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Temps de lecture estimé : 10 mn
21/05/17
Résumé:  Voyage en eaux trouble est l'histoire de deux voyages. Celui de Cool Breeze, un catamaran de 44 pieds et de Dakota, une jeune femme sur le chemin de la soumission.
Critères:  ff amour fsoumise fdomine exhib fgode jeu bondage baillon
Auteur : Oceantwenty  (Ocean. USA FL.)      

Série : Voyage en eaux troubles

Chapitre 01 / 50
Chapitre 1 - Dakota

Je suis photographe. Mes clichés sont imprégnés de sang et de haine, couleur rougeoyante d’un monde en éruption. Je passe ma vie dans les avions, voyageant d’un champ de bataille à l’autre pour immortaliser les atrocités de l’humanité. Je foule les pas légendaires d’Hemingway et de Cappa avec cette même fascination morbide pour la mort sous toutes ses formes. J’aimerais penser que je travaille par idéalisme, pour cette cause noble qui est d’informer le monde, mais je ne suis pas dupe. Je ne suis qu’une junkie se droguant à l’adrénaline. Ma cocaïne a l’odeur de la poudre et me donne des visions de charniers où les corps s’empilent comme autant d’offrandes à la folie humaine.


Je reviens du Moyen-Orient. C’est le nouveau paradis de la violence, une violence pure et barbare comme un air de heavy métal. J’associe souvent un air de musique aux guerres, sans doute parce que les musiciens, comme les guerriers, se libèrent complètement, s’affranchissent de toute forme de morale pour culminer dans leur art. L’homme libre est un monstre, un prédateur dans toute sa splendeur.


La limousine franchit le portail familier de la propriété. Le garde me salue d’un signe de la main, sourire édenté plaqué sur son visage jovial de Mexicain. Je l’ignore. J’ai vu trop de visages, visages d’hommes et de femmes aujourd’hui disparus dont il ne reste que quelques pixels sur la carte mémoire de mon Nikon. Il m’arrive parfois de craindre mon propre reflet, celui de la femme aux yeux vides que je croise parfois dans le miroir ébréché d’un hôtel miteux.


Le chauffeur ouvre la porte. Je descends sans même croiser son regard. Il fait partie du décor terne de la civilisation. Il ne dégage aucune aura, suit sa routine quotidienne avec la précision d’un automate. Je ramasse mon vieux sac de cuir – mon unique bagage – et gravis les marches du manoir. C’est un édifice de style néo-classique construit au milieu d’un immense parc maintenu par une armée de jardiniers. Chaque mètre carré respire la perfection : haie parfaitement coupée, pelouse d’un vert brillant et arbres exotiques alignés comme des soldats. Rien de tout cela ne m’appartient ; je ne suis qu’une locataire occasionnelle. J’y vis entre deux reportages en compagnie de Claire, la propriétaire des lieux.


Je dois vous parler de Claire ; elle est sans doute la seule personne encore capable d’éveiller en moi quelques émotions, d’aviver le feu mourant de mes sentiments. Nos relations sont difficiles, vagues et fluctuantes, mais elle occupe une place importante dans ma vie. Sous bien des aspects, elle est mon yang, le poids d’organisation et de logique qui me permet de maintenir un précaire équilibre. Sans sa présence, je me serais sans doute depuis longtemps perdue dans un de ces enfers du monde que j’affectionne tant. Inutile de vous préciser qu’elle est aussi très riche. Elle pourrait se contenter d’une vie oisive, mais ce n’est pas dans sa nature : Claire adore collectionner les richesses, agrandir son empire. Elle se drogue au pouvoir.


Je pousse la porte et entre dans le grand hall. En général, elle m’y attend, mais pas ce soir. Je pose mon sac et observe les bougies posées sur le sol. Elles sont espacées de cinquante centimètres – je soupçonne qu’elle a mesuré la distance – et m’invitent silencieusement à suivre leur chemin. Intriguée, je quitte le hall, longe la ligne lumineuse à travers les pièces plongées dans la pénombre. J’observe mon ombre contre les murs, dansante et incertaine, progressant avec précaution. La maison est silencieuse. Aucune trace du personnel ; seulement le bruit de mes pas sur le marbre blanc.


Claire adore jouer, des jeux parfois troubles et dangereux.


Je gravis l’escalier circulaire menant au premier étage et traverse le grand salon. Je marque une pause, observe la lumière venant de la terrasse et la musique d’une symphonie classique dont je suis incapable de reconnaître l’auteur. Un autre point qui nous sépare : Claire adore la musique et les œuvres d’art alors que je me contente de rock’n’roll et reste insensible aux prétendus grands peintres dont elle collectionne les tableaux. Elle me traîne parfois à travers les musées. Nous en avons visités beaucoup, volant parfois à l’autre bout du monde pour y admirer une collection. Au début que nous nous connaissions, je pensais que ce n’était qu’une futile démonstration de plus de sa richesse, mais j’ai finalement compris sa fascination pour la perfection, son besoin maladif de maîtriser le monde alors que je me vautre et me complais le plus souvent dans le chaos.


Je me dirige vers la terrasse, distingue sa haute silhouette appuyée contre la rambarde. La lumière des bougies joue avec sa longue chevelure de feu. Elle se tourne vers moi, son visage allongé aux traits fins s’illumine d’un sourire. Elle ne dit rien – c’est son habitude – et se dirige vers moi avec la démarche élastique d’une déesse guerrière. Nous nous embrassons. Je sens son corps contre le mien, le contact brûlant de ses lèvres avant que sa langue ne cherche la mienne. Je me dégage lentement, gémis de plaisir et plonge mon visage dans son cou à la recherche de sa gorge. Je la mords, assez pour laisser une trace rouge. Son corps se tend. Je renifle son parfum, marque ma propriété comme un animal sauvage. Nous restons ainsi enlacées sous la lumière dansante des bougies, dérivant dans nos rêves, encore si différents et parfois contradictoires. Combien de fois a-t-elle essayé de me convaincre d’arrêter de risquer ma vie aux quatre coins du monde ? Probablement autant que je n’ai tenté de l’emporter dans mon sillage chaotique comme un navire en train de fuir la tempête. Nous nous contentons de ces courtes rencontres, toujours passionnées, intenses, mais cruellement incomplètes.


Nous nous séparons enfin, avec regret, et elle m’entraîne vers un coin de la terrasse meublé d’un salon en teck recouvert d’épais coussins blancs. Je souris en voyant la table de verre – une surprise de Claire, raffinée et cruelle comme le sourire qui naît sur son visage d’ange. Le meuble n’a pas de pied, ou plus exactement c’est une jeune femme d’une vingtaine d’années qui en fait office. Elle se tient à quatre pattes, les jambes et les bras écartés, la croupe haute et offerte. La plaque de verre est posée sur elle, fixée avec des sangles de cuir noir enroulées autour de sa taille et de son torse. Sa tête est baissée. Elle regarde le sol, mais je reconnais facilement la chevelure blonde de Sasha, son corps à la peau laiteuse. La jeune Russe vit avec nous depuis quelques années, finançant ses études d’ingénieur en se soumettant à nos jeux parfois cruels. Ce n’est pas une prostituée qui se vend occasionnellement pour l’argent, mais plutôt une sorte de symbiose aussi intime que brûlante. Elle se donne et nous la prenons, assurant par la même occasion ses besoins matériels. Sasha est une amie, une amante, mais aussi une âme soumise toujours avide de domination.


Je la salue d’une caresse de la main sur ses cuisses gainées de nylon. Le gag rouge enfoncé sans sa bouche l’empêche de parler, aussi se contente-t-elle d’un long gémissement, ses fesses remontant machinalement comme celles d’une chatte langoureuse. C’est sa manière de ma saluer, de me souhaiter la bienvenue. Je lui administre une claque magistrale pour la rappeler à l’ordre et elle se cabre dans ses entraves avec un cri étouffé avant de reprendre sa position initiale, la surface du verre dans l’alignement de son corps, tête et croupe à la même hauteur.


Je la flatte, la remercie, mes doigts glissant vers ses chevilles enchaînées dans d’épais bracelets d’acier fixés au sol. Je passe du contact froid du métal au nylon que mes ongles font crisser. Elle s’agite, faisant tinter les chaînes qui entravent ses poignets, elles aussi fixées au marbre blanc. Nouvelle fessée et elle se fige. Claire me regarde faire avec son sourire de prédateur que j’affectionne tant. Elle passe une main dans les cheveux de Sasha, la caresse comme l’animal qu’elle est devenue. La position est humiliante, mais nous pouvons sentir l’excitation de la Russe, son corps qui frissonne, prisonnière de ses entraves mais aussi de notre volonté. Elle nous offre plus que son corps : elle nous honore de sa confiance.


Claire parle enfin.



Je ne réponds pas immédiatement, entreprenant de caresser l’intimité de Sasha du bout des doigts. Elle pousse un soupir sous son bâillon et je sens ses jambes trembler.


Claire attend patiemment, ses yeux de jade plongés dans les miens, aussi brillants que les miens sont ternes et froids.



Ce sont les premières paroles que nous échangeons ; nous nous mesurerons avec les mots comme nous plions Sasha à notre volonté. Le ton est sarcastique, acide, mais Claire sait jouer.



Sasha gémit comme pour confirmer les propos de mon amie. Je grince des dents et accélère le mouvement de mon doigt.



Elle me connaît assez pour savoir que je ne mordrai pas à l’hameçon et ne poserai pas la question. C’est un autre de nos jeux.


Cette fois, je suis surprise. Mon doigt s’arrête ; je sens le corps de Sasha se contracter. J’essaye de rester impassible, ce qui signifie dans la plupart des cas que je me mure dans le silence, autre réaction que Claire connaît bien. Elle me laisse mariner pendant quelques minutes, caressant distraitement les seins de Sasha qui reste tendue, dans l’attente de ma réaction. À sa manière, elle participe à notre conversation.



Elle ne répond pas tout de suite ; elle reprend la maîtrise d’une conversation qu’elle n’a jamais vraiment perdue. Claire est une machine d’anticipation, et je suis certaine que le script se déroule exactement comme elle l’a imaginé. J’essaye par principe de masquer mon intérêt grandissant et renoue avec les mouvements de mes doigts, en ajoutant un deuxième pour marquer mon territoire et me rassurer sur ma capacité à contrôler le monde.



Dans sa bouche, « trous du cul » sonne déplacé ; elle n’arrive même pas à y appliquer une once de vulgarité. Je sais qu’elle est sérieuse, qu’elle se prépare à un ultimatum.



J’accélère le rythme de mes doigts. Sasha ondule, ajoutant à notre conversation le bruit de ses chaînes, ses gémissements de bonheur. La table bouge ; heureusement que rien n’est posé dessus, mais je suis trop concentrée sur la conversation pour la corriger.



Claire hausse les épaules.



Je hoche la tête, pas vraiment pour donner mon accord, mais pour lui indiquer que je la comprends. Nous avons discuté mille fois de ce sujet. J’accélère encore le rythme ; un troisième doigt se joint à la partie tandis que Claire caresse les seins de Sasha avec de plus en plus de vigueur.



Mes doigts s’enfoncent, déclenchant chez Sasha une réaction en chaîne : son corps s’arque sous les vagues successives de plaisir ; j’accompagne son mouvement alors qu’elle hurle sous son gag, se dresse dans ses chaînes, assez fort pour que le métal imprègne sa trace dans sa chair. Je frissonne moi aussi, ferme les yeux pour écouter la symphonie de vibrations que dégage son corps libéré, offert à main experte. J’ai le pouvoir de lui administrer de la douleur et du plaisir, de mélanger ces sensations comme le ferait un chef d’orchestre. J’adore ce contrôle total que j’exerce sur elle et dont elle me remercie par des hurlements sauvages, presque primitifs. C’est ce que Claire me demande, de me soumettre à sa domination après des années de lutte silencieuse. Le corps et l’esprit de Sasha nous ont servi de champ de bataille ; nous y avons libéré nos pulsions prédatrices.


Nous savions toutefois que ce n’était pas le véritable enjeu, que l’une de nous deux devrait un jour se plier à la volonté de l’autre. Telle est notre relation, notre façon de concevoir l’amour, pleinement, au point que l’une de nous deux est appelée à s’offrir à l’autre, à lui confier sa liberté en échange d’une protection absolue.


J’essaye de m’imaginer à la place de Sasha, offerte et impuissante ; ce n’est d’ailleurs pas la première fois que je me livre à cet exercice. Des sentiments mitigés se répandent en moi : de la honte, de l’embarras, peut-être un peu de peur, mais aussi une vague excitation longtemps refoulée, maîtrisée à coups de cravache sur les cuisses de la jeune Russe.


Celle-ci s’est d’ailleurs écroulée sur le sol, la tête posée contre le marbre, la croupe toujours haute et offerte, donnant à la table un angle de 45 degrés. Je profite de l’invitation et assène une claque sonore à laquelle la jeune soumise réagit par un grognement de protestation. Je répète l’opération et elle se redresse docilement, meuble humain vulnérable et taillé à nos propres désirs.