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n° 17757Fiche technique33246 caractères33246
Temps de lecture estimé : 19 mn
27/01/17
Résumé:  Prendre une guitare, bien ronde, d'origine espagnole. L'échauffer avant de l'accorder. La saupoudrer d'une mélodie exquise. La barder d'accords sélectionnés. Faire frémir le tout à la flamme d'un feu de bois. Servir très chaud à une demoiselle affamée.
Critères:  fh jeunes vacances plage forêt amour revede nostalgie -occasion
Auteur : Algo            Envoi mini-message
Trois minutes cinquante-trois

Houlà, bientôt 8 heures. On a beau être samedi, il est temps que je me lève. J’ai un tas de choses à faire.


Je jette un œil sur une sorte de baluchon ramassé en boule à côté de moi. Cela dort ferme sous la couette. Il faut dire que je ne l’ai pas ménagé en début de nuit, mon Loulou. Et aussi un peu plus tard. Si cela n’avait tenu qu’à moi, on aurait pu encore prolonger d’un chouia. Mais sur la fin, ses ardeurs se sont montrées un tantinet émoussées. J’avoue que je l’avais convenablement épongé, vidangé, essoré, mon chéri adoré. À ma plus grande satisfaction. Et à la sienne aussi, me semblait-il.


Je m’échappe de la couette dans une tenue qu’Ève n’aurait pas reniée. C’est la plus adéquate quand on veut se montrer rapidement accessible, au cas où… Avisant le reflet d’une attrayante nudité dans mon miroir en pied, je me dis qu’il serait maintenant raisonnable d’enfiler cette nuisette, ma foi très virginale. On se sent de suite plus habillée, gloussé-je en en faisant onduler la transparence dans la lumière du soleil matinal.


Je descends l’escalier à pas de loup. J’allume la radio pour préparer le petit déj’ en musique. Je me lance avec entrain dans les gestes simples de la ménagère, que je ne suis qu’à temps partiel, hein, faut pas rigoler…


Et patatras, toute ma fougue du petit matin se délite pour faire place à un méchant coup de blues de fin de soirée. La radio vient d’annoncer, dans le désordre : Thomas Dutronc et Arnaud Garoux, Mademoiselle, Chambre avec Vue, Henri Salvador.


Pfff… c’est pas possible ! Me voilà inexorablement téléportée au temps de ma belle jeunesse. Je vais donc replonger dans 3 minutes 53 de totale émotion, le temps de cette chanson*.


Mademoiselle

Qui passez sans souci

Dans vos rêves

Bien plus bleus que la vie…


Tout me revient d’un coup. Mon trek de détente au lendemain de mes examens, réussis, de première année en Bio. J’avais atterri dans le nord de l’Espagne pour une douzaine de jours de rando en solitaire. Mais où ai-je fourré mon carnet de voyage racontant cela ?


Aaaah le voici, avec tous mes souvenirs rédigés à l’époque. Cela vous plairait d’en zieuter quelques pages ? Oui ? Sur Rêvebébé me dites-vous ? Eh bien, si vous insistez…


Chère lectrice, cher lecteur,


Pendant que je me languis à l’écoute de ma chanson fétiche, faites comme si je n’étais pas là. Je vous laisse violer quelques secrets de mon carnet intime.


J’irais même

Vous chanter sous la pluie

Tant vos rêves

Font le jour de mes nuits…



_____________________



Quatrième jour de rando.


Je dégringole un sentier montagneux du contrefort pyrénéen, à grands pas, presqu’en courant. La côte se rapproche. Au détour d’un coude du chemin, le bleu de la Méditerranée me saute au visage. Je prends subitement conscience que goûter la beauté des choses demande de s’extraire des sottes contraintes que l’on s’impose.


J’ai passé une année entière, recluse, prisonnière de moi-même. Ma seule ambition, ma seule préoccupation, réussir mes examens de fin d’année.


Pendant ces trois premiers jours de randonnée, la montagne s’est imposée à moi, avec ses paysages magnifiques, mais aussi ses cols à franchir. J’ai à nouveau été soumise à une pression débilitante. Anxiété de la performance, peur de l’échec, crainte de ne pas pouvoir arriver en haut, alors que ma forme physique stagnait à une altitude proche du niveau de la mer.


Les cols sont derrière moi. Je les ai vaincus, tout comme les épreuves de fin d’année. Alors, maintenant, il serait temps que je redescende sur terre, que je m’affranchisse des turpitudes de la vie, que je fasse la peau aux agressions extérieures que je m’invente. Je vais les ratatiner grave.


J’arrive au terme de l’étape du jour, en bord de mer. J’ai le choix. Soit le camping qui en ce moment de l’année est bourré d’estivants bruyants. Soit un emplacement agréable et discret à découvrir dans les environs immédiats. Peut-être sur cet éperon rocheux et boisé qui surplombe le sable d’une petite crique idyllique ?


Pas très autorisé, le camping sauvage. Mais je saurai me fondre dans la nature avec ma tente minuscule à monter en "2 seconds easy" (quant à la replier, c’est un peu plus long… quand on y arrive…).


Voilà la manœuvre magistralement exécutée. Je n’ai pas chronométré ! Je me glisse à l’intérieur. Quelques souples contorsions plus tard, mon maillot de bain une pièce est enfilé. Très pudique. Je ne tiens pas à provoquer le regard lubrique de quelque mâle échauffé par le soleil catalan.


Je franchis la cinquantaine de mètres de sous-bois et de rochers qui me séparent des calmes vaguelettes grignotant le bord de plage. De la pointe du pied, je les taquine en troublant leur clarté d’un sable remué. Je m’avance. Elles se vengent, le fond marin se dérobe traîtreusement sous mes pas, sans crier gare. J’ai le souffle coupé alors que l’eau se précipite entre mes cuisses, atteint mon entrejambe, remonte le long de mon ventre qui se creuse. Toute résistance est vaine. Je capitule et m’allonge dans l’élément liquide bienfaiteur, plein de fraîcheur vitale. Je me débarrasse de la sueur du jour. Et aussi des soucis de toujours.


Une bonne inspiration, et je me fais un canard pour couler vers le fond rocailleux. J’en remonte la pente jusqu’en bordure sablonneuse, m’expulse hors de l’eau, et me jette sur l’air qui commençait à me manquer.


Petit coup d’œil circulaire. Personne en vue.


Mon corps a besoin d’évasion. Mon maillot se laisse enrouler jusqu’à la taille, libérant deux appâts sensuels dont je suis très fière. Un galbe tendu qui me plaît. Deux petits fruits rouges qui me narguent. Je voudrais qu’on me dise que je suis belle. Et qu’on me touche. Je fais un clin d’œil au soleil. Il me répond en m’enveloppant de ses rayons aguichants. Toi l’ami, je compte bien te séduire.


Je me retourne et aperçois un peu plus loin une large pierre plate arrimée aux rochers qui la surplombent. Quelques foulées souples m’y emmènent, le temps que mon soleil taquin me mignote de la nuque aux pieds. J’ai bien compris qu’il est déçu que sa câlinerie sur ma peau frissonnante soit interrompue par un maillot humide. Je le roule donc au plus bas et m’en débarrasse pour de bon, en me penchant pour le passer sous les talons. L’astre coquin en profite pour étriller sans pitié ce que je lui offre bien volontiers. Attends, mon bonhomme, tu n’as pas tout vu.


La pierre m’accueille avec chaleur. Je m’y allonge sur le dos. Un besoin trouble s’insinue en moi, l’exigence d’écarter jambes et bras. Me voilà sur ce rocher, belle et fragile étoile de mer échouée, asservie aux caresses solaires enflammées. Je regarde mon petit buisson s’ébouriffer de plaisir. Dessous, quelques dernières gouttes d’eau de mer partent à la dérive, noyées par une onde suave et lascive.


Je vois mon copain du soir rougir d’excitation. Sans prévenir, il s’éclipse furtivement derrière la cime des arbres dominant la plage. Je n’ose imaginer comment il va épancher ses ardeurs inassouvies. Le goujat, il ne me laisse que de l’ombre sans vie !


Fin de séance. Je me suis enfin redonné toute confiance. Je me suis abandonnée à l’insouciance.


Ce soir, je crois que je vais tenter une incursion dans ce village côtier pour déguster quelques mets typiques dans un bar à tapas. Je m’habille en conséquence, un soutien léger sous un chemisier blanc noué sous les côtes, le tout souligné à la taille par un minishort en jean. Sympa. Dessous, un string très discret s’est imposé. J’ai l’impression de revivre.


Me voilà partie, petite sacoche en bandoulière, lunettes de soleil relevées sur le front.


La balade dans les ruelles fut agréable, les spécialités de l’endroit délicieuses. Nez en l’air, j’ai pu humer l’atmosphère de vacances que l’on respire à cette époque de l’année.


Je m’en retourne vers mon havre de paix retiré.


Surprise ! Sur la plage, là où je m’étais baignée, un groupe de jeunes se délassent autour d’un feu de bois. Quatre garçons, quatre filles. Les couples semblent formés. Et puis un jeune gars, accompagné, lui, de sa guitare. Une magnifique voix. Et ce n’est pas le bête gratte-guitare. Il sait manier le manche, l’animal. Il y a toute l’Espagne dans ses doigts.


Je les contourne discrètement. Ils me voient sauter sur les rochers en direction de ma tente, me hèlent en espagnol en me faisant signe de les rejoindre. Allons bon, ce sera mon premier contact humain depuis trop longtemps. Mais je risque de ne pas être très bavarde s’ils ne parlent que leur langue.


Je jette une couverture sur mes épaules et redescends vers eux, en ramassant au passage quelques branches de bois sec. Ce sera ma modeste contribution à la convivialité du moment.


  • — No hablo español ! dis-je d’entrée de jeu, pour m’excuser.

Je lance mon bois dans le feu qui reprend de plus belle, et croise les doigts pour qu’il y en ait au moins un qui baragouine un français compréhensible. Chouette, c’est le beau guitariste qui lève la tête.


  • — Merci señorita. C’est gentil d’avoir ranimé le brasier. Tu es française ?
  • — Oui. Je m’appelle Rhhhhhulia, rajouté-je en espérant que ma prononciation du « J » espagnol n’est pas trop risible.
  • — Moi, c’est Pedro. Bienvenue parmi nous. Les garçons sont de la région, des amis de longue date. Les filles sont de sympathiques touristes qui aimeraient apprendre quelques mots d’espagnol, dit-il avec un large sourire entendu. Mais à part moi, personne ne parle français.
  • — Tu le parles parfaitement, lui dis-je en m’asseyant près du feu, en face de lui.
  • — Merci pour le compliment. Cela fait trois ans que je fais des études de pharmacie à l’université de Montpellier. Si tu permets, je vais continuer mon petit récital sans prétention, histoire d’égayer la soirée.

En plus, c’est un jeune intello comme moi. Caramba, j’aurais pu plus mal tomber.


Il poursuit donc son récital. Des chants traditionnels espagnols que je ne connais pas. Des chansons modernes. Des morceaux classiques. Plutôt éclectique, le bonhomme.


Tout le monde est pris par le charme des mélopées s’envolant au-dessus des flammes. Les couples s’étreignent plus étroitement. Quelques embrassades furtives pour les plus timides. Des baisers plus profonds pour les plus entreprenants. Les mains se mettent à voyager plus librement, parfois un peu repoussées, pour la forme. Tout cela sous le regard attendri de Pedro qui n’a de mains que pour sa vibrante compagne.


Je sors mon smartphone pour me faire un souvenir de ce chaleureux moment musical. Les flammes dansent devant l’objectif, au rythme de la guitare. Elles se balancent entre Pedro et moi. Je ne veux pas le distraire, j’interromps ma vidéo.


À la fin d’un morceau, Pedro annonce la suite, en espagnol. J’entends les mots "señorita francesa", et puis "Mademoiselle". C’est le titre de la chanson qu’il me dédie sans doute. Je relance la vidéo.


J’adore son interprétation. Je frissonne à l’écoute des accords qu’il utilise pour accompagner sa voix. Je m’arrange pour que sa main gauche soit toujours bien visible à l’écran. Quel moment de pur bonheur !


Quelques morceaux encore. Deux couples se lèvent, passablement enfiévrés, pressés sans doute de donner libre cours aux pulsions qui les tourmentent. Un troisième couple suit bientôt, puis le quatrième dans la foulée, me laissant seule face à Pedro.


  • — Merci pour ta musique, Pedro, c’était extra, lui dis-je avec toute la sincérité qui m’anime après cette soirée inattendue.
  • — Je suis heureux que cela t’ait plu. C’est toujours un plaisir de voir la fusion de la musique et du feu attiser les ardeurs amoureuses chez mes amis. Toi aussi tu étais fascinée par les flammes que tu filmais ?

Bon, si ça ce n’est pas me faire du rentre-dedans, je suis bonne à aller chez les nonnes.


  • — Oui, c’est vrai, lui dis-je avec le peu d’innocence qui me reste à l’instant. Mais en fait, c’était ta main gauche qui retenait mon attention. Je voulais pouvoir reproduire sur ma guitare ce que tu nous jouais.

Bon, c’est pas faux non plus. Je m’en sors plutôt bien me semble-t-il.


  • — Oh, tu veux que je te montre les accords ?
  • — ¿ Là maintenant tout de suite ? lui dis-je avec une intonation pleine de points d’interrogation, y compris en début de phrase, alors que ma seule envie est d’y coller trois points d’exclamation en finale.
  • — Là maintenant, non, ce ne sera pas fort possible. Je dois aller jouer dans le bar d’un copain pour lui attirer les clients. Mais je pourrais te montrer cela demain, me lâche-t-il négligemment en glissant la guitare dans son étui souple.

Profonde déception ! Ma voix se fait toute menue :


  • — Pour moi ce sera difficile, ou alors, assez tôt dans la matinée, car mes bottines ont du chemin à faire dans la journée.
  • — C’est tout bon pour moi. Je serai ici demain à l’aube.
  • — Merci Pedro. À demain donc.
  • — Hasta mañana, Rhhhhhulia, s’amuse-t-il à m’imiter en me quittant.

« Ah mon salaud ! » lui lancé-je en moi-même avec une pointe d’affection naissante.


Retour dans ma mini-tente. Tortillements requis pour enlever le peu de vêtements qui me couvrent. Toilette succincte avec l’eau douce dont j’avais rempli deux bouteilles. Légère nuisette pour me dissimuler au regard de personne. Et hop, sous la couverture.


J’ouvre mon smartphone. Pas d’appel, mais un titre de fichier qui allume mon regard, Mademoiselle.mp4. Durée : 3 minutes 53. Play !


Le feu qui crépite, les notes qui s’agitent, et une voix qui plane dans la nuit catalane.


Je ferme les yeux. Je m’imprègne des harmonies jazzy qui se poussent et se disputent. Les majeurs et mineurs de 7ème se font la part belle. Des quintes augmentées bousculent leurs copines diminuées. Un 13ème s’infiltre sournoisement et prend la place d’un 9ème qui bat en retraite. Quel charivari bien organisé. Mais rien qui ne me soit vraiment étranger.


Je relance la vidéo, cette fois les yeux braqués sur cette main gauche en pleine action. Cela va faire une douzaine d’accords et quelques variantes à mémoriser. Poussées successives sur le Play/Pause, et à chaque fois ma main gauche esquisse l’accord sur l’arrière de ma cuisse relevée. Facile !


Ma mémoire est au top depuis cette session d’examens. J’absorbe la succession des accords sans effort. Demain, une élève appliquée va pouvoir émerveiller son professeur préféré.


Bon, un dernier visionnage, rien que pour le plaisir cette fois. Je réalise soudain que mes doigts se sont déplacés subrepticement sur l’intérieur de la cuisse pour atteindre des lieux plus sensibles. Ils ne vont pas se priver d’y rejouer leur partition.


Je ne vois plus cette main gauche gesticulante, je n’ai d’yeux que pour les flammes brûlantes. Au gré de leurs ondulations, elles me dévoilent deux pépites foncées qui m’observent sans ciller. Je m’invente les sentiments qui en jaillissent, parés d’éclats de lumière ensorcelante.


Avant-dernier couplet…


Mademoiselle

Tout cela n’est qu’un jeu

Je vous aime

N’y voyez que du feu…


Et…?


Et puis plus rien. C’est la batterie qui a fait long feu. Mon panneau solaire de poche sera bien utile pour la recharger demain. Il me doit bien ça, mon copain soleil, quand il se souviendra de ce qu’il a pu mater comme merveilles !


Je n’ai plus qu’à faire dodo… en me répétant les dernières phrases que je viens d’entendre. Elles vont me faire un effet certain, au moins jusqu’à demain. Pourvu que la nuit passe vite.



_____________________



Elle passa vite, non sans rêves inavouables. Je ne me souviens pas de tous les détails. Il me reste des sensations intimes, que j’entretiens gentiment alors que la lumière de l’aube se met à percer la toile de tente.


Dehors, le silence de la nuit s’apprête à fuir la nature en éveil. Je l’entends encore frémir au souvenir des sonorités musicales de la veille.


Les sonorités se réveillent. Pedro est arrivé.


Je me propulse hors de la tente, emballée dans ma couverture.


Je le vois assis en tailleur, la guitare posée entre les cuisses, face aux restes de la flambée d’hier soir. Il me tourne le dos, ne peut me voir venir.


Alors que je m’approche, je ressens une chaleur rayonnante grandissante. Celle des braises qui couvent encore. J’entrouvre le devant de la couverture pour recueillir la douce brûlure. C’est aussi sa chaleur à lui qui m’échauffe peu à peu.


Je suis arrivée à destination, silencieusement, accompagnée des sons de sa voix puissante flirtant avec le velouté des accords de guitare.


Mes mains se posent sur ses épaules, à la base de la nuque. Je m’agenouille lentement, laissant glisser mon ventre, mes seins, le long de son dos. Je m’installe sur les talons, mes cuisses enserrant étroitement les siennes.


Mes bras, mes mains se referment sur son torse. J’en prends possession. Je me serre contre lui, et dépose un baiser dans le creux de son épaule.


Il n’a même pas tressailli, le mufle. Il n’est pas surpris. Il m’avait entendue. Il continue de jouer, comme si de rien n’était. Ma couverture m’en tombe.


Par-dessus son épaule, j’observe ses doigts appliquer les accords sur les cordes soumises. Je les reconnais, les anticipe. Mes mains sont emportées par le mouvement des siennes, passent sous son T-shirt, voyagent sur sa peau.


L’envie leur prend de s’assurer que leurs caresses l’animent, à un endroit plus intime. Rassurées, elles partent à l’assaut d’une pression, d’une tirette. Elles restent en suspens une seconde, attendant une réprimande pudibonde… qui ne vient pas. Au contraire, d’un léger balancement du bassin, il m’aide dans ma tentative de découvrir son instrument.


Je m’en empare, la main gauche agrippant le manche rigide, la droite, plus bas, épousant deux volumes dodus agréables au toucher. Elles se mettent à jouer, l’une baguenaudant au gré des accords capricieux, l’autre tournoyant sur le faisceau nerveux tendu sous les viriles rondeurs.


L’instrument que je joue est plus silencieux que le sien, mais ses généreuses pulsations attestent de la justesse de mes accords. Spécialement celui que j’applique à l’instant. Un joli Dm7/9+ où les doigts convenablement écartés poussent l’index bien haut, là où il faut, avec une précision diabolique. Spasme garanti. Il devait chanter "Tant vos rêves font le jour de mes nuits". Il est resté muet. J’en souris. Je lui murmure à l’oreille :


  • — J’ai envie de jouer. Je peux ?

N’attendant pas sa réponse, je me relève, enjambe son bras en lui tournant le dos. Je me retiens in extremis à la caisse de la guitare alors que mon pied accroche au passage ce qui se dresse fièrement sur sa route. Je me sens tout à coup très honteuse de présenter si près de son visage mon popotin coquin, heureusement recouvert par le bas de ma nuisette.


Quelle nuisette ? Je la sens retroussée, bien haut, découvrant le bas de mes reins et deux jolies fossettes qu’il s’empresse d’embrasser tendrement. Un long frisson m’envahit alors qu’il empaume fermement mes fesses et les écarte gentiment.


Je chavire, intérieurement, extérieurement. Mes jambes se dérobent sous ma croupe cambrée, soutenue par des mains qui me dirigent là où il veut. Là où je veux.


Ma fleur se pose sur sa tige. Elle est encore close. Pour la suite, il s’en remet à mes initiatives. Il se contente de filer sous ma nuisette rejoindre deux mignons nichons opalins en attente de doux et bons câlins.


Je me sens tout à coup très vulnérable, la respiration bloquée, me fermant à son désir.

Je m’impose une longue et profonde inspiration, et voilà revenue l’envie d’enfermer son désir.


Une sourde frénésie me prend, celle d’être prise. Je fléchis un peu plus les genoux, très lentement, en m’appuyant délicatement sur la guitare pour soulager la retenue de mon mouvement. Je ferme les yeux pour mieux maîtriser le moment présent.


Cette virilité féline, je pensais l’avoir apprivoisée de la main. Elle dévoile subitement sa bestialité alors que je tente de la mettre en cage. Une déchirante douceur me harponne. Toutes griffes dehors, le fauve avance, à tous petits pas. À chaque timide à-coup décoché à son museau, un cri me transperce la poitrine et s’arrache vers le large. Mes cris sont brefs, tranchants, les cris d’une mouette perdue dans les airs d’une contrée inconnue.


Soudain, un délicieux frôlement m’électrise les cuisses, par-dessus, par dessous, qui va, qui vient, entre aine et genou. Caresse silencieuse dont il attend l’écho. Peu à peu, ma fleur s’épanouit, s’ouvre, se pare d’une rosée translucide, abondante, qui ne vient de nulle part. La géhenne devient grâce divine. Gynécée, androcée, le tout au plus profond de moi devient un**.


La mouette se tait. Seules ses ailes brassent l’air d’un soupir infini.


Ses doigts se posent sur les miens pour les guider, les uns sur les cordes prêtes à séduire la rosace, les autres pour composer le Do majeur de 7ème, premier accord de la chanson. Il les abandonne pour me laisser façonner toutes les harmonies. À l’oreille, il me muse la mélodie.


Je me balance langoureusement, j’ondule sur ce qui nous unit. Devant moi, l’horizon infini, fine estafilade du bistouri de l’aube, inonde d’un rouge sang les bleus nuit de fin de nuit.


L’excitation suprême me saisit. Sans permission, deux doigts se sont mis à rythmer la chanson sur un timide bourgeon ornant sa tige délicate. Permission accordée, prise d’effet immédiate.


J’ai la sensation que tout s’arrête. Tout se fige, tout s’évanouit. Non, j’entends encore les notes égrenées par une guitare enfiévrée. Pourtant, mes doigts ne peuvent plus en jouer. Je les découvre crispés sur mon sexe en nage et en feu, mes cuisses resserrées sur eux.


J’ouvre les yeux. Pour seul horizon, l’intérieur de ma tente.


Et cette musique qui ne peut être la mienne ? Pedro ? Il doit être là, un peu plus loin, comme convenu. Il joue, en attendant mon réveil.


Pedro dans mon rêve. Pedro hors de mon rêve. Tout en même temps. C’est beaucoup trop.


Je m’arrache de mes songes et de ma couverture, retire ma nuisette, enfile mon minishort à même la peau. Pareil pour mon chemisier, que je noue bien serré sous la poitrine. Je me mets à quatre pattes, m’énerve sur la tirette de la tente. J’ouvre. Et je le vois, tranquille, assis sur un rocher à quelques pas.


Il me sourit, continue de jouer. Pour moi, rien que pour moi. Peut-être un peu pour lui aussi.


J’avance pour m’extraire de la tente, me redresse nerveusement. Le nœud du chemisier, peu discipliné, décide d’accorder toute liberté à ce qu’il enfermait juste avant. Mon chanteur s’arrête de chanter. Mon spectateur a la gentillesse de relever bien vite le regard sur mon visage. N’empêche, j’ai bien vu l’éclair de ses yeux foudroyer deux jeunes beautés tendues.


Bras et mains s’empressent de se croiser bien haut, emmenant avec eux les pans de la chemise frivole.


Déboussolée, je devrais fuir. Mais son magnétisme darde vers moi des ondes sauvages dont je deviens captive. Je les remonte vers lui, pas à pas. Et à chaque pas, les braises de mon envie d’un mâle robuste s’attisent un peu plus au contact d’une couture errant dans mon intimité vénuste.


Je ne m’arrêterai qu’au son de sa voix.


  • — ¿ Hola, qué tal ?

Je m’arrête, parviens à peine à lui bégayer :


  • — Mmmuy bbbien !

Et je me laisse tomber sur les genoux, que j’écarte suffisamment pour diminuer la tension de cette foutue couture qui m’agresse follement.


  • — Prête pour ta première leçon ?
  • — Oui Pedro. C’est quand tu veux.

Je me fais descendre sur les talons, m’appuie sur les bras tendus obliquement vers l’arrière. La couture n’hésite pas, la garce profite de ma nouvelle position pour me remettre la pression. La chemise, elle, a hésité un instant, pas longtemps, avant de glisser sur mes flancs, de s’ouvrir comme un rideau de scène après avoir frappé les trois coups. Deux courageuses aspérités, excédées par le frottement de l’étoffe qui se dérobe, se dressent en travers du chemin des ourlets, boutons et boutonnières. Arrêt complet sur deux butées dissimulées. Le spectacle peut commencer.



_____________________



Voilà, chère lectrice, cher lecteur, j’interromps ici mes révélations sur ma rencontre espagnole.


Vous vouliez en savoir plus ? Du croustillant, du grivois, de l’érotique ? Eh bien ce sera un non, discret et pudique ! Vous ne saurez rien du plaisir charnel partagé avec Pedro. Le rêve, oui. La réalité, non !


Vous l’aviez deviné, Pedro a été mon premier homme, un hombre guapo, qui m’a fait ça tout en douceur…


Ce jour-là, ma première leçon a été suivie de quelques autres, pleines de joie et de passion. Ce fut un break d’un jour dans mon trek en cours.


Le soir, je me suis rendue dans un bar aménagé dans une ancienne cave à vin. C’est là qu’il avait l’habitude, pour quelques sous, de charmer le client avec sa guitare et ses chants.


Je l’écoutais en sirotant un mojito royal. Puis un deuxième. Il a attendu que je vide le troisième pour me faire complètement craquer. Il m’a regardée éperdument, s’est mis à chanter la chanson, à jouer notre chanson, avec ses accords divins que je connaissais si bien.


Cela allait durer 3 minutes 53. Je ne voulais pas que cela se termine. Il y avait un dernier couplet. Il a inondé mes oreilles, qui ne voulaient pas l’entendre :


Le plus beau jour

Est celui d’aujourd’hui

Tous les toujours

Ne riment qu’avec ennui…


Je me suis levée, les yeux embués. J’ai déposé un baiser sur le bout de mes index et majeur réunis. Je l’ai soufflé par-dessus les tables qui me séparaient de lui. Il me l’a renvoyé d’un discret mouvement des lèvres.


Je me suis tournée vers la sortie, titubante, bousculée par mes émotions noyées dans le mojito. J’ai longé le mur, trébuchant, refusant toute aide, me cognant aux arcatures. Derrière moi, j’abandonnais le cœur et le corps de l’amant d’un jour, promis à d’autres aventures.


Le lendemain, je reprenais mon trek, le cœur et le corps transformés. L’esprit ailleurs.


Je ne voyais plus les paysages que je traversais. Seulement les images laissées par nos jeux complices de la veille. Les cinq ou six leçons prodiguées repassaient en boucle dans mes pensées agitées. Les leçons, mais aussi ces moments d’interlude où se succédaient tendres roucoulades et franches rigolades. Je m’en souviens encore comme si c’était hier.


Je me rappelle les arbres du sous-bois qui égayèrent plus d’une fois le jeu du chat et de la souris. Il se terminait toujours par la victoire du chat face à une souris dont la stature raidie la rendait bien facile à attraper. Et, toujours, le chat prenait un cruel plaisir à jouer avec sa proie, avant de devenir chatte et de la dévorer avec joie.


Le soleil aussi participait à nos batifolages, plus aquatiques ceux-là. Qui se jouaient alors en une partie à trois, où notre chaud partenaire, résolument viril mais à tendance bi marquée, ne se privait pas de nous lécher de ses rayons torrides. Et lorsque nos deux corps flottaient, immobiles, tels deux planches abandonnées, il prenait un malin plaisir à s’attarder sur tout ce qui émergeait, ici et là. Surtout là, sur ce que notre excitation du moment érigeait hors de l’eau, hardiment.


Il y eut aussi cet intermède musical où sa guitare évoqua des "Jeux Interdits". Mais ce jour-là, tout nous était permis.


Pour la dernière leçon, j’ai voulu revivre en vrai mon fantasme de la nuit. Je lui ai raconté, et mon rêve devint réalité. Au moment où ma fleur s’est posée sur sa tige, j’ai réalisé que le scénario devait être modifié.


Je lui ai demandé comment il faisait pour être toujours aussi grand, aussi dur, comment il faisait pour avoir toujours envie. Il me répondit : « Comment fais-tu pour qu’il en soit toujours ainsi ? » Je me suis soudain sentie femme, belle, désirable.


La mouette glissa sur l’aile, amorça son piqué, tout en silence, dans un ciel maintenant familier. Dans son vol, je l’ai accompagnée. Mon corps s’est rempli de lui. Mon âme dans un souffle s’est envolée. Mes yeux se sont fermés sur la nuit. Il était grand, il était dur, il était lui.



_____________________



Une semaine plus tard, j’étais de retour chez moi. À peine arrivée, j’ai sorti ma guitare de son cocon protecteur.

Je l’ai regardée, les yeux brouillés de l’image du souvenir.

Je l’ai touchée, les doigts saisis par l’instinct du désir.

J’ai eu besoin de lui dire, de lui écrire, ces quelques mots qui m’ont envahie :


Une guitare ?

La nudité du galbe des éclisses

Ondule sous une main complice.

Une roide émergence sombre et lisse

Dans la paume s’étire et coulisse.

De ces deux mains par les cordes réunies,

Naissent sons et plaisirs en alternance.

Une rosace béante et une table d’harmonie

S’unissent pour les faire vivre en résonance.


Il m’a répondu :


Ma guitare ?

Six cordes, un peu de bois,

Qui vibrent maintenant

D’avoir vu deux amants

Unis dans un sous-bois.



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On correspond encore de temps en temps. Il va bien, et il a de quoi s’occuper avec toute sa belle marmaille.


Ah, j’entends mon petit monde qui se réveille à l’étage. Oh oui c’est vrai, j’oubliais de vous le dire, cela fait trois semaines que Laurent*** et moi vivons ensemble. Louis l’appelle papy. Et Léa est bien contente.


Au fait, il a bien dit une deuxième connerie ce fameux samedi : il n’aurait pas pu me laisser une petite surprise, je prenais la pilule.


J’ai arrêté de la prendre.


Bien, ciao todo el mundo !


Julie B.


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* Pour entendre la chanson Mademoiselle d’Henri Salvador :

https://www.youtube.com/watch?v=S3En2XL5ETU.


** Eh oui, les étudiants en Bio ont bien un cours de botanique !


*** Pour faire la connaissance de Laurent, voir L’incandescence des sens