n° 19238 | Fiche technique | 7098 caractères | 7098 1240 Temps de lecture estimé : 5 mn |
11/10/19 |
Résumé: Réflexions sur le texte érotique. | ||||
Critères: #article | ||||
Auteur : Samuel Envoi mini-message |
Le dernier texte que j’ai proposé fait l’objet de plusieurs attaques contre l’idée que je puisse écrire de telles choses (ce qui ne me dérange pas trop, d’autant que j’ai aussi de chauds partisans), mais ce qui est plus inquiétant contre le site Rêvebébé, coupable d’avoir permis la parution d’une telle infamie.
En effet, qu’un site qui publie des textes érotiques ose publier des textes érotiques, il y a là matière à scandale. Il semble que certains oublient les bases mêmes de ce qui est notre terrain de jeu : en amour tout est permis. Aujourd’hui, il est évident que Sade, Apollinaire, Georges Bataille et bien d’autres ne seraient jamais acceptés au nom de « la Charte » qui semble être le manuel du parfait branleur qui connaît ses limites et surtout les limites des autres. Pour moi, il ne devrait y avoir qu’une seule règle : tout ce qui est autorisé par la loi est permis sur le site. Cela élimine les cas de racisme, de pédophilie, etc., mais laisse la possibilité de proposer des textes un peu différents.
Il y a des gens qui n’aiment pas ; ce n’est pas grave, qu’ils passent au texte suivant. Il y en a d’autres qui ne comprennent pas, et certains qui ne seront jamais en mesure de comprendre. La rigidité de leurs pénis s’est communiquée au cerveau. Ils sont encore persuadés que le sexe réside dans leurs 33 cm et qu’il n’a rien à voir avec l’imagination, la pensée, l’humour, l’esprit.
D’après ce qu’on m’a dit, j’ai écrit quelque 85 textes pour Rêvebébé et chacun a pu voir que j’essaie à chaque fois de proposer une autre vision de l’érotisme, quelquefois dérangeante peut-être, mais c’est justement à cela que devrait servir ce site.
L’humour est aussi un de mes chevaux de bataille, bien que l’on prétende que rire fasse débander. Ce qui est contradictoire avec une réflexion souvent entendue : Fais rire une fille et elle est déjà à moitié dans ton lit. Et qui ne s’est pas un jour retrouvé dans une situation comique en plein ébat sexuel ? En plus, c’est oublier tout ce que nous devons à Rabelais et à Boccace, qui mélangeaient joyeusement paillardise et lascivité. Parfois l’humour n’est qu’un condiment. On ne le sent qu’à peine, mais tout le texte en est néanmoins imprégné. D’autre fois, c’est lui qui domine, c’est le troisième partenaire auquel on est soumis, mais d’une soumission tellement douce et délicate qu’on sourit plus qu’on ne rit. Et puis enfin, l’humour, parce qu’il est transgressif, nous emmène dans des situations dérangeantes, dans un monde où on n’oserait pas s’aventurer sans lui, sans sa rassurante présence.
Je m’aperçois aussi qu’un texte ne peut être pris en compte que s’il atteint les 7 000 signes. Pourquoi une barrière aussi arbitraire ? Les notateurs disent parfois que le texte est très bon, mais trop court. N’est-ce pas justement parce qu’il est court qu’il est bon ? On a l’impression qu’il faut de longs préliminaires pour que la jouissance de la lecture soit complète. N’y a-t-il pas là une confusion entre l’acte d’écrire et l’acte sexuel ?
Ce qui est amusant aussi, c’est de constater que plusieurs personnes se demandent toujours si ce qui est raconté a été vécu ou pas. Et s’ils sont persuadés que ce n’est pas du vécu, ils considèrent que le texte ne vaut pas tripette. C’est assez intéressant comme attitude, parce qu’en fait il s’agit de la réaction d’un voyeur. Il a besoin d’imaginer la scène en réel à mesure qu’il la lit. Le lecteur qui n’est pas dans cette attente n’a pas besoin de savoir si l’auteur a raconté son histoire personnelle ou pas. Quand on lit Alexandre Dumas ou Houellebecq, on ne se demande pas à chaque page, si c’est du vécu, et on ne laisse pas tomber le livre si on est persuadé du contraire. Arrêtons de nous demander si ces textes que « l’on lit de la main gauche », ont également été écrits de la main gauche.
Enfin il est certain qu’il ne faut pas non plus tourner autour du pot : ces écrits sont faits pour donner une excitation sexuelle. C’est leur but premier, et le seul dont ils ont à répondre. Et là, il y a parfois un dilemme, certains textes mal écrits sont bien plus bandants que d’autres à l’écriture soignée. Si on veut arriver à cette efficacité, si on cherche (avec raison) l’éjaculation ou l’orgasme, on sort souvent de la littérature. C’est un peu le même phénomène que pour les films pornographiques ; on sait qu’ils n’ont aucun intérêt pour le cinéphile. Le plus souvent, il n’y a même plus d’histoires, on colle des bouts de séquence de façon à retrouver systématiquement la fellation pour commencer, la sodomie au milieu et l’éjaculation finale sur les seins pour terminer.
Mais ce qui nous sauve de cette pauvreté standardisée, c’est que dans les textes érotiques nous avons une plus grande liberté. Et c’est ce qu’il ne faut pas perdre. Le même récit conduira certains à la jouissance complète, alors que d’autres n’auront pas la patience de le lire jusqu’au bout. C’est que nous sommes tous différents et c’est cette différence que j’aimerais voir respectée au-delà de toute charte. L’érotisme a toujours été combattu par les pouvoirs et notamment par l’Église. Combien d’autodafés a-t-on organisés pour que soient réduits en cendres tant de chefs-d’œuvre ? Combien de censeurs, à l’image de ceux qui dans les années soixante grattaient les sexes féminins dans les revues pour hommes ? Alors aujourd’hui que l’on peut s’exprimer, qu’on laisse à chacun la liberté d’écrire ce qu’il veut quand il le veut. L’érotisme est une école de la liberté et de l’audace.
Il est symptomatique que chaque fois que je donne un texte, il y ait un écart considérable entre les notes (de 0 à 20 parfois). Ce qui signifie que l’érotisme des uns n’est que la pornographie des autres, et inversement. J’avoue que je m’amuse beaucoup à voir la hargne de ceux qui n’aiment pas mes textes ; c’est peut-être un plaisir d’esthète, mais certainement une raison pour laquelle je reste attaché à Rêvebébé. Parce que même si le texte ne plaît pas à la majorité, il a quand même demandé à son auteur du temps, de la réflexion et de la passion. Alors il est facile de qualifier les 7000 signes minimum de « désolé, je n’ai pas dépassé la première miction… niveau maternelle » en dix mots maximum.
Quand on lit les parutions de façon régulière, il faut bien reconnaître que les écrits les plus anodins, d’un érotisme suranné ou véritablement d’une grande pauvreté sont légions, et d’ailleurs les notateurs le signalent avec véhémence et les notent sévèrement. Alors il faut savoir ce que l’on veut. Aligner les textes les uns après les autres, dans un souci d’exhaustivité, est une bonne chose. Mais il faut aussi que le lecteur puisse s’y retrouver, et pas seulement par la situation évoquée (du genre : f cérébral revede fmast sm fouetfesse lettre confession -mastf). Il y a d’excellents auteurs qui écrivent sur ce site et qui mériteraient plus d’attention. Breton a dit de l’érotisme : « c’est une cérémonie fastueuse dans un souterrain ». Nous avons la chance avec Rêvebébé de pouvoir y descendre, dans ce souterrain, allons-y de bon cœur ! Et tant pis pour ceux qui butent sur la Charte et tombent dans l’escalier.