n° 18897 | Fiche technique | 38191 caractères | 38191Temps de lecture estimé : 23 mn | 18/03/19 |
Résumé: Un moment difficile, un monde étrange et déroutant... | ||||
Critères: nopéné confession | ||||
Auteur : Jane Does Envoi mini-message |
DEBUT de la série | Série : Le silence des morts Chapitre 01 / 06 | Épisode suivant |
Le silence, oppressant, me prend à la gorge. Cette absence de bruit qui me fait peur me glace le sang. Je crains les nuits avec leurs revenants qui me hantent. Puis il y a ces pas. Ceux d’autres fantômes qui tournent derrière la porte, dans le grand couloir. Je sursaute au moindre déplacement d’air. On ne s’habitue jamais tout à fait à ce genre de truc. Parfois la nuit est trouée par un cri, par la lumière aussi qui revient l’espace de quelques secondes pour accentuer encore le sentiment de frayeur.
Les nuits ici, c’est le royaume de la crainte, de la peur panique. Tout est multiplié par dix, par vingt. Les esprits se relâchent et les images se mettent en action. Celles de ces actes qui, pour la plupart d’entre nous, nous ont amenées ici, dans cet égout du monde. Je me tortille sur le lit, survivante d’un univers sombre et froid. Chaque matin ramène la vie, mais pas celle toute rose des petits déjeuners aux bonnes odeurs de café. Non, celle plus terne d’un « bonjour » hurlé dans le seul but de nous voir bouger.
Ici, dans ce bourbier imposé, une nuit n’est en fait composée que de segments… douze en vérité et pas tous d’égales longueurs. C’est tout le temps différent. Derrière la porte, les doigts qui appuient sur l’interrupteur ne sont jamais les mêmes et plus ou moins pressés, en fonction des visions qu’ont leur propriétaire. De l’intérieur de la piaule, impossible de juguler ce processus immuable qui se renouvelle chaque fois, de la nuit tombée à l’aurore d’un nouveau jour.
Le soleil… il n’a guère droit de cité dans cette galère. S’il se lève bien à l’aube, il a aussi à faire un vrai parcours du combattant pour venir réchauffer mes vieux os. C’est aussi la punition ! Oui, le mot semble juste, mais si peu fort au regard de ce que c’est vraiment. Et c’est tout zébré, que les rayons du Dieu Ra m’arrivent, pour essayer d’embellir un quotidien fait uniquement de contraintes.
Au mur de cet ersatz de chambre, un calendrier. Important celui-ci, à bien des titres. D’abord il me sert à cocher chaque nouveau matin. Ce qui est fait n’est plus à faire. Puis il me permet de continuer à espérer, à croire en une existence meilleure. Mais je suis certaine qu’elle ne pourra jamais être pire que cette antichambre de l’enfer. Se raccrocher à des détails, se dire que demain… demain sera moins triste… qu’il existera bien un autre paradis !
Oui ! Dans trente-six mois, douze jours et quelques poussières d’heures, si tout va bien. Et alors que j’écris ces mots, une larme incapable de se dissimuler vient saloper mon cahier. Je l’essuie d’un geste rageur. Il pleut dehors, il pleut sur ma vie et il pleure sur ma page de carnet. Les bruits sont depuis quelques minutes plus insistants. Les clés dans les serrures grincent et les portes claquent l’une après l’autre. La mienne ne fait pas exception à la règle.
Pas d’autres réponses que le battant de chêne qui se referme sur le néant. La politesse de la femme en bleu qui m’a parlé, n’a d’autre but que de s’assurer de ma petite santé ? Sans doute que oui, mais elle me rattache à la vie. Non… à une certaine forme de vie, celle d’ici ! Si j’avais été encore couchée, elle aurait crié plus violemment son « bonjour ». Si je n’avais pas répondu, elle serait entrée, chez moi, et du bout de la clé sur l’entourage métallique du lit… pan-pan, jusqu’à ce que je bouge un membre.
Nos seuls rapports avec les vivants se font donc par ces porte-clés à la voix matinale pincharde qui nous ouvrent et enferment au gré de certains mouvements programmés ou occasionnels. Les raisons qui m’ont amenée ici sont toutes personnelles et le chemin est différent pour chacune d’entre nous. Du reste, je ne sais pas exactement le nombre de ces recluses qui, comme moi, attendent. Parce que le mot clé de cet univers c’est : attendre, et toujours attendre. Le temps ne coule pas comme ailleurs.
Il semble même figé pour l’éternité, se diluant dans des sons que peu de gens entendront un jour. Tout est vital, mais plus rien n’est important dans ce monde d’enterrées vivantes. Jusqu’à nos nom et prénom qui se trouvent remplacés par des chiffres. Un numéro et une lettre accolés, nous sommes dépersonnalisées, transparentes, invisibles. Oubliées, ou plutôt les gens dehors veulent oublier jusqu’à notre présence, faire comme si nous n’existions pas, plus. Il suffit de fermer les yeux pour ne plus penser ? Pas si sûr que ça marche !
En tous cas pour ce qui me concerne, pas moyen de couper à ces moments douloureux qui renaissent toujours des cendres des précédents. Les images d’une plage, de la mer ou d’un océan, les sourires d’un enfant, tout reste lointain et vague. Je ne veux pas crier ma haine et mon dédain pour ce que je vis. Non ! Des hommes, très instruits, très forts ont décidé pour moi. Ils se sont basés sur des faits justes ou pas, mais en conscience. Et je n’ai pas eu, dans ce grand cirque, mon mot à dire.
Ça aussi n’est pas totalement juste. La dernière à prendre la parole de ce dernier jour de liberté, c’était ma petite personne. Mais après un si grand déballage de toutes les horreurs justifiant, à leurs yeux, mes actes… j’avais l’air plus bête que sympathique. De toute façon, c’était joué d’avance et je devais me résigner. Et l’autre, celle qui portait une robe noire, celle qui me murmurait des paroles de réconfort, n’a pas trouvé grand-chose pour me… disculper. Ils ont dit… rien ne justifie ce qu’elle a fait !
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Ils sont venus. Combien ? Je m’en fiche, ils sont nombreux, dès que je les ai appelés. Au bas de l’escalier, il est tombé. Comment ? Je n’en sais rien, mais sa tête fait un angle bizarre avec le reste de son corps. Je ne sais plus quelle heure il était quand le boucan m’a réveillée. Je me suis levée sans me précipiter et je l’ai vu, en bas sur le palier. Nous avions fait l’amour… enfin il m’avait plutôt prise brutalement. Je ne voulais pas, mais…
Je ne comprends pas pourquoi il ne bouge pas. Je l’injurie depuis l’étage, le traite de salaud, mais il ne répond rien. Mon corps endolori me donne l’impression que je suis passée sous un rouleau compresseur.
Il reste au sol, mais s’il croit qu’il va me foutre la trouille… j’en ai soupé de ses éternelles conneries. Au bout de quoi ? Trois ou quatre minutes, je suis enfin descendue. Il est toujours à la même place. J’ai mal partout ! Bon sang, quelle dérouillée il m’a mise !
Il reste dans la même position ! C’est tout de même étrange ça. Je ne vois pas sa poitrine se soulever. Paul tout aussi nu que je le suis. On voit encore la marque de mes ongles dans sa chair.
Je m’approche de lui. Ce salaud qui m’a collé une trempe magistrale. Il voulait faire l’amour, pas moi et le résultat… j’y suis passée bon gré mal gré ! Plutôt mal que bon, du reste. Et ce bruit dans les marches. Comment s’est-il débrouillé pour me flanquer la peur de ma vie ?
Le son de ma voix me surprend et lui qui, immobile, ne bronche pas d’un poil. Il ne se serait tout de même pas cassé la binette dans les escaliers ? Je suis contre lui et mon sang ne fait qu’un tour. Il se retire de mon visage alors qu’une fine couche de sueur perle sur mon front. Ma main se pose précautionneusement sur son visage. Il est tout pâle, tout autant que moi. C’est drôle, il… il semble ne pas respirer. Ma joue, il faut que je pose ma joue sur sa bouche.
Il va forcément encore me coller une beigne. Mais non, et je ne sens aucun souffle sortir de ces foutues lèvres. Merde, qu’est-ce qui se passe ? Depuis quand est-il allongé avec cette façon bizarroïde de garder la tête penchée ? Je dois faire quoi ? Je l’ai pris dans mes bras, mais cette fois sa caboche est tombée en avant sur sa poitrine. Bon ça ne peut pas être si grave que cela… vite le téléphone…
Voilà une fin de nuit qui est mouvementée. Je suis remontée passer une robe de chambre. Et lui ? Il doit avoir froid. Quel con… me coller une raclée parce que je n’avais pas envie de baiser. Plus jamais, plus jamais, mon salaud, plus jamais tu ne recommenceras, je te le jure. Ces mots sont pour Paul qui est couché au bas des escaliers. Ah ! Ça y est, les gyrophares du SAMU ! Je me sens soulagée. Deux pompiers sont entrés, un policier aussi. Le flic me demande de venir vers lui.
L’urgentiste en blouse blanche s’est approché du policier et je le vois qui se penche sur son oreille. Merde, qu’est-ce qui se passe ? Paul a donc décidé de m’emmerder jusqu’au bout. Mais le flic me regarde. Il est bien jeune.
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La porte s’ouvre à nouveau. La femme qui entre est comme moi. Mais elle travaille ici. Enfin elle reçoit en fin de mois un salaire misérable. Il nous arrive de discuter parfois elle et moi. L’argent ici n’a guère d’importance, sauf lorsque l’on n’en a pas. Mais s’occuper les mains peut aussi du moins, focaliser son esprit sur la misère morale ambiante. Les quelques euros qu’elle touche ne sont pas une motivation suffisante. Elle distribue la cantine, ces produits mis en vente sur catalogue par l’administration. Produit d’hygiène, de confort, de première nécessité et aussi il faut le dire quelques douceurs.
Elle me tend les bouteilles de lait, seul luxe que je peux m’offrir sans trop dépenser de sous. Ici aussi le nerf de la guerre, c’est l’argent. Deux paquets de gâteaux dont un repart avec la livreuse. Une fois par mois, le prix de la tranquillité… et un bonus pour celle qui bosse pour nous finalement. Elle a dû être jolie, mais entre ces murs, on se fane si vite. La porte ne s’ouvrira que pour la promenade. Deux heures dans une cour grande comme un mouchoir de poche.
Mais là, tout circule. Drogue comme comprimés venus tout droit de l’infirmerie de la baraque. Tout se traficote et mettre un doigt dans ce grand cirque ne peut que vous dévorer. Je m’y suis toujours refusée. Mais pour les autres, ça fait de moi un paria et elles se méfient un peu de ma petite personne. Parfois une nouvelle vient me parler, je suis, paraît-il, de bon conseil. Mais j’ai toujours peur… une rixe est si vite arrivée. Il n’y a pas que des anges dans ces lieux.
J’aurais voulu aussi me remettre à faire du sport. Mais c’est un véritable parcours du combattant pour accéder aux équipements. Puis la douche, c’est une tous les deux jours. Alors, puer la sueur ou me laver sur un lavabo gros comme un confetti avec des yeux qui vous suivent… très peu d’envie finalement. Et puis il y a ces humiliations permanentes… les fouilles.
Je sais bien que les femmes qui bossent ici ont des ordres, que c’est leur travail. Mais chaque allée et venue hors de cette résidence aussi confortable qu’un placard à balais me vaut une fouille. Quand je dis fouille, c’est vraiment nue. Totalement inspectée par une autre femme porteuse de gants de latex et pas toujours aimable. Pas plaisant de tripoter du linge porté et sentant notre transpiration, je le conçois.
Mais je n’ai rien demandé moi et il en est qui se font un plaisir de nous dégrader, elles en rajoutent une couche aussi. Culotte, soutien-gorge et autres vêtements que j’ai sur le dos… mais le pire c’est autre chose. Un processus qui s’est répété depuis cette fameuse nuit, des dizaines, voire, peut-être des milliers de fois. Immuable et pernicieux, quelque chose que je n’arrive pas à apprécier.
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Un type au crâne rasé m’a fait entrer dans une pièce sans fenêtre. Juste une table et trois sièges. Je suis assise face à deux flics. Un homme et une femme ! Le gars est sorti et je dois me déshabiller. Elle attend que je sois totalement à poil pour me demander de m’accroupir et de tousser. Puis ses doigts glissent dans mes tifs. Elle tripote mes vêtements un à un avec méthode. Elle ne dit pas un mot et je baisse les yeux, coupable de quoi ? Je ne sais même pas pourquoi je suis là !
Et ces gants qui viennent d’ausculter sous toutes les coutures mes fringues, finissent par se promener dans ma tignasse. Et là, j’ai la rage qui me monte des tripes, et parfois l’idée de me révolter qui se dresse dans une envie de hurler. Mais, il faut serrer les poings, se taire, la fermer. Comment penser qu’à chaque endroit de cette cage immense, il est possible de découvrir une arme ? Je ne sais même pas si un jour cet enfer se terminera, mais je rêve parfois de l’abréger.
Voilà ! Ils sont à nouveau les deux devant moi. À tour de rôle ils me posent des questions. Je n’ai aucune réponse à leur donner et ils insistent lourdement.
Ça fuse de partout. Et je me sens fatiguée, je voudrais dormir. Mais les demandes reviennent, inlassablement, et je me mure dans mon silence. Celui-ci devient leur allié, il me rend à leurs yeux, encore plus suspecte. Bien entendu que si je la boucle, c’est que j’ai des choses à cacher. Puis d’autres questions succèdent aux premières. Plus indiscrètes encore et le type salive presque d’entendre sa collègue oser les poser.
Je ne dis rien, yeux baissés sur la table, je ne trouve pas de dérivatif pour que mon esprit s’évade. Et la fliquette qui, imperturbable, avance ses pions.
Dans ma caboche, je revois les images ! Pas celles de l’escalier, non ! Celles plus précises de la raclée et c’est vrai que je me suis défendue. Mais je n’ai pas poussé Paul. Mais ils ne veulent pas savoir, ou plutôt si ! Ils espèrent que je vais leur dire ce qu’ils voudraient entendre. Et merde, qu’ils fassent de moi ce qu’ils veulent. Je m’en fiche. Le Bon Dieu a puni ce salaud qui m’a violée, c’est ça la justice. Le reste je m’en tape ! Mon sort est soldé.
Une avocate est venue me voir dans la cage où les flics m’ont collée. Elle me dit qu’un juge va m’entendre. Mais je n’ai aucun choix, je dois y aller et menottée encore. On ne sait jamais si d’aventure je voulais aussi les pousser dans le dos. Quelle bande de cons… pas un seul qui ne cherche à savoir, à comprendre ce qui s’est passé et moi je suis incapable de gérer cette histoire. Ballottée entre flic et palais de justice, je suis fatiguée.
Le mec qui est assis en costard cravate va « m’entendre » ? Mais il n’y a que lui qui parle. Et quand je veux dire un mot, il me fait signe de me taire. Eh bien, même le conseil qu’ils m’ont désigné d’office ne peut pas en placer une. Incroyable, ce type rejoue la scène. Il discute des claques, celles que j’aurais mises à Paul, puis la poussette. Mais quand je tente d’argumenter sur le viol, là, c’est clair, c’est net.
D’un revers de manche, il fait un geste qui signifie totalement que j’affabule. Je hurle presque que je veux voir un médecin. Demande refusée, je dois à nouveau la fermer. Et dire que ça s’appelle entendre la prévenue. Combien de temps dure ce grand cinéma ? Je n’ai plus aucune notion du temps ni même de l’espace qui m’entoure. Un papier est avancé vers moi ! Je dois signer. Je ne veux pas. Mais paraphé ou non, c’est du pareil au même.
Cette fois, c’est un véhicule qui m’embarque. Et l’arrêt ne se fait que dans un étrange sas. Un autre uniforme bleu aussi, mais légèrement différent de celui des flics qui m’ont amené ici. Lui est assez aimable. Il prend son temps, me demande mes nom et prénom, date de naissance et quelques autres conneries telles que numéro de sécurité sociale ou ma situation familiale. Puis il me prend mes doigts pour les noircir. Mes empreintes… me voici fichée comme une tueuse, et c’est ensuite une femme qui, vêtue d’une blouse blanche me prend en charge.
Cette fois, j’ai droit à nouveau à une horrible fouille à poil. Puis on me colle dans les pattes des couvertures et des draps, une trousse avec du savon, du papier toilette et une brosse à dents. Direction une cellule. Mais c’est, aux dires de la femme, juste transitoire parce qu’il est tard et que demain, je serai affectée dans quelque chose de plus confortable. Là, juste des w.c., un lavabo et un bat-flanc pour la nuit.
Mon Dieu, ces bruits… les premiers fantômes qui montent de partout, comme pour me donner mauvaise conscience. Puis ces sons que je n’identifie pas, que je ne connais pas. Au bout de quelques heures, je sais que le truc dans la porte s’ouvre régulièrement, et que je suis devenue une bête de foire, un objet à surveiller. Je perçois des cris, des rires aussi, des hurlements qui viennent de nulle part. et j’ai des maux de ventre, une trouille incommensurable.
L’uniforme n’est qu’une blouse blanche. Je suis à l’hôpital et je fais un mauvais rêve ? Le bond dans le lit me fait presque me cogner la tête dans le plafond du lit superposé au-dessus de moi. Elle tapote avec quelque chose sur la traverse métallique du plumard. Je venais à peine de m’endormir pour de bon.
Vous êtes là ? Drôle de mot ! Et où voudrait-elle que je sois ? Ce sont elles qui ont les clés et la serrure n’est pas accessible depuis l’intérieur, alors… puis dans ma tête, enfin une idée plus précise de ce qu’elle a voulu dire se fait jour. Là… ça peut aussi signifier… vivante. J’en ai froid dans le dos. Comment penser à ce genre de truc ? Mais finalement… ce n’est pas si bête. Il doit sûrement arriver que le côté sombre des gens prenne le pas sur la lumière. Ici, c’est… le trou !
Puis l’huis une fois encore vient de s’ouvrir sans préavis, dans un fracas épouvantable. Je reste assise sur le bord du bat-flanc. Dans le couloir elles sont deux. Une en blouse, et une autre en jean, et pull gris.
Je secoue la caboche en signe d’assentiment. Du courrier ? Je n’ai personne à qui écrire. Et je fouille dans le paquet que l’on m’a remis. Un bol s’y trouve ! La dame en jean me sert une louche d’une boisson noire. Elle ouvre une boîte et me colle deux sucres dans la main.
La surveillante a refermé le lourd battant de bois sur moi et mes craintes. Je suis dans un monde nouveau. Une extraterrestre perdue dans un univers qui me dépasse. J’ai envie de… d’aller aux toilettes et les w.c. sont là, presque face à la porte, sans rien pour me protéger de la vue des guetteuses qui sont passées toute la nuit. Un cauchemar… plus d’intimité, plus de personnalité. Propulsée dans une antichambre de l’enfer. Je paie quoi, en fait ? Le droit d’avoir été violé par un salaud qui s’est cassé la gueule tout seul dans les escaliers et c’est moi qui suis punie.
Si le soleil pâlichon du matin est bien levé, il ne se hasarde guère à venir lécher les barreaux verticaux de la lucarne qui sert de fenêtre. J’entends parler, crier, rire aussi, de l’autre côté d’un grillage à quelques mètres de ma lucarne. Je n’ose pas avancer vers ce petit espace où la liberté est entravée. Alors que je m’approche, une fois encore je suis rattrapée par la seule issue qui s’ouvre dans mon intérieur minable.
Une autre porteuse de clés qui m’interpelle presque doucement !
Je suis dans ce même long corridor entrecoupé de portes semblables à celle derrière laquelle j’ai couché.
Un labyrinthe qui me mène vers un étage où je lis sur un panneau : « Service infirmerie ». Tout près, une autre porte où il est écrit : « Bibliothèque ». Nous attendons alors que la gardienne a sonné ! Elle n’a donc pas les clés de cette entrée. C’est long, très long puis le cliquetis qui annonce l’ouverture de ce sas se fait. Nous sommes dans un autre couloir. Aussi gris, aussi lépreux. Puis une salle d’attente où sont déjà présentes trois autres pensionnaires sans doute.
Je suis l’objet de tous les regards. Bien entendu mon histoire a fait l’objet d’un encart dans les journaux locaux et à la télé. Nous sommes seules, pas de gardienne dans ce hall d’attente.
La porte vient de s’ouvrir et ma blouse blanche est là, ce qui coupe court à ce début de conversation.
Comme si j’avais le choix ! Je sais bien que ce sont juste des mots, mais… dans ma caboche ils tournent en boucle et merde… je suis profondément plantée dans cette ratière. Le médecin… c’est un homme. Il me parle normalement, enfin ! Il me demande des renseignements sur mes antécédents médicaux, le nom de mon docteur si j’en ai un. Enfin, il fait son job de toubib, quoi ! Une prise de sang aussi et retour à la case départ. Un moment après être revenue dans mon palace, nouvelle ouverture et on me remet une baguette de pain, la ration quotidienne.
Ensuite, je suis ballottée d’un service à l’autre. Direction, service social, service scolaire, tout ce qui fait de cet endroit un monde à part entière, un monde de recluses et de parias. Ici plus de prénoms, plus de noms, plus de gentillesse, pas de tendresse. Juste des rapports bizarres entre détenues et surveillantes, et toujours en fonction des humeurs des unes et des autres. Mais la vie continue, différente certes, avec la rage au ventre et pourtant, c’est une autre existence.
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Un jeune flic est venu me rendre visite aux parloirs. C’est la seule personne extérieure que j’ai vue depuis trois jours, excepté les gardiennes. J’ai subi une fouille à poil à mon retour dans ma cellule. Comme si ce représentant de la loi allait me donner une arme ou autre chose. Puis la gardienne m’a prévenue de mon changement de cellule. Là où je suis, c’est juste pour les quelques jours d’acclimatation. Cette fois, je vais dans la cour des grandes. Avec une boule au ventre, je repars dans un autre couloir, vers une autre cellule, tout aussi morbide que la première.
Le soleil ne parvient qu’à peine à franchir ces barreaux qui nous empêchent de sortir. Et on dirait que même lui est du côté de ces gens qui veulent nous garder. Derrière la fenêtre un horrible grillage. Cette fois c’est Médrano ! Le cirque et je fais partie de la collection d’animaux de foire.
Je me suis retournée. Une autre femme vient d’entrer. Nous serons donc deux dans cet espace restreint ? Une chevelure brune, semblable à la mienne, elle est là qui danse d’un pied sur l’autre. La gardienne referme derrière celle qui maintenant me scrute attentivement.
Elle a tourné la tête vers la porte. Si j’ai aussi perçu un bruit curieux, je ne sais pas vraiment de quoi il s’agit. Elle m’explique, les rondes, le jour, la nuit, les œilletons et tout ce qui nous entoure dans ce monde paumé. Elle me parle de baveux, d’avocats, de conseils et je suis perdue dans un univers où même le vocabulaire m’est étranger. Puis elle se veut sympa, m’offre une sorte de boisson chaude.
Elle nomme ça pompeusement « café », mais c’est juste une poudre noire infâme délayée dans de l’eau bouillante. Le sucre est obligatoire pour que ça passe. Et je sens ce fossé entre ce que je vis et ce que je vivais… avant d’entrer dans… cette cage. Le lit est à étage et comme elle occupe la couchette supérieure, je dois donc me contenter de celle du bas. Puis enfin, elle m’explique tous les trucs, les appels du matin, ceux du soir quand les matonnes changent de service. Et je m’enfonce dans une horreur absolue…
Le déjeuner… servi sur un plateau est distribué par une détenue et en fonction des petits dons que nous lui faisons, la quantité est plus ou moins… généreuse. Mais moi, je n’ai rien… rien de rien, vraiment rien à partager. Alors, les jours qui passent sont plus difficiles et les heures de semi-liberté se passent elles aussi dans une cour de promenade si petite, tellement étriquée. Et la promiscuité y est effrayante. Quelques jeunes femmes sont toujours sur mon dos, réclamant des cachets, parfois m’exhortant à en demander pour elles à l’infirmerie.
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J’ai vu le directeur. Un jeune type qui se roule ses clopes. Il a une sorte de sourire et s’exprime d’une voix qu’il veut chaleureuse. Comme si entre ces murs ça pouvait exister, la chaleur. Depuis combien de temps suis-je enfermée ? Je ne veux plus m’en souvenir. Le temps n’a pas la même valeur dans ces longues coursives qu’à l’extérieur. Les deux heures de promenade le matin et l’après-midi, je ne veux même plus en entendre parler. Le sport non plus puisque c’est tout un essaim de camées qui sont là à harceler les autres en général et moi en particulier.
Non ! Je suis mieux dans mon bouge. C’est un étrange manège qui se joue entre ces femmes. Un jeu du chat et de la souris. Je ne suis pas armée pour rivaliser avec ces pestes hargneuses qui sont là pour quelques mois seulement. Le prix à payer pour avoir traficoté dans une citée quelconque, pour avoir traîné avec je ne sais qui, et je m’en tape. Je n’attends rien de ce juge que je vais revoir bientôt. Encore moins de cette avocate qui n’est pas seulement venue me visiter depuis mon arrivée en prison. Mais elle n’a pas oublié de m’envoyer un courrier… réclamant une avance sur ses honoraires…
Et où irais-je pêcher l’argent qu’elle me demande ? Je n’ai rien d’autre que ce que l’administration veut bien me donner. Un peu de savon, de la lessive et puis voilà, la gamelle de chaque service, bonne ou mauvaise, il me faut m’en contenter. Je ne parle plus et ça, ça, c’est la pire des privations. Plus un mot ne sort de ma bouche depuis… je ne sais plus. D’autant plus que Marthe est partie. Où ? Je n’en sais rien du tout. Elle m’a simplement embrassée et souhaité bonne chance pour la suite. Enfin, elle m’a serrée contre elle et tout s’est résumé en un seul petit mot… merde !
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Le jeune flic est revenu cet après-midi. Fouille et autre douceur de la gardienne, une de celles dont les yeux se mettent à briller dès qu’elle prononce sa phrase favorite.
Mais elle ne détourne pas le regard, suivant chacun de mes mouvements. La bête pourrait se rebiffer allez savoir ! Puis il est là ! Il se lève à mon entrée dans le local où il me reçoit.
Il m’a aussi tendu la main. Premier geste humain depuis que je suis incarcérée. Et cette patte dans la mienne me tire presque une larme. Il me paraît du coup presque sympathique.
Je le regarde, comme une bête acculée dans un coin et qui n’a plus d’alternative. Je remets de l’ordre dans mes souvenirs. Je démarre alors un long monologue. Le jeune type ne m’interrompt absolument pas. Il écoute, ce que personne n’a fait depuis ce fameux soir. Je débite ma rancœur, contre Paul, lui qui n’a pas été très cool et puis je redis notre engueulade, mes cris pour l’empêcher de me faire l’amour de force. Je lui narre tout, sans rien oublier. Ma descente au bas de l’escalier. Ma colère et l’attente avant de comprendre que ce n’était pas du bluff.
Il me laisse aller, dire et raconter. Je nage dans ce moment-là, avec cette fureur qui remonte à la surface. Le viol et mes menaces de partir, puis enfin je suis vidée par cette narration qui me repousse aussi loin que possible dans un moment terriblement douloureux. Enfin lasse, exténuée, je m’arrête de parler. Et il me regarde avec des yeux dans lesquels je ne peux rien lire. Mais c’est ma version, celle que j’ai vécue et que je viens de revivre devant lui.
Il a pris un tas de notes. Et il retourne d’un coup sur quelques points qu’à son sens, j’ai trop vite survolés. Il me demande de lui réexpliquer ma réaction en bas des marches. Et je reviens sur le sujet avec cette fois le cheminement de ce moment. Je me revois et je retrouve les mots que j’ai prononcés, dans ma fureur. Ceux du palier avant de descendre.
Puis tous les autres alors que pour moi, Paul faisait semblant, juste pour m’emmerder ou pour me coller une nouvelle dérouillée.
Et encore et encore toutes ces phrases qui sont restées si intactes dans ma mémoire.
Ou encore…
Et enfin mon appel au SAMU alors que je réalisais que quelque chose ne tournait pas rond. Le flic a fini son audition. À nouveau, il me serre la main et ça me fait chaud au cœur. Une lueur d’espoir dans un monde de pourriture. Le retour dans ma cellule se fait avec un identique cérémonial, aussi humiliant qu’à l’aller. La matonne est la même, pourquoi aurait-elle changé de manière entre ces trois heures passées aux parloirs ?
À suivre…