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Temps de lecture estimé : 13 mn
11/06/15
Résumé:  Présentation des personnages principaux - Évocation de la légende et début de l'histoire. Le chevalier Pharamond de Merville tire son père des griffes de son abominable épouse.
Critères:  alliance vengeance nonéro historique -aventure -contes -vengeance
Auteur : Pierre Siorac      Envoi mini-message

Série : Le cavalier noir

Chapitre 01 / 06
La légende du cavalier noir

Épisode pilote



La légende du cavalier noir




La nature est et restera un mystère éternel pour les philosophes comme pour les scientifiques, les premiers s’interrogeant sur le pourquoi et les seconds sur le comment des choses, parfois l’inverse, et parfois les deux en même temps. Mais aucun, malgré les avancées perpétuelles de la science ou de la métaphysique n’arrivera jamais à en percer l’absolu secret.


Qu’il contemple les étoiles ou son propre jardin, l’Homme n’y voit souvent qu’une perfection totale, un parfait agencement, dû à la main d’un Créateur auquel il a donné bien des noms différents au cours des siècles passés. Tout en effet, reconnaissons-le, semble harmonie à nos regards superficiels.


C’est cependant ignorer les trous noirs qui dévorent l’espace et finiront sans doute par nous dévorer un triste jour, comme les guerres sanglantes que se livrent toutes les créatures habitant nos jardins. La libellule avalée par la grenouille, qui à son tour sera attaquée par un rongeur quelconque, qui lui-même terminera prisonnier des griffes d’un hibou. Le calme de nos jardins n’est qu’apparence ; et l’horreur, la souffrance et la mort se trouvent hélas partout, cachées à nos yeux manquant de pénétration.


Il en était de même pour les hommes qui avaient le malheur de croiser la comtesse de Merville. Cette magnifique blonde aux yeux bleus, aux formes parfaites, à la voix envoûtante, à la conversation érudite autant que fascinante, apparaissait à chacun comme l’incarnation de la féminité resplendissante. Qui aurait pu deviner que derrière tant d’apparente innocence et de douceur, elle était en réalité cette fleur du mal, cette plante carnivore dont le parfum subtil attirait l’homme comme un insecte, avant de lui dévorer l’âme et le corps ?


Aldemar de Merville, son époux septuagénaire en savait quelque chose. Hélas, il n’était plus en état de prévenir quiconque des dangers que cette créature maléfique faisait courir à ceux qui l’approchaient.


Il l’avait rencontrée quelques années auparavant, et en était tombé amoureux fou. Conscient qu’à son âge avancé ses moyens de séduire étaient considérablement réduits, il ne lui en avait pas moins fait une cour assidue, et s’était senti rajeunir lorsque la belle avait feint de succomber aux charmes (réels) de son esprit. Il ne tarda pas à lui offrir mariage et titre, et c’est dans la chapelle de son château que notre diabolique devint pour le meilleur et pour le pire la comtesse Hortense de Merville.


La lune de miel fut une succession de feux d’artifices amoureux. Hortense était exigeante en amour, et le vieux comte en fut tout d’abord ravi. Mais son âge imposait des limites, que sa femme refusa. Et il connut bientôt l’épuisement. Hélas, notre araignée avait capturé sa proie, et elle la dévora comme elle l’avait prévu. Une nuit semblable à toutes celles qui avaient précédé, elle finit par obtenir ce qu’elle voulait : le pauvre comte défaillit.


Cependant, comme pour le punir d’avoir cru en ce qu’il ne fallait pas – et sans doute parce que la luxure restait à jamais le péché le plus capital aux yeux du siècle – il ne mourut pas. Il se retrouva paralysé, incapable de marcher ou de parler… Hortense de Merville sembla en éprouver du dépit au commencement, mais elle comprit bien vite la jouissance perverse qu’elle pourrait trouver à cette situation nouvelle.




******************




Le soir où commence cette histoire, nous la retrouvons dans sa chambre, entre les bras vigoureux de son nouvel amant, le marquis de Cessac.

Ce dernier avait peu de science et peu d’esprit. Mais il était fort, en taille et en gueule, empli de toute la fatuité de la noblesse de robe, et avait la réputation d’être un amant acceptable. La comtesse et lui étaient nus dans la chambre bleu-nuit du château, elle assise sur le lit de sa nuit de noces, et lui debout, exhibant aux yeux de l’objet de ses désirs ardents, une anatomie que plus d’un aurait enviée.



Cessac s’exécuta et ôta le drap d’un coup dans un geste théâtral. Il s’arrêta, saisi d’effroi et de stupeur.



Le drap fut alors reposé sur le pauvre homme, qui certes ne bougeait plus, ni ne bandait plus, mais dont l’ouïe était encore affûtée. Des larmes d’amertume commencèrent à couler sur ses joues qu’on ne rasait plus que rarement, mais dont les traces – il le savait – seraient scrutées avec délice par le démon qui lui servait de femme et l’avait désormais en son pouvoir.


Aldemar de Merville fit alors un examen de conscience afin de se concentrer sur autre chose et tenter de ne plus entendre les cris et les gémissements qui résonnaient dans la pièce. On aurait eu bien du mal à imaginer, en regardant ce presque fantôme souffrant dans son fauteuil, l’homme qu’il avait été.


Ce gentilhomme catholique avait durant ses années de jeunesse administré ses terres avec une rigueur et une justice toute protestante. Son esprit ouvert et sa bonhomie naturelle en avait fait un seigneur aimé de ses gens.

Lorsqu’avaient éclaté les guerres de religion, Aldemar s’était toujours efforcé de réconcilier les deux camps dans ses domaines ; et grâce à son art de la négociation, aucun conflit majeur n’avait jamais ensanglanté sa province.


Il s’était marié tôt, à l’âge de 26 ans ; un grand et bel amour, sincère et partagé celui-là. Hélas, la première dame de Merville mourut en couches en mettant au monde le petit Pharamond, que dès lors Aldemar chérit pour deux.


En 1590, à 40 ans passés, il faisait partie de ces seigneurs fidèles à Henri III, qui à sa mort avaient pris le parti d’Henri de Navarre, l’héritier légitime. C’était lui qui, durant le siège de Paris, avait murmuré au Béarnais qui refusait de faire couler le sang des Parisiens « Dans ce cas, Sire, Paris vaut bien une messe… »

« Ventre Saint Gris, Merville, répondit le roi de France, voilà des mots qui resteront dans l’Histoire ! »


Pendant les vingt ans qui suivirent, il avait dirigé la diplomatie secrète du roi, mis au point l’édit de Nantes, et surtout calmé les fureurs des innombrables cocus du Vert-Galant.

Puis il était retourné vieillir paisiblement sur ses terres après l’exécution de Ravaillac. Il avait alors plus de 64 ans, et il était temps pour lui de goûter un repos bien mérité.


L’évocation de tous ces souvenirs avait permis à son esprit discipliné de faire diversion et ne pas entendre les cris des deux créatures qui souillaient le lit familial. Ce lit sur lequel le petit Pharamond avait été conçu, et dans lequel sa bien-aimée était morte. Il puisa au fond lui ce qui lui restait de force… Il tiendrait bon. La guerre lui avait appris que le vainqueur était toujours celui qui était capable de s’accrocher le plus longtemps au terrain, en attendant que le sort décide de la victoire.



******************




Le chevalier Pharamond Charles Henri de Merville embrassa tendrement sa femme avant de monter à cheval. Il lui déplaisait fort de la quitter, ne fût-ce que pour deux jours, mais il n’avait jamais manqué d’être présent au château paternel le jour de l’anniversaire du comte. Sa tendre Rose l’accompagnait d’habitude. Mais ayant appris l’accident grave de son père, il ne souhaitait pas que ce dernier se sente gêné par le regard empli de larmes et de pitié que ne manquerait pas de lui jeter sa tendre moitié.


Rose était une de ces femmes qui portaient leur nom avec autant d’honneur que de bonheur. Sa petite taille cachait un grand caractère ; ses yeux verts d’une infinie douceur en temps de paix (c’est à dire, lorsque Pharamond lui cédait tous ses caprices) savaient lancer des éclairs de feu lorsque la situation l’imposait, et son âme était belle, et son cœur était pur, et son corps… était pour le chevalier bien plus précieux que ce paradis dont beaucoup parlaient, mais dont personne n’avait jamais prouvé l’existence.


De quinze ans son aîné, Pharamond, à presque 50 ans, avait encore l’œil vif et la moustache frémissante de sa jeunesse. La courte barbe qu’il portait au menton avait blanchi mais ne l’avait pas empêché de garder son esprit rebelle ; et s’il courait désormais moins vite, il compensait en partant désormais suffisamment tôt pour arriver à l’heure à ses rendez-vous. D’autant plus que, comblé comme il l’était en amour, il n’avait plus besoin d’être en avance comme par le passé à ses rendez-vous galants.


Il chevaucha toute la journée pour arriver le soir dans la demeure de son père. La comtesse l’accueillit chaleureusement aux portes du château comme à son habitude, mais Pharamond aperçut derrière elle le marquis de Cessac, et cela lui déplut. Il n’aimait pas cet homme qu’il jugeait aussi sot que vaniteux.

Le repas du soir fut empli de gravité. Le chevalier s’enquit :





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Pharamond entra dans la chambre du vieux comte et le trouva endormi dans son fauteuil. Il s’approcha de lui doucement et embrassa tendrement son noble front afin de le réveiller. Aldemar ouvrit les yeux et reconnut son fils bien-aimé. Ses yeux s’allumèrent, et Pharamond eut alors la confirmation que l’esprit que ce corps retenait prisonnier était toujours aussi vif.



Il ouvrit la fenêtre et jeta au dehors l’infâme brouet qui se trouvait dans la gamelle qu’on avait préparée.



Pharamond tira de sa poche quelques morceaux du coq au vin qui venait de lui être servi, et entreprit de l’écraser en même temps qu’une pomme de terre dérobée également. Cela prit quelques minutes, puis il arrosa le tout d’un peu de vin sorti d’un pichet qu’il avait emporté pour lui. Il commença à nourrir son père avec délicatesse, tout en prenant garde à ce qu’il ne s’étouffe pas avec une nourriture qu’il ne goûtait plus depuis longtemps.



Aldemar tenta de détourner les yeux, mais n’y parvint pas.



Pharamond marcha un peu dans la pièce afin de calmer sa fureur et ses émotions, puis il revint à son père.



Pharamond se tut un instant afin de faire boire son père, puis il reprit :





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Cette nuit-là, tandis qu’Hortense de Merville dormait blottie dans les bras de son amant, une ombre toute vêtue de noir s’introduisit sans bruit dans la chambre. Un feutre sur la tête, un masque et un foulard cachaient presque totalement son visage. L’homme portait une épée et un fouet à la ceinture, et était armé d’un pistolet. Il ôta doucement le drap blanc qui une fois de plus recouvrait Aldemar, puis il s’avança en direction des deux corps endormis. Il posa sur la bouche, juste en dessous du nez de la comtesse, un morceau de tissu imbibé de chloroforme et secoua sans ménagement le marquis de Cessac.



Cessac bondit hors du lit et tenta de fuir ; un croc-en-jambe le fit tomber à terre. Il tenta de se relever.



Et l’ombre tira, touchant le marquis en plein cœur.


Réveillée par le coup de feu, Hortense ouvrit les yeux, mais la drogue l’empêchait de reprendre totalement ses esprits. Elle se retrouva promptement attachée par les mains aux colonnades du grand lit nuptial.



Un violent coup de fouet la fit hurler et acheva de la réveiller. Elle se retrouva bientôt les fesses et le dos entier couverts de zébrures sanglantes, pleurant et suppliant que l’on arrête. L’ombre reprit :



Puis, la laissant attachée, le cavalier noir souleva le comte, le posa le plus doucement possible sur ses robustes épaules et disparut dans la nuit.