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Temps de lecture estimé : 71 mn
18/07/15
corrigé 07/06/21
Résumé:  Entre mademoiselle Sally, extravertie, et monsieur son voisin du dessous, aussi sociable qu'une table de jardin, le premier contact s'avère plus compliqué que prévu...
Critères:  fh voisins amour cunnilingu nopéné humour
Auteur : Marie Anne & Luc Carois      Envoi mini-message

Série : Amoureusement vôtre

Chapitre 01
Quelqu'un dans mon genre

C’est dans l’escalier où flotte une odeur de cuisine rance que je le rencontre pour la première fois, le voisin du dessous. Sur son palier, ses clés à la main et l’air profondément concentré sur une idée qui, à mon avis, ne nécessite pas tant de sérieux. L’endroit malodorant ne se prête pas à la conversation, mais un échange de regards me convainc que le mec est libre.


C’est qu’avec le temps et l’expérience, on remarque de suite les détails qui tuent : pas d’alliance, d’affreuses chaussures marron de randonnée genre Décathlon, un léger embonpoint, une barbe de quinze jours prouvant un net laisser-aller… et par-dessus tout, la tronche de celui qui n’a pas touché de string avec ses yeux depuis un bail. Avec les mains, je n’ose même pas imaginer. Ça doit remonter au Déluge.


Célibataire, et a fortiori ayant complètement laissé tomber l’idée même de forniquer à nouveau un jour, donc.


À cette pensée, je lui souris. Il me renvoie un regard un peu ahuri, comme s’il se demande si ça lui est bien destiné. Je peux donc constater que le mix bottes à talons hauts / mini-jupe / blouson de cuir trouve un écho parfaitement audible chez monsieur mon voisin. En continuant ma descente, je suis aux anges.


Arrivée en bas, je zieute discrètement les boîtes à lettres. David Nolant. Le nom m’est familier. Je me dis que je vais pousser mes recherches dès que j’aurai un moment libre.




*




Ce que je fais le soir même, entre deux déballages de cartons – je viens d’emménager. Heureusement, la première chose que j’ai faite avant de quitter définitivement mon ex, c’est d’ouvrir une ligne Wi-Fi dans mon futur appartement. Je peux donc surfer tranquillou sur le Net, entre éclats de rires et sifflements amusés. C’est l’apogée de la technique et de la science moderne. Un ordi, Internet, et le monde entier ouvert à soi. Mon frigo est vide, je bouffe des chips depuis deux jours à m’en faire descendre trois bouteilles d’eau par jour, et je n’ai toujours pas monté mon lit, mais c’est accessoire.


Alors comme ça, il écrit des poésies, monsieur mon voisin… Il n’a pas l’air d’en avoir vendu des pelles, de ses poèmes. Il a aussi écrit plusieurs romans, dont un sur l’art de se faire enculer par nos politiciens. Je trouve quelques extraits à me mettre sous la dent, et me mets à nouveau à ricaner comme une dinde.


C’est bien que ce que je pensais : un idéaliste, têtu, épris de liberté, bouffé par son sens de l’honneur. Des comme lui, j’en ai déjà fait mon petit déjeuner. Cependant, quelques détails m’interpellent. Voire même – et j’ai du mal à l’admettre – me touchent. Cette façon de jeter la merde du monde à la face du public, comme s’il espérait un réveil des consciences… ça me fait un peu suer pour lui. Le pauvre. Il devait déguster grave. Un puits de désespoir, une montagne de frustrations. Je comprends mieux les grosses godasses de randonnée. Sa vie doit ressembler à du trekking de haut niveau.



Le lendemain, dès potron-minet, je me mets à réfléchir duraille. Je vais profiter de mes derniers jours de repos pour tenter une approche. J’ignore encore exactement pourquoi, mais il faut que je le drague, cet énergumène. Je l’ai aperçu deux fois encore, par hasard sur le parking de la résidence la première ; et pour la deuxième, j’avoue que je me suis mise à surveiller en douce son balcon, légèrement décalé en dessous du mien. Il fume, ce bougre. Une mauvaise habitude de vie dont j’entends bien le priver à l’avenir.


Parce qu’il m’attire grave, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai appris à me détacher de ce genre de doute. « Toujours se fier à sa première impression », et « Toujours courir quand on a envie de courir et sans se poser de questions » : ce sont deux maximes de vie auxquelles j’adhère complètement.

Une autre, plus secrète, me pousse à toujours aller au cul quand j’en vois l’occasion, mais ça présente moins bien, alors je la tais la plupart du temps.




*




Midi. Monsieur mon voisin est levé : j’entends de la musique venant de son salon, juste sous le mien. Sa baie vitrée donnant sur le balcon doit être ouverte. Je jette un œil dehors : rafales de vent et pluie. OK, ça commence bien… Il doit toujours avoir chaud, ce mec, pour ouvrir les fenêtres par un temps pareil ! Je déteste la flotte, le froid ; je suis un vrai cul-gelé, et je n’ouvre jamais mes fenêtres l’hiver. Bon allez, si je m’arrête au moindre détail, je ne réussirai jamais à me le taper.


Je risque un pas sur le balcon détrempé et aperçois en bas le sujet de mes convoitises en train de cloper sous la flotte. Je reconnais quelques bribes de chanson : Johnny Hallyday. Waouh !…


Déconcertée, je rentre illico. Clope et musique de merde : un cocktail qui me rebute définitivement, d’habitude. En plus, ce temps pourave n’arrange pas mes affaires. Pour l’instant, je laisse tomber.




*




Vingt heures. Je suis sortie commander des bricoles chez Ikea, puis j’ai passé les deux dernières heures à boire du café et à lire sur le Net tous les poèmes que je trouvais de monsieur le voisin qui écoute de la zique à chier. Ça m’a remontée à bloc. Je décide de tenter mon va-tout : j’ai lu je ne sais plus où qu’il organisait une lecture publique dans la librairie du coin, prochainement. Je vais donc aller sonner et lui demander gentiment si je peux venir, car j’adoooore ce qu’il fait.


Je file dans la chambre et farfouille dans mes cartons : mini-jupe (en cuir, toujours), collant fin et brillant, et pull à col en V tellement plongeant qu’on peut compter mes grains de beauté entre mes deux globes. Surtout quand je ne mets pas de soutif. Me voilà parée.




*





Je raccroche en maudissant une fois de plus ce monde de lâches et d’entrepreneurs incapables de vivre pour la beauté du geste, obnubilés par le pognon et les apparences. Un monde empli de gens incapables de la moindre révolte, ne se mettant à gémir que lorsque leur tête se trouve entre le billot et la hache du bourreau, comme l’avait si bien écrit Khalil Gibran. Un monde à la moralité à géométrie variable et muni d’un quotient intellectuel de bisounours.


Je ne vais donc pas participer à cette lecture publique, et par conséquent pas pouvoir assurer la promo de mon dernier bouquin. Mon éditeur va encore m’appeler et piquer une colère en prétendant que je n’y mets pas du mien, que j’aurais pu noyer le poisson en lisant des histoires anodines et en ne présentant que mes poésies à la vente. « Donner envie », c’est le nouveau leitmotiv à la mode… Donner envie, comme les putes, en susurrant des conneries comme « Viens, ma chérie… Tu vas la sentir, ma grosse poésie… »


Je vomis dans le lavabo de la salle de bain, puis je prends une bière dans le réfrigérateur.


J’allume l’écran de l’ordinateur et je consulte mes mails. De la pub pour du Viagra, des relances de pétasses provenant d’un site de rencontres où je ne vais plus depuis des mois, des injures provenant d’un forum de littérature sur lequel j’ai publié une histoire de cul, une invitation à faire réviser ma voiture pour moins cher de la part d’Escro-Car, et un mot d’un ami musicien qui me demande un texte de chanson pour terminer son prochain album.

Je torche une chanson d’amour en vingt minutes et efface tout le reste… Je coupe l’écran et décapsule une bière. La dernière avant de dîner.



Coup de sonnette. Une brune pulpeuse, lèvres écarlates, talons de dix centimètres, mini-jupe en cuir.

J’écarquille les yeux.



Je fronce les sourcils. Du coup, elle s’interrompt. Elle a un joli visage, avec des traits doux, mais ce n’est pas ce qui me frappe le plus. Son regard est incroyable. D’un noir profond comme l’encre. Je n’ai jamais vu des yeux comme ça de ma vie. Brusquement, je me méfie.





*




Coriace le bougre ! Argh, on ne m’avait jamais traitée comme ça. Sans vouloir faire ma prétentieuse, harnachée comme je l’étais, il ne POUVAIT simplement PAS ne pas crever de désir en me voyant. Il aurait dû me déshabiller du regard, puis m’inviter à dîner, simplement, pour faire plus ample connaissance et discuter de ses poésies. C’était sans compter que cette foutue librairie avait annulé sa lecture… Bande d’enfoirés ! Ils venaient de me ruiner mon plan cul !


Je balance mes bottes dans le couloir de quelques coups de pied rageurs et retourne devant l’ordinateur en maugréant toute la soirée. J’ai encore bouffé des chips et devinez quoi, le lit ne s’est pas monté tout seul.




*




Lendemain matin : le ciel est clair, et il ne pèle pas trop. Idéal pour mettre en pratique mon plan. Je prends mes draps à pleines mains et les balance par-dessus la balustrade de mon balcon, veillant tout de même à ce qu’ils ne dégueulent pas trop sur le sol en contre-bas, encore mouillé de la veille. Ensuite je me précipite dans la salle de bain et passe un bon moment à trifouiller dans mon petit sac à cul.

Sac à cul ? J’entends, la grande pochette où je stocke tous mes jouets sexuels… J’avais d’abord pensé à prendre mon string noir à résille très fine, mais vu l’accueil que Môssieur le Voisin m’a fait la veille, j’ai décidé de frapper un grand coup. Je me saisis donc de mon plus gros engin à piles, et sans la moindre hésitation le jette sur le balcon du dessous.


Plus qu’à attendre.




*




Minuit. Coup de sonnette.

Devant moi, Monseigneur le Poète Maudit qui me fait l’honneur de sa présence. Néanmoins, ses traits fermés et son œil torve ne me disent rien qui vaille.



Là, je préfère la fermer, et me contente de lui jeter mon œillade la plus chaude de ma collection. Il cille nerveusement. Ah, quand même, une réaction. C’est pas trop tôt.



Il me tend alors un sachet en plastique. Dedans, enveloppé comme un bout de viande surgelé, mon énorme gode. Je prends un air tout à fait hébété.



Monsieur le voisin louche sur mes doigts, et particulièrement sur mon vernis à ongles, très foncé, que je trouve ultra sexy. Lui aussi a l’air de le trouver ultra sexy. Je me retiens de sourire. D’une main tremblante, je lui arrache le sachet des mains et le plaque dans mon dos. Mon kimono s’ouvre alors sur ma nuisette, ma position faisant saillir ma poitrine à peine couverte. Les yeux bleus de monsieur mon voisin se vissent alors sur mes seins aussi sûrement qu’un assoiffé mate un verre de bière.



Le voilà qui bafouille, maintenant. Je bouge un peu, ce qui a pour résultat de faire glisser une bretelle de ma nuisette de l’épaule au biceps. Mon sein gauche manque de sortir de l’enveloppe soyeuse de tissu. Ce cher David Nolant ne sait plus comment dissimuler son trouble. J’ai l’impression que les yeux vont lui sortir de la tête.


Finalement, ce ne sera pas trop dur. Et dire qu’il venait là en conquérant, prêt à me défaire, somme toute, vu l’heure plus que tardive. Il s’attendait certainement à me trouver titubante de sommeil et complètement désarmée. Tu parles, Charles !



Sur ce coup-là, je me sens un peu désorientée. Comment peut-il ignorer mes charmes à ce point ? Son regard se fait plus perçant. Je me sens troublée alors qu’il plonge ses yeux dans les miens.



Revoilà la méfiance… OK. Je balourde le gode sur le meuble de l’entrée et referme mon kimono sur mes nichons. Je suis furieuse, mais j’essaie de le cacher du mieux que je peux. Je ne baiserai pas ce soir : message reçu cinq sur cinq.


Le David a l’air crevé, mais son œil aiguisé et son petit sourire en coin m’amènent à penser qu’il a un cerveau et qu’il sait s’en servir. Ce dont je ne doutais pas, ayant lu ses poèmes et quelques extraits de romans par-ci par-là, mais je m’attendais davantage au regard du lapin pris dans les phares d’une bagnole en lui présentant les atouts notables de mon humble personne.



Monsieur le voisin secoue la tête en souriant – là, il se fout carrément de moi – et fait un pas en arrière pour prendre congé. Je joue ma dernière carte :



Il serre les lèvres. Je comprends subitement que c’est juste parce qu’il a eu envie d’éclater de rire et qu’il s’est retenu comme il a pu. Là, je rougis. La rage, la frustration, ou l’orgueil blessé, point ne sais-je. Mais j’ai très envie de lui rayer de mes doigts aux ongles ultra sexy sa figure de vieux séducteur sur le retour.



Je claque violemment la porte pendant qu’il rigole comme une baleine dans l’escalier. Les dents serrées, je cours jusqu’au balcon et ramène mes draps trempés d’humidité à grands gestes frénétiques.


Toi, mon coco, tu vas bientôt passer à la casserole ; promesse de… de… moi !




*




Coup de sonnette.


La voisine du dessus, toujours craquante dans un ensemble coordonné pantalon et haut ultra moulants. Longtemps que je l’avais vue, cette semaine. Elle me dédie son plus beau sourire. Apparemment, elle n’a toujours pas compris qu’une belle paire de miches et des nichons haut de gamme ne suffiront jamais à me faire tourner la tête : y a des nanas comme ça : on a beau leur montrer qu’elles nous intéressent pas, elles peuvent pas s’empêcher d’en faire des tonnes.


Quelque part ça me flatte : je ne suis pas encore devenu un vieux croûton, même si j’y travaille très fort.



Je me sens un peu coupable de l’avoir ignorée, l’autre nuit. C’est pas qu’elle me plaît pas, note : c’est juste que j’aime bien quand elles ont de l’esprit en plus de leurs nichons, même haut de gamme.


On arrive chez la donzelle. Elle a déballé ses cartons, apparemment. C’est mignon… Le genre petit nid douillet pour nana qui vit toute seule. Je décide donc de me montrer aimable, en fin de compte. On ne sait jamais, qu’elle soit pas si cruche qu’elle en a l’air…


La caisse est en bois, et ces connards ont vissé le haut. On a le choix entre tout défoncer, ou essayer de retirer les vis une par une.



Je descends rapidement à la recherche de mes outils, et je me dis que – putain, la vache ! – elle est quand même bien gaulée, la voisine. Et elle le sait très bien… Elle n’arrête pas de faire sa mijaurée, à se dandiner d’un pied sur l’autre, avec des petits airs de vierge effarouchée ; mais il est clair qu’elle est décidément dans la phase appelée « allumage du voisin », censée m’inciter à lui rendre service. Normalement, je devrais l’envoyer se faire foutre comme les autres fois… mais… putain, qu’elle est bonne ! Alors bon, on ne sait jamais.


Je remonte avec la visseuse.



« Tu parles, Charles… »



Elle s’est adossée au mur, a sorti une sucette et commence à jouer avec son portable tout en la léchant… Moi, je dévisse à vitesse grand V, tout en lorgnant du coin de l’œil ses coups de langue sur la sucrerie. Putain qu’elle est bandante… Je n’ai bientôt plus qu’à ôter le couvercle. « MERDE ! » À l’intérieur de la boîte se trouve un autre mec, totalement à poil et couvert de chaînes ! Je regarde la fille, totalement éberlué ; juste le temps de prendre le flash de l’appareil photo du portable en pleine poire.



J’ai l’impression d’avoir l’air le plus niais de la Terre, genre même les sept nains à côté paraissent géniaux. Je déglutis nerveusement.



Elle écarquille innocemment ses yeux.





*




Une tarée… Bien gaulée, bandante à souhait, mais tarée. Complètement. Enfin, je devrais plutôt dire « un couple de tarés ». Comment un mec digne de ce nom a-t-il pu accepter de se laisser enfermer dans cette caisse avec des chaînes autour du cou, des chevilles et des poignets ? Bah, chacun fait ce qu’il veut avec son cul. C’est pas mon problème, après tout… et encore moins mon trip.


Je raye mentalement mademoiselle la voisine de ma liste de coups possibles…


Mais quelque part, ça m’ennuie parce que… En fait, il faut bien le reconnaître : la liste s’amenuise de plus en plus. J’ai mené la grande vie depuis mon divorce, dix ans auparavant. Mais, avouons-le, plus pour me rassurer que par passion sentimentale. J’ai commencé par rencontrer des femmes sur Internet… Toujours pleines de promesses non tenues. Pas de jugeote la plupart du temps, et affligeant côté cul.


Ça, pour parler, elles parlaient : « Et j’ai fait ci, et j’ai fait ça, et je pratique l’échangisme, et j’adore la sodomie, et j’ai plein de tenues coquines, et blablabla, et blablabla… »

Une fois allongées, plus rien… Elles attendaient que ça se passe. En fait, je crois qu’elles n’en avaient en réalité rien à foutre. Elles avaient atteint l’âge auquel on flippe de terminer toute seule, et elles voulaient juste se trouver un mec pour arrêter d’avoir l’air con devant leurs copines.


Et moi, je m’emmerdais. Je m’emmerdais au pieu, je m’emmerdais quand elles parlaient, et je finissais toujours par trouver qu’il était plus épanouissant de se tirer sur la tige en matant les salopes de Xvidéo.


Oh, bien sûr, pendant un temps, j’ai cru sincèrement trouver la solution. Toutes ces petites jeunettes de la nouvelle génération qui s’étaient mises à tourner autour de moi, élevées sans père pour la plupart, assoiffées de références masculines, déprimées par les mecs de leur âge complètement immatures… Sauf qu’elles parlaient de poser leurs valises chez moi dès la troisième galipette et commençaient à me parler de leur désir d’enfant à la cinquième. Et que… ben non.


Alors j’avais décidé d’arrêter les frais, une fois pour toute. Plus de femmes ! Je n’étais pas contre une petite partie de jambes en l’air, à l’occasion, mais pas de relation sérieuse. Excepté le boulot : une vie d’écrivain, avec la littérature pour seule maîtresse, et l’attente de la paix du slip, dernier stade avant d’atteindre l’Ultime Sagesse.


Et voilà que mademoiselle la voisine se pointe la bouche en cœur pour réclamer une partie de baise. Non mais, pour qui elle se prend, cette petite dinde ? Elle croit vraiment que son joli petit minois et ses tenues provocantes vont me faire craquer ? Je dois bien reconnaître qu’elle va beaucoup plus loin que les autres femmes que j’ai croisées…


Elle ne m’a pas parlé de ses jouets, elle m’en a montré un…

Elle ne parle pas de ses fantasmes, elle les vit.


Cela aurait pu, en d’autres circonstances, m’attirer. Mais là… Soyons sérieux deux minutes : Nolant enchaîné, en cage, et pourquoi pas avec un gode dans le cul pendant qu’on y est… Je l’imagine fantasmer là-dessus… et j’éclate d’un rire énorme.


Je rallume ma bécane et reprends l’écriture de mes poésies…


Cinq clopes et trois skys plus tard, je m’aperçois que je n’arrive à rien. Trop de pensées parasites… Qu’est-ce qu’elle peut bien lui faire, à l’autre, cet espèce de sous-homme dégénéré ?


Je songe à nouveau au joli petit cul bien rebondi de ma petite cochonne de voisine. Un cul qu’il s’avère nécessaire de fesser, qui semble même l’appeler de tout son être. Une petite peste qui mérite, apparemment, qu’un homme, un vrai, s’occupe de la remettre à sa vraie place. Seule manière de ne plus perturber mon génie créatif… Je décide donc qu’à partir de cet instant, la guerre est déclarée. Si elle me veut, elle m’aura… mais à condition de supplier.




*




Satisfaite de mon coup, je vais chercher deux verres et nous verse de bonnes rasades de pastis.



Mickael boit avidement.



Mickael paraît surpris. Il hausse un sourcil, me regarde, puis commence à se rhabiller en secouant la tête.



J’éclate de rire. Mickael n’a toujours pas l’air de saisir. Je l’adore, c’est vraiment un très bon ami à moi, mais faut être honnête : il n’a pas inventé la poudre. Soudain il grimace.



Je hausse les épaules. J’en ai chié, faut l’admettre. Mais ça en valait le coup. À chaque fois que je me repasse le film de l’ouverture de la caisse, je suis à la fois morte de rire et terriblement excitée. Nolant hésitait entre la stupéfaction et la fascination, sur la fin. Il apparaît évident que je vais me le faire ; mais à quelle sauce vais-je le manger ? Je me pose soudain la question. C’était un bluff incroyable, avec lui, cette caisse et cette histoire d’esclave. Mais… s’il a envie de…



Je souris.



Mickael fait la moue.




Une fois seule, je me glisse à pas de loups – ou de louve – sur le balcon. Il fait nuit, froid, aussi je referme frileusement mon manteau sur moi. Personne. J’attends un peu en soufflant sur mes mains. J’entends de la musique, et il y a de la lumière : il ne dort donc toujours pas. Un coup d’œil sur ma montre m’apprend qu’il est quand même minuit et demie.


Travaille-t-il bientôt ou bossait-il dans la journée ? Il m’a parlé d’horaires décalés, je sais pas du tout dans quoi il taffe. Je fais les cent pas sur mon balcon, quand soudain j’entends le chuintement de la baie vitrée juste en-dessous de moi, puis le bruit d’un briquet qui cliquète nerveusement plusieurs fois. Je me fige, tandis qu’un nuage de tabac monte en serpentant jusqu’à ma balustrade. Nolant est là, tout près de moi… Si seulement je pouvais lui porter l’estocade !


J’hésite. On est fin mars, il doit bien faire quatre ou cinq degrés. Finalement, estimant que l’enjeu en vaut la peine, je me rue dans mon appart’, balance mon manteau sur une chaise, me déshabille avec frénésie et chope quelques belles nippes dans ma commode à sexe – j’entends, l’endroit où j’entrepose toutes mes tenues de pute qui font fantasmer les mecs. Je commence à en avoir un sacré paquet.

J’enfile ensuite mes bottes à talons hauts, empoigne mon verre de pastis puis retourne sur le balcon. Je suis plus forte que le froid. Il faut relativiser. Étant un véritable brasier hormonal, je devrais pouvoir m’en sortir sans risquer la pneumonie.


Nolant est toujours là, mais il a bientôt fini sa clope. Du haut de mon promontoire improvisé, je l’observe quelques secondes. Des cheveux blond argenté fichus un peu n’importe comment, une chemise dont le col échancré laisse apparaître une fine chaîne en argent, et une bande de peau bronzée qui m’attire instantanément. Sans compter ses mains, larges mais soignées. Je me souviens de leurs mouvements tandis qu’il dévissait ma caisse… Son doigté est précis, délicat et habile. Ça commence à me faire fantasmer grave, surtout quand j’imagine ses doigts… là où ça fait du bien.


Et voilà. Je commence à mouiller mon string. Et merde, en plus j’ai laissé passer l’occase : il a fini sa clope ! … Ah bon, je vois : monsieur est bien atteint, vu qu’il en allume une deuxième aussi sec.

Il semble observer la ville, mais soudain, comme pris d’une pensée à mon encontre, relève la tête vers moi. Je prends une mine langoureuse en sirotant mon verre. Pourtant je n’en mène pas large. En tout cas, il n’a pas l’air surpris de me trouver là.



Je vois bien que ma fausse apparence de blasée finit par le déconcerter. Je sens même pas le froid mordre ma peau tendre. Je suis imperméable à tout, sauf au désir qui palpite dans mon ventre. Je me penche davantage sur la balustrade, faisant presque jaillir mes seins moulés dans ma combinaison en vinyle et résille. Nolant les regarde attentivement avant de glisser ses yeux dans les miens. Mon cœur bat très fort.



Nous y voilà…Je lui souris.



Un silence… Mon sourire s’élargit. Je me penche à l’intérieur de mon balcon pour déposer mon verre par terre, puis reviens m’accouder pour fixer mon voisin droit dans les yeux, tout ça avec des gestes de féline dont il ne perd pas une miette. La clope s’éteint entre ses doigts, il n’y fait pas gaffe. « Tu es cuit ! » Et je pense tellement fort qu’il est cuit que j’ai l’impression qu’il va l’entendre et venir me niquer séance tenante.



Nolant s’adosse à sa balustrade, et son visage levé vers moi se crispe un peu.



Où est passé le connard qui se foutait de moi et de mon gode il y a cinq jours ? Je suis morte de rire intérieurement.



Une pause.



Nolant me toise quelques minutes. Soudain il semble se détendre et me sourit largement.



Je pique un fard.



Je l’entends se marrer comme un bossu au moment où il referme la baie vitrée.


Putaaaaaaiiiiin, mais je vais me le faire ! Rien que pour lui faire ravaler ses rires d’enfoiré !




*




C’était trop bon ! La pauvre, si elle savait…

J’étais toujours en train d’essayer d’écrire lorsque j’ai entendu du bruit dans l’escalier. Ça fait quand même vingt ans que j’habite l’immeuble, et à part moi, les gens ici sont quand même ultra paisibles et ultra plan-plan. Alors tu parles, des cavalcades et des cliquetis de chaînes à cette heure, il fallait forcément que ça vienne de chez elle. Je me suis collé derrière le judas, et j’ai vu le bellâtre en train de descendre. « Déjà viré ! » me suis-je dit avec satisfaction. Soit il ne faisait pas l’affaire, soit… Ah ouais, je voyais bien le truc : elle s’était clairement foutue de ma gueule.

Quelle emmerdeuse ! Encore un de ses plans tordus. Mais là, franchement, ça valait quand même toute mon admiration. Elle avait dû en chier, la poulette, pour monter sa petite caisse jusqu’au troisième. Et ce connard avait dû manquer d’air, là-dedans…


Sauf que maintenant, ça devenait quand même très compliqué comme histoire. Elle me voulait entre ses cuisses ou derrière des barreaux – peu importe –, et clairement elle était très bonne. Mais si j’acceptais – et ce, quelle que soit la manière – j’allais devenir son nouveau trophée. Et ça, pas question !

Je suis donc sorti sur le balcon pour m’en griller une et méditer tout ça…


C’est beau, une ville la nuit… Regarder les lumières qui s’étendent à l’infini, imaginer toutes ces vies qui se percutent les unes aux autres, tous ces gens qui se croisent, qui se parlent, qui se prennent au sérieux, et regarder ensuite l’immensité du ciel étoilé, se dire que tout cela au fond n’a pas d’importance. Se dire qu’un jour ou l’autre tout cela aura disparu, que plus aucune lumière ne s’allumera, mais que les étoiles, elles continueront de briller.

Nous ne sommes pas grand-chose dans cet univers, à peine plus qu’un souffle de vie, nécessaire sans doute, puisque tout est parfaitement conçu, mais tellement fragile, tellement minuscule, tellement éphémère…


Elle a raison, ma petite chaudasse du dessus : finalement, même si elle ne se pose sans doute pas toutes ces questions existentielles, autant profiter au maximum du peu de temps que nous laisse le miracle de la vie ; autant… Je n’en crois pas mes yeux : elle est sur son balcon, un verre à la main, en tenue sado-maso, l’air de rien… et elle se les gèle, comme l’indique la chair de poule qui a envahi ses avant-bras. Je ne sais pas si autant de persévérance doit m’amener à être touché, admiratif, ou à devenir quand même extrêmement méfiant, parce que là, quand même, elle a un côté psychopathe dans sa façon de chasser qui devrait sans doute me dire de faire gaffe.


Mais bon, clairement, elle a engagé une partie de poker sans savoir à qui elle avait affaire. Je connais sa main… elle n’a rien. Alors j’appâte le pigeon en lui laissant croire que je ne sais plus où j’en suis : « T’as de beaux yeux, tu sais… » Et au moment où elle veut relancer : « Tu veux quoi, chéri ? », je fais tapis : « Tu veux baiser, hein, espèce de cochonne ? » Et là… plus personne : chair de poule sur les bras, et rouge tomate sur les joues. La voilà obligée d’abandonner le pot, en l’occurrence mon braquemart légendaire. Et je rentre en éclatant de rire… Non, vraiment, c’était trop bon !


Il est temps d’aller me pieuter. Je me dessape et envoie valser mes fringues sur le bureau. Envie de dormir à poil ce soir, au-dessus des draps, avec la fenêtre ouverte, envie de sentir la caresse du vent sur mon corps.

Je ferme les yeux… et merde ! Je la vois dans sa combinaison de vinyle, enfilée exprès pour me rendre fou. Je l’imagine hautaine, perchée sur ses bottes à talons, en train de vouloir se venger, un fouet à la main… J’imagine que je lui attrape le poignet en la regardant dans les yeux : « Pas de ça avec moi, petite… » Mais je n’arrive pas à soutenir son regard. Non, surtout ne pas la regarder dans les yeux… Je l’entends murmurer de rage entre ses dents : « Baisse le regard, esclave ! Et lâche mon poignet immédiatement. »


Et je me rends compte que j’ai la trique.

« Putain, cette nana est dangereuse, Nolant… On va essayer de ne pas s’approcher trop près de ce serpent : tu pourrais avoir envie de croquer dans un fruit dont tu n’es pas certain du goût. »




*




Je rumine mon foirage toute la journée du lendemain. En peignoir, les cheveux sales et toutes les dix minutes le nez dans le frigo – j’ai fait les courses la veille, au cas où vous vous poseriez la question.


Difficile de dresser le bilan de mon échec. Ce qui au début n’était qu’un jeu érotique prend des allures de règlement de comptes. C’est rare qu’un mec me tape dans l’œil au premier regard. C’est encore plus rare qu’il me résiste aussi âprement quand je déploie ma panoplie de séductrice. Le coup de l’esclave sexuel dans la caisse, je n’avais jamais fait dans ma vie privée… précisément, je n’avais jamais été obligée d’en arriver jusque-là. Et je n’aurais jamais imaginé qu’on puisse encore se poser la question de baiser avec moi ou pas après un coup pareil. Ou bien j’ai vraiment mal décodé le bonhomme. Après tout, c’est possible. Faudrait que je fasse gaffe à pas toujours sauter aux conclusions hâtives, en matière d’hommes.


Amère, je me dis que je devrais faire gaffe à ne pas sauter tout court, parfois. Suivre ses pulsions, c’est bien ; mais quand ça commence à vous turlupiner dans le mauvais sens du poil, ça pue.


Je reprends le boulot dans trois jours, et je ne sais toujours pas comment je vais faire plier môssieur Nolant. J’imagine qu’il lui en faut plus. Quel niveau d’exigence, pour un mec comme lui ! Écrivain raté, un manque de goût total pour son apparence, sans parler du laisser-aller général qui semble crier au monde entier qu’il ne baisera plus jamais. Pire : que ça ne l’intéresse plus.


Plus qu’un affront personnel, ça devient une grande cause humanitaire. On ne peut pas permettre qu’un homme avec de telles mains renonce au cul ! Ce serait criminel. Je suis entrée sans le vouloir dans une bataille de nerfs que je ne suis pas sûre de pouvoir gagner. Si ça n’avait concerné que les neurones, j’aurais pu me battre d’égal à égale ; mais côté nerfs, j’avoue que je suis quand même limite pétage de plombs, depuis quelques jours. Je n’arrête pas de m’imaginer les trucs qu’il me ferait avec sa langue…


Me voilà toute chose. Je m’assieds sur mon clic-clac, les yeux dans le vide. Le cerveau est en panne. L’imaginaire, lui, turbine à plein régime, créant des images carrément indécentes devant mes rétines. J’essaie de me secouer – quand même, y a plus important dans la vie que de se taper ou non le voisin du dessous. Il faut réfléchir, voilà tout. Pas de problèmes… que des solutions.


Alors, il lui en faut plus. Môssieur fait dans la sophistication, sans doute. Je vais laisser tomber les panoplies de dominatrice et me la jouer plus cool, plus subtile. Commencer déjà par lui montrer ce que je sais faire. Oui, des choses que je réussis parfaitement. Peut-être attend-il simplement de mieux me connaître… Je vais trop vite, comme souvent.


Mentalement, je dresse une liste des choses que je ne loupe jamais. La liste s’allongeant, l’effort de mémoire va devenir pénible. Je me lève et me cale à mon bureau pour la coucher sur le papier. Une fois remplie, je m’aperçois que la majorité des choses de cette liste sont des actions sexuelles. Ce n’est pas un défaut en soi, au contraire ; simplement, il ne pourra les découvrir que lorsqu’on arrivera à cette partie-là de notre relation, ce qui n’est pas gagné avec les autres choses que je sais faire. Je les trie à voix haute :


– Souffler une bulle de savon de la taille d’une chaise.

– Manger quatre Big Mac à la suite.

– Retenir ma respiration pendant 20 secondes sous l’eau.

– Tailler un arbuste en forme de canard.

– Faire des crêpes.

– Remplir une grille entière de mots fléchés en cinq minutes.

– Tartiner des toasts de foie gras.

– Rempoter des géraniums.

– Écrire parfaitement « Justin Bridou » de la main gauche comme de la main droite.

– Imiter le rire des lapins crétins et la voix de Marge Simpson.

– Vider une Margarita d’une seule gorgée.

– Dessiner Mickey

.


Songeuse, j’étudie cette liste, puis me mets à hurler de rire à m’en taper les cuisses. Je me suis imaginée en train de lui dessiner Mickey sur le ventre avec son sperme, ou de remplir une grille de Télérama sur sa poitrine. Ah, ma vieille, impeccable : tu peux séduire n’importe qui avec cette liste ! Me mordant les lèvres pour ne pas exploser encore une fois, j’essaie de choisir au moins une chose qui pourrait me servir.


C’est ainsi qu’une heure plus tard, les cheveux sentant bon le shampoing, sagement vêtue d’un corsage beige laissant à peine apparaître la naissance de mes seins et d’un pantalon brun un peu bouffant – mais moulant bien mon fessier – je sonne à la porte de David Nolant.


Rien. Je recommence. Pas un bruit. Merde. Ce con doit être au taff. Très déçue, je vais rebrousser chemin quand enfin j’entends le bruit du verrou qu’on tire. Apparaît dans l’embrasure la tête un peu hirsute de mon voisin, qui me fixe d’un air peu amène. Comme c’est là, il dormait. J’arrive donc pile-poil pour m’en prendre plein la gueule une énième fois.

Allons. Sois brave.



Outche !



Je lui tends l’assiette, soigneusement emballée de papier d’aluminium.



Il me dévisage. Je lui souris gentiment. Lui… non.



Je ne me fais pas prier. Ça sent le tabac, et le frais. Évidemment, la baie vitrée est ouverte. Ce mec vit perpétuellement dans les courants d’air. S’il continue comme ça, il va se choper un rhume de quéquette.


L’appartement est lumineux, mais la déco laisse à désirer. Bien un endroit de mec, ça. Pas de photos, pas de tableaux, pas de miroirs aux cadres délicatement ouvragés, pas de tapis moelleux sur le parquet vitrifié. Je le suis docilement dans sa cuisine. Waouh ! Vaisselle dans l’évier, et absolument rien, ni sur la table de cuisine, ni sur le plan de travail.

Où sont passés les épices, les chiffons, les robots ménagers ? Des corbeilles de fruits ? Est-ce qu’il ne possède rien, ou bien est-ce que tout arrive à tenir dans ses tout petits placards de cuisine ? Je me sens fascinée par l’aspect lisse et impersonnel de cette pièce. Mais depuis combien de temps vit-il comme ça, ce mec ?

Lui, adossé au frigo, me fixe toujours de son regard impénétrable.

Soudainement très intimidée, je pose l’assiette sur la table et croise les bras sur ma poitrine.



Je baisse la tête.



Un frisson me parcourt de la tête aux pieds lorsque David effleure ma joue. Je ne l’ai pas senti approcher. Sa main est chaude, elle me picote agréablement la peau… Lentement, je relève les yeux et nos regards se rivent l’un à l’autre. Oulala… je crois bien que je suis en train de chavirer, lentement mais sûrement. Ce n’était pas prévu au programme. Jamais je n’avais envisagé de ressentir quoi que ce soit d’autre que du désir pour le connard du deuxième.

L’oppression qui m’étreint est soudain dévastatrice. Il faut que je sorte d’ici… tout de suite.



Sans lui laisser le temps de répondre au cortège de mes mots sans suite, je me tire vite fait de cette cuisine, de cet appartement… de ce piège à con(ne)s.




*




Ouh là… On a frôlé la catastrophe. Qu’est-ce qui m’a pris… Quand j’ai vu les larmes perler à ses yeux, je n’ai pas pu m’empêcher de ressentir comme un élan de tendresse. Et pourtant, je devrais bien savoir qu’elles sont toutes capables de ce genre de manipulation à la con. C’est le B.A. BA de la séductrice. Des gammes cent fois répétées, et qui marchent à tous les coups. Faire semblant d’être désemparée et faire croire au mâle qu’elles ont désespérément besoin de lui, et de lui seul. Qu’il leur est devenu indispensable. Qu’il est devenu leur sauveur, leur Homme providentiel, celui dont elles ne peuvent plus se passer.


Et… j’ai bien failli tomber dans le panneau. Je me suis approché d’elle, comme attiré par une force incontrôlable, à deux doigts de la serrer dans mes bras… Et normalement, la suite, ça devait être : regard éperdu de reconnaissance de sa part, roulage de pelle, et couic


Comment dès lors comprendre ce qui vient d’arriver ? Cette fuite, cette retraite plus déshonorante que stratégique… Elle avait obtenu ce qu’elle voulait, réussi à me faire culpabiliser sur mon comportement vis-à-vis d’elle, et j’étais prêt à lui céder ce que visiblement elle voulait depuis le début. Sauf que le regard que nous avons échangé n’a visiblement pas troublé que moi, cette fois…


Ce que j’appelle le « syndrome du sniper ». Au cœur de la bataille, le type armé d’un fusil tire sur des formes qui bougent devant lui. Ce sont des cibles… Il vise, il appuie sur la détente, la cible tombe, il passe à la suivante… Et puis soudain, plus de munitions. Il va falloir qu’il se batte au corps-à-corps. L’ennemi se pointe et un combat s’engage. Le sniper prend rapidement l’avantage. Il est sur son adversaire, il n’a plus qu’à lui trancher la gorge lorsque soudain son regard croise celui de sa future victime. Et il voit… lui-même. Enfin, un homme comme lui, avec un univers entier derrière le regard, une femme, des mômes, des parents, un chien, des amis, des manies, des rêves, des livres, de la douceur, de la tendresse… Et il comprend alors qu’il n’aura plus la force de le tuer. Alors il se relève, et lui tourne le dos en disant « Barre-toi ! » Et l’autre, habituellement, le flingue dans le dos à bout portant.


C’est ce qui vient d’arriver, sans doute, à ma petite chaudasse. Elle a lu dans mes yeux que Nolant n’était pas une cible, pas un trophée, et qu’elle risquait gros en jouant ce petit jeu à la con du chat et de la souris. Et elle a décampé… sans que je lui tire dans le dos. Pas ma conception des rapports humains. Je vais plutôt manger ses crêpes.



Elles sont bonnes, les crêpes de mademoiselle Sally. Et malgré moi, je continue de ressentir ces putains de bouffées de tendresse auxquelles je m’étais juré de ne plus jamais donner de prise sur ma vie. Dilemme… La fille a l’air d’avoir une conscience, et même si c’est encore loin de me suffire, c’est quand même déjà beaucoup plus que la plupart des femmes que j’ai rencontrées.

On ajoute à ça qu’elle est quand même vachement canon, et qu’elle réveille en moi des pulsions plutôt bizarres, des machins pas explorés…


MAIS…


Je sais que je suis un emmerdeur, et que j’aime ça. Et je sais qu’habituellement, les femmes de boxeurs n’ont qu’une seule envie : que leur bonhomme cesse de boxer. Or, je m’éclate trop sur les rings de la littérature et des débats de société. J’ai des fréquentations infréquentables, je lis des bouquins d’auteurs exclus des bibliothèques, et jusqu’ici, personne n’a jamais supporté ça. Et je ne parle même pas de mon boulot, qui repousse en général les dernières réfractaires.

Normalement, je m’en fous. Love me or leave me… et la plupart du temps elles finissent par se tirer sans que ça m’affecte particulièrement.


Je regarde ma gueule dans le miroir du salon. Putain, mais qu’est-ce qu’elle peut bien me trouver ? C’est mon statut d’écrivain qui la fait mouiller ? Toutes les pétasses du monde veulent se taper un écrivain, Marilyn s’était tapé Miller, et Bardot s’était tapé Gainsbourg… Chaque fois le même remake de La Belle et la Bête. Sauf que la Bête ne se transforme jamais en Prince charmant, et qu’elles ont toutes fini par aller voir ailleurs.


Je vais mettre les choses au point une bonne fois pour toutes. Je sors une feuille de papier à lettre et un Bic, et je commence à écrire :


Sally,


On ne va pas se faire des phrases, et je vais être très honnête avec vous. Vous n’avez pas seulement de très beaux yeux, vous êtes très belle, sincèrement. Vous avez voulu me séduire, et vous avez réussi au-delà de ce que vous espériez, je crois. Et l’autre soir, vous m’avez tellement fait fantasmer que j’ai fini par m’adonner aux plaisirs solitaires en pensant à vous et à ce dont vous étiez capable de faire dans votre tenue de vinyle. Voilà, vous avez gagné, vous pouvez être contente… Mais, s’il vous plaît, oubliez-moi.


Vous ne connaissez rien de moi. Rien des fantômes qui viennent me rendre visite chaque nuit et qui font que parfois je me réveille en hurlant. Rien de mes fréquentations, rien du mépris que j’ai pour ce monde abject. Je fume comme un pompier, chaque cigarette étant un clou supplémentaire que j’enfonce dans mon cercueil ; je bois comme un trou chaque fois que j’ai le cafard, c’est-à-dire quasiment tous les jours ; j’aime Johnny Hallyday et Francis Lalanne ; je ne bouffe que des plats surgelés que je réchauffe au micro-onde ; je déteste les légumes et je suis allergique aux fruits ; je crois que les Illuminati ourdissent un complot contre MOI. Et pour finir, j’ai une toute petite bite, et je suis le pire coup qu’une gonzesse puisse imaginer.


Si vous hésitez à me croire, posez-vous juste LA bonne question : pourquoi l’objet de vos convoitises vivrait seul dans cet immeuble depuis plus de dix ans ? Alors, un bon conseil : sortez de chez vous, et allez donc tortiller votre joli petit cul dehors. Vous trouverez sans doute bien mieux.


Bonne chance pour vos futures conquêtes…

Nolant


PS. Z’aviez raison : vos crêpes étaient vachement bonnes.




*




Foutu calcaire. Je sais pas ce que les anciens locataires utilisaient pour nettoyer les WC, je pourrais éventuellement penser qu’ils ne le faisaient jamais, mais ça rebute mon esprit cartésien. Tout homme qui se respecte ne peut pas pisser dans un chiotte dégueulasse. J’en conclus donc que ce foutu calcaire qui refuse de foutre le camp n’est dû qu’à l’usage tout à fait contre-indiqué de produit vaisselle ou autre détergent mal employé et à outrance. Les anciens locataires étaient simplement neuneus. Je refuse de croire que je vis dans un endroit où des hippies crades ne se lavaient jamais et ne nettoyaient jamais leur chiotte.


Les narines pincées, je finis ma délicate corvée puis passe à la cuisine. Récurée de fond en comble, elle respire la propreté. Mais je n’ai pas encore fait les carreaux. Je les observe, mes mains gantées sur les hanches, solidement plantée dans mes chaussons roses à grosses semelles et en forme de lapins. J’ai mis un tablier aussi. Très moche. Ça m’aide bien, en ce moment, de me penser totalement dépourvue de sex-appeal. Quand tu sais que tu es belle, les mecs veulent te sauter. J’ai déjà remarqué ça. Quand tu te sens moche, plus personne ne te court après.


C’est exactement ce à quoi j’aspire, depuis que le voisin est venu me rendre mon assiette l’autre soir, sans un mot, sans un sourire… juste ce regard pénétrant, ce regard troublant, qui m’a fait rougir. Et cette putain de lettre qu’il m’a tendue avant de redescendre l’escalier, l’air de rien. Elle est restée sur ma table de salle à manger depuis, à moitié ouverte, un coin chiffonné sous un dessous de plat, des taches de graisse sur les autres bords. Vaut pas mieux, cette lettre. Je pense que je vais l’oublier là jusqu’à ce qu’elle s’envole par la fenêtre, quand enfin il arrêtera de faire moins quinze dans ce pays et que je recommencerai à aérer.


David, c’est pas un causant, mais faut lui concéder qu’il sait bien s’y prendre à l’écrit. Sûr : chez un mec qui écrit des bouquins, on devait s’y attendre. C’est juste ce qu’il dit, quoi. À la lecture, je me suis aperçue que sa mine autoritaire de mec qu’en a rien à foutre des autres est simplement une façade.

Plus question de traîner au deuxième maintenant que je sais à qui j’ai affaire !


Un SENTIMENTAL !

Un putain de SENTIMENTAL !

Avec des mains pareilles ! Et un jemenfoutisme aussi complet !


Qui aurait pu s’attendre à ce que je tombe sous le charme d’un imbécile de sentimental ? Je les fuis comme la peste depuis des années, et il a fallu que je persiste à en draguer un pendant une semaine entière !


Je voulais juste me faire baiser – c’est, paraît-il, ce que je sais faire de mieux dans la vie –, et voilà que je me rends compte avec effroi que le mec me plaît vraiment… Dans le même temps, j’apprends que je lui plais aussi, finalement, mais que je ne dois pas m’approcher de lui, pour des raisons aussi obscures que foutrement idiotes, j’en ai bien l’impression.


Mais ce qui est important, c’est de lire entre les lignes de ce monsieur. Et c’est ce que j’ai fait. Depuis, j’essaie de l’éviter comme la peste.


On a failli se croiser dans l’escalier, hier. Heureusement, je l’ai aperçu en jetant un œil par-dessus la rambarde. Je suis remontée aussi sec. Qu’on ait des balcons si proches me fout désormais tellement les boules que je songe sérieusement à déménager à nouveau, et rapidement. Et dire que j’adore me faire griller au soleil en bikini… peut-être que d’ici l’été il aura compris que je ne suis plus intéressée !


Mais moi, vais-je réussir à tenir tout ce temps en le sachant si proche, en le désirant encore comme une folle tout en craignant de l’approcher de trop près ! C’est un soleil, ce mec, il m’attire tellement… Je vais tendre le bras, et pfffuit, cramée au troisième degré, bonne pour l’asile.


Je jette rageusement mon éponge dans l’évier et fais demi-tour, arrachant mon tablier puis mes gants en plastoc couleur saumon. J’ai pris la décision de ne plus fréquenter ce monsieur. Au cours dangereux que prennent mes pensées, je comprends aisément que ça ne suffira pas. Une autre décision s’impose : baiser.

Ce soir, je fais venir un de mes vieux coups qui en pince toujours pour moi. Je vais le chauffer à mort et me faire prendre dans toutes les pièces de l’appartement, et crier si fort que l’autre ne pourra pas dormir. J’y veillerai. Quitte à simuler.


Et… j’ouvrirai la fenêtre.




*




« De tous les bars de toutes les villes du monde, il a fallu qu’elle entre dans le mien. » disait Bogart devant son verre de whisky dans Casablanca. Et je me sens comme lui, ce soir, en fumant sur le balcon. Les dieux sont des salopards qui se repaissent de tragédies humaines, d’amours impossibles, et qui nous regardent du haut de leur Olympe nous débattre sur la scène et tenter de tenir un rôle toujours trop grand pour nos épaules.

Nos souffrances et nos luttes sont pour eux des spectacles de divertissement. On peut toujours crier « Ni dieu, ni maître ! » avec le vieux Léo ; la réalité, c’est que même en niant leur existence, nous sommes des insectes pris dans une toile d’araignée que des enfants regardent mourir avec sadisme et fascination.


En bas sur le trottoir, juste devant l’interphone, un type qui représente a priori tout ce que je déteste s’est soudain figé dans l’attitude d’une poule rencontrant un couteau. Juste avant, je l’ai vu garer sa BMW noire sur le parking. Précautionneux en diable, méticuleux. On sent le mec qui aime sa bagnole. Après en être descendu, il en a fait le tour afin de vérifier qu’elle était toujours intacte, et il a sorti un chiffon pour essuyer une tache sur le capot : son reflet, sans doute.

Il est grand, large d’épaules, avec un tee-shirt à l’effigie du Paris Saint-Qatar. Il porte la coupe de cheveux et la petite moustache d’Ibrahimovic. On sent le mec qui a une personnalité hors norme et des références culturelles en béton. Il se décide pour finir à appuyer sur le bouton, et… ÇA SONNE CHEZ MOI ! Ce con n’est même pas capable de faire marcher un interphone.



Et je coupe l’interphone.

Je retourne mater du coin de l’œil, sur le balcon, et voilà notre Homo Cretinus qui sort son portable. Putain, alors elle va se taper cet abruti ? Elle va passer la soirée avec cette tête pleine d’eau, et peut-être même offrir son petit corps tout mignon à ce plouc, tout ça parce que je l’ai envoyée sur les roses ! Elle va toucher le fond, ce soir… et ce sera à cause de moi ! Pas question. J’entends déjà des pas dans l’escalier… Il se pointe. Bon, on sait comment ça se passe, ce genre de soirée. Retrouvailles, apéro, bouffe, baise… ça me laisse un petit peu de temps.


J’enfile une chemise propre, et je descends chez le fleuriste. Je suis pas invité, moi, mais j’apporte des fleurs : une belle rose rouge pour souligner clairement mes intentions. Ou plutôt non : douze roses rouges, histoire de bien humilier ce connard qui se pointe chez une déesse les mains dans les poches.

Puis je remonte à l’appartement et je choisis un de mes bouquins dans ma bibliothèque. Je griffonne quelques mots sur la page de garde, et je monte jusqu’à l’appartement où se livrera la bataille. J’entends des éclats de voix derrière la porte… Le mec parle fort, en plus, je n’ose même pas imaginer de quoi. Scooter, bagnole, foot ? Argh, ça me donne des sueurs froides. Je sonne…


Sally ouvre la porte. Elle a sorti le grand jeu pour appâter le nigaud, mais elle ne s’attendait pas à ce que je débarque. Elle ouvre des yeux stupéfaits, surtout quand, sans lui laisser le temps de parler, j’entre chez elle d’un pas décidé.



Gros, gros silence qui s’étire… Les yeux toujours écarquillés, elle tient le bouquet à deux mains devant elle comme pour se protéger d’un ennemi invisible.



Je zieute le gars qui est devenu livide en comprenant que son plan cul vient de prendre du plomb dans l’aile. J’enfonce le clou.



Sally se repointe après avoir mis les fleurs dans un vase. Je vois bien qu’elle est super embarrassée, et je ne veux pas lui faire perdre la face. Vu son caractère, elle m’en voudrait à mort.



Elle l’ouvre, et je vois son visage devenir écarlate. Pourtant, c’était juste quelques lignes bien innocentes :


Tu me rends fou, ma belle, et j’ai bien envie d’assumer ma folie. Si tu me vires ce crétin avant minuit, je te promets de te lécher la chatte comme personne ne te l’a fait, et de dormir dans ta putain de caisse si tu en as envie.



De retour chez moi, je ferme la porte et respire trois fois lentement, histoire de reprendre le contrôle de mes nerfs. Vu les circonstances, je ne pouvais pas faire plus. Je n’allais quand même pas sortir le type de son appartement à coups de pompes dans le cul, même si j’en avais furieusement envie. Alors j’ai joué mon va-tout. Soit elle décline – et je suis perdu –, soit elle accepte, et… je suis perdu.




*




Vingt-deux heures trente. Je sonne.

Il met des plombes à venir m’ouvrir. J’entends ses pas traînants dans le couloir. Décidément, cette soirée va se finir comme elle a commencé : médiocrement. La porte s’ouvre enfin.



Je ne le laisse pas terminer.



J’entre comme une furie.



Je m’interromps brusquement. David me regarde comme s’il me découvrait pour la première fois. Une lueur dans ses yeux, le pli un peu figé de la bouche, la tombée de ses sourcils, je ne sais pas trop… mais je vois bien qu’il est totalement, irrésistiblement, en train de me dévorer du regard. Son inhabituelle soumission et son mutisme tout aussi inattendu achèvent d’apaiser ma colère. Je respire un grand coup, décidant de poser sagement mes yeux sur sa pendule, le temps de me calmer.


Quand je reprends la parole, c’est à voix très basse :



Je ne la lui connaissais pas, cette douceur, ce velouté… Je réalise que j’aime sa voix, grave, pleine, riche de sensualité.



L’agressivité dont je fais preuve ne semble absolument pas le contrarier. Je m’énerve encore plus :



J’allais me tirer. À nouveau, il me coupe tous mes effets. Je grimace.



David sourit. Je me rends compte que je ne l’avais jamais vu sourire autrement que pour se foutre de moi. Là… je fonds. Ça y est, je commence à regretter d’être venue, et me dandine d’un pied sur l’autre.



Il s’approche de moi. Un vent de panique me pousse vers la porte tandis que je surveille ses mains. Pourtant, le danger était ailleurs, apparemment. La sirène d’incendie se déclenche dans toute la cage d’escalier. Le son est tellement fort qu’il me vrille les tympans. Le rythme en est hypnotisant. Les mains sur les oreilles, je fixe David d’un air perplexe.



Il enfile une veste, et après un instant d’hésitation sort un grand gilet de son placard. Ensuite il me prend le bras, et son étreinte ferme me rassure tandis qu’il m’entraîne rapidement vers l’escalier. On y croise tout un tas de gens qui gueulent, rigolent, s’insultent ; des vieux qui, la mine terrorisée, descendent le plus vite qu’ils peuvent, et des plus jeunes qui visiblement prennent ça comme un jeu, au pire une corvée.



Lorsqu’il entend ma petite voix, David se tourne vers moi. Son visage est grave, mais une certaine tendresse adoucit ses traits au moment où il glisse ses yeux dans les miens.



Je me sens toute chamboulée, et réalise que ma colère s’est définitivement éteinte aussi vite qu’elle m’était venue, deux heures auparavant. Merde, ça me plaît pas du tout. Rien dans cette soirée ne me plaît, de toute manière. Essayant de garder mon calme devant le regard perspicace de mon voisin, je le suis sans faiblir dans la descente infernale.


L’alarme d’incendie résonne si fort dans la cage d’escalier que mes tympans en pleurent. Parvenus au rez-de-chaussée, les systèmes d’extinction s’activent ; je prends une douche froide qui me coupe la respiration ! Tout le monde râle et s’entasse vers la sortie… David pivote vers moi et place le gilet au-dessus de ma tête pour essayer de me protéger un peu… Trop tard, je suis mouillée comme une soupe. Je maintiens l’espèce de parapluie improvisé tout en dédiant un pauvre sourire à mon cher voisin. Il ouvre la bouche pour me parler, et soudain semble s’intéresser à quelque chose derrière moi.



Il n’y a presque plus personne dans le hall de l’immeuble. Ils sont tous dehors, le nez en l’air, à chercher je ne sais quoi. Il pleut aussi à l’extérieur, apparemment, et je n’ai aucune envie de foutre les pieds dans des flaques d’eau : je porte encore mes escarpins noirs et ouverts sur les côtés. Fait chier… De toute manière, je suis trempée jusqu’au string : il pleut à l’intérieur comme il pleure sur les toits de la ville. Merde. Fait chier, vraiment ! Foutue journée de merde !


Au moment de sortir, j’aperçois David qui, calmement, converse avec un type qui a l’air d’être un vigile de sécurité, vu la tenue. J’hésite, puis finis par les rejoindre. Je ne vois pas l’ombre d’un feu dans ce déluge. C’est quoi ces conneries ?



David me jette un rapide coup d’œil et sourit. Revoilà le sourire de foutage de gueule. Trempée comme je suis, je dois présenter un spectacle époustouflant de drôlerie. Je tire la tronche.



D’ailleurs, les douches s’arrêtent d’un coup. Ouf. Je baisse le gilet et me secoue les cheveux. Génial. Tout mon brushing à refaire. Et David qui continue à papoter tranquillou avec le vigile…



En réalité, je ne comprends rien. Elles sont pas dehors, les poubelles ?



Un moustachu. Encore un Portugais, vu l’accent. Je lui souris, puis concentre mon attention sur David, qui s’est barré à nouveau. Il descend à la cave, ce con !



Évidemment, il ne m’écoute pas. Je me lance à sa poursuite, trébuchant dans mes échasses glissantes, et manque m’étaler deux fois avant de parvenir à la porte donnant sur la cave. J’ouvre : il fait noir comme dans un four, là-dedans. Du coup, ça me stoppe net dans mon élan.



Il est soudain tout près de moi. Je sursaute. Il tient son téléphone portable en guise de torche. À la faible lueur, je distingue son air intrigué.



C’est vrai, ça : pourquoi je le suis ? D’ordinaire, je suis plutôt indépendante. C’est quoi, ces façons de lui coller les basques comme une gentille petite chienne bien élevée ? Comme s’il m’était soudain devenu indispensable de me fier à lui… argh.



Grrrrr…



Il soupire.



Sans attendre ma réponse, le voilà qui enlace ma taille. Je sens sa main se coller à ma hanche et… ma foi… ce n’est vraiment pas ce que j’ai connu de plus désagréable dans ma vie. Nous avançons à la lueur de son téléphone. Tout est trempé, et les murs brillent. Je discerne les portes des caves des locataires, lis les numéros. Ah… je comprends mieux. Il veut aller vérifier sa cave, comme c’est là.

Ça fait longtemps que je ne suis plus dans l’escalier, mais David n’a pas ôté son bras pour autant. Et… j’avoue que ça commence à me faire de l’effet. Je me rends compte que nous sommes tout seuls, dans le noir, et…



Il me lâche. Pendant qu’il sort son trousseau de clés et ouvre son cadenas, je l’observe du mieux que je peux, lumière déficiente oblige. Il a l’air… troublé. Tiens donc… Et je repense alors au mot qu’il m’a écrit dans son bouquin… En silence, je le suis dans la petite pièce chargée de caisses et de merdes en tout genre tandis qu’il en fait un rapide tour d’inspection. Pourvu qu’il ne s’aperçoive pas de mon état…

D’un seul coup, il ferme le clapet de son téléphone. Nous sommes désormais dans le noir total.



Il ne répond pas. Je commence à flipper, quand soudain je sens sa main palper mon bras, comme s’il m’avait cherchée dans l’obscurité.



Sa bouche me bâillonne, m’empêchant de poursuivre. Comme douée d’un instinct propre, elle a directement trouvé le chemin de mes lèvres. La respiration coupée par la surprise, je commence à me débattre un peu… et arrête assez vite parce que… sa bouche est vraiment… vraiment… et sa langue, n’en parlons même pas.



Il m’embrasse à nouveau, tout doucement… puis avec plus d’avidité. Et cette fois ses mains s’y mettent aussi… Il me saisit le visage entre ses paumes, caresse mes joues de ses pouces, très tendrement. Oh… mon Dieu… j’adore ça, j’en redemande, et sans réfléchir davantage je me serre contre son corps. Nous sommes mouillés tous les deux et, bon sang, que sa peau est brûlante sous le tissu trempé de sa chemise…



Je cède.



Il ricane. Pour vous dire dans quel bordel émotionnel je me trouve ? Ben, ça ne me vexe même pas. Connard de voisin, certes ; mais putaiiin… qu’il embrasse bien ! Et le voilà qui caresse mon cou… la naissance de mes épaules… puis ses mains empaument mes seins, et un brasier infernal s’allume dans mon ventre tandis que la chaleur de sa peau se répand dans ma poitrine. C’est bien simple : à chaque fois qu’il m’effleure, je me retiens de gémir. Comment fait-il ça ? Comment peut-il générer un feu pareil en moi en seulement quelques secondes ? Je savais que j’avais flashé sur lui, mais j’ignorais qu’il détiendrait un tel pouvoir sur mes sens…



Je ne dis rien… Il peut bien penser ce qu’il veut, mon corps entier est une réponse, et frissonne, tremble, suspendu au moindre contact de ses doigts, de ses lèvres… ses lèvres qu’il laisse sensuellement glisser le long de mon ventre.


Avec une douceur infinie, David commence à remonter l’ourlet de ma jupe, lentement, lentement… Au passage, ses doigts frôlent la peau fine de mes cuisses nues, m’électrisant comme une démente. J’en peux plus : je pousse un cri de désir. David se fige un instant. Bien que mon cœur batte la chamade, j’entends très distinctement nos respirations pantelantes qui résonnent dans la petite cave. Je l’attends… et comme dans un rêve, David commence à me faire ce qu’il avait promis, précisément, qu’il me ferait si je virais l’autre con avant minuit…




*




Elle m’a complètement retourné… Son odeur, la douceur de sa peau, de ses mains, de ses cuisses… J’oublie complètement où nous sommes, les raisons pour lesquelles nous y sommes. Je ne songe plus qu’à son corps de déesse, et je m’agenouille devant elle, remontant sa jupe et collant ma bouche contre son sexe. Son string est trempé, elle sent bon, et je commence à lécher délicatement sa chatte au travers, tout en m’enivrant de son odeur.



Tandis qu’elle s’exécute, je sens la peau de ses jambes et de ses cuisses qui frôlent mon visage. Je bande comme un taureau, mais pas question de faire ça ici, comme un sauvage, dans cette cave sordide. Alors je lui offre ce que je lui ai promis quelques heures auparavant… Ma langue s’introduit dans son intimité, s’enfonce le plus profondément possible, puis ressort pour caresser lentement, tendrement, sa fente jusqu’au clitoris. Et je lape sa mouille, avidement, comme un mort de soif, accélérant la cadence, ralentissant, caressant ses fesses, toujours à genoux dans le noir. Je la sens frémir de plus en plus et gémir de plus en plus fort. J’ai le visage complètement trempé et les genoux qui commencent à me faire mal. Besoin de changer de position…



Je continue, bien obligé.



Elle a crié comme une possédée. Tellement fort qu’on a dû l’entendre jusque dans la rue… Je sens ses jambes qui tremblent sous mes mains. Je reprends ma respiration. Quelques instants s’écoulent dans un mutisme complet, puis je l’entends prendre une profonde inspiration et murmurer d’une voix tremblante :



Oups, elle a l’air furieux, quand même. Dommage que je ne puisse pas voir son expression.

À cet instant, un vacarme effroyable résonne dans l’escalier de la cave, et les murs renvoient la lumière aveuglante des lampes-torches. Les pompiers.



Une lumière éclaire alors l’intérieur de mon réduit.



Nous remontons dans le hall de l’immeuble. Tout a l’air en ordre désormais, les pompiers ont autorisé les gens à rentrer. Le « vigile » me fait signe…



Sally remonte deux à deux les escaliers tandis que je me dirige dans la direction de José, et de son œil goguenard.



Je remonte chez moi, jette mes fringues dans la machine à laver et passe sous la douche. Plutôt satisfait de ma petite mise en scène, même si finalement j’ai fait tout ça pour pas grand-chose, vu que l’autre idiot était parti plus tôt que prévu. Le seul ennui, c’est que Sally m’a vu parler avec José et les pompiers… et – je commence à m’en rendre compte – comme elle a un cerveau, cela risque quand même de lui mettre la puce à l’oreille.


Or, si toutes les femmes rêvent de se taper un écrivain, la plupart d’entre elles détestent les flics. Et contrairement à ce que laissaient entendre les séries télés sur TF1, la vie d’un commissaire de banlieue, ça n’a rien, mais alors vraiment rien de passionnant. Juste une accumulation d’histoires sordides, résolues la plupart du temps sans bouger le cul de son fauteuil, avec un ordinateur datant de l’an mil et une connexion Internet aléatoire. Une plongée permanente dans toute la merde du monde, dont on ressort, quand on est normalement constitué, avec une impression d’être sale, impuissant et totalement inutile.


La plupart de mes gars pètent un plomb au bout de quelques années de service, et je ne dois mon salut qu’à l’écriture. J’ai construit des parois bien étanches entre ma vie de flic et ma vie d’écrivain, et personne – hormis ma famille et mes collègues – ne connaît mon véritable métier, tout comme aucun de mes proches ne sait que mes livres sont édités par une obscure maison d’édition. Deux vies parallèles, donc, entièrement cloisonnées, qui me permettent de garder mon équilibre psychique sans avoir besoin de trop mentir aux uns ou aux autres. Pas besoin de porter un masque… Les amours de Clark Kent étaient contrariés par Superman, ceux de Bruce Wayne par Batman, mais David Nolant était David Nolant. Si un jour quelqu’un découvrait la chose, eh bien personne ne pourrait m’accuser d’avoir menti.


Un jour peut-être, quelqu’un saurait… Mais ce soir, David Nolant « l’écrivain » comptait bien passer une agréable soirée avec Sally… dont il ne savait rien, hormis le fait qu’elle était sa voisine, qu’elle sentait bon, et que sa petite chatte était un délice.




*




L’impression de m’être endormie comme une vieille chaussette dans un endroit inapproprié finit fatalement par me réveiller. J’ai la bouche sèche comme si j’avais bouffé trois pizzas pimentées au chorizo, et descendu la bouteille de pinard en prime. Qu’est-ce que j’ai encore foutu ? J’ouvre un œil. Je mets quelques secondes à reconnaître le plafond de mon salon, chichement éclairé par la lueur orange dégueulasse des lampadaires. Et encore quelques autres secondes avant de bouger légèrement. Je réalise que je suis recroquevillée sur mon clic-clac. J’ai un bras et une jambe qui pendent dans le vide, et je suis à moitié à poil, vu que je porte mon peignoir qui est complètement entortillé autour de moi. J’ai mal au dos, bordel, et au cou. Je m’assois précautionneusement. Mes os craquent, et moi je pousse tout un tas de jurons dignes du capitaine Haddock.


Ooooh merde. Nolant.


Je l’ai zappé, c’est sûr. Je me souviens maintenant. Hier soir, je suis remontée illico, zélée comme une bonne petite pouliche qui répond à l’irrésistible appel du cul. J’ai pris une douche, je me suis pomponnée en déplorant ma sale tronche défigurée par le rimmel qui avait coulé. Ensuite j’ai choisi de belles petites fringues de pétasse en manque, je les ai posées sur le lit… et j’ai réfléchi (ça m’arrive).


J’ai repensé à sa foutue lettre, au David. Alors je suis revenue dans le salon, j’ai relu sa lettre, et j’ai encore réfléchi, et le temps passait, et je commençais à déprimer. Plus je déprimais, plus je me persuadais que lui et moi, ça n’allait pas le faire. Un amant, je prends toujours. Un mec, j’en veux pas. Et quand il allait remonter, je sentais bien qu’il allait me faire tout un tas de trucs qui me donneraient envie d’aller plus loin avec lui… non, non, non.


J’ai pris mon téléphone et j’ai appelé Camille, je suis restée longtemps avec elle, à parler dans le noir, assise sur ce foutu clic-clac inconfortable et… le vide. J’espère qu’elle n’a pas attendu trois plombes avant de raccrocher, sinon bonjour la facture à la fin du mois.

Et LUI, pfff ! Que devait-il penser de moi ?


Un coup d’œil sur la pendule m’indique qu’il est définitivement trop tard pour essayer de sauver les meubles. Cinq heures du mat’… Le pauvre, qu’a-t-il dû imaginer ?


J’allume la lumière, m’installe à ma table de salle à manger… Sa lettre est là, soigneusement pliée cette fois, à côté du bouquin qu’il m’a offert. Hier soir j’étais tellement énervée que je n’ai même pas regardé de quoi ça parlait. D’un air morne, je saisis le livre, omettant sciemment de relire la dédicace fatale.


La tombe du Vieux, ou Poésies Nolyennes.


Ah, son plus récent… Je n’avais pas réussi à choper grand-chose sur Internet à son sujet. Je l’ouvre et commence à lire. J’ai pas lu dix pages que je repose déjà le bouquin d’une main tremblante. Dé-fi-ni-ti-ve-ment. Ça ne va PAS le faire.


« David,


Quand tu n’étais qu’un simple voisin que je pourrais draguer et sûrement mettre dans mon lit, QUI tu étais n’avait aucune importance. Je réalise aujourd’hui que tu es sans doute quelqu’un de bien, de sensible, d’intelligent… bref, un sentimental. Sache juste que je sors d’une relation qui n’était pas sérieuse. Celle d’avant ne l’était pas plus. En réalité, j’ignore depuis quand – ou si – il y a jamais eu de relation que l’on pourrait prétendre de « profonde » entre un homme et moi. J’ignore ce que tu recherches et pourquoi tu as finalement choisi de céder à mes avances. Honnêtement, je crois que tu ne te contenteras jamais du peu que je suis prête à offrir. Vu mon insistance et les stratagèmes que j’ai employés, tu vas penser que je ne suis qu’une putain de petite dinde d’allumeuse. Tu auras sans doute raison, puisque aujourd’hui je te demande d’oublier ce qui s’est passé en bas. Restons amis et aimons-nous dans la paix du slip et l’amitié compréhensive des bons voisins. J’ai beaucoup apprécié nos petits échanges, et j’espère que tu ne m’en voudras pas de t’avoir posé un lapin hier : je me suis bêtement endormie. C’est mieux comme ça, de toute manière. Même s’ils ne se renouvelleront pas pour des raisons diverses, sache que les moments passés avec toi ont été pour moi une source de divertissement énorme. Tu es un très bon joueur… Je regretterai cet aspect-là pendant quelque temps, je l’avoue.


Allez, avec toute mon amitié.

Sally Malet, la nympho du troisième.


Je relis ma lettre. Je la trouve nulle. Faussement enjouée et tout à fait insuffisante venant de la part d’une femme qui a balancé son gode sur le balcon d’un homme pour pouvoir l’appâter (ne pensons même pas à cette histoire d’esclave sexuel, chut.) Faisant la moue, j’essaie de la corriger… mais les neurones refusent vraiment de fonctionner. Trop tôt, trop tard ? Pas assez abreuvés de vin ?! Je zieute la bouteille entamée avec l’autre plouc. Non, non. Plus de vin, plus de chips et plus de pizzas. Sois raisonnable un brin, ma cocotte !


Je passe dans la cuisine, me prépare un thé que je bois à petites gorgées, et vais m’habiller. Inutile de cacher la misère : j’ai dormi maquillée, c’est mort. Comme dirait mon père : « Tu te maquilles dans l’espoir de ressembler à une femme ? » Brave papa. Il était maçon avant d’être en retraite. Alors, pensez-vous, tout ce qui est ravalement de façade, il connaît par cœur.


Plus qu’à descendre au deuxième. J’ai le cœur qui bat fort et les mains moites, mais je ne faiblis pas. Je reprends le boulot demain… hors de question de rester dans cet état. Pas envie de péter un plomb parce que je suis sur les nerfs à cause du voisin. Et tant pis pour la grande cause humanitaire : il se trouvera bien une gentille nana pour le remettre sur le chemin tordu du Sexe Sacré. À voir le cunni d’enfer dont il m’a fait cadeau hier, je ne me fais plus de souci pour lui. Toute femme normalement constituée ne peut pas résister à ça. J’en ai encore des bouffées de chaleur chaque fois que j’y pense.


Dernier coup d’œil dans le miroir en pied de mon entrée. Chaussures à petits talons, pantalon noir – certes moulant, du type à enlever avec un chausse-pied – pull rose pâle et très sage. Plus sage que ça, c’est la mère de famille bobo qui donne des cours de catéchisme en vieille jupe en laine vert bouteille et gilet informe sur un chemisier à col pelle à tarte.

Je souris. Une fille complètement barrée comme moi, ça devrait pas être permis. Ça fait longtemps que je me dis que je devrais peut-être rentrer dans le moule, quand même, mais j’y arrive pas. Pourtant, qu’est-ce que ça ferait plaisir à ma famille…




*




Pas de coup de sonnette, évidemment. J’essaie de glisser tant bien que mal la lettre sous sa porte. Ça ne veut pas rentrer, évidemment. Je force, ça m’énerve, et plus ça m’énerve, plus je froisse le papier. Grommelant des insultes à voix basse, je récupère la lettre et cette fois essaie de l’insérer entre le chambranle et la porte. Si ça ne veut pas, j’irai la mettre dans la boîte à lettres. Fait chier de descendre plus bas à cette heure, surtout que la minuterie de l’escalier n’arrête pas de s’éteindre et que je ne me sens pas rassurée du tout ! Personne ne se lève si tôt ici ? Ah, oui… on est dimanche, c’est vrai.


La porte s’ouvre brutalement. Je pousse un cri et en lâche ma lettre qui s’écrase sur le sol dans un flop bruyant. David la ramasse et me la tend, sans un mot. Il a ce je-ne-sais-quoi dans le regard qui me conforte dans l’idée que je ne dois vraiment pas continuer à le fréquenter… parce que lorsqu’il me regarde comme ça, y a des choses qui tremblotent dans mon corps, et je n’ai pas la moindre idée de ce que c’est.



Un petit sourire tord aussitôt sa bouche. Néanmoins, son expression demeure insondable.



Il reste immobile, et son regard est de plus en plus difficile à soutenir.



Outche !



M’attendant à ce qu’il me tire la gueule, je suis surprise de voir son visage s’adoucir. Et cette fois son sourire est franc.



Et bim, la lumière s’éteint. Apparemment, môssieur-le-voisin-souriant n’avait pas allumé chez lui. Nous nous retrouvons donc dans le noir pour la deuxième fois en quelques heures. Si ça, c’est pas un signe du destin… Je déglutis bruyamment.



Sa main frôle la mienne. Ce simple contact me fait sursauter, et j’entends David rire doucement, tout près de moi, tandis qu’il passe son bras dans mon dos et m’attire dans son appartement. Et devinez quoi ? Je me laisse faire, docilement… Revoici la pouliche bien élevée.



Je sens alors sa bouche effleurer mon oreille.



Rhaaa… il va m’achever ! Et… hop. Il me lâche.



Pas de réponse. Je me demande ce qu’il fabrique dans le noir, quand je réalise que je suis toute seule, en fait. Une faible lueur brille au fond du couloir. Il s’est donc barré sans me prévenir. Okaaaaay… Connaissant la typographie du lieu, je suppose que c’est sa chambre.

Bon.

« J’y vais, ou j’y vais pas ? »


Les bras croisés devant moi, je bats la mesure avec mon pied. Voilà. Je suis to-ta-le-ment en pétage de plombs. J’en suis sûre. Le truc avec ces conneries-là, c’est qu’on ne s’en rend compte qu’après, ou trop tard. Et là, je tremble, je transpire, j’hésite et j’attends, et mes nerfs, je vois bien que je ne les contrôle plus vraiment… Dans une heure, je vais m’apercevoir que j’étais dans un état second. Ce qui explique sans doute pourquoi je me dirige vers sa chambre alors que je devrais sortir tout de suite de l’antre de cet homme qui me plaît terriblement.

C’est un serpent, ce type. Il m’hypnotise, comme dans Le livre de la jungle. Faut plus jamais croiser ses yeux, à ce mec-là. Il va me faire faire des trucs de dingue, et ensuite, je vais finir à l’asile (oui, j’ai peur de l’asile, comprenez-moi).


Je m’arrête à quelques pas de sa porte entrebâillée alors que celle-ci s’ouvre. Dans l’encadrement, David est à contre-jour. Je ne distingue pas son expression, mais il commence à parler et je fonds instantanément.



Sa voix rauque me fait toujours autant d’effet. Oulala… J’ouvre la bouche pour lui répondre, mais il pose un doigt sur mes lèvres pour me faire taire.



Silence. Je retiens ma respiration.



J’essaie de discerner son regard. Le salaud sait très bien que je le vois mal, alors que de mon côté je suis parfaitement dans sa lumière.



Il hésite.



Je le fixe. La lumière tamisée de sa petite lampe de chevet lui donne un air démoniaque, accentuant le pic circonflexe de ses sourcils, durcissant la ligne de son menton… Ses yeux toujours dans l’ombre me semblent darder sur moi un regard tellement intense que je me sens toute faible. Envie de me réfugier tellement fort dans ses bras… Je n’aurais pas dû descendre à cette heure. Ou bien j’aurais dû lui laisser la lettre et repartir aussitôt… Ou bien j’aurais dû rester sur le pas de la porte… Ou…



Comme dans un rêve, je m’approche de lui et le prends dans mes bras tandis que sa bouche possède passionnément la mienne.




*




Quinze secondes… Il aura fallu juste quinze putains de secondes pour que je tombe amoureux.


Elle était endormie sur son canapé, presque nue, sans défense, sans barrière… La vérité, la profondeur d’une âme peut s’entrapercevoir dans le sommeil d’une femme. Le petit air sérieux qu’affichait son beau visage était tout à fait craquant. C’était la première fois que je voyais une femme dormir « sérieusement », comme si elle était concentrée sur son sommeil.


Je savais qu’elle m’attendait… que je pourrais la prendre, maintenant. Il me suffisait de la réveiller… de plonger mes yeux dans les siens et de laisser faire l’alchimie mystérieuse qu’il y avait entre nous. Parce que réellement, c’était de cela qu’il s’agissait. Une attraction irraisonnée et complètement folle à laquelle je ne parvenais pas à résister. Plus je la côtoyais, plus elle m’apparaissait désirable, sensible, maligne. Comment avais-je pu la repousser tout ce temps ? Comment était-il possible que je sois resté aveugle à la beauté de son âme, que j’aie pu la prendre pour une écervelée sans intérêt ? Tout ça parce que je lui avais plu dès la première rencontre, et qu’il était inconcevable pour un pauvre minable comme moi de s’imaginer que cela puisse être le cas ? À l’évidence, j’étais plus qu’« un coup », pour elle. On ne met pas un pote dans une caisse juste pour impressionner le voisin d’en-dessous. Des mecs, elle devait en avoir des pelles qui tournaient autour d’elle.


Et voilà… je n’avais pas envie de la réveiller.


Méditatif et totalement sous le charme, je m’étais mis à genoux, près d’elle, et je l’avais contemplée. Passant doucement un doigt sur sa bouche, sur ses lèvres, sur ses paupières, caressant ses cheveux bruns… Un trouble subtil s’était emparé de moi. Sally ressemblait à une petite chose fragile qui avait besoin d’être protégée, câlinée, aimée avec douceur et tendresse. Et en même temps, la perfection de son corps, l’éclat de son regard, le ton de sa voix m’imposaient comme une forme de vénération, de soumission à son égard…


Lorsque je la voyais hésitante, balbutiante, désemparée, j’avais envie de la serrer dans mes bras, de l’embrasser avec toute la tendresse du monde, de la prendre en conquérant, en mâle dominant et protecteur… Mais lorsqu’elle me fusillait du regard, lorsqu’elle plaquait mon visage contre sa chatte et m’intimait de ne se consacrer qu’à son plaisir, j’avais envie de devenir sa chose, son jouet, son esclave… L’envie de me soumettre ainsi à la volonté d’une femme ne m’était jamais arrivée. Ça me rendait à la fois mal à l’aise, et fou de désir.


Et là, nous sommes enfin dans ma chambre, et nous mêlons nos langues l’une à l’autre, mélangeant nos salives en un baiser profond, avide. Elle vient d’écrire « Non, jamais », et tout son corps dit « Oui, encore » Une de ses mains se pose sur mon entrejambe, je n’en peux plus, je suis ivre d’impatience… Je lui caresse les cheveux, et doucement laisse glisser mes mains le long de son cou, de ses épaules… Puis, à travers le pull, j’effleure ses seins de mes doigts légers. Elle gémit et frissonne comme au sortir d’un bain glacé. Waouh, elle est sensible !



Sa supplication sonne étrangement à mes oreilles. Veut-elle que j’arrête ou que je continue ? Je repense à sa lettre, et me sens vaguement mal à l’aise.



Elle me bâillonne à nouveau d’un long baiser pantelant. Je la serre alors étroitement contre moi, plongeant mes mains dans le creux de son dos, puis sous la taille de son pantalon…



Elle porte un string ou un mini-slip, je ne sais pas ; sous mes doigts, je sens de la dentelle fine, très douce. Mais sa peau… mon Dieu, sa peau est d’une douceur incroyable ! Si je n’avais pas déjà été sous son charme, j’aurais été totalement envoûté dès cet instant… Jamais touché une peau aussi tendre. Je laisse ma bouche dévaler dans le creux de son cou, respirant son parfum comme un junkie, et y déposant une série de baisers brûlants.



Elle sourit, sans ouvrir les yeux.



Une fois le boxer à peu près à sa place initiale, je reviens poser mes doigts contre son intimité, les glissant sous la lingerie fine. Sa chatte est trempée. J’effleure délicatement son clitoris, et Sally, comme électrisée, pousse un cri étranglé. Souriant contre ses cheveux qui sentent si bon, je continue à frôler son humidité de la pulpe de mes doigts…



Et elle ouvre violemment sa ceinture de pantalon pour saisir ma main et la plaquer contre sa chatte ouverte.


Là, j’avoue que je suis tellement dur dans mon boxer que je dois atteindre dix sur l’échelle de la bandaison. J’enfonce un doigt dans sa fente, rêvant instantanément d’y mettre mon sexe. En arrière-plan, le lit qui nous attend, les draps ouverts… Me vient l’image d’elle complètement nue dessus et les cuisses ouvertes… Bon sang, ce qu’elle m’excite ! J’essaie de faire taire la petite voix dans ma tête qui gueule de plus en plus fort d’arrêter ça avant qu’il ne soit trop tard. Sally bouge les hanches en poussant des soupirs lourds de désir. Sa main chaude sur la mienne se déplace, et elle se met à enfoncer mon index en plus de mon majeur dans sa chatte.


Message reçu…

Je commence à la doigter profondément et reprends sa bouche comme un damné. Je ne vais pas pouvoir tenir longtemps si elle continue à me chauffer comme ça… Est-elle complètement folle de désir, ou sait-elle ce qu’elle fait ? Ça me chiffonne. Je réalise que je tiens vachement à elle, et que je n’ai pas envie de la perdre après une partie de baise.

Au prix d’un immense effort, je cesse de l’embrasser, de la caresser, et la repousse doucement.



Elle lève un regard voilé et le plonge fixement dans le mien. Je bande encore plus, si c’est possible.



Je lis alors une complète incompréhension dans son regard. Elle est désemparée, totalement désemparée. Et moi, totalement ravagé de l’intérieur. Mais… Non, je ne veux pas que ça se passe comme ça. J’allume le plafonnier de la chambre. Une lumière vive et intense se répand, elle cligne des yeux… Un peu violent sans doute, comme transition, mais je ne veux plus rien cacher : je veux qu’elle voie mes yeux, que nous soyons cette fois à égalité. Assez joué… On ne badine pas avec l’amour, comme disait l’autre…



Elle passe sa langue sur ses lèvres, sondant mon regard. Puis s’assied lentement tout au bord de mon matelas. Elle a encore le souffle court, et moi je lutte pour ne pas la reprendre dans mes bras. Un lourd silence s’installe…



Elle fronce les sourcils.



Instant de flottement. Elle écarquille les yeux.



Je vois qu’elle cogite dur. Les bras croisés devant elle, elle me dévisage d’un air songeur, la bouche un peu crispée. Soudain elle se relève, et d’une main qui tremble un peu me caresse la joue.



Je l’entends fermer la porte d’entrée et je m’allonge sur le lit, conscient de ce que je viens de faire. Tout ou rien…

« TOUT » : une merveilleuse histoire, pas facile, passionnée, qui irait au bout d’elle-même, au paradis ou en enfer, mais qui vaut la peine d’être vécue.

« RIEN » : ce serait plus facile… et horrible. Un sentiment d’amertume, d’inachevé, un éternel goût de cendres dans la bouche, que j’arrête ou pas de fumer.

Je sors mon paquet et allume une sèche. Mon portable sonne…



Putain de métier… Une autre de ces raisons pour laquelle « RIEN » serait plus facile… Nous aurions dû être en train de faire l’amour… Quelle femme accepterait qu’on la plante en un tel moment ? Surtout pour un politicien que tout le monde savait notoirement corrompu. Allons, c’était sans doute mieux comme ça…




*




C’est l’aube, et on se les gèle, comme d’habitude. J’arrive à la mairie. Deux de mes gars font le planton devant l’entrée. Je monte rapidement l’escalier qui mène au premier, dans le bureau du maire. Devant la porte, deux conseillers municipaux gueulent pour qu’on les laisse entrer, sans succès. J’entre à mon tour. José est là, avec le médecin légiste et un expert en balistique.



Boulot de merde… Non seulement on n’est là que pour les corvées de chiottes qui consistent à relever les empreintes, nettoyer la merde, se taper la presse pour dire qu’on n’était au courant de rien, en attendant que les cow-boys de la crim’ viennent prendre le relais, mais en plus, c’est à nous – et à moi en particulier – d’annoncer ce genre de nouvelle aux familles. J’allais réveiller une femme au petit matin pour lui dire que son mari s’était suicidé. J’allais l’entendre crier, ses mômes allaient se réveiller… et ce soir, j’allais me saouler et écrire un poème, histoire d’exorciser tout ça. Avec la sourde culpabilité de surfer sur la misère du monde…



Évidemment… Je prends délicatement le portable du mort et jette un coup d’œil sur les derniers appels. Visiblement, sa femme n’est plus la première de ses préoccupations. Un numéro revient sans cesse, plus de dix fois ces dernières quarante-huit heures. Je compose le numéro sur mon téléphone…



Temps d’arrêt. La révélation m’entre violemment en pleine poire.





À suivre