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Temps de lecture estimé : 19 mn
03/09/18
Résumé:  Premier épisode - le plus soft. Louise, 18 ans, découvre les coulisses des photos de lingerie et croise des personnages qui seront développés dans les épisodes suivants.
Critères:  amour voir photofilm lingerie nopéné mélo portrait -initiatiq
Auteur : Amarcord      Envoi mini-message

Série : Chaque photo cache une histoire

Chapitre 01 / 07
Mimosa

Mimosa



L’année de mes dix-sept ans, j’avais été repérée, alors que je visitais un musée avec ma mère et ma sœur, par un chargé de casting d’une grande agence de mannequins. Il m’avait laissé sa carte, en insistant pour que je me présente, et en tâchant de rassurer ma mère sur la mauvaise réputation qui entoure ce milieu, censé carburer à la cocaïne et au sexe.


Maman et moi n’étions pas intéressées. Mais Zoé, ma sœur cadette de 12 ans, ne cessa de me tanner toute la semaine qui suivit, en me traitant de folle, c’était une chance unique à ne pas louper. Alors je pris malgré tout rendez-vous, surtout pour lui faire plaisir. Première visite et interview, super-chiante. C’est vrai que je ne faisais pas trop d’efforts pour cacher mon ennui. Puis séance photo et vidéo au studio. Le mec me demandait de prendre des poses idiotes, de sourire, puis de ne surtout pas sourire, de marcher comme ça, puis comme ça, de regarder en haut, puis en bas, et puis de côté, et puis finalement de nouveau en bas… Ça me gonflait grave, et je fus contente que la corvée se termine. Une semaine plus tard, je reçus un appel de Muriel, la boss de l’agence de casting, qui me demandait de passer le mercredi suivant. Une visite plus agréable. Chouette bonne femme, la cinquantaine énergique et stylée, jolie coupe courte et blonde, une élégance superclasse, sourire franc. Elle avait mon dossier sous les yeux.



Elle saisit un mètre de couturier, mesura mon tour de poitrine, le contact du ruban froid sur ma poitrine me fit frémir.



En fait de rester en contact, ce fut silence radio pendant un an. Jusqu’à ce qu’un mec de l’agence me recontacte un mardi soir de novembre. D’un ton outrageusement efféminé, il m’expliqua qu’ils avaient quelque chose à me proposer pour le lendemain après-midi, un remplacement au pied levé d’un mannequin malade. Il était seulement inquiet de savoir si ma fiche était toujours à jour, et mes mensurations correctes, pour les tailles des silhouettes. Et apparemment anxieux de savoir si je ne m’étais pas fait tatouer entre-temps une connerie de dauphin ou un « I love Jean-Cédric », trois jours à peine avant la rupture avec ledit abruti.



Le mec se mit à rire.



J’hésitai. Les photos lingerie, ça craint. Deux heures à passer des parures, tout ça pour terminer sur les pages du dépliant Hyper Auchan, dans un soutif super moche, judicieusement placée entre le rôti de dinde et les moules marinières. Pas sûr que Maman approuverait. Et je ne parle même pas du risque de se faire chambrer par tous tes potes du lycée, pour peu que la mère de l’un d’entre eux lui demande « Dis-donc, Gaëtan, ce serait-y pas la p’tite Louise de ta classe, là, sur la réclame ? Toujours aussi minouche, mais elle devenue drôlement femme, tout d’un coup, dis-donc ! ». Je demandai au type combien c’était payé. Sa réponse me surprit. Méchamment plus rentable qu’un job d’étudiant au Super U. Finalement, tant pis pour la mother à Gaëtan, je pris le risque. Quitte à bosser pour les supermarchés, autant gagner vite fait mon pécule en soutif sur le catalogue qu’en scannant les boîtes de Panzani à la caisse !



********************



Le studio photo était logé au fond d’une arrière-cour. L’entrée donnait sur un petit sas, par lequel on accédait au plateau proprement dit. Autour d’un espace immaculé de cinq mètres sur cinq, c’était un enchevêtrement de câbles, trépieds, réflecteurs, spots, caissons à lumière, écrans d’ordinateurs… la scène !


Les coulisses étaient vastes et plus dégagées. Dans une grande pièce ouvrant directement sur le plateau étaient placés cinq grands portants à roulettes, où pendaient sur des cintres les sous-vêtements à photographier, tous identifiés par une large étiquette portant un nom et un numéro.


Une troisième pièce en enfilade accueillait un inventaire assez sommaire : une colonne à eau avec des gobelets, une machine à expresso, un frigo, une dizaine de chaises dépareillées, et tout au bout, un canapé fatigué, des flightcases comme en utilisent les groupes de rock, et une table de maquillage bien équipée. Sur la droite, un couloir menait aux toilettes. Enfin, dans un renfoncement fermé par une porte grillagée, se trouvaient rangés de façon compacte des instruments de musique un peu incongrus dans ce lieu : une batterie, des amplis, un piano électrique, et des étuis d’instruments à cordes ou à vent.


C’est Mireille, une petite femme effacée, dans la cinquantaine, représentant l’agence de pub du client, qui me fit le topo. On se déshabillait, posait nos vêtements sur une des chaises, et puis se dirigeait à poil vers les portants où nous attendaient les parures à enfiler. Pas un paravent, rien, ici, on laissait manifestement sa pudeur au vestiaire.



Je n’eus pas de mal à trouver Mimosa sur le portant, ni à enfiler la culotte. J’ajustais les bretelles du soutien quand une grande fille blonde à la poitrine opulente me fit la bise.



Cindy était une bonne nature, elle était chaleureuse et dégageait quelque chose d’appétissant.



Grand, il frisait la soixantaine, et était encore bel homme. Peau burinée, courte barbe blanche, chevelure du même sel encore abondante, flottant en vagues savamment étudiées sur son haut front. Blouson de motard, casque vintage à la main, pantalon chino bleu pétrole, chemise imprimée à la mode, le tout de belles marques, l’homme s’entretenait et avait du goût.



Et toi, Cindy, tu te places sur la croix, à gauche. Non, à gauche, j’ai dit ! Voilà. Maintenant tu regardes vers moi. Vers moi, merde ! L’épaule plus en avant. Avec des pare-chocs comme les tiens, on peut viser la 3D. Cléo ! Cléo, nom de dieu ! C’est quoi cette blague ? Vise-moi son slip, on lit sa fente en braille ! Allez, hop, bourre-moi tout ça d’ouate pour masquer le pli. C’est bon, on y va ? Alors on se concentre. Regarde vers moi Cindy, je t’ai dit, putain ! Voilà. Eh oh, t’es raide comme un piquet, là. Décoince-toi ! Glamour ! Fantasme ! Imagine-toi, je sais pas, que c’est Georges Clooney qui vient de te glisser un doigt dans la moniche ! Ah ben voilà, tu vois, c’est tout de suite mieux ! What else ?


Et c’était parti pour deux heures tonitruantes, sous la direction du grand maître à bord, qui ne perdait aucune occasion de le rappeler. Certaines des filles, comme Cindy, étaient blasées et rigolaient. D’autres semblaient terrorisées. Mais une fois sur le plateau, toutes se concentraient pour donner à Robert exactement ce qu’il voulait, plutôt que de subir ses foudres. Entre les prises, elle se marraient, parlaient de leurs affaires de cœur respectives, et s’amusaient pour un oui ou pour un non à réclamer l’aide de Jonas, l’assistant de Robert, un très beau jeune homme aux cheveux en bataille et au regard doux, dont elles auraient bien volontiers fait leur quatre heures.


Chaque sollicitation était évidemment un pur prétexte pour confronter le garçon à leur nudité, l’objectif de chacune étant d’être la première à le faire rougir. Elles n’y réussirent pas ce jour-là : Jonas était plutôt timide, mais il n’était sans doute pas dupe du petit jeu des modèles, et de toute façon, la pression constante de Robert l’empêchait de s’éloigner plus de dix secondes du plateau sans être vertement rappelé à l’ordre.



Mimosa s’était bien passé, pour Mam’zel Fit j’eus même droit à un demi compliment. Les filles m’adressaient des pouces levés : « Super ! Je crois qu’il t’a adoptée ! » Et puis vint la catastrophe Soir de Paris.



Robert venait droit sur moi en hurlant sa colère envers toute l’équipe, Cléo sur ses talons.



Les filles, cachées derrière Robert, étaient aussi tétanisées que moi, et me regardaient avec compassion. Je me sentais humiliée par ce type qui exhibait comme ça brutalement mon sexe, tout en me balançant un uppercut de pure méchanceté verbale. J’avais les larmes au bord des yeux, une sensation de vertige. C’était monstrueux à encaisser, pour une jeune fille de 18 ans, encore bourrée de doutes et d’incertitudes, totalement impréparée à une telle situation. J’aurais aussi bien pu m’encourir, ou m’écrouler en sanglots. Mais ce n’est pas trop mon tempérament. Je suis combative. Petite, j’étais un garçon manqué, je ne me laissais jamais faire, et rendais coup sur coup s’il le fallait aux gamins du quartier, qui me craignaient un peu. Alors je respirai un bon coup, levai les yeux vers Robert, et pris la parole, d’une voix mal assurée.



Robert hochait la tête en silence, en me dévisageant. Les filles se tordaient les mains. Je lui avais tenu tête, il allait probablement exploser. Peut-être me coller une gifle. Mais il était visiblement très mal à l’aise, lui aussi, il devait percevoir qu’il m’avait fait très mal, s’apercevoir que j’étais blessée. Il commença par remonter ma culotte. Un bon point. Puis s’exprima d’une voix relativement calme.



Le son de sa voix baissa d’une octave, et son débit se ralentit considérablement.



Sa voix remonta.



Seulement voilà, tu l’as dit toi-même, ici c’est différent. Technique. La maison fait dans le slip, mademoiselle. Le simple, le tarte, l’exotique, le kitsch, le sévère. Mais aussi le suggestif, l’échancré, le voilé, le maillé, la ficelle, et j’en passe. Alors ce que je te propose, c’est que tu voies malgré tout avec Cléo si elle peut pas t’arranger ça maintenant. Je t’en serais plus que reconnaissant. Parce que je vois que dans la liste, il y a encore trois trucs spécifiquement pour toi et dans ta taille. Dont un slip en fine dentelle et une culotte brésilienne. Comme ça, fais-moi confiance, ça va pas le faire. J’ai malheureusement pas trop le choix, les photos doivent être livrées demain, figure-toi. Un peu dommage pour ta jolie toison, ma mignonne, mais comme tu le sais, ça repousse, et plutôt vite. Cléo ?



Je m’entendis répondre, comme dans un écho.



D’un coup la pression accumulée retomba, et les filles se mirent à gazouiller bruyamment, avant que Robert ne tonne « Hé ho ! On peut la mettre un poil en sourdine ? », ce qui fit rire tout le monde, y compris Robert, avec un temps de retard, après qu’il eut réalisé ce qu’il venait de dire.


Je suivis Cléo, jolie métisse dans la trentaine, à la coiffure afro.



Elle s’était mise à fouiller parmi une pyramide de beauty-case.



Je secouai vivement la tête pour toute réponse, soudain incapable de parler. J’avais résisté à l’impact sur le moment, mais l’onde de choc arrivait avec retard, comme le tsunami après le tremblement de terre. Cléo avait raison, je me débarrassai à toute vitesse du slip et du soutien, comme s’ils me brûlaient la peau. J’avais besoin de remettre mes propres vêtements, rangés sur la chaise, pour protéger mon intimité des regards. Ils m’apportaient aussi le réconfort du parfum familier de l’adoucisseur de linge utilisé par maman, comme un substitut à sa présence. Je me glissai dans ma culotte Petit Bateau, enfilai mon T-shirt, et me précipitai vers les toilettes. C’est là que Cindy me trouva quelques minutes plus tard, blottie contre le mur, tremblante et secouée par les sanglots.



Elle entreprit à grand peine de me calmer, en me berçant, en caressant mes cheveux, en m’abreuvant de mots doux. Un coup sur la porte, elle s’entrouvrit, c’était Jonas qui cherchait Cindy pour le plateau suivant, Robert s’impatientait. Le jeune assistant parut tétanisé de me voir dans cet état.



Cléo arriva presque aussitôt et prit le relais de Cindy. Il paraît que quand celle-ci réapparut sur le plateau, accueillie comme on s’en doute par Robert, elle se mit aussitôt à gueuler plus fort que lui :



Jonas m’a raconté plus tard que Robert était devenu blême, comprenant aussitôt qu’il y avait un gros malaise, que j’étais sans doute plus fragile que je n’avais voulais le laisser paraître par orgueil. Il a déambulé un peu sur le plateau, en silence. Puis s’est adressé à Cindy :



Il hésita, puis sortit vers la cour.

Quant à moi, je regagnai peu après le grand canapé, au milieu d’un silence pesant.


L’épilation ne fut pas une expérience très agréable, en effet. Et le peu d’intimité n’aidait pas. Tout le monde sur le plateau s’est pourtant montré super-discret, même Robert. Mais quand Cléo arracha d’un coup sec la première bande de cire, je ne pus m’empêcher de laisser échapper un « Aaaah ! » bien sonore. Et ce fut plus fort que lui, il fallut qu’il lâche à haute voix une de ses blagues douteuses.



Après un moment de doute, tout le monde a choisi de rigoler de bon cœur. Moi aussi, je l’avoue. C’était drôlement risqué de sa part.


Quand je fus prête, toutes les photos des autres filles étaient terminées. Elles se rhabillaient pour partir. Cléo m’amena à Robert, moulée dans une culotte brésilienne bien vulgaire. Décidément, c’est une sale habitude, c’est elle qui sans s’en rendre compte la baissa cette fois-ci et passa longuement le doigt sur mon pubis épilé pour montrer le résultat bien lisse au maître du plateau. Qui en parut lui-même gêné ; il détourna vite son regard.



Il n’y avait plus grand monde sur le plateau, après le départ des filles. Cléo s’était éclipsée, et ne restaient plus que Robert, Jonas, Mireille et moi. L’atmosphère avait changé du tout au tout. Robert donnait calmement ses instructions à Jonas, son assistant, avec des « s’il te plaît » et des « merci, mon grand ». Quant à moi, tout en me photographiant, il me parlait gentiment, de façon continue, comme dans une conversation.



Après m’être rhabillée en vitesse, je saluai tout le monde. Robert insista pour me raccompagner jusqu’au portail. J’y trouvai Cléo, qui tenait ouverte la porte d’un taxi qu’ils avaient commandé pour me reconduire chez moi. Cléo me serra dans ses bras, Robert me posa un baiser sur le front, je m’installai et le taxi démarra. À côté de moi, sur la banquette, il y avait un énorme bouquet de mimosa, sur lequel était agrafé un billet griffonné à la va-vite, d’une écriture ample et nerveuse. En le déchiffrant, je lus ceci :


Pour la môme Mimosa

Ma jolie Princesse au petit pois

Ne le cherchez pas dans sa tête

Qu’elle a plus que bien faite

Chassez plutôt celui qui, le vilain

Vint meurtrir sa peau de satin

Quant à celui qui sera un jour son élu

Il ne sera jamais le premier venu

Qu’il se prépare pourtant à la mériter

Cette grâce, cette déesse, cette fée



À ce moment précis, je sus qu’un monstre de bienveillance venait d’entrer dans ma vie. Et une larme roula sur ma joue.