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Temps de lecture estimé : 44 mn
31/01/14
corrigé 10/06/21
Résumé:  La relation entre les deux jeunes filles approche peu à peu de son dénouement. Axel va-t-elle enfin réussir à faire l'amour avec Cassandre ?
Critères:  ff jeunes école amour init confession
Auteur : Coqueluche      Envoi mini-message

Série : Cassandre

Chapitre 04 / 06
Le temps du désir

Résumé épisode 1 :

Axel arrive dans un nouveau lycée et fait la connaissance de Cassandre. Coup de foudre au menu, parmi quelques autres péripéties, signes d’une intégration mouvementée.

Résumé épisode 2 :

Axel et Cassandre se rapprochent et finissent par se faire des confidences : des révélations qui vont s’avérer décisives dans la nature de leur relation. Une sincérité qui les rapproche mais les met aussi en péril.

Résumé épisode 3 :

Après une soirée éprouvante, les deux héroïnes finissent par succomber à leur attirance mutuelle. Mais il leur reste encore bien du chemin à parcourir !

Seize heures quarante-cinq !






Épisode 4 :

Tout d’abord, je veux présenter mes excuses aux lecteurs / lectrices qui ont eu la gentillesse – et, je l’espère, un peu de plaisir – de suivre les péripéties de cette histoire, pour le retard dans la livraison de cet épisode. Retard dû aux aléas de la vie… Je tiens également à leur souhaiter, ainsi qu’à toute l’équipe de Revebebe, une bonne année 2014 : qu’elle comble tous leurs désirs.






Seize heures quarante-cinq ! Je te vois ma Cassandre – ou plutôt, je te constate – muée en bonne fille obéissante : ton petit sac est prêt à côté de toi, ta veste est posée sur le dossier du canapé et tu attends, toute contrite, le coup de sonnette à la porte d’entrée. Tes mains sont sagement posées sur tes genoux soigneusement serrés l’un contre l’autre. Tu respires à peine. Déjà, je ne te reconnais plus.

Ce n’est pas à seize heures cinquante-neuf, ni à dix-sept heures une que la sonnette a retenti. C’est bien à dix-sept heures !



Quarante-cinq ans ? Il est grand et ses cheveux grisonnent sur les tempes. Calvitie naissante sur le haut du crâne et visage de parchemin… mais il a des yeux bleus. Les mêmes yeux bleus que Cassandre, d’un bleu de banquise. De quoi me retourner ! Seulement voilà ! Ses yeux à lui ont une acuité troublante. J’ai du mal à les définir : ce sont des yeux qui vous glacent. À vrai dire, ils me font peur. Peut-être parce que Cassandre m’en a tant dit sur lui, ce père violent !

J’ai quand même une certitude, c’est que jamais on ne pourra accoler à ce regard, le qualificatif de « souriant » ! « Froid » ? Incontestablement. La bouche, en lame de couteau, ne sait pas sourire non plus. Elle arbore une sorte de rictus figé, malformé, comme indépendant de sa volonté. Un sourire forcé. Et dans les manières de cet homme, je ne peux m’empêcher de songer qu’il y a quelque chose de si distant, de si affecté qu’il en paraît inhumain ! Sa poignée de main est molle, fugace comme s’il répugnait à entrer en contact physique avec moi.


Une fois de plus, je fantasme sans doute. Je le détestais avant de le connaître ! Et maintenant, il me fait peur. Bien habillé, chemisette d’un bleu marine à fines rayures blanches, pantalon de flanelle noire au pli impeccablement repassé, chaussures cirées, trop cirées, au point qu’on les dirait neuves : il a tout d’une gravure de mode pour seniors. L’élégance bourgeoise un rien désuète ! Je m’étonne qu’il n’ait pas de petite croix de bois en guise de cravate !


Et je vois ma Cassandre adorée, recroquevillée comme une enfant qui aurait peur de se faire gronder. Son corps semble fonctionner au ralenti. Chacun de ses gestes devient mesuré, précautionneux. Il n’y a pourtant rien à casser dans son périmètre ! Même les expressions de son visage me semblent contraintes. Elle ose à peine me regarder.

Il a accepté la tasse de thé que je lui ai proposée uniquement par politesse – je sais, je le fais à chaque fois, le coup de la tasse de thé… mais je n’allais pas lui offrir une bière ou un whisky ! Il a décliné pour les cornes de gazelle, et Cassandre aussi, bien entendu ! Terriblement risqué… Le thé, je le lui ai servi à l’européenne : pas question de me lancer dans l’esbroufe orientale pour me faire mousser ! À bonhomme austère, manières austères. Surréaliste que ce petit ménage à trois : collet monté, regard pincé… paroles mesurées.



Je lui raconte donc l’histoire de ce prénom. L’impressionne favorablement, le fait que mon père, si haut (!) gradé ait fait la campagne d’Afghanistan au risque et péril de sa vie. C’est vrai, quoi ! Est-ce un nouveau Manouchian ? Les immigrés qui prennent fait et cause pour la France, ça le scotche !

Il finit par nous interroger sur nos révisions. Cassandre parle à peine. C’est moi qui me coltine le récit détaillé de nos travaux. Et puis comme ça, mine de rien, se voulant naturel, il me fait remarquer que je ne porte pas le voile. Je le provoquerais bien en lui répondant « Jamais à la maison ! » Je me contente de lui expliquer que nous ne pratiquons pas, mon père et moi.



La manière dont il me pose la question signifie clairement que j’ai intérêt à répondre « Oui ! ». Inconcevable pour ce branque de vivre sans religion !


Je l’entourloupe, je le désarçonne, je l’entube en lui confiant que je m’intéressais à la question mais que les circonstances – le bac – ne me laissaient guère l’opportunité de me pencher sur la Bible – Le Livre ! Ou le Coran, L’Autre Livre ! Quand je lui ai dit que mon père ne m’avait jamais imposé sa propre conception de la foi, et qu’il m’avait en quelque sorte ordonné de me faire ma propre opinion, il a manifesté une surprise presque comique.

Il a fini par hocher une tête de hochet. Peut-être pensait-il que tous les musulmans étaient des fous d’Allah ! Mais peut-être désapprouvait-il aussi ce laxisme dans l’éducation qui m’était proposée.



Il s’est levé. Cassandre a bondi. Un véritable ressort. La peur ! Et de la voir dans ses yeux, ça me fait mal. Mais l’autre, le prêcheur fou, me tend la main.



Qui souffrent ? La faute à qui, pauvre con ? Et quel style ampoulé pour cacher le vide de tes paroles !


Bon ! Et moi qui abonde dans son sens en lui disant que Cassandre serait toujours la bienvenue chez nous… Et que j’étais ravie d’avoir fait sa connaissance… et bla, bla, bla ! Et que nous étions efficaces, elle et moi, dans la préparation du bac ! Je suis une putain d’hypocrite… Heureusement que je n’ai pas prêté serment !

Lui hoche de nouveau la tête. Il semble sur le point de rajouter quelque chose mais finalement se ravise. Il sort, et s’éloigne dans le couloir. Cassandre m’embrasse chastement, les yeux baissés comme si elle fuyait mon regard, et s’empresse de le rejoindre. Mais je me réjouis : ses pommettes étaient toutes roses.



Je suis dans la salle de bain. Bien nue. Je ferme les yeux devant le miroir. Je n’ai pas cessé de ressasser depuis leur départ. C’est comme un rêve.

Cassandre m’aime. La folle m’aime. Elle me l’a avoué. Elle m’a embrassée. Nous nous sommes étreintes. Tout a volé en éclats. La nature… – sa nature ? – a repris le dessus malgré la camisole austère dans laquelle on l’a enfermée depuis son enfance. Plus de morale ! Plus de retenue ! Juste l’élan des désirs.


J’ouvre les yeux : je vois mon reflet. La tignasse noire, épaisse de mes cheveux est ébouriffée. La coupe à la garçonne me fait une tête de personnage de manga… (demeuré ?) Mon visage m’apparaît avec ses angles aigus, ses pommettes saillantes, son menton volontaire – c’est une drôle d’expression – un menton volontaire : le contraire d’un menton fuyant ? Le mien s’avance, avec sa légère fossette à la Robert Mitchum, une cible pour gant de boxe. Mes lèvres sont charnues, un peu boudeuses, d’un rouge de minium vivant. Et mes yeux forment deux billes d’ébène ourlées de longs cils noirs. Comment la blonde déesse scandinave peut-elle m’aimer ? Faut croire que les contraires s’attirent. Elle est toute en courbes voluptueuses, en ovales ouverts, et sa carnation ferait pâlir Blanche-Neige.


Dire que je l’ai tenue entre mes bras ! Je ferme les yeux de nouveau, pour mieux revivre notre étreinte… Mes bras se referment sur ma poitrine, comme si je l’avais encore tout contre mon corps… Son visage s’agrandit sous la loupe du baiser. Ses yeux en gros plan deviennent des planètes d’un bleu sauvage, immenses, d’un azur lavé par l’orage. Je sens la moiteur fiévreuse de sa bouche, ses lèvres qui s’écrasent sous les miennes tendrement. Le goût du thé sur sa langue. Quelques miettes de brioche coincées entre ses dents qui viennent s’égarer sous mon palais.

Un frisson me parcourt. Mes mains sont venues errer sur mes seins. C’est comme un appel. Mes mamelons sont durs. Impitoyables. Des ondes électriques courent sous ma peau. J’aspire un grand coup, je me contemple derechef dans le miroir.


Soyons franche… Mon buste est celui d’une adolescente : des seins menus comme des colombes apeurées. Menus, mais élégants, finalement, joliment arrondis ! Ils ne sont pas du genre à « laisser tomber » ! Ils s’ornent d’une aréole étroite, sombre, où pointe la couleur grain de café de leurs tétons sensibles.

Entre le pouce et l’index, je les roule comme de la mie de pain. Ils sont durs, comme tout à l’heure quand les seins de Cassandre affrontaient les miens. Nous sommes de la même taille, alors dans l’élan du baiser, nos poitrines se sont étroitement saluées, écrasées l’une contre l’autre, frottées. La sensation était extraordinaire. J’ai pu éprouver la tendre plénitude de son buste, et sentir aussi la protubérance de ses mamelons dressés. J’aurais aimé arracher sa robe, son soutien-gorge pour contempler à satiété ses rondeurs jumelles, m’en emparer, les caresser, les honorer… faire toutes ces choses folles dont je rêve depuis si longtemps… ces choses brouillonnes, indistinctes qui guident, en rêve, mes mains, ma bouche, ma langue sur des silhouettes anonymes, des corps sans visage, de la chair non identifiée. Tout un ramassis de fantasmes dont j’avais honte et auxquels Cassandre a donné leur clarté, leur indicible intégrité, leur évidence.


L’évidence des seins de Cassandre pressés contre les miens, l’intégrité de leur douce présence, et la clarté de leur blancheur laiteuse entrevue dans ses timides décolletés printaniers – pas ce matin, malheureusement. D’une fille, j’ai entendu plusieurs fois, des garçons dire qu’elle était « bandante ». Dans le jargon des mâles, je devine le sens de ce « bandante »… En ce qui me concerne, si Cassandre est bandante c’est qu’elle a eu le don de durcir quelque chose en moi aussi, et c’étaient mes tétons !


Voire, ce bouton niché au creux de nos cuisses. Ce démarreur sans vergogne, qui démange soudain, qui bourgeonne sous son capuchon, qui exige qu’on le frotte, n’importe où, n’importe comment… J’avais entre mes cuisses, la cuisse de Cassandre. Je reposais sur elle, elle reposait sur la mienne. Nous chaloupions l’une contre l’autre, nous nous déhanchions, comme s’il fallait calmer la plaie ouverte entre nous, apaiser la chaleur sournoise qui nous gagnait… Oh ! Ce baiser haletant. Ce baiser qui nous unissait si intimement. Ce baiser qui creusait en moi des abîmes de désirs effrayants. Et en elle ? Y avait-il ces mêmes abîmes ?


Ma main a suivi le cours de mes pensées. Elle repose sur mon ventre. J’ai la folle envie de me caresser, de faire glisser mes doigts plus bas. Mon index surplombe les poils de mon pubis, noirs, épilés soigneusement en triangle. Mais de chaque côté de ce triangle, l’ombre revient, anarchique, indomptable. Je vais devoir raser de nouveau l’essart sauvage ! Mon sexe est clos, une simple fente, une bouche pincée. On devine juste l’imperceptible renflement du clitoris, pareil au point sur l’exclamation renversée de mon sexe ! Je ne vais pas aller fouiller par là. J’en ai envie pourtant… mais j’ai comme la stupide impression que ce serait sacrilège. Je ne vais pas me branler dans son dos… en pensant à elle. Je vais la garder bien au chaud, au creux de mon ventre, comme un fœtus encore informe mais qui va grandir, j’en suis sûre…

Du moins, je l’espère. Ce serait trop con d’en être arrivées là, et d’avorter. Je la veux trop… et je sais qu’au fond d’elle, c’est pareil. Il faudra juste que je l’amène à l’accepter.

Je souris au miroir en repensant, façon racaille, à la manière dont sa main s’est faite, soudainement, exigeante :



Bon, façon moi, ça sera plus crédible ! « J’ai l’impression qu’il reste encore l’empreinte tiède de ses doigts dans mes cheveux »… Allez, dodo ! sinon j’réponds pas de l’ébullition de mes cellules sexuelles.


Ça craint, ce matin. Quelle face de Cassandre vais-je trouver au lycée ? La muse amoureuse, la mouche acariâtre, la Médée furieuse ? Elle m’attend à l’entrée du bahut. Mignonne comme un cœur dans sa robe bleue printanière. Sage, bien sûr, mais un peu décolletée… On se bise chastement. Pas un mot échangé. Le regard me dit qu’elle n’est pas fâchée. Quoi qu’avec elle on ne sait jamais. Ce con d’Éric nous rejoint sans avoir été invité. Je veux dire : il la rejoint, elle.



Finalement, elle n’est pas d’humeur aussi guillerette que je le croyais.



Il hausse les épaules, se retourne et s’en va retrouver sa bande en maugréant contre les cinglées dans le genre Cassandre. Moi je fais le dos rond… je sens que ça va être ma fête. Je me contente de mener mon vélo vers l’abri consacré aux deux roues. Elle me suit.



Elle soupire.



Coup d’œil en coin. Trouble sur ses joues qui rosissent… Je la touche là où ça la dérange… aux entournures, en quelque sorte.



Elle me lance un regard noir.



Ça l’a énervée. Mais je ne sais pas si c’était rapport à sa folie ou rapport au « chérie » ! On n’a pas eu le temps d’en débattre, vu qu’un troupeau d’élèves de la classe est venu se joindre à nous – surtout à Cassandre. En cours, elle est quand même venue s’asseoir à côté de moi. De temps en temps, son coude s’est appuyé contre le mien avec une insistance suspecte. Mais comme elle évitait résolument de me regarder, j’ignorais si c’était pour me taquiner ou juste par inadvertance. De toute façon, elle avait pas quitté son air renfrogné.


Pour vérifier, j’ai glissé ma jambe contre la sienne. Elle m’a aussitôt fait les yeux de Médée. Madam Thomachevsky a fait celle qui ne se rendait compte de rien, mais je suis sûre qu’elle était au fait de notre petit manège.

Pendant les quatre heures de la matinée, les propos longs des profs bercent nos esprits d’une langueur monotone. Le temps s’étire avec la lenteur d’un aï dans son arbre tropical. Aujourd’hui d’ailleurs, la chaleur en classe est étouffante… (attention à pas inverser les noms !)

À la récré, Cassandre me lance en aparté :



Au moins, je parviens à la faire sourire. Elle me donne un coup d’épaule.



Comment elle me dit ça ! Elle a le feu aux joues. D’ailleurs, elle me regarde pas. Elle ose pas ! Et je vous dis pas l’effet que ça me fait. J’ai envie de bramer comme une biche en rut dans les bois du printemps ! Une biche qui attend la biche, pas le cerf… et pas seulement au printemps !



Mais je suis lancée. Fallait pas me connecter sur ce sujet.



Là je pousse un peu loin. Des fois je ferais mieux de tourner ma langue dans ma bouche…



On se regarde. Le rire nous gagne. Elle me bouscule… j’ai envie de l’étreindre à l’étouffer.



Elle veut simplement avoir le dernier mot… c’est tout. Je m’aperçois alors qu’il y a trop de gens qui nous regardent. Et pas forcément avec gentillesse. Je reconnais le regard kalachnikov d’Éric. Faut qu’on soit plus discrètes.


Les cours se sont terminés à seize heures. Cassandre a une heure devant elle avant son bus. Je l’ai accompagnée en ville. Je pédale au rythme de sa marche ; vu sa lenteur… c’est presque de l’équilibrisme. Elle me mène droit chez le seul disquaire de la ville. Un jeune vendeur avenant se propose de nous aider… (je veux dire, aider Cassandre : il n’a d’yeux que pour elle, ça devient vexant, à la fin !)



Elle se tourne vers moi et m’explique que comme on n’a pas encore trouvé de points communs entre nos goûts musicaux respectifs, elle veut essayer de résoudre cette incompatibilité, qu’on ait au moins un terrain d’entente !

Le gars arbore une mine dubitative qui ne présage rien de bon. Il se tourne vers une fille qui tient la caisse et lui transmet la requête de Cassandre.



On se retrouve collée l’une contre l’autre avec les écouteurs fichés sur les oreilles pour tester le CD en question. En réalité, l’artiste se nomme Loreena Mc Kennitt… c’est une Canadienne d’origine irlandaise, nous a appris le vendeur. On n’a pas eu besoin de parler pour se comprendre ! La musique et la voix magique de la chanteuse nous ont immédiatement envoûtées. Le mariage d’airs celtiques avec les rythmes et les instruments orientaux produit une harmonie qui nous a parlé immédiatement. The Mystic’s Dream, premier morceau du CD, s’ouvre sur un cœur de voix d’hommes qui cède la place ensuite à celle de Loreena : une voix d’elfe, de fée… je ne saurais pas la décrire avec des mots. Et il y a surtout ce refrain d’une sensualité absolue qui mêle deux voix féminines semblant faire l’amour : « All for the love of you »… Moi, je l’ai traduit par « Tout cela pour l’amour de toi ». Les accents du désert dans le rythme mais aussi la profondeur nocturne des paroles, m’ont touchée. Et j’ai le corps de Cassandre accroché au mien comme un bigorneau à son rocher. Le nirvana.

On a acheté deux exemplaires.



Il nous restait vingt minutes avant le bus. On s’est calées dans un recoin du parc qui fait face à la gare routière, à l’intérieur d’un petit édifice de pierres avec une couverture en demi-cercle. Le mur intérieur s’orne d’une niche vide, à mi-hauteur. Sur les côtés, des replats forment des espèces de bancs. Le sol est jonché de détritus.



Elle me flanque un coup de poing dans l’épaule :



Des fois, elle m’impressionne. On est bien tassées l’une contre l’autre, parce que le banc est étroit. Je jette un coup d’œil à droite puis à gauche, personne en vue. J’en profite. D’une rapide torsion du buste, je me projette en avant. Elle n’a pas le temps de protester : je lui claque un baiser humide sur les lèvres. Elle ne me repousse pas. Au contraire, elle me retient pour prolonger le baiser. J’ai la nette impression qu’en même temps ses yeux sont deux périscopes qui explorent les alentours au cas où…


Sa langue s’est calfeutrée dans ma bouche où elle roule des mécaniques autour de la mienne. C’est un vrai bécot de voyou qu’on échange, en apnée… pas le temps de respirer. On est à la merci d’un promeneur importun. Je sens sous ma main, indiscrètement posée sur sa cuisse, la douce chaleur qui irradie de sa peau à travers le tissu léger de sa robe. Elle se laisse caresser. Quel vertige de lutiner le chemin qui part de son genou jusqu’à son aine. Enfin, mon rêve de naviguer sur le fleuve de sa cuisse se réalise… je voudrais seulement que ce soit sur sa cuisse nue ! Ses doigts furètent dans mes cheveux, impérieux, m’empêchant de redresser la tête.

Un bruit suspect : on se redresse comme deux gosses prises en faute, haletantes, rouges comme des pivoines. Ce n’est rien qu’un merle qui cherche pitance dans l’herbe.



Elle s’est levée, mue par un ressort extra élastique, et s’est ruée vers la gare routière. J’ai voulu la suivre avec mon vélo, mais elle m’en a empêchée :



J’ai regardé le fin sillage bleu de sa course sur le sable jaune de l’allée du parc s’amenuisant comme celui d’un oiseau de mer filant vers le large. La traîne d’or de sa chevelure la suivait ondulant au vent de sa course. Quelle étrange et poignante impression m’a rappelé, à cet instant, un tableau de Münch. Son titre ? La séparation. J’ai regardé ma poitrine. Elle ne saignait pas.


Vous pensez bien qu’à vingt-et-une heures, je suis dans ma chambre. La musique de Loreena résonne dans mes écouteurs – mon père est revenu et il n’est pas question de l’importuner par l’émission de décibels outranciers – lorsque je tombe sur le morceau « Marco Polo ». Je ne peux pas m’en empêcher, je me lève, et je commence à me déhancher sur le rythme lent et chaloupé de cet air forgé dans le feu lascif de la danse orientale. Yeux clos, bras de crotales au-dessus de ma tête, le dos droit et sec comme un bambou, les pieds légers, aériens… faire osciller mes hanches sans que le buste ne bouge d’un pouce, voilà le défi. J’ai l’impression que mon ventre se fait constricteur, qu’il malaxe mes intestins pour que le bassin se balance… tandis que mes cuisses se tendent, se tordent, travaillent à l’équilibre. Sur mon torse immobile, les bras s’enroulent, les poignets se délient. Je ne force pas pourtant. La musique me porte.


En réalité, je sais que je suis une piètre danseuse. Je manque de grâce : je me démène à la manière d’un Georges Foreman sur un ring… même pas celle d’un Mohamed Ali. J’ai pris quelques cours, plus jeune et j’en ai seulement gardé quelques rudiments.

Ce n’est pas grave. De toute façon, je n’ai pas le corps assez voluptueux. Alors que Cassandre… Hmmmm ! J’ose à peine l’imaginer m’imitant. Je la vois dans sa robe bleue jouant les Samia Gamal ! Ou mieux, ondulant armée de voiles transparents qui virevoltent autour de sa silhouette de sylphide ailée, lumineuse. Son innocence, sa pureté soudain métamorphosées par la danse, en une sensualité babylonienne de courtisane.

Combien je la désire. Si j’avais un portable… là, tout de suite, je l’appellerais pour lui crier le murmure de mon envie d’elle. Danse-t-elle ? Somnole-t-elle ? Rêve-t-elle de moi ?


Bien sûr, elle m’a parlé de son père : elle m’a confié qu’il avait été favorablement surpris par mon accueil et ma bonne éducation. Il m’avait trouvée charmante et il était rassuré quant à l’influence que je pouvais avoir sur elle. Il a même envisagé de m’inviter à la maison pour que je fasse connaissance avec Madame. Mais la proposition d’Éric d’aider sa fille dans les révisions l’a fait hésiter. Il a fallu que Cassandre lui rappelle que le fils de ses amis, était loin d’être un jeune homme de confiance et qu’elle n’avait aucune intention de passer un week-end dans l’antre d’un séducteur et ivrogne patenté !

De sorte qu’il s’est rabattu, si je puis dire, sur la solution la moins pire : moi !


Voilà un fabliau réjouissant : Comment le fermier a-t-il fait entrer le renard dans le poulailler !


Le bus de 12 heures trente. Nous sommes installées au fond, bien tranquilles. Il y a peu de passagers.



La question l’a complètement prise au dépourvu. Elle a son regard de biche effarée.



Je sens que je vais m’amuser. Je prends un air boudeur.



Elle le sait, pourtant, que ce genre de phrase me fait grincer des dents. Rien à faire, il faut qu’elle y revienne.



Je ne réponds pas. Bras croisés, tête renfrognée, j’arbore ma tête de hérisson.



Mais sa main dément ses propos quand elle vient entrelacer ses doigts aux miens. De toute façon, placées où nous sommes, personne ne peut nous voir. Et quand elle me fixe avec ce regard enamouré, il n’y a rien à faire, je ne peux pas y résister. Un éclat d’azur dans la grisaille de la vie.



Cerise sur le gâteau, son sourire. Je sais qu’elle va ruminer : elle ne peut pas s’en empêcher. Et tout soudain, au moment où je ne m’y attendrais pas, elle m’expliquera en long, en large et… de travers, ses rêves érotiques. Il suffit de patienter.


À voir ses sourcils froncés, je parie qu’elle a commencé à cogiter et à débattre sur l’opportunité de parler de ça. Bien sûr, j’imagine que chez elle, on ne doit guère donner de leçon sur l’art de bien se branler ! Ce serait plutôt sur l’art de la prière, les bienfaits de la chasteté et les vertus de l’abstinence en temps de carême ! Ça doit finir par vous parasiter le cerveau ce genre de leçons inlassablement réitérées. La jolie tête blonde doit être bien farcie, façon dinde dévote, d’un tas de principes peu spiritueux. Il ne manquerait plus qu’elle m’explique qu’érotisme et prière vont de pair et qu’elle se touche en récitant des sourates bibliques.


La maison est plantée un peu à l’écart du village. De hautes haies de troènes l’enferment comme le château de La Belle au bois dormant. Un large portail plein en fer blanchi garde l’entrée et sur le pilier de gauche, un interphone vidéo est incrusté comme un œil d’acier cyclopéen.



La demeure en pierres de granite est trapue : un simple rectangle à deux étages posé sur une butte légèrement surélevée. Le vaste jardin qui l’entoure est un tapis vert qu’un maniaque forcené a tondu à la manière d’un green de golf. Pas un épi d’herbe ne dépasse de la surface unie. Quelques massifs où s’ébattent de joyeuses tulipes multicolores cernées de rosaces de jonquilles jaune d’œuf et où se dressent des cépées de bouleaux, forment des oasis soigneusement circonscrites dans un cercle parfait. L’allée pavée de bleu ardoise, mène en ligne droite vers les marches du perron. Mais deux lignes perpendiculaires conduisent à droite vers un garage, à gauche vers un abri de jardin. L’ensemble est si géométriquement disposé qu’il m’indispose, moi ! Je songe soudain, que vu du ciel, aucun doute possible, l’allée centrale et ses deux bras forment le dessin d’une croix… J’y crois pas ! D’ici que les massifs de fleurs figurent les pleureuses au pied du calvaire, il n’y a pas loin !

La dévotion religieuse appliquée jusque dans l’architecture des lieux…


Cassandre m’a pris la main pour remonter l’allée. Sa petite main toute chaude. C’est bien, parce que le décor m’a glacée ! Sincèrement. C’est trop… parfait, trop rectiligne, trop carré ou trop rond. Ce doit être angoissant de vivre dans cet univers impeccable, sans défaut… il faut être à la hauteur ! Quand je pense à papa qui, lorsqu’il tondait l’herbe du petit pavillon que nous avions eu la chance d’occuper quelques années auparavant, s’évertuait à ne pas couper les fleurs éparses, surgies çà et là, sans idées préconçues, sauvages, indomptables, laissait sur le vert immaculé de la pelouse des îlots dispersés où pointaient des pétales blancs ou jaunes, pâquerettes et pissenlits ou boutons d’or, tâches irrégulières dans l’océan miniature de notre jardinet, j’aime à rêver qu’il avait l’âme d’un poète (d’accord, ma phrase est un peu longue… j’espère juste qu’elle n’est pas incorrecte !).

Le père de Cassandre, lui, tondait – ou faisait tondre sa fille – en militaire ! Cette vie tirée au cordeau, millimétrée, m’aurait rendue folle !



Je ne rétorque rien. Mieux vaut, parfois, avoir la sagesse de l’éléphant qui écoute sans barrir. Il a les oreilles pour ça ! Je découvre que Cassandre a ses coquetteries : « Oups ! Je me suis cassé un ongle !»… Ça me fait sourire, mais elle ne s’en aperçoit pas.

L’intérieur de la maison confirme ce que l’extérieur promettait. Aucun désordre, pas l’ombre d’une poussière égarée sur les meubles sombres. Tout est immaculé, comme à la conception ! Je contemple navrée, les vaisselier, commode, armoires, maie, bibliothèque, canapé et fauteuils… tout ce mobilier de chêne usé, passé, d’un noir désuet, funèbre ; la peinture blanche des murs le met en relief par contraste. Ils pourraient nous en conter des histoires de famille ces vieux bois : ils en ont vu passer des générations… Un vrai musée. Au milieu de ces vieilleries – sûrement de valeur – Cassandre m’apparaît comme un rayonnant anachronisme. Elle me sourit, espiègle, mutine :



Elle me prend la main. Nous escaladons le large escalier qui prolonge le couloir de l’entrée. En haut, un autre couloir le coupe perpendiculairement. Nous prenons à droite, deuxième porte. Sa chambre est spacieuse, mignonnette, lumineuse. Les murs semblent couverts d’ivoire. Quelques posters sur lesquels, comme elle me l’avait dit, on découvre des chevaux et des sous-bois… des paysages verdoyants, et des feuillages d’automne… comme dans les salles d’attente d’un médecin ! Mon regard s’attarde sur un cadre, suspendu au-dessus de son bureau : une amazone se tient bien droite sur son cheval bai. De la bombe vissée sur son crâne, cascade la blonde crinière de Cassandre. Le regard fixé vers l’objectif, sérieuse, fière, majestueuse, elle semble me dévisager, Ses mains gantées, reposent sur l’encolure de la bête, elle tient les rênes. Sa mince silhouette est cintrée dans une veste noire dont les boutons jettent des reflets dorés. Le jodhpur blanc, moule étroitement ses jambes qui épousent la forme arrondie du ventre de l’animal jusqu’aux bottes noires, brillantes, dont l’extrémité s’enfonce dans les étriers… Quelle souveraine beauté ! J’envie le cheval…



Elle s’est approchée de moi par derrière. Ses bras m’enferment dans leur étreinte, mains posées sur mon ventre et menton appuyé sur mon épaule. Je frissonne.



Elle acquiesce.



Je voyais ça davantage dans la culture musulmane… Si le capitaine Haddock passait par là, il traiterait sûrement le père de Cassandre d’iconoclaste !



Sa chaleur s’est répandue dans mon dos. Mes mains retiennent les siennes, bien à plat sur mon abdomen. Mon cœur s’est doucement emballé, je crois même que je l’entends résonner dans ma poitrine. Je vais l’embrasser… J’en ai tellement envie que je retarde le délice de ce moment. Mais c’est elle qui glisse son museau contre mon cou et vient picorer du bec l’endroit où bat l’artère. L’odeur shampouinée de ses cheveux taquine mon nez : un vague parfum de pomme, peut-être… ou de tilleul ! Devine-t-elle contre ses lèvres la pulsation de l’aorte ? La pointe de sa langue glisse juste à l’endroit où je sens son battement. Perçoit-elle mon souffle court ? Je ferme les yeux, je ne bouge plus. C’est un instant si précieux : elle est venue à moi…

Elle me fait me retourner doucement. On se noie dans le regard l’une de l’autre.



Sa main s’est agrippée à ma nuque. Que c’est bon de se laisser faire… Elle ausculte mon menton, puis la petite dépression qui le sépare de ma lèvre inférieure. Elle me butine, à proprement parler. Sa bouche me dépêche une myriade de baisers légers qui visitent tout mon visage. Et sa main libre glisse sur ma joue avec douceur, m’explore de la tempe au cou. Elle déplace son corps de façon qu’il vienne épouser le mien. Sa poitrine, une nouvelle fois, affronte la mienne. Nos seins s’embrassent dans une étreinte tendre. C’est comme s’ils se découvraient. Mes mamelons durcissent instantanément au contact des siens que je sens aussi émus… Son ventre s’appuie contre le mien et sa cuisse se glisse entre mes jambes. Chaque nouveau contact génère en moi de nouvelles et douces sensations. Je l’ai enlacée, je la tiens contre moi, bien fort, comme un trésor qu’on ne pourra pas m’arracher, comme un enfant qui serre contre lui son ours en peluche…

Nous abordons ensemble un continent inexploré. Innocentes aventurières, nous découvrons la lente montée de la volupté et de ses ivresses.

Quand nos bouches enfin se joignent, ce sont deux fontaines qui s’allient, deux sources qui fusionnent et deviennent torrent tumultueux. Le bruit mouillé de nos langues qui clapotent l’une contre l’autre, le souffle rapide de nos respirations, résonnent comme des tonnerres dans le silence de la maison. Nous tanguons sur place comme un navire ivre sans nous lasser de ce baiser qui voudrait être le plus long de l’histoire.

Ma bouche n’est plus que saveur de Cassandre.


Nous finissons par nous séparer, essoufflées, hallucinées… Ses grands yeux clairs brillent comme des cristaux de saphir. Elle me sourit, éperdue.



Elle secoue la tête et m’entraîne vers le lit. Nous nous allongeons sur la courtepointe matelassée, blanche bordurée de gris. Face à face, têtes reposées sur les bras repliés, nous nous affrontons du regard.



Je ne dis rien. Ces simples mots me font reprendre pied dans la réalité. Je me rends compte que rien ne sera facile, qu’on sera toujours sur la corde raide… Et que Cassandre aura toujours peur ! Même là, dans notre solitude protectrice, elle anticipe. Peut-être est-ce pour cette raison qu’elle s’abandonne avec tant de ferveur aux baisers que nous échangeons : elle oublie enfin, elle vit à travers des sensations qui l’empêchent de ruminer. Le corps prend, un temps, l’avantage sur l’esprit en alerte… l’esprit enfermé dans la crainte du mal, dans la crainte d’être prise en flagrant délit de faute.

Malgré tout, aucun doute pour moi : elle est avide de ces sensations que sa raison condamne. Dès que nous nous touchons, quelque chose se passe. Une électricité nous traverse, comme si nous étions aimantées… – Et combien j’aimerais être, totalement « amantée » avec elle ! –. Je sens à chaque fois cet abandon, chez elle, qui témoigne de sa soif d’amour, de gestes d’amour, d’actes d’amour. Elle est d’une bouleversante sensualité, dans ces moments-là. Mais Gollum guette !

Je caresse ses longs cheveux soyeux alors que sa main suit les courbes de mon visage. Son doigt vient se poser sur mes lèvres, en suit les contours.



De la main, je sillonne ses joues, j’effleure ses paupières, je frôle l’arête droite de son nez et je m’attarde sur le très fin duvet blond qui orne sa lèvre supérieure.

Elle renverse son visage en arrière. C’est comme si elle offrait son cou délicat aux dents d’un vampire ! Il y a un tel abandon dans sa posture, que j’ai envie de la mordre, de boire son sang. Je me penche sur elle et mes lèvres se mettent à dériver sur la blancheur immaculée de sa peau. Elle a fermé les yeux.



Je ne réponds pas… et pour cause. Mon corps à moi aussi s’échauffe. Je dirais même qu’il brûle par endroits ! Ma bouche remonte vers son oreille, ma langue furète sur le lobe nu (Cassandre n’est pas une jeune fille à bijoux !), remonte le long de l’hélix, en suit le cours jusqu’à la conque…

- D’accord, ça fait cours d’anatomie… mais en même temps ça dresse une carte précise du voyage ! -. Elle apprécie. Elle ronronne.


Ma main est aussi partie à l’aventure. Elle s’est posée sur son ventre. Puis, avec une prudente sagesse, elle a entrepris d’explorer l’abdomen plat qui monte et qui descend au rythme de sa respiration. Elle porte sa robe bleue, une robe boutonnée sur le devant. Je n’ose pas tenter le diable en essayant de dégrafer les lentilles nacrées des boutons. Mais je me risque à faire courir doucement ma main sur sa hanche, à étudier son relief vallonné. Le fleuve des cuisses m’attend… Je suis sur le fil : la moindre maladresse, le moindre empressement peut tout foutre en l’air. Le désir est fragile, comme de la porcelaine… pas de mouvements brusques. Chaque avancée de ma main sur son paysage est une conquête. Elle ne proteste pas quand mes doigts entrent en contact avec la peau nue de son genou découvert. Pourtant elle a frissonné. Voilà, j’y suis enfin. Je glisse sur la cuisse d’une douceur soyeuse le petit canoë de ma main qui remonte en pagayant lentement vers l’amont. Le fleuve reste paisible, pas de remous rebelles, pas encore. Cassandre soupire sous la caresse légère, c’est bon signe. Je veux me faire plume, pour ne pas l’effaroucher.


Je me redresse un peu pour contempler l’effet de mes câlineries. Ça me fait un choc de la découvrir avec sa robe remontée jusqu’au ras de son entrejambes. Les longues jambes blanches et nues, avec leur fin duvet blond qui scintille, sont ouvertes, et ma main hâlée repose tout en haut, dans la position des serres d’un rapace sur sa proie : mon pouce, à l’intérieur, effleure sa culotte bleue. Je sais que je suis à la limite du territoire encore interdit. J’ai une envie hurlante en moi, de poursuivre, de mettre à nu le sexe caché, de le toucher, de l’empoigner. Cassandre ne respire plus : son regard semble me supplier… Je préfère alors rebrousser chemin et caresser sagement chacune des jambes qu’elle a gracieusement abandonnées à mes désirs. Elle reprend son souffle, comme si, effectivement, elle avait craint que je n’aille trop loin. Elle m’attire contre elle et m’embrasse. Pour me remercier ? Et sa main à elle, s’aventure à son tour sur mes jambes emmaillotées dans la camisole d’un jean… Pourquoi n’ai-je pas mis une robe, moi aussi ? Une nouvelle fois, quelle conne !


On ne parle pas. Mais l’instant est si magique… Nous nous caressons, nous nous explorons et malgré nos vêtements, peut-être même grâce à eux, la tension du désir devient de plus en plus forte. Chaque geste doux se fait peu à peu plus pressant. Les doigts se crispent sur l’épaule, saisissent à poignée la peau du dos, pincent la chair des bras qui enlacent. C’est comme une chute dans un abîme de pulsions inconnues. On perd le contrôle, lentement, mais inexorablement. Je me suis emparée dans un élan irrésistible, de son sein : je voulais éprouver dans ma main sa tendre plénitude, sentir entre mes doigts son dur mamelon excité.


Elle a gémi et, brusquement, dans un mouvement totalement inattendu a basculé sur moi, a enfourché ma cuisse. Elle la chevauche comme sur la photo au-dessus du bureau, où elle est campée sur sa jument. Ses mains m’ont plaquée aux épaules contre le lit. Le bas de sa robe s’est déployé en corolle pour couvrir nos ventres serrés l’un contre l’autre. Elle s’est mise à onduler en geignant, frottant son sexe contre ma cuisse dressée entre les siennes. Ses mouvements fougueux, emportés me ravagent… ma chatte est trempée comme une soupe. Je sens le va-et-vient électrique de sa cuisse sur le bas de mon ventre et il me semble que je vais imploser dans le plaisir qui m’incendie les entrailles. Le visage de Cassandre me surplombe, sa chevelure invraisemblable retombe autour de nous comme les tentures dorées d’un lit à baldaquin, nous isolant du reste du monde. Elle a les yeux noyés, semblables à des taches de mercure liquide avec des ombres rouges autour de l’iris. Nous haletons, prises dans ce tourbillon incontrôlé de sensations intenses. J’ai l’impression qu’elle est sur le point de jouir tant ses mouvements se font de plus en plus ardents. Elle râle… et moi je suis prête à lancer mon cri d’extase…


Elle fourrage dans mes cheveux, les agrippe, et brutalement me tire le visage en avant pour plaquer ses lèvres sur les miennes. Vorace, elle aspire ma langue dans sa bouche comme une sangsue, la mordille, la mâchonne, la mastique entre ses dents…

Et soudain, elle se rejette en arrière en me repoussant contre l’oreiller, sans douceur. Essoufflée, elle me lance d’une voix chavirée :



J’ai pas eu le temps de réagir : elle s’est levée d’un coup m’abandonnant dans un indescriptible état de frustration. De sa démarche chaloupante, elle se dirige vers la porte de la chambre. Je la vois s’éloigner une fois de plus !, les yeux, le cœur et les ovaires déchirés ! Comment peut-elle avoir la taille si fine ? La mince ceinture blanche de sa robe froissée, semble sur le point de séparer son corps en deux. Je soupire de détresse : j’aurais tellement aimé… mais elle a déjà quitté la pièce… Je me laisse retomber sur le lit, épuisée, la douleur au ventre, ce ventre qui me lance des appels désespérés pour achever ce qui avait si bien commencé.


Elle n’a pas voulu… Elle s’est échappée juste avant qu’on ne… Qu’est-ce qui lui a pris ? Je finis par me lever, péniblement, désenchantée. Et je fais un saut dans la salle de bain, histoire de m’éponger le coquelicot. Dans la glace, je le vois tout ébouriffé ; les petites lèvres en bataille, d’un rouge indigné, sont sorties de leur fente comme des pétales froissés et mon clitoris ressemble à une grosse verrue sur le point d’éclater sous son bonnet rouge (!). L’humidité empoisse mon fond de culotte… Qu’est-ce qu’elle m’a fait ! Et qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? Je soupire, et m’asperge d’eau froide. J’ai le visage en feu, d’une belle teinte empourprée. J’ai eu du mal à reprendre mes esprits.


Bon n’y pensons plus. Je suis presque sûre que sa réaction brutale et ce départ précipité sont un réflexe de survie pour elle. Elle sentait qu’elle était en train de perdre le contrôle. « C’est pas gagné… non, c’est pas gagné ! » songé-je. Mais c’était presque le cas…

Je la retrouve plantée devant le frigo. On dirait qu’elle est statufiée. Je m’approche d’elle par derrière. Mes joues brûlantes reçoivent la gifle glacée de l’air froid et les odeurs désagréables d’aliments divers me sautent aux narines. Vite, j’enfouis mon visage dans sa chevelure protectrice : arômes d’herbes coupées, de soleil, de banquise… que sais-je encore ? D’oursonne ? D’aurore boréale ? De nuit polaire ? Sa chevelure me fait voyager loin des miasmes alimentaires ! Je la ceinture. Elle se fige. Je me colle à elle comme un lé de tapisserie sur un mur. Et je murmure au corail sa petite oreille, les mots fous qu’elle m’inspire malgré ses étranges sautes d’humeur :



Son bras, d’un gracieux mouvement rétroactif vient enlacer mon cou et son visage se renverse sur mon épaule comme une offrande. Elle soupire doucement :



Je la sens qui tremble encore, contre moi. Elle se dégage alors, sans brusquerie, mais fermement, et saisit une large boîte à pizza qu’elle sort du frigo. Elle enfourne la quatre fromages dans le micro-onde, se retourne, me fait face, grave soudain. Ça y est, c’est reparti… elle va me bassiner avec ses principes à la con.



Elle daigne sourire… mais de manière forcée.



Elle baisse la tête. Elle a pris une espèce de posture défensive étrange. Elle est appuyée contre l’évier. Ses bras se sont croisés dans son dos. Elle me tord les boyaux d’émotions avec ses attitudes de petite fille prise en faute !



Elle ne réagit pas immédiatement, comme d’habitude lorsqu’une question la dérange et là, y en a beaucoup ! Elle va choisir ses mots… pour ne pas me blesser ? Un vague sourire absent flotte sur ses lèvres ou peut-être, une sorte d’amertume, un désenchantement.



Là, je hausse les sourcils : je la force, moi ? Elle comprend à mon regard qu’elle est allée un peu loin…



Elle baisse la tête, se remet à tortiller ses doigts… puis lâche dans un murmure :



Évidemment, c’est à ce moment-là que le tintement du micro-onde signalant la fin de la cuisson de ladite pizza résonne dans la cuisine, comme la cloche signalant la fin d’un round sur le ring. On se sourit, on pouffe, on s’étreint dans un rire léger ! C’est drôle comment un simple bruit inattendu peut détendre les atmosphères…


Finalement, on s’est attablées et on l’a dévorée, cette pizza. On n’a pas beaucoup parlé, parce qu’en fait y avait pas grand-chose à dire. On se comprenait. Moi, j’avais pas la réponse à ses problèmes : quoique je fasse, je serais fautive. Ça me retomberait dessus. Si je la laissais tomber, elle allait déprimer. Si je la poussais dans ses retranchements, elle m’en voudrait aussi. En réalité, c’était un problème qu’elle devait résoudre avec elle-même, je veux dire sa conscience : l’éternel conflit entre le désir et la raison !


Ça avait quand même jeté un peu de froid, entre nous. Il n’était plus question qu’on batifole de nouveau. Et, très curieusement, j’en avais plus envie. Peut-être que c’était à cause de mon éducation, au fond. Jamais, je ne me serais permis de profiter de son accès de faiblesse. J’étais presque sûre que si je le voulais vraiment, elle aurait fini par céder à mes avances. Mais en tant que fille, je me disais que si je faisais ça, alors je me comportais comme un de ces vulgaires connards de mecs qui croient que tout leur est permis. On a donc passé le reste de l’après-midi à bosser. Mais la tension entre nous était si forte qu’on a eu du mal à se concentrer. Et dans cette tension, il y avait beaucoup d’ambiguïté. Le moindre frôlement du coude ou de la main nous électrisait. Et on s’écartait vivement, comme s’il y avait danger.


La mère de Cassandre est une Dame, avec un grand D ! Assez grande, quoiqu’un peu moins que sa fille, elle se tient bien droite, distante, un maintien dans la façon de tenir son cou qui lui donne ce qu’on a coutume de nommer un port de tête altier. Le chignon serré qui enferme sa chevelure d’un blond – héréditaire sans doute – facilement reconnaissable, conforte cette impression de noble sévérité. Elle est encore très belle, même si ses traits sont un peu marqués : de petites rides aux coins des yeux et aux commissures des lèvres, quelques traits inquiets qui barrent son front. La bouche semble faire la moue. J’y lis de l’amertume, une forme de désabusement plus que du dédain. Ses yeux sont bleus, eux aussi, mais plus sombres que ceux de son mari ou que ceux de Cassandre. Quant à la silhouette, elle a gardé sa légèreté élancée. Sa mise est élégante et simple : un chemisier blanc, une veste noire, et un jean classique. Rien d’ostentatoire, mais une décontraction qui adoucit son abord un peu austère et intimidant.


Elle m’a saluée avec un sourire franc et a déclaré qu’elle était heureuse que Cassandre ait enfin rencontré une vraie amie. Pas de bise ! Juste une ferme poignée de main. Elle m’a aussi remerciée de l’aide que j’apportais à sa fille dans son travail scolaire. Ses manières sont prudentes, elle fait chaque chose avec une lenteur méticuleuse. Elle décline ma proposition de l’aider dans la préparation du dîner.


Je suis inquiète. La politesse aimable dont elle fait preuve, me donne l’impression que je suis en train de passer un examen. Je constate que Cassandre a de nouveau repris cette componction qu’elle avait arborée en présence de son père lorsqu’il était venu à la caserne pour la récupérer. Cette forme de prudence craintive m’avait déjà mise mal à l’aise. Je n’arrive pas à saisir la manière dont les relations familiales se nouent dans cette maison. Il n’y a pas ici cette liberté de ton, de comportement que je connais avec papa. Il n’y a pas de spontanéité. Comme si l’erreur, le faux pas, la parole déplacée étaient inadmissibles. Me connaissant, je suis sûre que je vais commettre mille impairs ! Ma maladresse est un sujet de réjouissance régulier dans ma famille.


Le dîner est culturel. On parle littérature, musique – j’apprends au passage que Cassandre est une « virtuose » du piano, selon papa ! – et bien sûr, études. Le bac approche. Cassandre se crispe quand on aborde le sujet. Je sais qu’elle stresse à mort.

Pour l’heure, moi je stresse, parce qu’on vient de me servir une aile de poulet accompagnée d’un panier de pommes de terre en terrasse et d’un bouquet de haricots étuvés en cocotte ! Cassandre m’a prévenue que le savoir être à table consistait à ne se servir que des couverts et pas des doigts… Elle est chiante : si ça c’est pas me mettre la pression… Bon, jouons donc notre rôle ! Je plante la fourchette mollement dans le morceau de blanc – parce qu’il n’est pas question, non plus que j’abîme l’assiette de porcelaine héritée des arrières-arrières-grands-parents, au moins ! – en étant trop vigoureuse du poignet, et j’entame l’articulation de l’aile avec le couteau. Le problème, c’est que la foutue articulation résiste. Et je force. Trop !

Le couteau dérape, l’aile s’envole ! Je vous jure ! Et elle atterrit dans l’assiette mitoyenne, celle de Madame… Je rougis, je bafouille, j’ai envie de m’enfuir, de me glisser sous la table pour qu’on m’oublie.



Je dois dire que là, je fais fort. Revendiquer mes origines pour excuser ma maladresse, j’ai tout de suite honte de moi. Mais eux s’esclaffent ! Ils se moquent de moi ou quoi ? Mais non… Ils s’amusent juste de la situation. Alors je fais comme eux tandis que Madame, replace consciencieusement l’aile volante dans mon assiette.



Au moment du dessert, Monsieur s’informe de mes projets. Je lui réponds, « École de journalisme ». Il grimace. Et me souhaite bien du plaisir, considérant que cette engeance – celle des journalistes – était largement dominée par les lobbies juifs qui pratiquaient abondamment le népotisme dans le milieu des medias…

Ben voyons ! Antisémite en plus…

Et moi, lâche, je ne pipe mot.


Comme si cela ne suffisait pas, le voilà qui me demande mon avis sur le projet de loi d’un candidat à la présidentielle concernant le mariage homosexuel. Je n’ai pas besoin de regarder Cassandre pour savoir qu’elle est tétanisée. L’homophobie paternelle est si évidente que je marche sur des œufs… Je fais front en arborant un visage en point d’interrogation à l’intention du papa. Cela suffit à l’échauffer. Il enfourche son destrier de croisé :



Que répondre à cela sans se compromettre ? Je croise les yeux muets de Cassandre qui me supplient de ne pas réagir. J’entends le message… Mais… Mais… je suis moi !



Il me regarde comme s’il n’avait pas saisi mes propos. Surpris que je n’abonde pas dans son sens ?



Là, je suis sûre que je me suis grillée ! J’attends qu’on me congédie. Un regard à Cassandre suffit à me convaincre que c’est ce qui va m’arriver. Pourtant, Monsieur me considère avec un petit sourire et conclut :



Ce petit compliment ne me laisse pas aussi froide qu’il le devrait venant de lui. Mais je retiens seulement qu’il augure un renouvellement de sa confiance en moi.

C’est tout ce que je demande. Je me suis mise à rêver que le week-end prochain, j’aurais peut-être Cassandre pour moi toute seule… Deux nuits, deux jours, rien qu’elle et moi… Et cette fois…