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Temps de lecture estimé : 11 mn
23/06/16
corrigé 06/06/21
Résumé:  Judith se trouve peut-être face au début d'une piste...
Critères:  collègues uniforme bizarre policier sf
Auteur : Sarah      Envoi mini-message

Série : Un futur grisâtre

Chapitre 02 / 02
Un futur grisâtre - Partie 2

Résumé de l’épisode précédent :

Judith, policière dans un monde devenu apocalyptique suite à un conflit nucléaire, est confrontée à un mystérieux tueur en série qui a fait vingt-quatre victimes en un an. Toutes des jeunes femmes.





– IV –



Elle hurlait encore quand elle se réveilla. Elle suait et tremblait de peur. Depuis douze ans, toutes les nuits, son drame la hantait. La mort de son fils l’avait plongée dans un abîme de dépression dont elle n’avait pas encore touché le fond. Et il y avait eu ce conflit atomique qui avait anéanti la moitié de la population et avait fait disparaître le soleil de la vie des survivants.


Pourquoi vivait-elle encore ? Qu’est-ce qui la retenait en vie ? Elle ne savait pas pourquoi elle n’avait jamais tenté de se suicider ; peut-être pensait-elle pouvoir retrouver l’assassin de son enfant. Il y avait peu de chance pour que lui-même soit encore de ce monde, mais elle savait par expérience que les plus résistants au mal sont souvent ceux qui sèment la mort et le désastre autour d’eux.


Elle ne vivait pas dans ce monde en perdition, elle errait comme une ombre, attendant que les toxines radioactives fassent leur effet et dévorent ses poumons. Elle décida d’aller se laver, à l’eau froide, l’eau chaude étant un luxe qui n’appartenait qu’aux autres, ceux d’en face. Elle changea même d’habits, puis quitta son appartement, sans fermer. Les pillards montaient rarement jusqu’ici.


Une voiture l’attendait ; elle s’installa sur le siège passager sans saluer le chauffeur, un officier avec qui elle avait couché il y a plusieurs mois. Il la déposa devant le commissariat et attendit quelques minutes avant d’entrer à son tour. Il ne voulait pas être vu avec elle : il avait déjà assez souffert la dernière fois. Elle se rendit directement à son bureau, épingla la photo prise la veille avec les autres, puis rangea la deuxième – celle du visage – dans un tiroir fermé à clé. Encore une chose qu’elle faisait sans savoir pourquoi.

Le commissaire frappa et entra sans attendre sa réponse.



Il était le seul à l’appeler par son prénom, qu’elle-même avait tendance à oublier. C’était comme une piqûre de rappel.



Ils entrèrent dans le bureau du commissaire, un endroit étrangement propre et rangé dans cet univers sale et en ruines. Un parfum léger et doux flottait dans la pièce et y faisait régnait une atmosphère printanière. L’officier de police était nostalgique de la belle époque, et il se fournissait de l’autre côté du mur où il achetait des purificateurs d’air et des climatiseurs parfumés hors de prix. Le médecin en terminait avec sa patiente lorsqu’ils entrèrent.



Non sans déception, il risqua un regard vers Judith. Mais les yeux de la femme étaient si inexpressifs qu’il baissa la tête et quitta la pièce. Le commissaire et Judith s’assirent en face de la jeune fille. Elle avait le visage rougi par le sang et les yeux gonflés par les larmes. Elle sanglotait toujours et se tordait les doigts sur les genoux. D’une voix qu’il espérait douce et compatissante, le policier prit la parole :



Mais la fille – qui devait être à peine majeure – fut reprise d’une crise de larmes. Judith se leva, alluma une cigarette et regarda par la fenêtre. Il n’y avait rien à voir, mais c’était une habitude qu’elle avait avant de parler. Son chef le savait, mais il craignait qu’elle s’y prenne avec trop peu de tact. Lui, il voulait faire ça en douceur, ne pas la brusquer, la faire parler sans qu’elle se sente forcée. Mais cela risquait de prendre du temps, et ils en manquaient. Alors il laissa l’initiative à Judith. Celle-ci jeta sa cigarette dehors, fit le tour du bureau et se mit devant la fille. Elle la prit par les épaules, la força à se lever et la gifla. Surprise, elle ne pleura même pas et la regarda, interloquée.



Horrifiée, elle secoua la tête et commença à raconter :



Elle avait parlé sans s’arrêter, revivant la scène en même temps. Elle se remit à pleurer et se cacha le visage dans ses mains. Judith se leva et quitta la pièce, suivie par le commissaire qui appela quelqu’un pour surveiller la victime.



Elle se retourna et appela le premier policier qui passa près d’elle.



Dépité, le jeune policier la rejoignit.



Elle se dirigea vers le hall d’entrée miteux du commissariat. Il n’y avait aucun contrôle, et n’importe qui pouvait entrer dans les locaux. L’année dernière, ils avaient découvert une planque de dealers dans une pièce abandonnée au deuxième étage. Les trafiquants pensaient sans doute que c’était le dernier endroit où les flics s’attendaient à trouver ce genre de réseau. On n’avait jamais su qui étaient les responsables de ce trafic, mais personne n’ignorait qu’un ou plusieurs membres de la police avaient les mains sales.


Judith trouva la fille devant la porte, hésitant à sortir, regardant partout autour d’elle. La flic se rapprocha, alluma une cigarette et posa sa main sur l’épaule de la fille qui sursauta et poussa un petit cri de surprise.



La fille secoua la tête et se remit à regarder dehors.



Judith n’en pensait pas un mot. Elle se foutait de cette gamine ; ce qu’elle voulait, c’était coincer ce type. Mais de temps en temps elle savait se montrer aimable. Pour la bonne cause. Elle reprit :



La fille ne semblait pas l’entendre. Ses grands yeux noirs étaient fixés sur la porte vitrée, écarquillés. Elle se pinçait les lèvres, comme pour s’empêcher de parler ou de hurler. Judith remarqua la noirceur éclatante de ses cheveux. Ils lui rappelèrent les siens, avant que tout ne devienne gris et suffocant. Les cheveux devenaient blancs après quelques années de vie, souvent au cours de l’adolescence. Elle devait les faire teindre, mais il fallait dépenser une fortune pour se procurer les produits et connaître les trafiquants qui les vendaient. Il faudra qu’elle se renseigne à ce sujet.

Elle aperçut Pete en haut de l’escalier. Il s’était changé et commençait à descendre.



Elle ouvrit la porte et la poussa légèrement pour qu’elle avance enfin. Elle semblait figée ; cette légère impulsion la réveilla. Elle cligna des yeux et sortit dans la rue. Elle regarda à gauche et à droite, puis traversa la chaussée d’un pas lent et somnolent. Quelques secondes après, le jeune officier de police lui emboîta le pas. Judith les regarda s’éloigner. Elle se surprit à penser qu’ils auraient pu faire un joli couple et être heureux, une dizaine d’années auparavant. Elle referma la porte, alluma une nouvelle cigarette et monta lentement l’escalier. Elle rejoignit son bureau, donna quelques consignes et attendit la fin de la journée.




– V –



La nuit était tombée depuis plusieurs heures. Judith et un collègue faisaient le guet dans une voiture au pied d’un petit immeuble. Pete vivait là. D’après des observateurs qu’elle avait placés aux endroits stratégiques, le policier avait ramené la fille chez lui. Quel baratin pouvait-il lui avoir raconté ? Même en ces jours sombres, à cette époque sans avenir et sans espoir, quelqu’un pouvait accorder sa confiance à un inconnu, tomber sous son charme. Pour Judith, femme désabusée, aigrie, au cœur aussi gris que l’environnement dans lequel elle évoluait, ces sentiments semblaient stupides, voire dangereux. D’ailleurs, Pete n’avait fait qu’exécuter ses ordres. Il faisait son travail, sans réellement se préoccuper du sort de cette fille. Pourquoi une partie d’elle ne semblait pas vouloir croire cela ?


Son voisin avait baissé le siège et s’était assoupi. Il semblait dormir calmement. Pas de cauchemars sanglants, pas d’atroces souvenirs récurrents et perturbants. Soudain, elle se dit que quelque chose n’allait pas. Son sommeil était si paisible que même sa poitrine ne se soulevait pas. Elle tendit l’oreille à l’écoute d’un souffle, d’un léger bruit de respiration. Rien. Elle chercha un pouls dans son cou, sur son poignet. Elle ne décela aucun battement. Elle prit la radio et appela les secours puis attendit dans la voiture. Elle regarda la fenêtre de l’appartement de Pete jusqu’à ce que l’ambulance arrive.



Le commissaire, que la mort d’un subordonné affectait toujours, même après trente ans de service, s’assit dans son fauteuil et fixa Judith. Son visage était si inexpressif… Sa cigarette éteinte entre les lèvres, attendant d’être sortie du bureau pour l’allumer, elle semblait juste vouloir passer à autre chose. Pour elle, c’était une mort de plus : la fatalité, l’inévitable. Lui n’était pas comme ça. Il n’était jamais parvenu à se blinder face à ces tragiques événements. Et la mort d’un homme qui avait presque son âge le traumatisait encore davantage.



Le commissaire vit le regard noir de Judith et congédia l’homme avant qu’elle ne sorte son arme.



Sa voix s’était emballée à cette hypothèse. Rien ne l’intéressait plus qu’une enquête qui démarrait, la possibilité d’obtenir un indice, de faire une filature, de mettre la main sur un suspect qui donnerait le renseignement déterminant à la résolution de l’affaire.

Elle se leva, ouvrit la porte et regarda son supérieur.



Le commissaire la regarda fermer la porte, puis s’affaissa au fond de son siège. Il poussa un grand soupir, se saisit du téléphone et composa un numéro.