpeux, non, c’est juste stimulant comme un petit doigt qui s’en va se promener à la rencontre de ton corps, c’est littéralement l’homme qui te goûte comme la meilleure glace de sa vie et qui te donne la promesse qu’il ne pas oublier de passer partout où c’est possible, que ce soit sur la plaine de ton ventre, sur les sommets si appétissants de ta poitrine et sur ceux de tes fesses, sans parler, but ultime, du précipice qui commence au creux de tes reins pour se terminer là où se trouve le détonateur principal.


Alors, quand tu as deux bouts de langue que te font cela, je te dis pas ! Moi, c’était la toute première fois, et pour le dire sans détour, je fondais, et je le dis non seulement de façon imagée, mais aussi en référence à ma propre physiologie : je fondais, si pas entièrement, du moins à l’endroit où je ne demandais qu’à me mettre les mains. Aussi, pour éviter quand même de finir comme un bonhomme de neige en été, je me suis autorisée à barrer le passage de leur langue au-delà de mes hanches (leurs mains n’ayant bien entendu aucune voix au chapitre, cela va de soi).


Au départ, c’était assez désordonné : chacun est parti de son côté, attrapant au hasard les coulées de bière les plus visibles : l’un est parti tête baissée pour parer au plus pressé, quelque part entre mon nombril et les poils juste en dessous, l’autre a entamé le nettoyage du dessus de mes seins.


Et puis, un moment, ils se sont synchronisés au niveau des deux oreilles : c’était vraiment charmant de voir la bonne entente qui régnait entre eux. Et comme de bien entendu, ce subtil attouchement lingual a progressivement fait place dans un premier temps à des bisous légers sur mon visage, ma bouche et le bout de mes seins, avant de faire la place à des comportements de plus en plus appuyés : c’est sur mon lobe d’oreille que Jean-Philippe a d’abord testé l’effet produit par ses petits mordillements et, à l’estime de mon soupir d’aise, il a considéré que l’essai avait été suffisamment concluant pour passer à l’étape suivante.


Et c’est ainsi qu’après m’avoir assise sur la table du bureau, ils ont entrepris le siège de mes deux seins, Jean-Philippe à gauche, David à droite : j’étais littéralement couverte de baisers, aspirée par deux grandes bouches avides d’avaler la plus grande partie possible de ma poitrine, mais également torturée par ces petits coups de dents calibrés qui étaient terriblement stimulants la plupart du temps, mais pouvaient aussi à de plus rares occasions me procurer une légère sensation douloureuse pour le moins ambiguë.



* * *



Tout cela a duré dix bonnes minutes. C’était terriblement enivrant et j’imaginais très bien que sous le pyjama des garçons, le doux miracle de la vie avait déjà permis à la métamorphose caudale de faire son œuvre. Mais il fallut un moment que cela cesse : non seulement, les laisser continuer n’allait pas permettre d’organiser les petits jeux que je leur avais réservés ; mais en outre, je risquais de me taper un orgasme spontané (tu sais, cette jouissance à contretemps, sans que ni ton vagin ni ton clitoris n’aient été sollicités, et dont la seule cause est le pouvoir de l’imagination).


Aussi quand une main, brisant la consigne, est venue soulever un de mes seins pour faciliter l’opération gourmande à laquelle se livrait David, j’ai sonné la fin de la récréation et reformé les rangs. L’ordre est alors revenu même si, de toute évidence, les esprits étaient encore bien turbulents.


J’ai alors bondi de la table puis, en les embrassant seulement par des baisers courts et légers, je me suis mis à défaire les boutons du dessus de leur pyjama, d’abord ceux de David, puis ceux de Jean-Philippe, et une fois leur torse nu je me suis reculée, me suis assise sur une chaise, les ai fixés droit dans les yeux et, écartant les jambes sans aucune – mais alors là, aucune – pudeur, un genou au-dessus de chaque appui-coude, je leur ai offert l’espérance d’un avenir très prometteur tout en leur enjoignant de se masturber, la main dans leur pantalon.



* * *



Bon, OK, je vois bien que tu es mal à l’aise, Alice, et que tu vas me dire :



Allez, quoi, Alice ; ne fais pas ta tête de cochon, et laisse-moi te contredire, comme ça les choses seront très claires : si j’écris tout cela, ce n’est pas, comme tu le penses, pour faire bander les mecs qui liront ces lignes (et éventuellement les filles, je n’en sais rien finalement). De toute façon, je ne compte pas rendre tout ceci public et, comme je te l’ai dit, j’écris avant tout pour moi-même (et un peu pour toi), dans le souci primordial de ne rien oublier.


Moi, penses-en ce que tu en veux, ce qui s’est passé ce jour-là, je me sens dans la nécessité de ne pas l’oublier parce que ça a été un moment unique de ma vie, un moment où je me suis sentie totalement désinhibée, hors de moi-même en quelque sorte.


Je sais que le recours à l’écriture est fort insatisfaisant, que décrire les choses de l’amour (enfin de l’amour physique, j’entends) par des mots comporte avec lui le risque inévitable de tomber dans la vulgarité (une queue reste toujours une queue et une pénétration reste toujours une pénétration) ; mais comment éviter ce risque lorsqu’on est déterminée à ne pas se mentir à soi-même et à mettre tout au jour ? Et moi je veux, même si ce n’est que par le biais insatisfaisant de la littérature, moi je veux pouvoir me souvenir des formes (même les plus incongrues, même les plus difficiles à écrire) qu’a pris le plaisir charnel que j’ai tant apprécié ce jour-là.


Non pas, comme je te le dis, pour donner une occasion aux mecs de se masturber (et après tout, on s’en fout), mais bien parce que le plaisir associé à ces pratiques n’était pas (et ne pouvait même pas être) différent du plaisir strictement intellectuel de bénéficier de cette liberté pleine et entière dont je viens de parler, indépendant d’une sorte de liberté philosophique qui te permet d’atteindre à une vérité supérieure qui ne peut être acquise que par cette voie-là.


En d’autres mots, et au risque de te sembler très prétentieuse et complètement à côté de la plaque, je crois que ce jour-là j’ai enfin compris toute la dimension mystico-philosophique du Kamasoutra indien. Voilà, c’est dit !


Pour toutes ces raisons, je veux ne rien oublier et je veux que le souvenir du plaisir que j’ai ressenti à ce moment ne soit pas refoulé dans un avenir plus ou moins prochain par la tendance naturelle que nous avons tous à gommer ce qui peut nous faire honte (et je suppose que j’aurais honte un jour de mon inhibition de la semaine dernière).


Laisse-moi donc continuer et laisse-moi te dire que si toi, tu y vois de la pornographie, moi j’y vois un moment d’érotisme intense dont je ne peux pas vraiment parler autrement : je ne vais quand même pas me borner à dire : « Ils sentaient bon le sable chaud, mes légionnaires. » ou « On s’est aimé jusqu’au bout de la nuit. ».


Ceci étant dit, pour redescendre de ces hautes considérations philosophiques et revenir au récit proprement dit, je voudrais insister sur le fait que si ta pudeur est choquée, il faudra que tu t’accroches parce que c’est loin d’être fini, tu peux me croire ! Cependant, je t’invite quand même à lire ma lettre en entier : s’il y a des moments qui te choquent, je pense qu’il y en aura aussi quelques-uns qui devraient t’amuser. Enfin, fais comme tu veux ; moi, je reprends de toute façon mon récit où je l’avais laissé, même si ce n’est que pour moi-même.


Et pour que les choses soient vraiment claires, je souhaiterais que tu ne m’interrompes plus, c’est déjà assez difficile comme ça pour qu’en plus, tu me fasses perdre le fil de mes pensées. Ceci dit en toute amitié, tu le sais bien.



* * *



Moi assise et lascive, eux debout et tendus, combien il était bon d’être là ! Et il est plus que certain que cela se voyait : je savais en tout cas que mon clitoris était gonflé et que cette première apparition d’un des personnages principaux de l’histoire ne pouvait manquer de susciter l’intérêt des spectateurs.


Mais avant de leur permettre d’explorer plus avant le terrain, il fallait absolument que je mette en œuvre ma petite vengeance : après tout ce que m’avait fait Jean-Philippe, c’était le moins que je puisse faire pour lui rendre la monnaie de sa pièce. Ainsi, le pointant du doigt et lui donnant ainsi l’occasion de s’imaginer qu’il allait pouvoir passer le premier pour entreprendre ses petites activités spéléologiques, je lui ai asséné ces mots qui l’ont pour le moins décontenancé (je l’ai vu au rythme moins soutenu du travail de sa main) :






18. Trio pour deux flûtes et soprano

con frustrazione e primo tempo forte





J’ai compris à son air ahuri et à la suspension du mouvement de sa main, qu’il était désolé de ne pouvoir entamer de suite l’excursion souterraine qu’il se proposait de faire. Mais, bon, après tout, s’est-il probablement dit, il n’avait pas eu à se plaindre jusqu’à présent des petites friandises érotiques que je lui avais offertes. Va donc pour une de plus. Et le voilà qui s’en va dans la salle de bains.


J’ai échangé un petit regard amusé avec David, qui était de toute évidence curieux de savoir ce que j’allais pouvoir bien faire à ce pauvre Jean-Philippe.


Qu’a dû penser le principal intéressé ? Il n’était pas difficile de se l’imaginer : je lui montrais tout le pelage de ma chatte et de quoi la raser : il ne pouvait donc s’agir que d’une séance d’épilation. Et pourtant, ce raccourci de pensée le menait sur une fausse route.


Lorsqu’il est revenu, quelques secondes plus tard, je me suis remise dans une position plus honnête, je lui ai pris la bombe des mains et l’ai posée par terre à côté de moi, lui ai descendu très lentement son pantalon pour que sa queue reste le plus longtemps possible accrochée au tissu, laquelle, une fois la ligne de rupture franchie, s’est violemment redressée en me heurtant le menton au passage.



* * *



Jack était de toute évidence très heureux de me revoir. Mais rien à faire, j’avais un oignon à éplucher avec lui.



De toute évidence, Jack n’en avait cure et n’envisageait pas de faire amende honorable : il se dressait orgueilleusement devant moi et refusait de courber l’échine.



Toutes ces petites phrases étaient bien évidemment entrecoupées de petites tapes parfois amicales, parfois plus appuyées, lesquelles ne manquaient pas de susciter chez Jean-Philippe de petits sursauts dont il appréciait néanmoins visiblement tout l’effet. Évidemment, quand j’ai pris ses couilles dans la paume de mon autre main et que j’ai commencé à serrer de moins en moins légèrement, j’ai perçu dans son attitude générale une sorte de raidissement qui me montrait que le doute commençait à s’insinuer quant à mes véritables intentions.


Ce sentiment s’est encore raffermi lorsque, lui tirant (pas trop fort quand même) un ou deux poils des testicules, j’ai continué à le sermonner :



Et tournant ma tête vers celle de Jean-Philippe, je l’ai regardé un peu sadiquement en lui demandant ce qu’il pensait devoir être fait pour l’édification morale de ce Jack si libidineux.


Le pauvre, il ne savait que me répondre et se laissait manipuler le sexe en manifestant de toute évidence un abandon de plus en plus profond.



J’ai alors lâché le tout pour prendre la bombe que je venais de poser et, après l’avoir agitée vigoureusement, j’ai appuyé sur la pression et couvert autant que possible tout ce qui pouvait permettre de distinguer les bijoux de famille de l’impétrant. Celui-ci s’est laissé faire, ne comprenant pas d’ailleurs ce qui lui arrivait. Puis est arrivé le moment où Jean-Philippe fut littéralement affublé d’une sorte de nuage de la taille d’un de mes seins : on ne voyait effectivement plus rien : tout, absolument tout, gisait désormais sur une épaisse couche de neige.


Qu’a pensé Jean-Philippe en cet instant précis ? A-t-il eu peur que je l’oblige à se raser tous les poils qui se trouvaient en dessous de ce capuccino improvisé et, en conséquence, de se priver d’une partie essentielle de son prétendu pouvoir de séduction ? M’aurait-il laissée faire ? Je n’en ai rien su et n’en saurai jamais rien, puisque ce n’était pas cela à quoi je voulais parvenir. Mais ce que j’ai surtout admiré chez lui, ce fut l’effet, une fois qu’il a eu compris la chose, de ce qui apparaissait de facto comme une ceinture de chasteté et allait l’empêcher d’envisager une quelconque participation active à ce qui se préparait.


Bien entendu, j’en ai profité pour me lever et m’approcher de David pour le serrer dans mes bras et pour lui donner un patin à faire mourir d’envie Jack (s’il avait pu nous voir).


Enfin, il est arrivé un moment où Jean-Philippe a éprouvé un sentiment (désintéressé, bien entendu) de miséricorde pour celui qui avait fauté.



Sourire de soulagement.



Et Jean-Philippe s’est mis à la tâche.


Au début, cela avait l’air facile. Il prenait par grosses poignées des paquets de mousse et, a priori, l’opération aurait dû prendre moins d’une minute. Néanmoins, une fois cette première étape franchie, les choses se sont compliquées : d’abord, Jack – soit qu’il s’est senti hors du coup, soit qu’il ait enfin décidé d’accepter la soumission demandée – s’était fait tout petit. Aussi, il devenait encore moins facile d’ôter ce qui s’était réfugié dans tout ce qui peut constituer les recoins d’un sexe d’homme. Bien sûr, le drap progressivement gorgé d’eau a eu de plus en plus de mal à absorber la mousse que Jean-Philippe y déposait.


Mais surtout, ce qui a fortement repoussé le moment où la punition devait prendre fin, ce fut le fait que cette mousse se solidifiait en une sorte de crème fraîche à la fois lourde, grasse et bien collante ; et sur la peau de sa queue et de ses testicules, elle se transformait progressivement en une sorte de fond de teint qui donnait à celle-ci un aspect lustré. Mais le pire, c’est qu’elle pénétrait insidieusement parmi les poils au-dessus et tout autour de son sexe, de sorte qu’il était effectivement impossible d’assécher avec la seule main.


Bref, comme je m’en étais doutée, la tâche serait ardue et longue, et pendant tout le temps que Jean-Philippe se débarbouillerait de ce magma inopportun pour lui, j’en profiterais pour partager mon temps de loisir ainsi forcé avec celui qui m’avait aidée et épaulée au moment où j’en avais eu un si grand besoin.



* * *



Alice, comment puis-je te faire comprendre combien était différent ce que je ressentais selon que je partageais mon corps avec lui ou avec l’autre de ces deux garçons ?


Avec Jean-Philippe, oui, pleinement, c’était du libertinage, de la baise, de la lubricité : bref, le sexe dans toute son étendue, sans limite. Il aimait ces jeux qui ne t’engagent pas dans une relation sentimentale et, dans l’état où je me trouvais, cela me convenait parfaitement.


Avec l’autre, c’était plus tendre, plus passionnel, et ce, même dans cet environnement peu propice à faire naître de tels sentiments dans le cœur de l’homme qui se trouve devant toi et qui est peut-être ton âme-sœur. Aussi, en me collant à lui, en recevant ses mains le long de mon dos et de mes fesses, en partageant sa langue avec la mienne, malgré les jurons de Jean-Philippe qui commençait à la trouver saumâtre, j’avais moi la sensation de me trouver dans une chambre plus petite encore, de me livrer enfin à un homme qui m’aimait pour autre chose que le 95B de mon soutien-gorge et mes tendances quelque peu callipyges.


Et quand, dans un mouvement quasi frénétique, sans y mettre aucune retenue, je me suis mise à genoux pour lui donner le genre de plaisir dont il n’avait pu encore bénéficier jusque-là, quand, debout l’un en face de l’autre, j’ai glissé ce petit (enfin, si on peut dire…) poisson entre mes jambes, quand j’ai senti presque aussitôt que je ne saurais plus me retenir de crier, alors, à ce moment-là seulement, j’ai compris que je venais de recevoir du ciel un premier orgasme et que, malgré la rapidité de sa survenue, et quelle que soit la suite de la nuit, quoi qu’il arrive, que ce serait l’orgasme le plus intense de cette nuit de folie.


Ceci dit, Alice, tu es toi aussi une femme, je ne t’apprends donc rien en cette matière, je pense, mais je tenais absolument à te dire que cela a été un de ces instants magiques dont je tiens absolument à garder intact le souvenir.


Les deux garçons ont été surpris : David d’abord parce qu’il ne s’attendait pas à ce que je réagisse si bien et si vite à ce qui, il faut bien le dire, n’était pour lui qu’un galop d’entraînement ; Jean-Philippe parce qu’il était toujours autant qu’avant empêtré dans l’assainissement de son appareil génital et du système pileux qui l’encadrait, et qu’il n’avait pas suivi de façon assez précise l’enchaînement des événements qui m’avaient conduite à l’extase.


Je dois reconnaître que de mon côté, même si je m’y attendais un peu (après tout, il y a tellement longtemps que j’étais à la limite de la rupture), je ne m’étais pas imaginé qu’effectivement cela aboutirait à une jouissance aussi rapide que délicieuse.





19. Trio pour deux flûtes et soprano : Intermède



Évidemment, ils ont craint le pire : que leur jouet soit cassé !


Certes, je ne pouvais concevoir que deux jeunes adultes ne sachent pas que le nombre d’orgasmes que peut éprouver une femme en une soirée est sans commune mesure avec le pauvre, le pitoyable, le maigrichon, en un mot le seul orgasme masculin. Mais toutes les femmes n’étant pas constituées de la même manière, le risque ne pouvait pas en être totalement écarté.


À court terme, il fallait néanmoins que je me mette provisoirement hors-service, et c’est tout en douceur qu’ils m’ont déposée sur le lit de David, me laissant profiter de cet état d’abandon d’âme tellement agréable.


Cette première période, où l’on se trouve tellement haut dans ce voyage éthéré qu’est l’orgasme, je ne pense pas qu’il ait dépassé plus d’une ou deux minutes. Mais à mon retour sur terre, j’ai pu constater que les deux hommes en avaient bien profité pour faire une tentative de coup d’État et s’efforcer de prendre les choses (et pas que les choses) en main (sans parler du fait que Jean-Philippe avait plus que probablement recouru à des moyens illicites pour achever de se débarrasser de ce qui lui barrait la route). Il fallait donc absolument que je réagisse.


D’abord, j’ai pris le risque de me passer de tout ce à quoi j’aspirais. Après tout, pouvais-je encore me permettre de les faire encore languir longtemps ? Ce sont des hommes et, me suis-je dit, il n’est pas exclu que leur état de manque soit tellement grand qu’il finisse par les rendre impatients de conclure et qu’ils en deviennent finalement agressifs.


Mais non, ces deux-là étaient de véritables masos : en fins connaisseurs, ils appréciaient à leur juste valeur les efforts d’imagination que je déployais pour que cette soirée libertine soit digne de figurer au guide Michelin, et entendaient bien ne pas s’en priver, même si cela devait les conduire jusqu’au petit jour (qui, soit dit en passant, a lieu une heure plus tôt en Angleterre que chez nous).


Aussi, je leur ai soumis la proposition de réaliser ce qui me fascinait le plus en les regardant en ce moment suivant : ce fut, je dois le reconnaître, pour moi le plus difficile à obtenir ; il faut dire aussi que, pour eux, c’était le plus difficile à accorder.



* * *



Nous étions trois : deux hommes et une femme : j’étais le centre de leurs préoccupations, provisoirement en stand-by mais désireuse de repartir à la chasse aussitôt que j’aurais reconstitué mes réserves, ce qui ne pouvait d’ailleurs pas tarder. Mais, en attendant de me rétablir et de me lancer à l’assaut, je désirais intensément une chose que je n’avais jamais vue et que je ne pourrais jamais voir qu’en cette occasion : j’emploie avec toute la trivialité dont je suis capable les mots pour le dire parce que, sincèrement Alice, il n’est pas possible de le dire de façon imagée ou d’une façon plus douce : allez, je me lance : un homme sucer la bite d’un homme, et si possible deux hommes se sucer mutuellement la queue. Voilà, je l’ai dit ; et si tu es choquée, tant pis.


Je savais que l’espoir était mince, que je risquais de plomber méchamment l’ambiance, mais comme le dit le proverbe : qui n’essaie rien n’a rien. Et j’ai lancé l’idée au milieu de la pièce.



* * *



Il aurait peut-être plutôt fallu dire la bombe. Le sourire sur leur visage a soudain disparu ; quant à leurs queues dures et bien rigides, s’il leur a fallu quelques secondes de plus, elles n’en furent pas moins affectées.


Bon, on était quand même venu pour s’amuser et je n’avais pas envie de les décevoir. Alors, tout en leur lançant une vanne sur leur virilité perdue, histoire de briser la glace, j’ai proposé que l’on passe à autre chose, persuadée que le moral des troupes avait le plus grand besoin d’être amélioré.


J’en étais donc à préparer mon numéro de cirque suivant, quand soudain, et sans que je m’y attende, Jean-Philippe a interrompu ce que je commençais à dire. Sur un ton incertain, il a alors allumé à nouveau la bombe et a lancé ces mots :



Oh, je le voyais venir, le pervers Jean-Philippe avec ses idées tordues. Bien entendu, j’ai répliqué :



J’ai compris immédiatement l’allusion : en termes plus directs, il voulait me sodomiser ! Et ça, il faut le reconnaître, c’était effectivement beaucoup me demander. (Alice, s’il te plaît, laisse-moi écrire).


Certes, je ne peux pas dire que je ne sache pas ce qu’est le plaisir du troisième type, celui qui accompagne l’orgasme clitoridien et l’orgasme vaginal. À l’occasion, Nicolas m’a donné l’opportunité d’apprécier à leur juste valeur toutes les sensations que la pénétration d’un doigt peut procurer. C’est peut-être moins intense, mais il faut reconnaître que comme accompagnement, cela n’est pas aussi inintéressant que cela.


Mais il y a quand même une différence de taille entre un doigt de 7 ou 8 centimètres, au diamètre somme toute modeste, et une queue de plus du double de longueur et d’un diamètre bien plus considérable, et ce d’autant plus que chez Jean-Philippe elle n’était pas petite, et c’est un euphémisme !


Je pense que là j’avais atteint les limites de ce que me donnait mon sentiment d’euphorie et qu’au risque de perdre tout, il fallait au plus tôt arrêter les frais et revenir au cœur du sujet. Mais il valait mieux le faire sans brusquerie. « Mmm, c’est intéressant. Mais on verra ; en attendant, j’ai envie de vous. » Et les choses se sont arrêtées là : comme quoi, dans ces matières-là, il vaut mieux savoir se contenter de ce que l’on a ; et me couchant sur le lit, j’ai commencé à me caresser les seins, histoire de faire remonter ces deux attributs virils qui avaient lamentablement sombré quelques minutes auparavant.





20. Trio pour deux flûtes et soprano : Contre-ut




Évidemment, ils ont voulu se jeter sur moi comme la misère sur le monde ; mais, bien que je n’aie pas eu à ce moment l’intention de les repousser en aucune manière, il y avait des contraintes d’ordre matériel auxquelles, quoi qu’on fasse, il était impossible d’échapper.


En effet, le lit de David, étant destiné normalement à recevoir un étudiant qu’on supposait assidu à l’étude et à la concentration, ce lit, dis-je, ne pouvait recevoir qu’une seule personne à la fois. Bien entendu, on pouvait supposer que de temps à autre, ledit étudiant puisse s’envoyer en l’air avec une (ou un) partenaire occasionnel et, après tout, en se serrant, c’était encore possible. Mais à trois, il devenait difficile de manœuvrer sans courir le risque d’un accident grave ou d’une dégradation du matériel de l’hôtel.


Il a donc fallu que Jean-Philippe s’en aille quérir son matelas (délai dont j’ai profité pour permettre à la queue de David de rivaliser avec celle de Jean-Philippe, et ce dont il m’a été reconnaissant même s’il était convaincu que ce n’était que temporaire), qu’il le dépose par terre et que nous installions le second matelas juste à côté.


Puis, enfin, je me suis couchée à leurs pieds, ai regardé, étendue sur le plancher, les mains qui d’avant en arrière parcouraient ces membres (qui, vus d’en bas, avaient l’air encore plus imposant que ce qu’ils étaient en réalité), en leur enjoignant de reprendre les travaux pratiques là où nous les avions laissés.




* * *



Ils n’ont pas compris mais enfin, comme je le leur ai demandé, ils se sont mis à genoux, l’un à ma gauche, l’autre à ma droite. J’ai alors relevé les jambes de telle façon que mes genoux soient juste devant eux, et sans l’aide de mes mains pas plus que des leurs, j’ai attrapé avec le creux de mes genoux leurs queues qui m’étaient ainsi gracieusement offertes.


Une fois toutes les pièces emboîtées, Jean-Philippe m’a félicitée pour (sic) « cette intéressante manifestation de mon imagination » que, selon ses dires experts, il n’avait jamais eu l’occasion de visionner dans aucun film documentaire consacré aux pratiques de la reproduction humaine : preuve s’il en était encore que je m’étais vraiment décarcassée pour leur trouver des idées originales et susceptibles de leur plaire.


Et à mon signal, ils ont commencé ce lent mouvement de balancier du bassin, si caractéristique de cette espèce de fêtes nocturnes qui procurent tant de bonheur à tous ceux qui y participent.



* * *



Pourquoi avons-nous si bien apprécié tous les trois cette position inédite ? Pour les garçons, c’était assez clair : d’abord, ils avaient une vision panoramique sur mon corps allongé ; en outre, le fait de se masturber dans un creux de mon genou, les mains posées sur le dessus, outre le caractère inédit de la chose et tout le fantasme qui devait en découler, tout cela leur donnait assurément une sensation assez proche de ce qu’ils auraient ressenti s’ils avaient pu à ce moment venir se plonger au creux de mon vagin.


Ceci dit, le fait que je puisse à ma volonté serrer et desserrer l’étreinte de mon genou et ainsi moduler la force du frottement devait également leur procurer ce petit je ne sais quoi qui faisait la différence.


Bien évidemment, il ne m’a pas fallu longtemps pour comprendre qu’en agissant ainsi, je redevenais progressivement, sans qu’ils s’en rendent tout à fait compte d’ailleurs, celle qui dirigeait les débats, du simple fait de la faculté qui m’était à nouveau donnée de jouer avec leur plaisir : je pouvais, au choix, les frustrer en ne les serrant pas au moment où ils montraient des signes d’impatience, ou au contraire leur offrir le bonheur de s’exciter quasi bestialement avec une partie de mon corps dont la vertu érotique leur avait été cachée jusque-là ; je pouvais aussi les empêcher quasiment de bouger en les emprisonnant fermement et en les obligeant à littéralement me défoncer la jambe pour avoir quelque chance d’en éprouver un minimum de sensations ; ou finalement, les autoriser, par faveur spéciale, à m’indiquer la pression qu’ils pensaient être la plus indiquée pour se rapprocher un peu plus près du point d’excitation idéale.


Enfin, pour moi, il y avait ce plaisir de me sentir bousculée par deux hommes en pleine excitation, sans que ces mouvements brusques, sauvages, violents et, pourquoi ne pas le dire, destructeurs, ne me donnent l’impression que les hommes qui les exécutaient aient pour objet de me défoncer sauvagement juste là où une certaine délicatesse était de rigueur. Le tout, bien entendu, sans parler du fait qu’une fois encore je me livrais entièrement à leur regard, ce qui n’était pas pour me déplaire. À mon avis, Alice, tu devrais essayer, je pense que tu apprécierais beaucoup.


Tout ceci me remit rapidement dans la course, ce dont les hommes se sont assez vite aperçus à la fâcheuse tendance avec laquelle mes deux mains se dirigeaient de plus en plus fréquemment vers mon clitoris, avec quelques détours occasionnels quelques millimètres plus loin.


Tout s’annonçait pour le mieux. Il était maintenant temps pour moi de passer à la deuxième phase de ma vengeance et cette partie-là, c’était celle dont j’attendais le plus. Et levant les jambes dans un mouvement que je voulais le plus ample possible pour mieux dévoiler encore l’objet de leur convoitise, je les ai mis debout d’une simple invitation de la main, me suis humblement mise à leurs pieds pour obtenir leur assentiment, leur ai demandé de rapprocher leurs sexes tendus ; puis, passant de l’un à l’autre, je me suis permis d’entamer une conversation suivie avec ces parties génitales offertes à mes yeux et disposées à me servir de thermomètre buccal.


Ce n’était certes pas aussi intense que tout à l’heure, dans ma chambre avec Jean-Philippe : c’était plutôt une sorte de pur plaisir cérébral dans lequel je me jouais de leur plaisir sans cesse renouvelé, sans cesse interrompu, et dans lequel je sentais bien que celui des deux qui attendait son tour s’impatientait de recevoir l’hommage de mes lèvres, tandis que celui qui en bénéficiait trouvait toujours trop court le temps du bienfaisant câlin.


Et c’est après avoir si bien exaucé les vœux auxquels aspiraient tellement ces deux hommes ainsi en mon pouvoir que je leur ai proposé d’entamer un petit jeu coquin dont je leur promettais par avance beaucoup de plaisir. Bien entendu, pouvaient-ils ne pas acquiescer, pouvaient-ils décemment s’opposer à ma requête sans faire acte d’ingratitude envers celle qui venait de si bien les servir ?


Ceci dit, pour le pauvre Jean-Philippe, je lui préparais une de ces petites merveilles d’imagination qui allait faire croître encore un peu plus son niveau de frustration, pour autant qu’une telle chose fût d’ailleurs possible ; mais, tout bien réfléchi, je pense que s’il l’avait su à l’avance, il aurait quand même accepté le divertissement que j’allais maintenant lui offrir.



* * *



Il faut dire que mon idée était assez saugrenue (mais après tout, pas plus que tout ce qui m’était déjà passé par la tête depuis cette minute où j’étais entrée dans le magasin de lingerie au cours de l’après-midi).


Toutefois, avant de te donner tout le détail de cette mise à exécution, je dois dire que, sans l’efficacité de David, j’en aurais été quitte pour me passer de ce petit chef-d’œuvre, concrétisation d’un fantasme que je cultivais depuis pas mal de temps. Comment, par exemple, avait-il fait pour obtenir ce que je lui avais demandé tout à l’heure lorsque nous étions dans les bras l’un de l’autre, dans ma chambre, et le tout en moins d’une petite heure et en plein cœur de la nuit ? Et pourtant ils étaient bien là, à ma disposition, ces liens dont j’avais maintenant à faire si bon usage (sans parler des ciseaux nécessaires pour mener tout cela à bon port) ! Et pas des cordes à ballot, du genre de celles qui irritent la peau simplement en les prenant en main : non, non, plutôt ces cordes douces et blanches, agréables au toucher. J’ai négligé de lui demander par quel tour de passe-passe il avait accompli une telle chose ; mais, à tout prendre, il valait effectivement mieux lui laisser cette part de magie et se contenter de s’émerveiller devant l’exploit réalisé.



* * *



À la vue de ces entraves, Jean-Philippe n’en menait pas large ; on le voyait bien à son petit rictus nerveux et à sa pomme d’Adam qui sautillait (mais quand même moins frénétiquement que Jack plus tôt dans la soirée). Après tout, j’avais déjà montré à plusieurs reprises que je pouvais à loisir le tenir sous mon pouvoir et, jusqu’à présent, l’occasion lui avait toujours été laissée de s’en échapper à sa guise, simplement par un refus un peu plus appuyé de sa part (ce qui, au reste, n’était jamais arrivé). Avec des cordes qui l’auraient empêché de s’enfuir, il prenait assurément le risque d’être cette fois-ci, pour de vrai et sans échappatoire possible, un pur objet de mes cogitations sadomasochistes.


Bien entendu, tu l’imagines sans mal, Alice, j’ai pris tout mon temps avant de passer à la phase concrète de mes intentions, en omettant délibérément de lui donner des explications de nature à le rassurer sur son avenir immédiat.


Évidemment, quand j’ai commencé à mettre le premier morceau de corde à la cheville gauche de David, et immédiatement après à sa cheville droite, il s’est cru épargné par mes probables délectations dominatrices. Après tout, tout à l’heure, il avait été le seul à se voir appliquer un traitement anti-barbe autour de la queue et des testicules ; il était donc logique que ce soit maintenant au tour de David d’être l’objet principal de toute mon attention du moment.


Il s’est ensuite conforté dans cette idée lorsque j’ai continué avec le poignet droit, puis le poignet gauche de son alter ego, commençant à s’amuser par avance et avec un sourire franchement pervers des tourments que je m’apprêtais à appliquer à celui qui s’était ainsi volontairement offert pieds et poings (presque) liés.


Jusqu’à ce que, me retournant et le regardant avec l’air et la voix qu’aurait adoptés sa maîtresse d’école préférée :



Et le prenant très délicatement par la main, avec toute la douceur possible, je l’ai placé tout contre David, de manière à ce qu’ils soient dos à dos, fesses contre fesses. De façon très surprenante, il n’a pas fait le moindre geste pour résister, de plus en plus curieux apparemment de voir où tout cela allait le mener.


Il a très vite compris ce à quoi il allait être soumis. Mais à tout prendre, pourquoi pas ?


Et c’est ainsi qu’attachant successivement, par les différents bouts de ficelle déjà disposés, sa cheville gauche à la cheville droite, sa cheville droite à la cheville gauche, son poignet droit au poignet gauche, son poignet gauche au poignet droit de David, consolidant le tout pour que leurs bras ne puissent plus se détacher de leurs flancs respectifs, je me suis trouvée subitement en présence d’un animal pour le moins bizarre mais qui avait pour lui une originalité fascinante : d’une certaine façon, ce n’était plus seulement avec deux hommes que je faisais l’amour, mais bien avec un être hybride, comme ceux de la mythologie grecque.


J’en avais vaguement eu l’idée tout à l’heure, mais ce que je voyais là, à peine un mètre devant moi, produisait même un effet auquel je ne m’étais absolument pas attendue : c’était jouissif au possible, il n’y avait pas d’autres mots : des siamois, des siamois collés par le dos, et manchots de surplus !


Tu imagines le fantasme, Alice ! Pour la première fois de ma vie, j’allais enfin résoudre ce qui était pour moins un si grand mystère : la façon dont des frères siamois s’y prenaient pour faire l’amour à leur(s) épouse(s).



* * *



Et manchots, mes deux compères ne l’étaient pas que par l’absence de bras, ils l’étaient aussi par la démarche.


Leur première tentative de se mouvoir en coordonnant leurs pieds les avait en effet quasiment fait tomber sur le sol et, devant l’inanité de ces efforts, ils avaient finalement renoncé à tout déplacement. Bref, deux hommes complètement livrés à mes caprices, totalement soumis à ma libre appréciation, j’avais bien l’intention d’en profiter, tu peux m’en croire, Alice !


Tout d’abord, je me suis mise à tourner autour d’eux, en laissant mon doigt traîner sur leurs corps (ou plutôt sur leur corps, au singulier, tellement ils avaient l’air soudé, fusionnel même), en chantant en boucle la petite ritournelle enfantine du renard (tu sais : « Ne regardez pas le renard qui passe, regardez seulement quand il est passé. »).


Bien évidemment, le doigt en question pouvait tout aussi bien passer sur le visage, la poitrine, le nombril, ou s’attarder quelques secondes sur leurs parties génitales, prêtes à subir toutes les manipulations possibles et imaginables.


Et puis, le doigt a progressivement été remplacé par toute ma main, voire mes deux mains : j’ai pris alors un malin plaisir à me placer devant chacun d’eux, alternativement, en prenant bien tout mon temps pour leur secouer la queue quasi suppliante ou de leur caresser les couilles (peu chatouilleuses à ce moment-là sur la question d’honneur), m’arrêtant aussitôt que le plaisir commençait à transfigurer de façon trop manifeste leur si charmant visage. Parfois enfin, je renonçais à les toucher et je leur accordais alors le grand privilège de pouvoir constater en live qu’en cas de besoin, la femme qu’ils avaient ainsi sous les yeux savait également se satisfaire d’un plaisir purement solitaire.


Bien entendu, tu t’en doutes aussi, je me suis arrangée pour répartir à raison de 60/40 tous ces petits plaisirs tactiles et visuels, proportion nécessaire pour que Jean-Philippe perçoive la petite différence de traitement, proportion indispensable aussi pour qu’il ne puisse pas invoquer la discrimination sans risquer d’être accusé de mauvaise foi.


Ceci dit, je sentais bien qu’il commençait à l’éprouver, cette légère frustration et, va-t-en savoir pourquoi, dans une sorte de flash, j’ai tout à coup pensé au premier épisode des aventures de Harry Potter, tu sais, celui où on découvre à la fin que Voldemort est caché dans l’arrière de la tête du magicien Skirell : en quelque sorte, Jean-Philippe, c’était Voldemort frustré de devoir passer par le corps de David-Skirell pour pouvoir profiter des bonnes choses de la vie, c’était Celui-dont-tu-m’as-dit-que-je-ne-pouvais-pas-prononcer-le-nom (rappelle-toi : le gros balourd de la salle de bains…). (Après ça, je t’autorise à me dire que j’ai l’esprit vraiment tordu !)



* * *



Certes, je m’amusais beaucoup ; certes, les garçons avaient l’air d’apprécier énormément leur situation ; mais l’heure tardive (et bientôt matinale d’ailleurs) imposait que nous entamions maintenant le ballet final. Après tout, depuis que tout cela avait commencé, je n’avais encore eu l’occasion de permettre à Jack et à son semblable de faire le tour du propriétaire, et j’en éprouvais maintenant moi-même un sentiment croissant de manque. Mais, quelle que soit mon impatience de goûter ma part du festin, il fallait au préalable que je mène à bon port la deuxième phase de la petite vengeance.


Oh ! Mais c’est vrai, je ne t’ai pas dit. Oh ! Excuse-moi, Alice, je vais tout t’expliquer.


Voilà : quand les deux garçons ont quitté ma chambre tout à l’heure, je me suis promis de faire payer à Jean-Philippe tout ce qu’il m’avait fait subir et même, si possible, de lui faire payer tous ses affronts au-delà de ce qu’il m’avait fait subir. Rappelle-toi : il m’avait menti sur le fait qu’il était venu en costume d’Adam me présenter ses hommages ; il avait voulu m’abandonner en plein désarroi et n’y avait renoncé finalement que parce qu’il ne pouvait se passer de David ; enfin, il avait méchamment sali ma salle de bains. En gros, c’était 3-0 à la mi-temps.


En venant ici, j’avais déjà réduit l’écart à 3-1 en l’écartant astucieusement de la phase active de mon premier orgasme. Et présentement, en l’attachant ainsi à David, je m’apprêtais à tirer droit au but et à me rapprocher un peu plus de l’égalisation.



* * *




Et sur ce, je me suis enquise de rechercher l’instrument du hasard.


Il ne me fallait pour cela qu’une livre sterling, que j’ai trouvée prête sur le bureau de David. Je me suis ensuite approchée de Jean-Philippe, l’ai regardé droit dans les yeux en lui demandant si par hasard, parmi les huit filles dont il m’avait parlé tout à l’heure, il n’y avait pas une Elisabeth, une Elise ou une Elisa, ce à quoi il m’a répondu négativement, non sans avoir au préalable pris quelques secondes de réflexion.



Commencer quoi ? Cela, ils ne le savaient pas encore, mais ça n’allait pas tarder.


J’ai lancé donc lancé la pièce devant Jean-Philippe, suffisamment loin en avant pour qu’il ne puisse voir le résultat du tirage au sort et, oh what a surprise ! ce fut David qui fut choisi par le hasard toujours impartial. Bien sûr, je te laisse, Alice, le soin de déterminer comme une grande si ce fut vraiment le destin ou bien une main pas tellement neutre et pas si innocente que cela qui a finalement conduit à ce résultat.


J’ai ensuite commencé à dénouer les cordes qui les maintenaient par les chevilles et, donnant autant que possible l’impression que j’improvisais sur le moment, j’ai retenu le geste d’en faire autant pour les poignets en ajoutant avec une touche de perversion lascive dans la voix :



Jean-Philippe, qui s’était dit que cette fois-ci, c’était enfin la bonne, n’a rien dit ; mais il commençait, je le voyais de plus en plus nettement, à la trouver un peu longue.


Alors, leur tournant le dos, je me suis appuyée, les mains sur le bord du bureau, puis me suis penchée en avant tout en écartant les jambes, et adoptant un ton à la fois impératif et implorant, j’ai lancé ces mots à l’attention de David :



Et avant de lui donner le vrai signal du départ, j’ai quand même ajouté :



Le fait d’avoir libéré leurs membres inférieurs donnait évidemment à ce couple hors normes une bien plus grande mobilité qu’auparavant. Mais enfin, ce n’est quand même pas l’idéal pour courir le cent mètres.


Aussi, il leur a fallu un certain temps, d’abord pour faire le demi-tour qui allait permettre à David de brûler la priorité à son double dorsal, ensuite pour se rapprocher de moi sans se prendre un billet de parterre.


De plus, une fois arrivés à la distance réglementaire pour procéder à la rencontre Apollo-Soyouz, le problème n’était pas encore totalement résolu, puisqu’il fallut encore parachever l’alignement des instruments d’amarrage dont l’un n’était pas dans l’inclinaison requise. Alors, prenant l’initiative, j’ai recouru à la bonne vieille procédure manuelle et ai dirigé comme il le convenait le tube d’accroche dans la cavité de réception.



* * *



Hou là là ! Non, rien à faire : il faut absolument que je laisse mes doigts continuer à faire leur boulot sur le clavier de mon ordinateur parce qu’ici, Alice, je dois te le dire sans détour : j’ai presque envie de les envoyer se promener en dessous de ma table, juste pour me donner l’illusion de revivre un peu de ce moment-là. Excuse-moi, je continue.


Une fois entré en moi, j’ai eu l’impression, comment dire, c’est difficile à exprimer avec des mots, des bouffées de chaleur comme celles-là. Et puis zut, après tout, c’est peut-être mieux de ne pas essayer de décrire le flot de douceur qui m’a d’abord envahie : tu es une femme comme moi et je suppose que nous ressentons toutes la même chose quand notre vagin reçoit la visite d’un sexe d’homme.


Mais il y avait quand même ici un petit quelque chose de différent : au début d’abord, David a eu du mal à me pénétrer jusqu’au bout. On peut comprendre : il était accroché à Jean-Philippe, et le mouvement de son bassin était grandement entravé par l’immobilisme de celui de Jean-Philippe.


Mais après quelques secondes, c’est devenu plus violent : Jean-Philippe, après quelques moments d’incompréhension, est entré en résonance avec David et, comme un seul homme (si je puis dire), ils ont adopté le rythme idéal pour me faire progressivement monter vers le chemin qui conduit aux sphères étoilées.


Quant à ma jouissance, certes, elle était avant tout due aux caresses internes que me procurait la queue de David ; il n’empêche, la violence relative avec laquelle il allait et venait en moi était aussi (et même en grande partie) due aux coups de fesses que Jean-Philippe ne cessait de fournir, ayant d’une certaine manière, je le supposais du moins, le sentiment qu’il me fouillait le vagin par une sorte de procuration.


Combien il a dû se réjouir de la perspective que bientôt ce serait son tour ; combien il a dû s’impatienter du retournement du binôme ; et combien de mon côté je me plaisais à l’avance de savoir que mon corps lui refuserait ce bienfait !


Ce sentiment exaltant qu’en ce moment même j’étais en train, moi, de le baiser sur toute la ligne, me confirma dans l’idée que l’écart entre les deux équipes n’était plus maintenant que d’un petit but et qu’il ne me faudrait plus très longtemps, non seulement pour égaliser, mais même pour prendre un avantage décisif. Pour y parvenir, il était absolument nécessaire que je renonce à court terme au plaisir qui montait lentement mais sûrement en moi (ainsi que, je l’entendais bien à ses gémissements, chez David), pas uniquement pour éviter une naissance non désirée neuf mois plus tard mais aussi parce que, désormais, il était vraiment temps de remettre la balle en jeu et de profiter de l’état de détresse psychologique de l’adversaire.


Aussi, avançant avec contrecœur pour m’éloigner de ce qui m’apportait tellement de satisfaction intérieure, j’ai abandonné à son seul propriétaire le bâton de jouissance et me suis préparée pour la dernière étape dont je me félicitais déjà des délices qu’elle allait me faire vivre.




21. Trio pour deux flûtes et soprano - furiosissimo




Et c’est ainsi que quand le tour de Jack fut enfin venu, quand il allait bénéficier à son tour du droit d’hospitalité qui lui avait été si souvent promis mais toujours refusé, quand il allait ainsi répondre à l’appel du devoir et satisfaire à sa fonction première, c’est à cet instant précis que j’ai mis en marche la machination diabolique qui allait définitivement le mettre hors-course.



* * *



D’abord, il fallut donner à son maître l’impression que la suite des événements, détaillés dans le scénario que je m’étais concocté, n’étaient que le résultat de décisions improvisées. Et là, il faut le reconnaître, en cette matière, nous, les femmes, nous disposons d’un avantage considérable sur ces hommes tellement naïfs.


Aussi, tout en gardant pleinement conscience de la finalité de mes dires et de mes actes, je me suis ruée frénétiquement sur les cordes qui maintenaient encore scotchés les dos et les mains de ces deux braves garçons, en proclamant avec un souffle rauque dans la voix :



Bien entendu, ce crétin de Jean-Philippe ne s’est pas rendu compte qu’il passait ainsi son tour (quand je te disais qu’ils étaient naïfs).


Comme un seul homme, ils se sont évidemment mis en demeure d’éteindre l’incendie avec leurs lances dressées mais aussi, assez paradoxalement, avec beaucoup de flammes dans les yeux. Je me suis placée entre les deux (comment dit-on déjà : en sandwich, c’est ça ?) et alors que Jean-Philippe, devant moi, allait s’apprêter à arrimer le tout pour un voyage au long cours, j’ai lancé par-dessus bord l’ancre qui a immobilisé net ce magnifique cuirassé et son terrible canon :



Et c’est là que cela devenait véritablement diabolique, parce que ces fameux anti-bébés, aucun de mes deux fringants prétendants ne savait où ils se trouvaient exactement !



* * *



Le plan était véritablement parfait et aujourd’hui encore je me félicite de l’ingéniosité que j’ai déployée pour en arriver là.


Évidemment, ils se sont arrêtés net (c’est bien le droit d’une femme d’exiger un préservatif et le devoir d’un homme de le fournir) et ils ont bien dû se rendre à l’évidence : d’abord, David, s’étant en quelque sorte invité à la fête à la dernière minute, n’avait évidemment pas envisagé l’acquisition de ces petites choses tellement utiles.


De mon côté, j’aurais très bien pu mentionner le fait que j’avais prononcé deux mots en anglais juste après mon passage à la boutique de lingerie et que – miracle ! – on les avait très bien compris ; mais faire cela, c’était in fine renoncer à tout ce que à quoi je me préparais depuis plusieurs heures. Ne restait donc plus que la petite boîte avec laquelle Jean-Philippe était venu en début de soirée et que – vraiment pas de chance ! – il avait oubliée lors de son retour quelque peu précipité.


Ça y est : tu m’as comprise ! Pour continuer, il fallait aller la chercher, cette petite boîte, et devine à qui j’avais bien l’ambition de confier cette mission : à Jean-Philippe, bien entendu ; et… et… oui, c’est ça : tu m’as également très bien comprise : pas n’importe comment : uniquement à poil, comme l’avait fait avant lui le vaillant David, comme l’avait fait avant lui celle qui manifestait un feint agacement devant ce contretemps prétendument fâcheux. Faut-il enfin te dire que, pour le coup, David avait bénéficié d’un délit d’initié et qu’il allait m’aider à parachever la punition que subissait maintenant de plein fouet le gros balourd de la salle de bains ?



* * *



Tous les arguments y sont passés : d’abord, et tout naturellement, il a voulu se passer un vêtement quelconque pour gravir les deux étages et revenir au grand galop parachever cette grande et mémorable virée nocturne ; mais, rien à faire, je m’y suis farouchement opposée. Non seulement je lui ai fait remarquer que ça manquait quand même de panache, qu’après tout c’était une occasion de me raconter enfin l’histoire d’une réelle déambulation nocturne et pas une histoire inventée de toutes pièces ; enfin, que si David et moi l’avions fait auparavant, il n’y avait pas de raison pour qu’il ne le fasse pas aussi.


De toute façon, ma résolution était prise : au pire, s’il n’avait pas voulu, j’aurais de toute façon égalisé à 3 partout. Mais j’avais vraiment envie d’aller la chercher, ma victoire, par amour-propre. Et finalement, yes, il a craqué devant ma voix suppliante, mes seins accrocheurs et mon sexe toujours aussi prometteur (et des promesses, il lui en avait déjà tellement faites, ce sexe ; j’ai même renoncé d’ailleurs à en faire le compte).


C’était maintenant quasiment dans la poche : je ne pouvais plus que gagner : l’adversaire venait de faire bouger la pièce qui m’empêchait de conclure la partie sur un magnifique échec et mat.



* * *



Évidemment, avant de partir, il s’est mis à tourner un peu en rond, à se donner du courage, à rire (un peu nerveusement quand même) par avance de ce qui pourrait bien lui arriver ; autrement dit, il a enfin vécu tout ce à quoi j’avais pensé plusieurs heures auparavant (même le débandage entre les jambes !). Et prenant un grand coup de respiration, il a franchi la porte de la chambre, puis celle du petit couloir avec la lampe de secours (non sans regarder une petite fois vers la porte de sa chambre), et il est sorti.


Nous étions maintenant David et moi les seuls habitants de cet endroit plein de charme. Je pouvais maintenant faire l’amour avec celui que je m’étais choisi. Je me suis donc enlacée dans ses bras, l’ai fougueusement embrassé sur la bouche et nous avons roulé sur le double matelas posé sur le sol.



* * *



Tu m’excuseras, Alice, si ici je me trouble et que j’ai bien du mal à trouver les mots justes.


Mais que veux-tu, ici, et contrairement à tout ce qui s’était produit jusqu’alors, ici, il ne s’agissait plus de lubricité, de domination, de manipulation, de fornication en un mot, mais c’était effectivement beaucoup plus proche de ce qu’on appelle une envie d’amour.


Et malgré les 46 ou 47 mille mots qui précèdent, malgré toutes les descriptions plutôt scabreuses que sans honte je me suis permis d’étaler dans ce récit de mes vacances, malgré l’absence de toute pudeur qui m’a conduite à me mettre perpétuellement nue des pieds à la tête devant ces garçons continuellement aguichés par mes si belles courbures corporelles, malgré tout cela, je dois néanmoins reconnaître que j’aurais souhaité conserver ici un tout petit coin de jardin secret.


Ceci dit, j’estime que malgré cette retenue, je peux quand même te faire part de bien des choses, sous réserve toutefois qu’a contrario de ce que j’avais montré jusqu’ici, il s’agissait bel et bien d’un partage sentimental avant d’être un partage sexuel, même si pour des yeux non avertis, probablement, la différence n’a pas dû être aussi flagrante qu’elle ne l’a été pour moi (et, je l’espère, mais va-t-en savoir, pour David aussi).



* * *



J’avais tellement envie qu’il me fasse des tas de choses, des choses qui, en raison des circonstances, avaient été continuellement reportées et n’en devenaient que d’autant plus désirables. Aussi, me mettant à genoux au-dessus de son corps couché, me positionnant résolument au-dessus de son si beau visage, j’ai offert à ses pupilles dilatées la partie la plus ostréicole de mon corps de femme, étant assurée que le plaisir des yeux était indissociable ici du plaisir de la bouche.


Certes, il ne lui fut donné de goûter qu’à une seule huître au lieu de la demi-douzaine requise pour un tel plat ; certes, la coquille n’était pas là pour rehausser la beauté de la chair ; certes, ni le poivre ni le citron n’étaient disponibles en accompagnement ; mais à côté de cela, que d’avantages : l’huître unique était belle à croquer, goûteuse, vivante, luisante et palpitante d’envie ; elle était dans un écrin de peau qui valait bien mieux que toute les coques protectrices du monde ; à défaut du citron, elle embaumait le parfum enivrant de cyprine ; enfin, toutes ses parties, sans exception aucune, étaient comme des invitations au voyage gastronomique. Aussi, ce fut avec une bouche avide que David entreprit de gober ce muscle érectile, de le passer entre ses lèvres et de s’humecter les bords de la bouche une fois que, par le jeu de sa langue habile, il a eu fini d’entreprendre une première fois l’examen de l’ensemble des autres organes de cet animal, généralement si bien caché au regard des hommes.


La musique persane n’était plus requise, mon deuxième orgasme allait se présenter sous les allures les plus naturelles qui soient.


Et, c’est en cet instant de haute cuisine, digne des finalistes de Top Chef, que la porte de la chambre s’est ouverte dans mon dos, laissant apparaître un Jean-Philippe au visage défait et à l’air totalement hébété !



* * *



« Et merde ! Encore lui ! me suis-je dit en moi-même, en essayant de ne pas trop le laisser paraître. Il a encore eu peur ou quoi ? »



Je me doutais bien de la réponse, mais je devais quand même lui poser la question.



J’avais beau être dans une position pour le moins scabreuse, avec un David à la limite de l’asphyxie, mais là, alors là, excuse-moi Alice, ça a été plus fort que moi : je me suis enfilé un fou-rire que je ne te dis pas ! Pour être con, il était vraiment con ! Il n’était pas blond pour rien, celui-là. Ceci dit, tout en étant secouée par des soubresauts pas très bien contrôlés, je lui ai montré la clé sur la table de nuit.



Et moi de lui répliquer :



Ma phrase lui a fait l’effet d’un électrochoc : sans demander son reste, et sans oublier la clé cette fois, il est reparti en courant, s’il te plaît, et sans quasiment prendre attention aux risques qu’il courait dans ce couloir, son pas lourd ne laissant pas de doute sur le rythme rapide qu’il avait décidé d’adopter.



* * *



Moi, en tout cas, je n’avais aucune inquiétude : des préservatifs, il n’en trouverait aucun dans mon appartement ! Les deux boîtes qui s’y trouvaient, je les avais précédemment bazardées par la fenêtre (oui, je sais, on appelle un tel comportement une incivilité : je n’en suis vraiment pas fière, mais je n’avais pas vraiment le choix), et il aurait beau chercher une heure, deux heures ou une journée entière, il reviendrait complètement vadrouille de la cueillette qu’il s’en était allé faire.


J’avais estimé qu’il lui faudrait dix bonnes minutes pour chercher, dix minutes pour chercher à nouveau et s’énerver, et enfin deux minutes pour revenir déconfit près de nous, nous signaler l’échec de sa mission et envisager éventuellement une solution de rechange.


C’était vraiment horrible ce que je lui faisais là, mais rien à faire, comme je te l’ai déjà dit : ce qu’il y a de plus terrible en amour, c’est la vengeance d’une blonde. Et moi, j’avais envie de la consommer jusqu’au bout, cette vengeance, non seulement en ne lui permettant pas d’effectuer l’insémination qu’il s’acharnait à vouloir me prodiguer, mais aussi – et surtout – en le lui faisant bien comprendre par l’exhibition d’un orgasme ravageur et définitif dans lequel il n’aurait pris aucune part. Je voulais qu’il me voie secouée du spasme nerveux que génère la tension d’un tel moment et qu’il se rende compte que, par son attitude, il avait perdu un peu plus peut-être que ce qu’il ne considérait que comme un « bon coup ».


Bref, j’attendais son retour pour atteindre l’acmé de cette nuit exceptionnelle et, tu dois bien t’en douter, je ne l’attendais pas avec beaucoup d’impatience, ce retour ; au contraire, je souhaitais qu’il ne vienne que très tard, le plus tard possible même.



* * *



Mon Dieu, quand je me reporte à tout ce que nous avons vécu, David et moi, dans cet intervalle de temps assez court, quand j’y repense ! Comme je te l’ai dit, c’était bien de l’amour physique, c’est vrai, mais il était sublimé par ce sentiment d’amour qui a permis de transformer ce qui n’est finalement qu’une banale histoire de cul en un épisode romantique à faire pâlir de jalousie tous les poètes maudits du XIXème siècle. Nous étions dans un autre monde, un monde où il n’y avait que nous deux.


Je n’ai vraiment pas envie de transformer ces instants magnifiques en une sordide histoire de sexe. Alors, s’il te plaît, Alice, permets-moi de ne pas suivre la ligne de conduite que je me suis tracée jusqu’à présent, et permets-moi, par bonté d’âme, de recourir à ce truc imbécile des films « convenables », autrement dit de refermer la porte sur ces deux amants dans les bras l’un de l’autre, de faire un petit bond temporel te permettant de te livrer à toutes les supputations possibles, et de me retrouver au moment précis où j’ai dit à David :



Et sans me départir, j’ai mis le doigt dans mon anus à la recherche de ce qui nous manquait pour entrer ensemble dans ce qu’on appelle la petite mort. Que veux-tu : il m’arrive en effet d’avoir parfois des idées vraiment perverses, et celle-là c’en était vraiment une ! Mais comme on dit, une fois n’est pas coutume.


Ce fut plus difficile que prévu : si l’introduction de ce préservatif n’avait posé aucun problème (c’était un peu comme un suppositoire), l’en extraire s’avéra par contre beaucoup plus complexe : rien à faire ; avec un seul doigt, il n’était pas possible de l’attraper, mais introduire deux doigts était particulièrement douloureux. Franchement, c’était la plus mauvaise idée que j’ai eue de toute la soirée et, à tout prendre, sois sûre que je ne le ferai plus. En fin de compte, c’est David qui a dû intervenir ; et alors que ça devait ajouter une touche plus épicée à nos ébats, cela a plutôt contribué à casser l’ambiance.


Mais ne t’en fais pas trop, cela n’a pas eu pour conséquence d’atténuer notre envie réciproque et, une fois le précieux sésame sorti de son emballage et sagement posé tout autour de la queue de David, je me suis assise sur lui, résolument face à la porte, me suis mise à entamer le lent mouvement de piston annonçant l’emballement à terme de la machine à vapeur et, tout en appliquant autant que possible le précepte d’Horace (tu te souviens : Carpe Diem, ou plutôt Carpe Caudam), j’ai savouré la montée progressive de ce plaisir, tout en me persuadant que Jean-Philippe allait se présenter devant moi dans quelques secondes, constatant définitivement qu’il était battu par beaucoup plus forte que lui. « Tiens bon, tiens bon… me disais-je à moi-même ; ralentis l’allure, il va être là d’un moment à l’autre. »


C’est après avoir refoulé une troisième fois l’envie de mettre un terme à cette course éperdue vers les plus hauts sommets de l’Olympe que j’ai entendu la porte du couloir s’ouvrir, que j’ai vu Jean-Philippe entrer, constater l’état d’avancement du chantier (ainsi que la présence du préservatif) et s’apercevoir qu’il avait été joué et manipulé sur toute la ligne.


Dans ces yeux, la révolution de 1789 de tout à l’heure a fait alors place à la soif de sang des sans-culottes (expression historique on ne peut plus adéquate) de 1793 ; mais de tout cela je m’en fichais totalement : l’orgasme était désormais irréductible, le bivalve allait bientôt se refermer pour longtemps et rien ne pourrait désormais permettre à Jack de découvrir encore les trésors engloutis au fond de ma caverne secrète. J’ai alors poussé David à ne plus hésiter, ai fermé les yeux et ouvert la bouche pour crier mon bonheur, ai regardé comme je le pouvais les effets de la rage chez Jean-Philippe (qui, de plus, le con, se masturbait en nous regardant !) et n’y tenant plus, je suis partie à 200.000 kilomètres à l’heure quelque part entre Mars et Jupiter.


C’était fait : 4-3 ! Je t’avais vaincu, Béotien et tu ne pouvais plus désormais m’enlever ce que j’avais pris, ni attendre de moi que je m’abaisse à revenir sur terre pour te permettre de t’élever, même de quelques centimètres.



* * *



Alice, connais-tu par hasard le (très bon) film Millon Dollars Baby de Clint Eastwood ? Si tu ne l’as jamais vu, disons pour faire court que c’est un film où l’héroïne est une boxeuse (une femme qui fait de la boxe, quoi). La fin en est très triste parce que, négligeant les consignes de son entraîneur, elle se retourne pendant un combat, reçoit un coup de poing dans la colonne vertébrale et se retrouve comme une plante verte. Eh bien, ici, c’est un peu ce qui s’est passé.


Non pas que je sois devenue une plante verte : là où j’en étais, j’étais plutôt une sorte d’esprit libre, en suspension dans l’air, quelque part entre Mars et Jupiter, comme je te l’ai dit. Mais j’aurais dû en effet surveiller mes arrières. Là-haut, si loin de tout, j’ai tout à coup été assaillie par une pluie de météorites, il n’y a pas d’analogie mieux adaptée à mon cas.


Rappelle-toi : si mon âme était loin, mon corps était resté bien calé, bien immobile, bien tendu au-dessus de celui de David : de ce côté-là, c’était vraiment parfait. Mais en face de nous se trouvait le gros balourd qui, si tu te rappelles encore, avait compris toute l’histoire.


Ne va pas croire qu’il m’a sauté dessus, qu’il m’a giflée, que même il m’a insultée avec toute la gauloiserie dont nous le savons parfaitement capable. Non, même si ce qu’il a fait relève d’une catégorie finalement moins grave que tout cela (bien que…), il faut bien reconnaître que c’était un peu comme s’il avait lancé son lasso à travers les cieux, m’avait attrapé le pied et m’avait attirée vers lui. Certes, j’étais toujours en apnée, moins haut peut-être qu’il y a quelques secondes à peine, entre la Terre et Mars par exemple, mais la chute (même partielle) n’en avait pas moins eu lieu ; mais ce qui va probablement te sembler le plus étrange, c’est que dans ces hauteurs éthérées, je n’étais plus aussi seule : non seulement j’y voyais mon compagnon de (très) bonne fortune, David ; mais juste à côté de nous, flottait, les ailes dans le dos, celui qui avait plus ou moins essayé de nous suivre comme il le pouvait.


Si tu n’as toujours pas compris ce qui s’est alors passé, laisse-moi recourir à la brutale explication matérielle, celle qui ne laissera plus aucun doute dans ton esprit : celui que j’avais en quelque sorte humilié en jouant ainsi avec ses pieds, celui qui n’avait en tête que de se venger du tour que je venais de lui infliger, eh bien, il a mis en œuvre sa résolution, avec une conviction redoublée encore : il l’a concrétisée en propulsant quelques millions de spermatozoïdes à la conquête de mon si beau visage (et, compte tenu de la quantité éjectée, je pouvais bien m’estimer heureuse que ce fût sa seconde éjaculation de la soirée !) ; et c’est cet événement fâcheux qui expliquait la faramineuse descente orbitale dont mon esprit venait d’être l’objet.


Dois-je vraiment te dire que, même si je n’ai pas apprécié d’avoir du sperme sur le visage (heureusement que mes yeux étaient fermés d’ailleurs), j’ai encore moins goûté (sans mauvais jeu de mots) d’avoir dans la bouche quelque chose qui tenait à la fois du blanc d’œuf salé et du vinaigre, sans parler d’une odeur un peu écœurante qui s’apparentait à de l’eau de Javel. Quand je pense que certaines femmes apprécient (enfin, c’est ce que j’ai entendu dire), je m’en étonne, à moins de supposer qu’il y a autant de goûts différents qu’il y a d’hommes (ce dont je doute aussi). Ceci dit, il faut quand même aussi le dire : après tout, je n’avais que ce que je méritais, et cette punition, je n’avais pas à dire qu’elle m’avait été injustement infligée.


Je dus également m’incliner devant un autre fait incontestable : c’est qu’en prenant finalement son plaisir d’une façon aussi soudaine, aussi imprévue par moi et en quelque sorte à mes dépens, Jean-Philippe venait de réaliser l’exploit d’égaliser dans les ultimes arrêts de jeu : comme ne pas lui reconnaître effectivement que le score final s’établissait désormais à 4 partout ? Pas de vainqueur, pas de vaincu ; somme toute, nous étions des adversaires qui s’étaient mesurés avec toute la dignité qui sied à leur rang, et qui s’étaient neutralisés. Il ne restait plus, comme dans les grandes compétitions, qu’à nous serrer la main en signe de respect mutuel, tout en nous félicitant l’une et l’autre d’avoir marqué tant de buts et d’avoir proposé une partie plaisante et si pleine de rebondissements.


Voilà, Alice, si tu veux revenir, tu le peux. Je m’en retourne maintenant dans le genre de films qu’on qualifie de « convenables ».





22. Trio pour deux flûtes et soprano - morendo




Que te dire de ce qui s’est ensuite passé, Alice ? Décrit-on le retour en voiture lorsqu’on a quitté la salle de concert ; parle-t-on de la corvée de vaisselle quand les convives sont partis ; parle-t-on du silence de la nuit une fois que le feu d’artifice est terminé ? De même, évoque-t-on généralement ce qui se passe une fois que l’orgasme a été atteint ?


Et pourtant, Alice, laisse-moi te le dire : même si ce qui a suivi a dû sembler terriblement banal (n’avoir aucun intérêt même) pour un spectateur virtuel, combien ce qui se passa après cette ivresse sauvage des corps m’apparaît encore aujourd’hui comme un moment magique, qui d’une certaine façon surpasse en félicité tout ce qui a précédé, un moment de douceur et de tendresse extrême comme je n’en avais jamais ressenti depuis longtemps, depuis Nicolas en fait.


Une fois tous les trois couchés sur les matelas à même le sol (et, en ce qui me concerne, une fois la plus grande partie de cette substance poisseuse enlevée de mon visage au moyen du drap de lit à portée de ma main), nous étions, ça c’était certain, chacun sur notre petit nuage blanc et ouaté, en état de quasi-déconnexion corporelle. Les deux garçons étaient l’un à ma gauche, l’autre à ma droite, et je me plaisais à caresser délicatement, sans risque pour moi, leurs sexes devenus maintenant si malléables, si humbles et, pour tout dire, si faciles à enfermer dans les paumes de mes mains. Nous respirions tous d’un souffle qui ne cachait rien de notre béatitude commune, souffle de temps à autre entrecoupé d’un remerciement adressé par David ou Jean-Philippe à celle qui les avait soulevés si haut.


Bien évidemment aussi, comme cela arrive la plupart du temps lorsqu’un homme vit avec intensité tout ce que l’amour physique peut lui apporter, ils n’ont pu s’empêcher d’approfondir leur état de transcendance sans sombrer corps et âme, au cours du quart d’heure qui a suivi, dans un sommeil lourd, justifiant si bien l’appellation de petite mort.


Quant à moi, et même s’il m’a fallu un peu plus de temps, à moi qui avait donné libre cours pendant toute la nuit à de profondes tendances dominatrices que je ne me connaissais pas, c’est finalement avec soumission que j’ai accepté l’invitation que me faisait Morphée, et que je les ai rejoints dans ce voyage hors du temps, hors du lieu, hors de tout.


De quoi ai-je bien pu rêver ? Probablement de rien, mais qu’importe : ce que je venais de vivre était, à n’en pas douter, une expérience bien plus riche, bien plus enivrante que le plus beau songe qu’un humain ait jamais reçu des dieux depuis l’aube de l’humanité.



* * *



Ce fut la lumière du jour qui nous réveilla, moi la première (sous réserve du fait qu’un des garçons s’était levé pendant la nuit pour nous recouvrir des édredons dispersés entre les deux chambres de l’appartement). Quelle heure était-il ? Je n’en savais rien, et pour tout dire, il était de toute façon toujours beaucoup trop tôt.


Moi, comme la princesse charmante entre Blanc-Neige et le Beau au bois dormant (désolé pour la confusion des genres, je n’ai pas pu m’empêcher de penser cela en ce moment précis), il me suffisait de poser sur leur joue un petit baiser pour les faire revenir à la vie ; eux, dont les sexes me firent alors penser (non sans que je rigole intérieurement d’ailleurs à cette association d’idées pour le moins saugrenue) aux créatures endormies du livre d’enfants Max et les maxi-monstres, à la fois si sages lorsqu’ils sont assoupis et tellement prêts à me (re)dévorer si je faisais mine de trop fraterniser avec eux.


C’est Jean-Philippe qui fut le premier des deux à revenir de son si long voyage ; lui aussi a voulu prolonger un peu le bonheur d’être là et, m’ouvrant les bras et me dégageant sa poitrine, il m’a proposé d’y déposer la tête, invitation à laquelle je n’ai aucunement fait mine de résister. Puis ce fut le retour de David qui, collé contre mon dos, a entouré ma taille de son bras, mon sein de sa main, me donnant ainsi l’occasion d’être bien, là où – je le sentais – il ne me serait plus jamais possible de retourner par la suite.


Aucun des deux n’a eu la mauvaise idée de me mentir (et de se mentir en même temps) en me disant les mots « Je t’aime » ; aucun des deux n’a eu non plus la mauvaise idée de gâcher l’instant en me balançant un brutal « C’était bon, hein ! » ou encore un humiliant « Alors, heureuse ? » ; aucun des deux, enfin, n’a commis l’erreur de vouloir resservir les plats ; au contraire, chacun leur tour, et avec un air de complète sincérité, ils m’ont offert le plus beau cadeau qui pouvait m’advenir ce matin-là en me remerciant par un sourire dont, aujourd’hui encore, je garde l’image gravée bien clairement dans mon esprit.



* * *



Et puis, et puis, il a bien fallu séparer ce qui ne devait pas être séparé, il a bien fallu recommencer à parler, à bouger, il a bien fallu se lever. Il a bien fallu s’habiller (enfin, pour ce qui me regardait, j’ai dû attendre, cachée sous les draps, que David revienne avec des vêtements plus traditionnels que la robe bleue de la reine de la nuit), se laver (surtout moi d’ailleurs, compte tenu de l’espèce de croûtes laiteuses sur le dessus du menton et sur la joue gauche, que je distinguais dans le miroir), il a bien fallu descendre manger.


Le retour à la réalité ne fut pas trop violent, enfin à ce moment-là en tout cas. Mais nous étions bien conscients que le dénouement de notre relation tellement particulière était proche, beaucoup trop proche. Nous avions tous les trois conscience (bien trop conscience, pour tout dire) d’avoir vécu une expérience unique : seule différait finalement la manière propre à chacun de nous de réagir à l’idée que le manège enchanté entamait déjà son tout dernier tour : Jean-Philippe et moi montrant une jovialité probablement perçue comme insolente pour les touristes qui partageaient la même table que nous ; David montrant au contraire une sorte de tristesse mélancolique qu’il s’efforçait tant bien que mal de cacher sous un léger sourire forcé.


Ma chambre devant être libérée à 10 heures 30 (sous peine de devoir payer un supplément de 20 livres), Jean-Philippe et David ont fait le transfert de tout ce qui s’y trouvait vers la leur, notamment les deux robes dont ils n’avaient pas eu (et n’auraient jamais) la chance d’apprécier combien elles m’allaient si bien (ceci dit, ils ont pallié sans trop de mal cette déception en me démontrant que dans ce domaine, l’imagination n’a vraiment aucune limite !), sans oublier non plus le préservatif que Jean-Philippe avait négligemment oublié dans la salle de bains.


Nous avons encore plané ainsi pendant la fin de la matinée et tout l’après-midi, nous tenant tous les trois par la main sans trop nous poser de questions, et ce sentiment nous a accompagnés aussi longtemps qu’il a été nourri par nos mots échangés et par nos regards complices.



* * *



Pourtant, en arrivant à la fin de l’après-midi devant la gare de Charing Cross, il ne nous fut possible de nous cacher que désormais, nous allions entamer la terrible descente vers la banalité. Certes, la gare était lumineuse et agréablement décorée, il y avait même dans les couloirs quatre pianistes qui assuraient une atmosphère propice à atténuer les adieux ; mais rien à faire : lorsqu’à ma grande désillusion, je n’ai pas pu trouver le quai numéro 9 trois quarts (celui d’où partait Harry Potter), ni même le quai numéro 9 (j’ai depuis appris que la gare avait été entièrement rénovée en 2007), le sentiment que tout cela aurait peut-être pu perdurer, ce sentiment a brutalement fait place à la certitude que l’histoire était en marche et que rien ne pourrait faire revenir ce qui n’était plus.


Et quand l’heure est arrivée, quand ne pouvant plus retarder le moment pour moi de retourner dans l’espace Schengen, nous nous sommes serrés dans les bras les uns les autres, j’ai bien senti que mon planeur avait perdu son aile gauche et que j’allais très vite partir en vrille.


J’ai passé le portique en leur faisant un grand signe de la main, gardant comme dernier souvenir les silhouettes du grand blond et du petit bedonnant, je suis montée dans l’Eurostar qui m’a trop rapidement éloignée d’eux (la rupture fut brutale quand, sortant du tunnel urbain, je me suis retrouvée en plein au milieu de la campagne anglaise) ; et quand, voulant m’accrocher encore un peu à ce qui se trouvait là, 10 kilomètres en arrière, quand voulant encore écouter cette musique qui m’avait tellement envoûtée, je me suis rendue compte que mon i-Pod était déchargé (j’avais oublié de l’éteindre après ce fameux « incident »), je me suis sentie tout à coup atomisée et incapable d’empêcher le massacre qui se préparait.


Ma seule consolation fut finalement de m’être assoupie quasiment sans m’en rendre compte et d’avoir ainsi évité deux longues heures de cafard et le spectacle d’une femme en plein désarroi moral.



* * *



En arrivant à la gare du Midi, j’ai eu ce qu’on peut bien appeler la gueule de bois. Comme convenu, Papa m’attendait. Bien sûr, il m’a demandé si je m’étais bien amusée, si j’avais bien profité de mes vacances, si je n’étais pas trop fatiguée. Bien entendu aussi, j’ai évité de lui donner tous les détails de mon séjour, me contentant de vagues allusions convenues sur les Anglais et leurs drôles de coutume. Pauvre Papa : s’il savait de quoi sa fille a été capable, s’il savait de quelle façon sa fille s’était comportée au cours des dernières 24 heures (mais était-il vraiment dupe de l’image de fille sage que j’essaie toujours de lui transmettre ?).


Il m’a déposée devant la maison sans trop insister (se doutait-il de quelque chose ?), en me conseillant de bien me reposer parce que, de toute évidence, j’en avais bien besoin. Je lui ai dit bonne nuit, j’ai pris l’ascenseur qui conduisait à mon étage (cette fichue lampe du couloir qui s’éteint toujours trop tôt !), j’ai déposé mon sac sans m’occuper du fait que les vêtements qu’il contenait allaient être fripés si je les laissais dedans encore toute une nuit, et je me suis couchée.


Il faisait calme (ce qui changeait de Londres où le bruit de la circulation et la ventilation de l’hôtel maintenaient une sorte de bruit sourd et continu), trop calme même, et dans mon trop grand lit, je me suis sentie terriblement seule. J’ai eu alors envie d’envoyer un message à David ou à Jean-Philippe, et tout en sachant que ce serait le mot final de cette histoire, d’une histoire tellement intense qu’il est inutile de croire que les circonstances qui l’avaient amenée pourraient se reproduire un jour, je leur ai écrit ces petits mots : « Thank you very much, guys. I love you and I miss you. » Et alors, alors seulement, je me suis mise à pleurer, sans retenue.



* * *



Voilà, Alice, maintenant tu connais presque toute l’histoire, enfin presque toute. Je dois juste ajouter que depuis mon retour, malgré tous mes efforts pour rendre à ma vie un rythme plus tranquille, plus régulier, plus conforme en un mot à ce qui la rend normale, je ne suis parvenue qu’à me persuader de l’inanité de ce qui me semblait tellement important auparavant : mon chef au bureau, notamment, s’est bien rendu compte que ce que je lui rendais n’était pas aussi bon que d’habitude, et même s’il n’en a rien laissé paraître sur le moment, je suis bien consciente qu’il va m’en faire la remarque très prochainement.


Mes parents quant à eux ont bien perçu qu’il devait bien y avoir là-dessous une histoire de cœur, ce que j’ai confirmé à mots couverts en leur disant qu’ils ne devaient pas trop s’en faire, que ce n’était pas la première fois et que cela passerait, comme toujours.


Mais, bien entendu, je me suis bien abstenue de leur expliquer qu’il s’agissait d’une histoire à trois, et plus encore de leur donner le détail des événements qui sont à l’origine de mon mal-être actuel.



* * *



Ce qui me rend finalement le plus malheureuse dans toute cette histoire (je sais que je vais me répéter, mais en te l’écrivant une nouvelle fois, je m’oblige à me le dire encore à moi-même), c’est l’idée que tout est bien fini, définitivement fini. Aucun des deux garçons n’a en effet eu l’envie de me recontacter depuis, et c’est cela qui m’affecte le plus dans toute cette histoire.


L’idée que je n’ai pu être pour eux qu’une occasion de s’envoyer en l’air n’est pas ce qui m’attriste le plus, non : après tout, ne les ai-je pas moi aussi considérés de la même manière ? Non, ce qui me rend malheureuse, c’est qu’ils n’ont apparemment retenu que cela, qu’ils n’ont pas pris en considération toutes les heures que nous avons passées ensemble avant cette nuit, ni ce sentiment intense de bonheur que nous avons partagé en commun dans la journée qui l’a suivie.


Je ne peux leur en vouloir : aucun de nous trois n’avait pris d’engagement sur l’avenir : seul comptait le moment présent, et il n’a jamais été question d’y mêler des sentiments. Et puis, je ne leur avais rien demandé de leur vie ; je ne les ai, par exemple, jamais interrogés sur le fait qu’ils aient ou qu’ils n’aient pas de copines attitrées qui les attendaient sur le continent (compte tenu de mes intentions, c’était somme toute assez logique, non ?). Pouvais-je dès lors m’étonner de leur silence ?


Il n’empêche : même si c’était ce que nous avions convenu tacitement, je ne parviens désespérément pas de mon côté à respecter cette clause de notre accord tripartite. Je ne veux pas aller jusqu’à dire que je suis tombée amoureuse, non, ce serait trop ; mais de toute évidence, il y a eu une espèce d’incident sentimental, au cours duquel j’ai acquis le statut de victime collatérale d’événements que j’ai moi-même provoqués ; bref, en d’autres mots, je suis aujourd’hui une sorte d’arroseuse arrosée.


Ceci dit, et après y avoir quand même mûrement réfléchi, je ne suis pas très certaine non plus que pour David et Jean-Philippe les choses soient beaucoup plus faciles que pour moi. J’ai par exemple du mal à m’imaginer clairement ce que ces deux amis de longue date ont pu se raconter ou ce qu’ils ont pu faire de leur dernière journée de vacances, une fois que je les ai définitivement quittés dans le terminal ferroviaire. Il m’étonnerait fort, par exemple, que Jean-Philippe ait pu se permettre d’adopter une attitude ou une conversation de mecs un peu scabreuse avec David. Il est plus probable en fait qu’ils ont passé ce dernier jour à se renfermer chacun dans une sorte de bulle personnelle, évoquant en solitaire le souvenir de celle qui serait à tout jamais indissociable de ce voyage outre-Manche. Je les imagine mal en tout cas faire comme si rien ne s’était passé et aller stupidement visiter Buckingham Palace ou le Musée des Portraits sans se sentir un peu à côté de leurs pompes. Je ne pense pas me tromper beaucoup en pronostiquant que le retour à Arras a dû être pour eux comme une délivrance.


Tu m’excuseras de t’embêter avec ma nostalgie mélancolique, Alice. Ce n’est pas la première fois que je me sens aussi mal dans ma tête, mais il me semble que cette fois-ci, c’est un peu plus douloureux que les autres fois : pour tout te dire, j’ai l’impression de refaire le même parcours mental que celui qui m’a fait plonger quand Nicolas est parti. Je m’attends à passer des moments difficiles dans les semaines à venir. Mais rassure-toi : probablement, ce sera aussi comme les autres fois : comme le dit la morale de la fable : « Sur les ailes du temps, la tristesse s’envole. »


Voilà, cette fois, je crois bien être arrivée au terme de mon récit. Je sais qu’il serait stupide de te remercier, Alice, pour toute la patience dont tu as fait preuve tout au long de mon histoire (que tu aies d’ailleurs sauté ou non les passages les moins convenables) : après tout, nous nous sommes juré mille fois d’être amies pour la vie et je connais toute la valeur de ce serment renouvelé. Tu sais qu’en cas de besoin, tu pourras tout autant compter sur ma compréhension… même si cette compréhension devait n’être, comme la tienne, que virtuelle.


Ton amie à jamais,

Camille





23. Coda




Et c’est sur ces mots que mon journal s’est arrêté, il y a de cela maintenant un an.


Je ne voudrais pas que les choses restent en l’état : j’estime que je vous dois les quelques mots qui suivent.



* * *



D’abord, je tenais à vous rassurer sur le fait qu’aujourd’hui, je vais bien. J’ai surmonté, comme prévu, la fatigue morale qui m’avait assaillie, même si ce fut au prix d’efforts assez considérables (et le tout sans recourir aux médicaments, cette solution de facilité qui ne fait jamais que reporter la résolution des problèmes).


En fin de compte, j’ai tiré une leçon de mon épisode londonien : j’ai bien compris que je n’étais pas assez robuste pour me permettre de jouer comme je l’avais fait, en dissociant le plaisir physique de toute considération sentimentale, que vraiment, ce genre de jeu n’était pas fait pour moi. Je ne veux pas, en disant cela, adresser à qui que ce soit un message moral crypté, commandité par une quelconque ligue de vertu, non : chacun gère cette partie de sa personnalité comme il l’entend ; mais, de mon côté, il est clair que ce n’est pas un comportement qui me réussit, compte tenu du coup de blues qui m’a poursuivie pendant plusieurs mois.



* * *



Ceci dit, je ne voudrais pas non plus trop noircir le tableau et brûler ce que j’ai adoré. Et pour que les choses soient dites clairement : je me félicite plus que jamais de tout ce qui s’est passé à Londres ; et je ne m’en félicite pas moins de l’avoir écrite, cette lettre intime, et ce pour plusieurs raisons.


Tout d’abord, j’ai bien conscience que cet état exceptionnel de liberté (sexuelle) était véritablement… exceptionnel, il n’y a pas de mot plus approprié : probablement, le fait d’avoir été seule (et tout bien réfléchi, c’était effectivement la toute première fois que je partais vraiment seule, sans parents, sans copains, sans amis) a donné une forme concrète à une tendance profonde de ma personnalité qui jusqu’alors n’avait pas encore eu l’occasion de se dévoiler. Comme il aurait été dommage de ne pas avoir pu connaître, même si ce n’est qu’une seule fois dans ma vie, une expérience aussi exaltante !


Ensuite, ce journal, c’est un fabuleux souvenir bien plus intéressant que les boucles d’oreilles achetées sur Oxford Street et même les quatre robes sexy achetées sur le fameux chemin de traverse ! Un souvenir de cinq jours (ou plutôt, surtout, d’une nuit) comme je n’en vivrai probablement jamais plus ! En quelque sorte, même si je n’atteins pas la cheville du petit Marcel, ce journal, c’est un peu ma Recherche du temps perdu, à moi toute seule (même si, en l’occurrence, ce fut le biscuit que l’on trempa plutôt que la madeleine…)


Combien de gens peuvent comme moi se targuer, non pas d’avoir connu une aussi belle histoire (ce qui est le lot d’une bonne part de l’humanité) mais surtout de l’avoir effectivement couchée par écrit (ce qui est beaucoup plus rare). Et sans ce journal, que me resterait-il de tout cela, dites-le moi ? À peine effectivement une photo jaunie (pour autant que l’on puisse dire que les jpeg, cela jaunit) et une sorte de confusion mentale dans le souvenir, qui se serait à terme traduit, comme je l’avais écrit, par ces quelques mots : « Ils m’ont aimé toute la nuit, mes légionnaires. ». Et cela m’amuse de penser que dans un demi-siècle, à l’aube de mes quatre-vingts ans, cette lettre à Alice, mes petits-enfants se la liront en cachette de leurs parents, en se disant avec fierté : « Waouh, quelle femme, notre Mamy ! », me demandant dans la foulée de leur parler encore une fois du bon vieux temps où j’étais jeune et jolie…


En troisième lieu, et contrairement à ce que j’avais cru l’année dernière, mes sentiments sont restés les mêmes : la honte ne s’est pas emparée de moi, et je veux même bien vous le chanter pour vous en convaincre définitivement : non, rien de rien, non, je ne regrette rien ! Après tout, j’ai finalement obtenu ce que tant de femmes « frustrées » (et quand j’emploie le mot « frustrées », j’entends dire des femmes qui se privent volontairement de choses qu’en fait elles désirent au plus profond d’elles-mêmes) voudraient… ou auraient voulu, pour celles pour qui il est désormais trop tard : j’ai fait une expérience hors du temps, hors du monde (en tout cas du monde « normal »), hors des conventions qui m’ont été imposées par mon éducation (et que j’avais intériorisées) ; et, en transgressant ces règles, j’ai vécu un moment intense, et pour le dire plus simplement, un moment magique. Bien sûr, je ne voudrais pas donner l’impression d’avoir découvert la pierre philosophale : céder à la tentation, refuser la morale dominante, c’est un thème majeur de la littérature et je ne viens qu’à mon heure, bien après d’autres femmes bien plus emblématiques que moi, mais c’est tellement mieux de le vivre soi-même que de le vivre par procuration.


Enfin, j’ai aussi vécu une chose extraordinaire : si faire l’amour avec deux hommes est en soi déjà quelque chose de rare (enfin, je crois, je n’en sais rien après tout), dans mon cas, j’ai éprouvé ce sentiment particulier d’avoir fait l’amour – comment dire pour bien me faire comprendre ? – disons : avec une sorte d’homme dédoublé. C’était un peu comme si j’avais réussi à dissocier un homme en deux parties distinctes, à en faire une sorte de docteur Jekill et Mister Hyde, dont chacun avait son intérêt propre : à gauche, Jean-Philippe, avec son côté viril, sa vulgarité, son comportement sexuellement troublant, tellement attirant et repoussant à la fois, son physique si bien bâti (et notamment là où je le pense) et tellement fascinant, et paradoxalement une sorte de facilité à se soumettre à ma volonté et aux violences morales qui l’accompagnaient (mon Dieu, quel plaisir de domination j’ai éprouvé à ces moments-là) ; de l’autre, David, avec sa sensibilité, sa (trop forte) retenue et une tendresse qui m’ont procuré ce que Jean-Philippe n’aurait pu me fournir en aucune manière. Le mariage du poivre et du sel en une certaine manière : combien de femmes peuvent se dire qu’elles ont eu une telle chance ?



* * *



Si les raisons qui précèdent m’ont incitée à rendre publique la lettre adressée à Alice, il faut que j’ajoute qu’il y en a encore une autre (ou plutôt deux autres) que je ne peux pas non plus vous laisser ignorer.


Comme vous le savez, j’ai quitté mes deux compagnons de voyage en cette triste fin d’après-midi du 5 septembre de l’année dernière avec la perspective de ne plus jamais les revoir ; et l’absence de réponse à mon message depuis mon (trop) grand lit m’avait fortifiée dans cette idée.


Ce n’est finalement qu’en juin (le 13 juin, pour être précise) que l’un d’entre eux, à ma grande surprise, m’a envoyé un SMS.



* * *



Dire que je fus ravie de recevoir un message de David ne serait pas vous mentir ; dire par contre que je fus ravie du contenu du message serait tout le contraire.


De fait, il m’informait que deux photos de moi avaient été postées sur un site destiné en priorité à satisfaire les pupilles des hommes en manque d’émotions. À ma grande surprise et à ma grande frayeur, j’ai malheureusement bien dû constater que tel était le cas.


Certes, il fallait bien y regarder pour distinguer que la chambre dans laquelle la photo était prise était une chambre d’étudiant à Londres ; certes, il fallait aussi connaître intimement tous les détails anatomiques de mon corps pour m’identifier, compte tenu du fait que mon visage, déjà à moitié couvert par mes longs cheveux, était difficilement identifiable sur cette photo prise de nuit dans des conditions peu favorables ; certes aussi, de toute évidence j’étais endormie sur ce matelas par terre et il ne pouvait faire de doute que cette photo avait été faite à mon insu ; certes enfin je n’étais, sur ce site, qu’une fille parmi des milliers d’autres à avoir l’« honneur » d’une photographie spéciale : tout cela me rendait en quelque sorte anonyme au regard des internautes de passage ; mais il fallait bien le reconnaître : une limite venait d’être franchie.


D’une certaine façon aussi, Jean-Philippe (maintenant, je savais quel était le garçon qui avait si obligeamment recouvert mon corps d’un édredon ce fameux soir) marquait ainsi le petit point qui lui donnait la victoire sur le score de 5 à 4, mais c’était en trichant.


N’ayant pas envie de recourir à la voie judiciaire pour faire retirer l’image litigieuse (franchement, j’ignore comme on se débrouille et, après tout, il vaut mieux que les choses en restent là), j’ai décidé de remettre les pendules à l’heure en mettant en ligne une image de lui : non pas l’image de sa carapace corporelle prise à son insu, mais bien une image morale reflétant ses faiblesses, sa lâcheté, son manque de considération et démontrant aux femmes qui le rencontreraient par la suite combien il est malléable et corvéable devant un être soi-disant du sexe faible, et comme moi déterminé à le mettre à sa juste place, sous ses talons aiguilles. Nous sommes donc ainsi de nouveau à égalité, à 5 partout.



* * *



Maintenant que je vous ai parlé de moi, de Jean-Philippe, il ne me reste plus qu’à vous parler de David.


En fait, je pense que la séparation qui s’est opérée entre les deux garçons, amis depuis si longtemps, était inévitable et que le fait de s’être partagé sexuellement une femme n’a fait qu’accélérer le mouvement d’éloignement qui, d’une façon ou d’une autre, aurait fini par se produire. Enfin, c’est ce que je me suis persuadée depuis que David m’a appris que la belle entente entre eux a fait aujourd’hui place à une froide indifférence. Ceci explique que, pour vous le dire très franchement, je n’ai ressenti aucun remords. Le fait que Jean-Philippe se soit permis d’user de mon image à mon insu n’a fait que clore un chapitre de leur vie et de leur permettre d’explorer chacun des voies différentes.


Sachez en tout cas qu’une fois son message de juin dernier reçu, j’ai bien entendu remercié David et lui ai proposé de venir passer quelques jours en Belgique.


Bien sûr, à ce stade, je pourrais vous dévoiler une partie de mon histoire actuelle : vous dire d’abord que je lui ai transmis en toute confiance le contenu de mon journal intime, que non seulement il s’est dit honoré de la place que je lui ai donnée (d’autant mise en valeur qu’elle est tout en contraste avec celle de Jean-Philippe), que certains épisodes l’ont grandement ému (et d’autres probablement grandement excité, mais cela, il s’est abstenu de me l’écrire) et qu’il m’a suggéré de le mettre sur la place publique (moyennant le respect d’un certain anonymat) ; je pourrais aussi vous confirmer qu’à ma très grande satisfaction, il a accepté mon invitation ; que nous nous sommes revus au mois d’août dernier « en tout bien tout honneur » (comme on dit), qu’il m’a fait part du fait qu’il venait d’obtenir une promotion dans une société d’import (de carrelages, ça ne s’invente pas un détail pareil), société établie à Bruxelles et qu’en conséquence, il comptait bien quitter Arras et s’établir dans notre capitale ; qu’il m’a en outre demandé de lui trouver un appartement dans un quartier tranquille, et que…


Mais non, mon histoire s’arrêtera ici, si vous le permettez. Ce qui a suivi de positif ou de désagréable m’est trop personnel ; il vaut mieux que je vous laisse le soin d’imaginer par vous-mêmes tout ce qui a pu se produire au cours des quatre derniers mois, que vous déterminiez comme vous l’entendez ce qui est en train (ou n’est pas en train, ou n’est plus en train) de m’arriver au moment même où j’en termine avec cette longue conclusion.


Je vous abandonne donc ici et vous laisse libre d’entamer si vous le désirez un vrai récit de fiction, où une Camille et un David s’aiment ou se détruisent, se font l’amour très sagement ou au contraire en donnant vie à des fantasmes pour le moins éhontés : comme vous voulez, je ne m’en émouvrai pas.


Ne vous en déplaise, je poursuivrai désormais ma vie, l’authentique, à l’abri de vos regards. Parce qu’après tout, ce qui va (ce qui ne va pas, ce qui ne va plus) se passer maintenant, même si c’est encore et toujours ma vie intime, même si c’est avec deux protagonistes inchangés, tout cela, c’est quand même une toute autre histoire que celle de Londres. Et cette histoire-là, ne m’en veuillez pas, je souhaite qu’elle se vive (ou qu’elle ne se vive pas, ou qu’elle ne se vive plus) et qu’elle s’écrive dans un journal intime, mais pas dans un journal intime que chacun peut lire à son gré.



* * *



Voilà, je vais débrancher la prise, non sans avoir eu le temps de vous proposer auparavant la musique du générique final, vous savez, cette musique orientale tellement envoûtante, une musique que j’ai écoutée pendant des semaines de façon quasi-obsessionnelle (iTunes m’indique 143 fois !) et à laquelle je retourne parfois pour me replonger dans un temps révolu.


Et puis, ne soyez pas trop tristes : qui sait ? Même si j’en doute, dans 1, 3, 5, 10 ou 15 ans, peut-être mettrai-je sur le site ce qui s’est passé depuis. Après tout, n’ai-je pas dit quelque part qu’on écrivait toujours pour les autres avant d’écrire pour soi-même.



Camille, 3 octobre 2013