La commissaire Valérie Bruchet dormait du sommeil du juste.
Dans son rêve, son compagnon et subordonné Sébastien Glandin lui caressait les seins, puis voulait à tout prix les mettre à l’heure.
Pour ce faire il lui manipulait les tétons afin que sa grande aiguille indiquât douze heures pile.
Sa poitrine tintait à toute volée.
Elle se réveilla, l’esprit vaseux.
Si Sébastien tenait bien un sein dans sa main, c’était très tendrement. Il ne s’était pas encore réveillé.
Par contre, une sonnerie bien réelle lui vrillait les tympans. Son téléphone carillonnait, vibrait et trépignait furieusement.
Elle grommela quelques phrases incompréhensibles et répondit à l’odieux appareil.
- — Mouais, commissaire Bruchet.
- — Bonsoir, Commissaire, désolé de vous déranger ; ici le lieutenant Paul Duniez. Nous avons un gros problème, il faut que vous veniez, vite.
- — Tout de suite ? Où ? Pourquoi ?
- — Pas au téléphone. Eh oui, si vous pouviez venir le plus rapidement possible, il n’y a que vous qui puissiez dépatouiller cette sombre histoire. C’est au 128 rue Vernet. Résidence des Bois Sanssoif.
- — C’est dans le VIIIème, ce n’est pas de mon ressort.
- — Le commissaire Priseure, mon supérieur, est au courant ; c’est lui qui m’a demandé de vous contacter. Sur les conseils du Préfet de police.
- — C’est la crème du gratin, ce quartier.
- — C’est justement pour cela que je fais appel à vous.
Depuis qu’elle et son équipe avaient aidé une célèbre chanteuse, son commissariat, celui du XXIème du Grand Paris était devenu le commissariat des stars (voir récit n°15957), non sans une pointe de jalousie de la part de certains de ses collègues.
- — C’est bon, j’arrive.
- — Si vous pouviez amener votre équipe, je suis seul ici avec une élève-officier.
- — OK. C’est tout ?
- — Oui. Merci.
Valérie réveilla son compagnon par une caresse sur le bas du ventre et un baiser sur les lèvres.
- — Encore, supplia-t-il.
- — Pas tout de suite, nous sommes attendus dans la haute. Dépêche-toi.
En ronchonnant, Sébastien s’habilla, demanda des compléments d’information qu’elle fut bien en peine de lui fournir.
- — Tu connais ce Paul Duniez ?
- — Un peu ; il est correct et sympa. Il fait équipe depuis quelques mois avec une élève-officier. Me souviens plus de son nom, mais mignonne.
- — Dis, que je ne t’y prenne pas !
- — Elle est mignonne, mais tu es la plus belle.
- — J’aime mieux ça, dit-elle avec un sourire à faire fondre une chambre froide.
Le lieutenant Paul Duniez les attendait devant un bel hôtel particulier.
- — Nous vous attendions ; nous ne sommes pas encore entrés dans l’appartement.
- — Quelle sont les grandes lignes de l’histoire ?
- — D’abord, le lieu. Vous avez cinq appartements de 200 mètres carrés environ, juste pour vous donner une idée des locataires.
- — Diantre ! Je n’ose imaginer le prix du mètre carré !
- — Au premier, un sénateur et son épouse. Au second, un producteur d’émissions de téléréalité : Demi-Molle vous connaissez ?
- — La vulgarité rapporte, s’émerveilla Sébastien en regardant le bâtiment.
- — Au troisième, un ancien ministre et son épouse, ministre en poste.
- — Je te comprends, maintenant. Nous sommes en terrain miné. Et comme Priseure est à six mois de la retraite, il la joue profil bas.
- — Quatrième, le président du Centre Uni et Libéral.
- — Le C. U. L. ?
- — En personne.
- — Au dernier étage, monsieur Childéric de Crapougnac et son épouse, Cunégonde.
- — Connais pas, ceux-là.
- — Leur fils, Sigismond, est conseiller du président.
- — À l’Élysée ?
- — Non ; l’ancien qui veut revenir… Gilbert Bromure.
- — Nous n’avons pas intérêt à nous planter. Quels sont les faits ?
Les trois flics furent rejoints par Aglaé Mougnard, policière stagiaire.
- — J’ai récupéré les témoignages, sous réserve d’anonymat. La plus loquace est madame Sanchez, gardienne de son état.
Récit de la gardienne de la résidence :
Vers une heure du matin, tout l’immeuble a été réveillé par des cris qui venaient du cinquième. Chez M. et Mme de Crapougnac.
D’habitude la résidence est tranquille, et les Crapougnac aussi.
Je me suis rendue dans le hall, puis je suis montée dans les étages.
J’ai entendu des bruits d’objets qui se cassent, de pleurs, et aussi de coups. Les autres résidents se plaignaient. J’ai appelé la police.
- — Vu le pedigree des locataires, une dernière recommandation avant d’entrer ; elle tient en trois mots : discrétion, prudence, délicatesse, intervint la commissaire.
- — C’est le portrait-robot du flic lambda que tu viens de faire, ironisa Sébastien.
Ils montèrent dans les étages, sentant sur eux les regards des autres résidents, planqués derrière leur judas ou regardant les écrans de surveillance ; des caméras planquées sur les paliers ne laissaient aucun angle mort. Que vous soyez pauvre ouvrier ou plein aux as, les comportements humains restent les mêmes.
Arrivés devant la porte du cinquième, les quatre flics s’arrêtèrent et écoutèrent.
Des cris émanaient encore de l’appartement.
- — Ne t’approche pas, ne pose pas tes mains sur moi !
- — Mais, ma chérie…
- — Ne me touche pas ! N’approche pas avec cet objet démoniaque !
- — Je voulais juste te montrer…
Un grand bruit leur parvint, un bruit de chute.
Un cri épouvantable. Un cri d’agonie. Un cri révélant une douleur intense, le désespoir ultime.
- — Mon Dieu, qu’ai-je fait ? se lamentait la femme. Au secours, à l’aide !
Ils tentèrent en vain d’ouvrir la porte. La gardienne leur avait toutefois laissé les clefs de secours.
Valérie ouvrit, Sébastien et Paul entrèrent, l’arme au poing, au cas où.
Le vestibule portait les traces d’une lutte farouche : bibelots cassés, meubles bousculés.
Les quatre flics s’attendaient à trouver un carnage, des flaques de sang, l’apocalypse.
De faibles gémissements leurs parvenaient d’une pièce. Sébastien poussa la porte. Toujours ces mêmes scènes de chaos, de lampes renversées et rideaux arrachés.
Ils se trouvaient dans le salon.
Une femme se tenait recroquevillée dans un profond fauteuil de cuir. La cinquantaine, brune, une petite boulotte. Elle tremblait et gémissait. Elle n’était vêtue que d’une sage chemise de nuit. Elle avait le regard fixe et halluciné, les cheveux en bataille.
Les deux policières s’approchèrent d’elle afin de lui porter secours.
C’est à ce moment qu’ils virent l’homme.
Nu, assis sur la table basse, il semblait tétanisé.
Les yeux exorbités, la bouche ouverte en un cri inaudible, une main crispée sur la table, l’autre sur le bas-ventre.
Mais à leur grande surprise, aucune trace de boucherie, pas de sang.
La femme répétait sans cesse la même phrase.
- — Seigneur Marie Joseph, pourquoi a-t-il amené ce peulougue ? Mon Dieu, qu’ai-je fait ?
Elle ponctuait sa litanie de signes de croix.
- — Tu sais ce que c’est qu’un Peul Hougue ? chuchota Paul à Sébastien.
- — Non, aucune idée.
Valérie caressait le bras de la femme, en un geste d’apaisement.
- — Madame de Crapougnac ? C’est votre mari ? Que s’est-il passé ? Vous avez été agressés ?
- — Pourquoi a-t-il ramené ce peulougue ? Sniff.
- — Je crois les reconnaître tous les deux.
Paul semblait se remémorer un événement.
- — Il y a quelques mois, j’étais affecté à la surveillance de la Manif-pour-Tous. Ce couple se trouvait en tête de cortège, avec une bande d’excités qui jetaient de l’eau bénite sur les CRS en récitant des prières et en demandant à Dieu de les éclairer. Ça, il allait avoir du boulot, le Père Éternel : les CRS ne sont pas réputés pour avoir la lumière à tous les étages.
Aglaé visitait l’appartement. Dans la cuisine, elle trouva une boîte en carton. Elle revint dans le salon, la boîte à la main.
- — Je crois savoir ce que c’est que le peux lougue, annonça-t-elle en agitant la boîte.
Cunégonde de Crapougnac poussa un cri inarticulé, se réfugia au fond du fauteuil, se repliant sur elle-même.
- — Vade retro Satanas ! hurla la quinquagénaire terrorisée. Hors de ma vue, objet du démon !
- — Le peux lougue, c’est un plug, un plug anal. Et pas un petit : regardez.
Aglaé tendait la boîte en parlant, provoquant d’autres gémissements de la part de dame Cunégonde. Effectivement, un dessin explicite indiquait l’usage que l’on pouvait faire du contenu. En gros et gras, il était écrit « Un modèle aux dimensions et revêtement extras, pour une sensation de plénitude ».
- — C’est selon la notice, le modèle « Jumbo ».
- — Qu’est-ce que ça peut foutre ici ? râla Valérie. Madame ? Que s’est-il passé ?
Sébastien lui avait apporté un verre de cognac. Elle se l’enfila comme une limonade. Alors qu’ils ne s’y attendaient plus, elle se mit à expliquer sa soirée d’épouvante.
- — Depuis plusieurs jours, l’on ne cesse de parler d’une soi-disant œuvre d’art sur la place Vendôme.
L’artiste dit que c’est un sapin de Noël, les autres certifient que c’est un peulougue.
Mon mari voulut en avoir le cœur net. Il est allé se rendre compte sur place.
Il s’est mis en colère, mais il a voulu comparer. C’est un scientifique dans l’âme.
Il acheta alors un de ces engins dans un sex-shop.
Il le ramena à la maison. Il s’énervait.
Me fit comparer l’objet avec les photos qu’il avait prises sur la place.
Je ne voulais rien savoir, rien regarder.
Mais il s’énerva de plus belle. Et quand les nerfs le lâchent, il boit un peu.
De plus, la visite du sex-shop lui avait fait perdre la tête.
Il en avait profité pour explorer le magasin. C’était une première pour lui.
Il s’est servi trois verres de cognac, coup sur coup.
L’alcool aidant, il se mit à me raconter des choses invraisemblables.
Madame de Crapougnac semblait elle aussi sous l’effet du cognac. Elle ponctuait son récit de signes de croix nerveux.
- — Il m’a dit être fasciné depuis de longues années par mon anus. Quelle horreur ! Il fantasmait dessus… Il était dans un état second. Il ne cessait de parler de mes fesses, de mon postérieur. Il s’est déshabillé ; il s’est mis tout nu, ici, dans le living et la cuisine. J’étais déjà moi-même en tenue de nuit. Il m’a alors demandé de m’enfiler cette… chose dans le… cul, comme il disait. Il m’a tenu des propos insensés. Invraisemblables. Il voulait me faire comparer de tactu cet objet et son sexe. Dans mon rectum ! Sniff !
Plus elle répétait les mots « cul » et « anus », plus elle se signait.
- — J’ai refusé, outrée. Nous nous sommes disputés, puis battus, jusqu’au drame, lorsque vous êtes arrivés.
- — Je ne saisis pas bien, intervint la commissaire. Et puis où est l’objet ?
- — Là !
- — Où ça, « là » ? répondirent en cœur les quatre flics.
- — Là, dit la pauvre femme en tendant un doigt tremblant vers son mari.
- — Je ne comprends toujours pas.
- — Nous nous sommes battus ; il était pompette. Je l’ai poussé. Cette chose immonde était posée sur la table basse du salon. Il a trébuché… et il s’est assis dessuuuus ! termina-t-elle en un long gémissement.
- — Waouh ! Nom de Dieu… souffla Paul en se tenant les fesses. Vous voulez dire qu’il a ce truc dans…
- — OUI ! Bouuuh-hooouu, répondit Cunégonde en pleurant comme une chouette-effraie.
- — Si ça peut vous consoler, ses hémorroïdes ne sont plus qu’un souvenir, ajouta Sébastien, qui lui tendait un autre verre de gnôle.
- — Sur la notice, il est indiqué qu’il est en silicone médical et légèrement lubrifié, annonça Aglaé, comme si elle lisait la posologie d’un suppositoire pour la toux. Mais je suppose que ce ne doit pas suffire.
- — Appelez le Samu. Pendant ce temps, nous allons jeter un œil sur le problème.
Valérie prenait les choses en mains.
- — Monsieur de Crapougnac ? Nous allons vous aider.
À trois, ils se mirent en devoir de retourner le malheureux.
Un faible gémissement sortait de sa gorge.
- — Quelle horreur… gémit Aglaé.
- — Oh, putain ! s’exclamèrent en chœur les deux policiers mâles.
- — Je ne sais pas si le Samu va pouvoir faire quelque chose, admit la commissaire.
L’objet incriminé était entièrement enfoncé dans le postérieur. Seule la base apparaissait encore un peu. Les fesses, rougies par la tension, tremblaient. Comble de l’ironie, la chose était d’un beau vert printanier.
Le Samu arriva à ce moment crucial. Le médecin était une sympathique quadragénaire blonde, à l’allure sportive et à la poigne énergique.
- — Bonsoir. Docteur Fourtou, du Samu. De quoi s’agit-il ?
- — Ça, répondit la commissaire, en désignant le postérieur du bonhomme.
- — Oh, putain de bordel de merde ! Je ne vais pas pouvoir le lui retirer ici. Je vais devoir lui faire une péridurale.
- — C’est suite à une dispute conjugale. Son épouse ici présente en est la cause ; elle est aussi fortement choquée.
- — Une équipe de la cellule psychologique va s’occuper d’eux. J’espère qu’ils auront aussi une formation de proctologue ! ajouta l’énergique médecin, rigolarde.
- — Surtout, intervint la commissaire, vous ne devez pas faire de rapport. Ce qui s’est passé ici doit rester entre nous. D’ailleurs, moi-même je n’en ferai pas.
- — Qui sont-ils ?
- — Childéric et Cunégonde de Crapougnac.
- — Crapougnac ? Les de Crapougnac ? Pas les parents du petit con de Sigismond ?
- — Si. Pourquoi ?
- — Ah, les enfoirés ! Leur petit enculé de fils vient de pondre un rapport sur la dérive de la médecine urgentiste ! Nous sommes trop nombreux et ne foutons rien selon lui. J’ai bien envie de lui laisser ce truc dans le cul, au paternel ! Tout compte fait, je vais prendre quelques photos, pour mon album personnel.
Aglaé, qui s’intéressait toujours à la notice du bidule, se manifesta de nouveau.
- — Il y a une télécommande. Ce plug est une série spéciale.
- — Ah bon ? Intéressant. Et ça marche comment ? se renseigna la toubib.
- — Non ! intervint trop tard Valérie Bruchet
- — Comme ça, indiqua Aglaé Mougnard, en appuyant sur le petit interrupteur.
Les sourires égrillards des deux autres flics et du médecin en disaient long sur leur état d’esprit.
Le sort de Childéric de Crapougnac était scellé.
Sitôt la machine mise en route, un bruit ressemblant à celui d’un épilateur se fit entendre, accompagné d’une douce mélodie.
Vive le vent, vive le vent,
Bzz, bzz, bzz,
Vive le vent d’hiver.
Bzz, bzz, bzz.
- — C’est une série spéciale pour Noël, s’émerveilla Aglaé.
Les fesses de Childéric tremblaient comme de la gelée de coing.
En même temps, il poussait de faibles hululements. « Hoouuu » gémissait-il, comme un louveteau ayant perdu sa mère.
Ou une chouette mâle cherchant sa femelle.
Cunégonde regardait la scène, indifférente, perdue dans ses pensées.
Les flics et le médecin se marraient. Valérie tentait de récupérer la télécommande en rigolant, incapable de garder son sérieux.
- — Attends, il y a sûrement d’autres mélodies ; « Mon Beau Sapin », ou « Petit Papa Noël » !
Quelques minutes plus tard, la famille de Crapougnac partait discrètement en ambulance. Valérie ferma l’appartement, rendit les clefs à madame Sanchez.
Les quatre flics se tenaient sur le trottoir.
- — Venez à la maison, venez boire un verre, invita Aglaé. Si bien je n’ai pas envie de dormir.
Dans le petit appartement, autour d’un verre de Châteauneuf du Pape, la discussion allait bon train sur la nature de leur intervention. Mais pas question de propos graveleux. Tout tournait autour d’une histoire de sémantique.
- — « Plug », c’est un anglicisme. Il faudrait trouver un équivalent en français, se lamentait Paul. La langue française fout le camp.
- — En même temps, tu ne peux demander à ces vieillards cacochymes de l’Académie de trouver un mot pour cet objet : ils ne se rappellent même plus à quoi ça peut servir.
Sébastien se marrait.
- — Une bonde anale, proposa Paul.
- — Un bouchon rectal, renchérit Sébastien.
Aglaé obtint des applaudissements avec sa proposition : un Enculoir.
Le dernier mot revint à Valérie.
- — Vous allez dire que je suis vieux jeu, mais rien ne vaut une belle et vraie matraque, en chair et sans os.
Commentaire ponctué d’un gros baiser pour son compagnon.
Aglaé, toute rouge, regardait son collègue Paul avec insistance.
La nuit promettait d’être longue et dure pour nos valeureux représentants des forces de l’ordre.