n° 18030 | Fiche technique | 23364 caractères | 23364Temps de lecture estimé : 14 mn | 04/08/17 |
Résumé: Souvenez-vous ; vous avez certainement rencontré un jour, par hasard, cette femme si belle, si gracieuse et si radieuse que son image ne vous a plus jamais quitté... | ||||
Critères: inconnu train amour revede confession nostalgie | ||||
Auteur : PapaTangoCharlie |
Souvenez-vous ; vous avez certainement rencontré un jour, par hasard, cette femme si belle, si gracieuse et si radieuse que son image ne vous a plus jamais quitté. Longtemps après, cette « Belle Espagnole » a continué de hanter vos rêves, d’attiser vos fantasmes les plus fous et vos désirs les plus secrets. Vous l’avez maintes fois imaginée dans vos bras, mutine et coquine ; parfois, nue sur votre lit, elle s’offrait à vous sans retenue comme une amante éperdue. Peut-être même qu’une nuit de solitude, dans un songe interdit, vous l’avez violée. Mais avec le temps, l’image de cette « Belle Espagnole » s’est peu à peu estompée dans les brumes de vos souvenirs, alors vous l’avez sublimée, presque déifiée, au point d’en faire votre idéal féminin. Mais cette femme trop parfaite, cette Vénus inaccessible, peut-elle réellement exister ailleurs que dans votre imagination ?
Ma « Belle Espagnole », je l’ai rencontrée il y a bien longtemps dans un banal train de banlieue. Je revois encore quelquefois aujourd’hui son doux visage remontant du fin fond de mes souvenirs. Cette histoire est-elle autobiographique, ou n’est-elle que pure fiction ? Je dirais ni l’un, ni l’autre, et un peu des deux.
Ce matin-là, ce fut la panne de réveil. Le genre de chose qui arrive à tout le monde un jour ou l’autre, mais quand ça vous arrive, c’est évidemment toujours au plus mauvais moment. Du coup, c’est à peine si j’eus le temps d’avaler ma tasse de café avant de quitter précipitamment mon petit appartement de banlieue. À l’époque, j’habitais dans une ville de l’ouest parisien et bien sûr, comme tout le monde, je travaillais dans la capitale.
Il n’était pas question de manquer mon train ce matin-là car je devais voir mon patron à la première heure ; le genre de réunion à laquelle il eût été très malvenu d’arriver en retard. C’est donc à marche forcée, presque en courant, que je filai à la gare. Lorsque j’y arrivai enfin, essoufflé et en sueur, mon train était déjà à quai. Je me précipitai dans les escaliers, me ruai sur le quai et fonçai dans la première voiture. Le train démarra aussitôt… « Ouf. Je l’ai eu ! »
Dans les trains de banlieue, on a tous nos habitudes. Non seulement on monte toujours dans la même voiture, mais souvent aussi on s’installe à la même place. Moi, j’avais pour habitude de prendre la première voiture afin d’être au plus près à l’arrivée à Saint-Lazare. Mais ce jour-là, dans la panique, je n’avais pas eu le choix, et d’ailleurs je ne savais même pas dans quelle voiture j’étais monté. Après avoir repris mon souffle, je jetai un regard circulaire autour de moi à la recherche d’une hypothétique place assise. Bien que la voiture fût déjà très chargée en cette heure matinale, il y restait encore deux ou trois places libres. Je pris donc l’une d’elles, située côté couloir et m’installai en bout de banquette. À l’époque, il n’y avait pas de sièges individuels dans les rames de banlieue de la SNCF ; les voitures n’étaient équipées que de simples banquettes à deux ou trois places.
« Si tout se passe bien et s’il n’y a pas de retard, me dis-je, je serai à l’heure pour ma réunion. Mais va savoir, avec la ponctualité légendaire des trains de banlieue, un retard n’est jamais exclu ! Enfin… détendons-nous. »
C’est alors que, tournant machinalement la tête vers la fenêtre sans autre but que de me distraire du paysage filant à vive allure, je LA vis. Elle était assise côté fenêtre, sur la banquette me faisant face et semblait absorbée par la lecture de son bouquin. Elle avait de longs cheveux noirs bouclés qui retombaient en cascades infinies sur ses épaules. Elle était vêtue d’un tailleur gris, simple et strict, mais élégant. La veste, dont les deux boutons étaient soigneusement fermés, laissait apercevoir un chemisier blanc dont seul le bouton du col était resté ouvert. Beaucoup de classe et peu de fantaisie pouvaient résumer l’apparence de cette femme aux airs de businesswoman. J’ai toujours eu une attirance naturelle pour ces femmes qui paraissent aussi belles qu’inaccessibles, aussi cette jolie personne me fascina d’emblée.
Soudain, peut-être se sentit-elle observée, elle leva les yeux et se tourna vers moi. Son regard était direct et franc, pourtant une grande douceur dominait dans ses jolis yeux bruns. Elle m’intimida à tel point que, soudain tout confus, je détournai aussitôt le regard et fis semblant de chercher quelque chose dans mon sac, histoire de me donner une contenance. J’en tirai le roman de gare qui me servait à tuer le temps dans les transports et j’en repris la lecture là où je l’avais arrêtée la veille… Tout au moins j’essayais, car mon trouble m’empêcha de me concentrer sur ma lecture. Les mots, les phrases n’avaient aucun sens. Je lisais par automatisme, sans rien comprendre au texte, l’esprit bien trop préoccupé par cette beauté assise à quatre-vingts centimètres de moi et dont le regard m’avait hypnotisé. Tout en faisant semblant de lire et le plus discrètement possible, mon regard se porta sur ses genoux, qu’elle tenait sagement serrés. Sa jupe étroite n’en dévoilait que quelques centimètres, mais leur simple vue fit battre mon cœur à tout rompre. Je me sentis aussi stupidement fébrile qu’un adolescent amoureux de sa prof d’histoire.
« Quel âge peut-elle avoir ? » me demandai-je. Elle semblait un peu plus âgée que moi, mais elle ne devait pas avoir plus de trente ans. Je constatai par ailleurs qu’elle avait un mignon petit nez à la retrousse, comme je les aime tant. La peau de son visage était lisse et sans défaut, son teint légèrement hâlé se mariait parfaitement avec ses longs cheveux noirs. Cette femme avait quelque chose d’espagnol… « Peut-être une belle Andalouse venue se perdre dans la banlieue parisienne ? » pensai-je.
Puis mon regard descendit à nouveau sur ses genoux. C’était tout ce que je pouvais voir de ses jambes, qui m’étaient cachées par les pantalons de ses voisins de banquette. Alors je ne pouvais que les imaginer, et il me plut de penser qu’elle les avait longues et fines.
Soudain, elle leva à nouveau les yeux de son bouquin et me jeta un regard oblique que j’interprétai comme une sorte d’agacement de sa part à se sentir ainsi sans cesse observée. Comme un enfant surpris les doigts dans le pot de confiture, je me sentis encore tout penaud et fis semblant de me replonger dans ma lecture.
Enfin notre train arriva à son terminus. Les portes s’ouvrirent et lâchèrent sur le quai un flot compact de banlieusards plus pressés les uns que les autres. Le quai fut vite envahi de cette foule indifférente et blasée marchant comme un seul bloc en direction de la sortie.
J’avais attendu que la Belle Espagnole se lève la première afin de me placer juste derrière elle sur la plate-forme du wagon. À vingt centimètres d’elle, je pus alors admirer sa longue chevelure et sentir son subtil parfum qui ajouta encore à mon émoi. À l’instant où les portes s’étaient ouvertes et où tout le monde s’était rué sur le quai, ma Belle Espagnole avait suivi le mouvement, et moi, comme un toutou fidèle, je lui avais emboîté le pas. Marchant ainsi à un mètre derrière elle, je pus l’observer tout à loisir. Enfin je pouvais admirer ses jambes. Elles étaient bien comme je les avais imaginées, et ses escarpins, assortis à son tailleur, les affinait encore davantage. « Quelle femme de goût ! » pensai-je. Sa silhouette toute entière était d’ailleurs à l’unisson, celle d’une grande et belle femme à la taille fine, à la démarche de princesse, qui semblait sortir tout droit d’un défilé de chez Dior. Mais que faisait donc une personne si jolie et si distinguée dans un minable train de banlieue ?
Je n’eus d’ailleurs pas longtemps le plaisir de suivre du regard son beau petit postérieur ondulant devant moi car elle marchait si vite, malgré sa jupe étroite, que je la perdis bientôt dans la foule. Dépité, je pris alors mon métro quotidien tout en commençant à penser à cette foutue réunion qui m’attendait, ce qui me ramena à des pensées bien plus terre-à-terre.
La journée fut longue… très longue car je ne cessais de penser, de manière quasi obsessionnelle, à cette Belle Espagnole rencontrée dans le train. Je revoyais, comme un film tournant en boucle, ses beaux yeux bruns me fixer intensément. Je me consolai en me disant « Demain, je la reverrai. »
Le lendemain matin, je n’avais pas de réunion prévue et je me sentais donc plus détendu. J’étais à l’heure à la gare et j’attendais tranquillement mon train sur le quai, comme tous les jours. Enfin, pas tout à fait comme tous les jours car ce matin-là mes pensées étaient toutes pour ma Belle Espagnole que j’espérais secrètement retrouver dans le train. C’était comme si j’allais à un premier rendez-vous ; j’avais le cœur léger et déjà je ne pensais plus qu’à elle. Pourtant, il fallait que je modère mon enthousiasme, que je ne me fasse pas trop d’illusions ; la probabilité de la retrouver était somme toute assez faible. Mais ce jour-là j’étais un incorrigible optimiste certain de revoir sa belle. Je me plaçai donc sur le quai à l’endroit supposé où la veille, dans la plus grande précipitation, j’avais sauté dans le train. Si comme moi elle était une habituée de la ligne, il y avait de fortes chances pour qu’elle se trouvât dans la même voiture.
Le train, pour une fois, était à l’heure. À peine monté, je la cherchai d’un regard rapide et un tantinet anxieux. ELLE était bien là, assise presque à la même place que la veille, près de la fenêtre. À sa vue, mon cœur se mit à battre à cent à l’heure. Et puis ce devait être mon jour de chance car la place juste en face d’elle était restée libre : un signe de la Providence. Je n’hésitai pas une seconde et me précipitai, presque comme un fou vers cette place, de peur que quelqu’un d’autre ne me la prît.
Après m’être frayé un passage entre les deux personnes assises côté couloir – un jeune couple discutant et riant à la fois – j’atteignis enfin, en conquérant, la place tant convoitée. Ma Belle Espagnole, qui était penchée sur son bouquin, avait les jambes croisées et s’apprêta à les décroiser quand elle s’aperçut de ma présence.
Elle leva alors ses beaux yeux noirs sur moi et me fit un petit sourire en guise de remerciement. Si insignifiant fût-il, il me sembla que ce sourire était le plus beau qu’une femme ne m’eût jamais adressé. C’était la première fois que je voyais de si près son doux visage, et ce fut un immense bonheur pour moi. Son teint à peine hâlé, ses pommettes légèrement saillantes et délicatement ombrées d’un imperceptible maquillage, ses lèvres délicieusement soulignées de rouge et son petit nez à la retrousse, autant de beauté me figeait d’admiration. Mais ses yeux surtout achevaient de m’hypnotiser ; son regard était en effet à la fois droit et intense, celui de la femme sûre de son pourvoir de séduction. Totalement envoûté et en même temps très intimidé par la Belle Espagnole, je ressentis un bonheur infini mêlé à une terrible gêne.
M’avait-elle reconnu ? Peu m’importait. L’essentiel pour moi était d’être là, assis juste en face d’elle, si proche que nos jambes pouvaient se frôler, si proche que je crus même percevoir son parfum.
Je sortis mon alibi de mon sac, je veux dire ce roman de gare avec lequel je pourrais jouer l’indifférence en faisant semblant de lire : j’assumais totalement mon hypocrisie ! À peine avais-je lu trois ou quatre mots que déjà mon regard débordait du bord de la page pour venir se perdre sur les genoux de ma belle voisine.
Elle était vêtue d’un tailleur dans les tons rose-fuchsia, plus lumineux et bien plus gai que celui qu’elle portait la veille. Je trouvai d’ailleurs que cette couleur allait parfaitement à son teint de brune. Ses jambes croisées avaient légèrement relevé sa jupe et ses genoux étaient si proches que j’aurais pu les toucher en avançant simplement la main.
Alors mon imagination fertile m’emporta dans un rêve fou où nous étions tous les deux seuls dans ce train. Elle avait posé son livre à côté d’elle, sur la banquette, et je vis son regard se poser sur moi, d’abord au niveau de ma ceinture – « Quelle coquine ! » pensai-je – puis remonter lentement jusqu’à croiser le mien. Un doux sourire illumina alors le délicieux visage de cette beauté dont l’aplomb me stupéfia. Mais je n’étais pas au bout de mes surprises car tout à coup elle me gratifia d’un audacieux clin d’œil qui me déstabilisa tout d’abord. Puis, me ressaisissant, je lui souris à mon tour et répondis hardiment par le même clin d’œil. En même temps, sans dire un mot, j’avançai doucement ma main et la posai sur son genou. Le contact de ma main sur sa peau lisse me confirma qu’elle ne portait pas de bas.
En une caresse appuyée, ma main glissa sur sa peau nue jusque sous sa jupe. Cette dernière, entraînée par le mouvement, remonta quelque peu en découvrant un peu plus ses cuisses. Nullement choquée par mon geste, bien au contraire, la Belle Espagnole décroisa ses jolies jambes et les desserra autant que lui permettait sa jupe étroite afin de me faciliter la tâche. Ma main poursuivit donc son irrésistible progression entre ses accueillantes cuisses que je sentais de plus en plus chaudes et humides. Ma caresse insistante la fit frémir plus d’une fois ; parfois même elle resserrait les cuisses, enfermant ma main dans cette chaude et douce prison. Bientôt le bout de mes doigts toucha le soyeux nylon de sa petite culotte. Le fin dessous était déjà tout trempé de son désir et témoignait de l’état d’excitation de ma malicieuse voisine à cet instant précis. Le premier contact de mes doigts, exerçant une légère pression au travers du nylon sur la partie la plus intime de son être, ne fit qu’accentuer son émoi. Je la vis fermer les yeux, et en même temps elle poussa un petit râle de plaisir. Mes doigts, maintenant humides de sa cyprine, écartèrent alors l’élastique de sa frêle petite culotte, et…
Mais je réalisai brusquement que le train venait de s’arrêter dans une station et les bruyantes allées et venues des passagers montant et descendant m’avaient tiré de mes rêveries. Fort heureusement d’ailleurs, car je pris soudain conscience que mes songes érotiques m’avaient mis dans un tel état de fébrilité que je craignis un moment d’amorcer pour de bon ce geste de ma main vers ses genoux.
La Belle Espagnole avait abandonné sa lecture et me regardait de manière si étrange que je crus un moment qu’elle avait lu dans mes coupables pensées. Une chaleur incontrôlable me monta aux joues à l’évocation de cette idée stupide et j’en perdis complètement contenance. Mais à ce moment, la Belle Espagnole me fit un petit sourire à peine esquissé avant de se replonger dans sa lecture. Ce petit sourire furtif, qui pour elle ne devait pas avoir plus de sens qu’un simple signe de bienséance, me combla de joie au-delà de toute limite et me fit oublier mon trouble. Je me mis à fantasmer autour de ce signal encourageant, imaginant que mon charme naturel avait opéré et que la belle était sur le point d’y succomber.
Sans me vanter, j’étais plutôt bel homme à l’époque : mes vingt-cinq ans, ma haute et svelte silhouette, mon allure sportive, tout cela m’attirait souvent le regard des femmes. Mais que n’en ai-je profité ! Ma terrible timidité, qui m’a toujours énormément handicapé, ne faisait pas de moi un collectionner de conquêtes, bien au contraire. À cette époque, je n’avais connu que deux femmes : la première ne fut qu’une relation prude et sans lendemain ; la seconde compta un peu plus pour moi puisque c’est à elle que je cédai mon pucelage, mais notre relation tourna court avant même que je pusse consolider mon expérience sexuelle.
Au moment où commençait cette histoire je me trouvais donc dans une sorte de vacuité sentimentale, ce qui pouvait par ailleurs expliquer mes élucubrations érotiques à la simple vue de jolis genoux. Alors, pas question de laisser passer une occasion de rencontre ; je décidai donc de l’aborder au plus tôt… Mais comment faire… et surtout quoi lui dire ? Il ne se passait jamais rien dans ces trains de banlieue, à part les retards, bien sûr. Mais aujourd’hui, aucun retard annoncé qui eût pu constituer un sujet propre à engager la conversation. Je ne voyais donc aucune issue à mon dilemme. Je pensai tout à coup que son livre pourrait peut-être être un prétexte. Je fis donc un effort pour tenter de décrypter la couverture qui m’était en partie cachée par sa jolie main et je parvins à lire « Wharton ». « Wharton, voyons… me dis-je en réfléchissant… Ah oui, Edith Wharton. Je crois que c’est une auteure américaine… » Mais je n’en savais guère plus sur le sujet et je regrettais déjà de ne pas m’être intéressé plus tôt à la littérature américaine. « Quel idiot !… Tant pis. »
Je ne voyais donc pas de solution et décidai d’attendre l’arrivée à Saint-Lazare ; « Ce sera plus facile, je l’aborderai sur le quai et je lui proposerai de prendre un café… » Puis, réflexion faite, je me dis « Non, c’est stupide ; je ne vais pas lui proposer un café de but en blanc. Il faut que je trouve un prétexte. Loin de moi l’idée d’user de tous les clichés sexistes du genre « Vous êtes charmante » ou « Vous êtes bien jolie, Mademoiselle… » Et si elle était mariée ? » Je jetai alors un furtif coup d’œil à sa main gauche et constatai, non sans une certaine satisfaction, qu’elle ne portait pas d’alliance. Puis je me dis que tout cela était idiot : à cette époque déjà, l’absence d’alliance ne prouvait rien, en tout cas certainement pas qu’une femme était libre et ouverte à l’aventure !
Mais voilà que ma Belle Espagnole se levait déjà. Plongé dans mes pensées, je n’avais pas réalisé que le train était déjà arrivé à Saint-Lazare et que les voyageurs commençaient déjà à descendre. Je me levai donc à mon tour, un peu hébété mais désireux d’emboîter le pas à la belle au plus vite. Mais celle-ci s’était montrée bien plus rapide que moi, si bien que lorsque je pus enfin descendre du train, me frayant difficilement un passage dans le flot des voyageurs, la belle était déjà une bonne dizaine de mètres devant moi et marchait à pas aussi pressés que la veille. « Dépêche-toi ! me dis-je. Il faut que tu lui parles aujourd’hui. »
Je tentai de remonter le flot compact de cette marée humaine, sans savoir encore exactement de quelle manière j’allais aborder mon Espagnole. Fendant la foule, je marchais du plus vite que je pouvais quand tout à coup je ne la vis plus. Brusquement éperdu, je la cherchai frénétiquement du regard tout autour de moi, mais rien : elle avait bel et bien disparu ! Je m’étais alors immobilisé au milieu de l’immense salle des pas perdus de la gare Saint-Lazare, l’air totalement ahuri de celui qui se demande encore ce qui vient de lui arriver. Je m’en voulus de ne pas l’avoir suivie de plus près. Intérieurement, je me traitai de stupide idiot, d’abruti… « Comment ai-je pu la laisser échapper ? »
Finalement résigné, je me dirigeai vers mon métro sans empressement, la tête basse, l’air maussade, dans un terrible état de consternation. Jamais une journée de travail ne me parut aussi longue, aussi interminable. Je n’avais vraiment pas la tête au boulot et mes pensées revenaient sans cesse à elle. Tour à tour je revoyais ses beaux yeux, ses long cheveux noirs, ses belles jambes, comme des images obsédantes profondément incrustées en moi. Ce jour-là je ne fus pas très productif pour mes patrons. « Demain… demain je me rattraperai ! me dis-je, bien résolu à ne pas manquer mon coup cette fois. Et assez de stupides hésitations : demain, je l’aborderai tout de suite ! »
Le lendemain matin, à l’heure habituelle, je me trouvais donc sur le quai de la gare à attendre mon train. Je m’étais placé exactement à l’endroit où s’arrêterait la voiture où elle avait l’habitude de se trouver, mais ce jour-là, les choses furent différentes : lorsque je montai dans le wagon, je ne la vis point. Hagard, je jetai plusieurs regards circulaires autour de moi… mais rien ! Je dus tristement me rendre à l’évidence : ma Belle Espagnole n’était pas là.
« Que s’est-il passé ? » me demandai-je. Je me posais mille questions sur son absence. « Peut-être a-t-elle tout simplement changé d’horaire, ou peut-être est-elle tout bêtement en retard, ou encore est-elle indisposée, ou même peut-être a-t-elle changé de wagon, ou je ne sais trop quoi… » Il ne me restait plus qu’à espérer la revoir le lendemain, mais ce coup du sort avait ébranlé mon optimisme et je me mis à sérieusement douter.
Le lendemain, je ne la vis pas non plus, pas plus que les jours suivants… À mon plus grand désespoir, je ne la revis plus jamais, et son absence laissa un immense vide en moi. La Belle Espagnole avait disparu aussi vite qu’elle m’était apparue. Elle fut comme un mirage qui illumina ma vie l’espace d’un éclair. Elle fut comme un beau rêve que je crus avoir vécu éveillé pour un instant, comme un rayon de soleil dans mon triste quotidien.
Longtemps après, il m’arrivait encore de penser souvent à elle ; c’était comme une idée obsédante qui ne me quittait pas. Puis la Belle Espagnole ne fut plus qu’un lointain souvenir qui n’habita plus mes rêves.
Aujourd’hui, alors que je suis marié avec une femme que j’adore et qui me rend heureux, il m’arrive encore de temps en temps, dans des moments de nostalgie, de revoir le doux visage de la Belle Espagnole, ses beaux yeux sombres qui me regardaient intensément, ses longs cheveux noirs retombant en cascade sur son épaule et ses jambes de princesse.
« Qu’est-elle devenue ? Était-elle vraiment espagnole ? A-t-elle seulement existé ? »