n° 19892 | Fiche technique | 53369 caractères | 53369Temps de lecture estimé : 29 mn | 08/11/20 |
Résumé: Dernier épisode de l'histoire. Le jeu du chat et de la souris trouve son dénouement. Vont-ils enfin succomber ? | ||||
Critères: fh cérébral revede -initiatiq | ||||
Auteur : Onyx31 Envoi mini-message |
Épisode précédent | Série : BlackBerry vs iPhone : ou la quête de l'érotisme Chapitre 04 / 04 | FIN de la série |
Résumé épisode 1 :
Marc-Aurèle, talentueux business man, va tomber sur un os, enfin, pas exactement, plutôt sur un corps de chair et d’esprit. Premier épisode d’une fiction où la technologie froide et impersonnelle mène les deux héros à la découverte de l’érotisme.
Résumé épisode 2 :
Marc-Aurèle se lance dans une folle aventure pour découvrir l’identité de l’inconnue du train. Son plan minutieusement préparé ne s’est pas déroulé sans encombre…
Résumé épisode 3 :
Après avoir perdu le contrôle de la situation, Marc-Aurèle va entraîner l’inconnue du train dans une rocambolesque découverte de l’érotisme et du plaisir.
NDLA : la première version de ce texte a été écrite il y a plusieurs années en collaboration avec ma complice de l’époque. Elle est à l’origine de tout ce qui touche le nouveau personnage de cet épisode. Je tenais juste à la remercier. L’écriture partagée de ce texte a été un véritable moment de plaisir littéraire… entre autre.
*****
Vienne
À chaque évocation de ce nom, un léger sourire de contentement s’affichait sur les lèvres de Christelle de Valnor. C’est que ce lieu était non seulement chargé de souvenirs des plus agréables, mais il fut un tournant sa vie. C’était ce jour-là qu’elle avait décidé de ne plus se laisser dicter sa conduite par la société. Une irrésistible envie de vivre bouillonnait au plus profond d’elle-même. Elle était devenue accro aux plaisirs, sexuels évidemment, mais pas uniquement. Marc-Aurèle lui avait ouvert la voie d’un nouvel art de vivre en recherchant en toute chose les délices de la vie pour en jouir jusqu’à satiété.
Pourquoi vivre sinon ?
Welcome on board …
Christelle n’écoutait déjà plus, elle se demandait ce qui l’attendait là-bas au pays du soleil levant. Un mois déjà que cette folle aventure avait commencé. Elle sortit de son sac de voyage un exemplaire du Herald Tribune. Sur la première page, un numéro de téléphone, un smiley et un seul mot : HELLO.
C’était comme cela que tout avait commencé. Elle posa religieusement le journal contre sa poitrine, bascula sa tête en arrière et se remémora ce jour-là, la seule fois où elle l’avait vu, l’homme au BlackBerry, Marc-Aurèle.
Était-il vraiment réel ?
Christelle ouvrit les yeux et tourna la tête vers sa voisine qui venait de prononcer cette phrase dans la langue de Shakespeare avec un adorable accent exotique. C’était une Japonaise, jeune, entre vingt et trente ans, de beaux yeux noirs, sourcils savamment épilés avec un fond de teint clair et des lèvres peintes d’un rouge vermillon. Mais ce qui attira le plus le regard de Christelle était sa tenue. Elle portait une veste noire bordée d’un liseré blanc qui lui tombait sur le bas des hanches, cintrée à la taille par une large ceinture de soie rouge imprimée d’oiseaux et de grosses fleurs blanches surmontant une longue jupe crayon tombant jusqu’aux chevilles. Cette tenue était, de par sa coupe et sa matière, parfaitement dans le style des productions modernes de la haute couture européenne, mais, de par ses couleurs, ses motifs et son agencement, porteuse de la tradition japonaise.
Paix intérieure.
C’est ce que dégage cette femme.
Christelle resta stupéfaite.
Non seulement cette inconnue avait vu juste, mais elle avait réussi à exprimer très précisément ce qu’elle essayait désespérément de formuler depuis des jours, sans succès, tellement ses émotions la bouleversaient.
Cela l’intrigua au plus haut point.
Christelle hésita, mais point très longtemps, elle n’était pas femme à tergiverser. Une force intérieure la décida de raconter toute son histoire à sa voisine. S’en suivirent de longues discussions à bâtons rompus.
Christelle avait la tête penchée au hublot, un sourire mutin au coin des lèvres.
Le Japon, quel pays fabuleux !
*****
Me voici, moi, Marc-Aurèle, pour la première fois de ma vie à Tokyo. Je devrais être attentif à tout ce que je vois et ce que j’entends afin de satisfaire mon inépuisable curiosité comme à chaque fois que je découvre un pays inconnu. Mais non, aujourd’hui j’étais ailleurs. Que fait-elle ? Pense-t-elle à moi ? Depuis l’instant magique et inespéré où j’ai vu son dernier message avec l’enregistrement de son orgasme tout devenait possible. J’avais joué gros à Vienne, mais le succès fut au-delà de toutes mes espérances.
Aujourd’hui je n’ai qu’une hâte, la retrouver.
J’ai choisi le Japon comme décor de ce moment magique pour son côté mystérieux pour nous occidentaux, un pays à la fois ultra moderne, mais où les traditions sont toujours vivaces, ou chaque activité, même les plus anodines de la vie quotidienne, ont été élevées en art subtil.
J’ai déjà écouté de nombreuses fois l’enregistrement de son orgasme et l’émotion est toujours la même. Étrangement, ce n’est pas le côté sexuel qui me touche, mais plutôt le fait qu’elle ait volontairement décidé de me faire partager ce moment-là et qu’elle ait écrit, en accompagnement : « Merci. Aux plaisirs présents… et futurs. »
Je l’ai reçu comme une déclaration. De quoi, je n’en sais fichtre rien, mais une déclaration, pour sûr.
Je suis impatient.
Pour ma première visite dans l’archipel du soleil levant, je me suis laissé aller à la facilité et ai réservé une suite au Mariott Hôtel. L’avantage de ces chaînes de business hôtel est justement leur manque de personnalisation pour que l’on y retrouve instantanément ses marques. Tout est fait pour minimiser votre dépaysement. Et aujourd’hui, je n’étais pas là pour faire du tourisme, mais dans un but bien précis. C’était donc parfait.
Je viens de finir la mise au point de la suite du scénario que j’ai imaginé pour NOUS, car aujourd’hui, finis les petits jeux, nous allons écrire NOTRE histoire. J’entre dans ma suite, balance ma veste de blazer sur un fauteuil, défais ma cravate que j’envoie valser je ne sais où, déboutonne mon col de chemise et me dirige vers le mini bar. J’en sors une bière, la décapsule et avale directement de longues gorgées glacées. Quand l’air vint à manquer, je retire le goulot de ma bouche en laissant échapper un grand « hannnn » de satisfaction.
Putain, que ça fait du bien !
J’aime parfois me laisser aller à une certaine forme de rusticité.
Brr, brr, brr, brr.
Je sors mon téléphone.
Je blêmis et me laisse choir sur le premier fauteuil venu.
Je raccroche.
Je pose mon BlackBerry, me prends la tête entre les mains et la balance en arrière.
Elle n’était pas à la sortie de l’avion. Enfin, ce crétin de chauffeur l’a manquée, oui ! Il ne va pas me faire croire que l’on peut se volatiliser comme cela. Elle a pris l’avion, c’est sûr, mon indicateur sur place me l’a confirmé. Elle n’a pas sauté en plein vol non plus ! Donc elle est arrivée. Elle est là. Mais où, bordel !
Pourquoi n’a-t-elle pas été voir le chauffeur comme les fois précédentes ? Elle ne veut pas me voir ? C’est ça, elle ne veut pas me voir !
Non, cela n’a pas de sens. Sinon, pourquoi quelques jours auparavant elle m’aurait envoyé cet enregistrement avec marqué « aux plaisirs futurs », pourquoi aurait elle prit l’avion avec le billet que je lui ai offert pour qu’elle puisse continuer l’aventure ?
Je n’y comprends plus rien.
Elle a été kidnappée par un gang de Yakusa, ils vont demander une rançon, ou alors, elle a eu un malaise dans les toilettes, ou …
Que faire.
Réfléchir, vite.
John.
John ne me refusera pas encore un petit coup de main. Je sais qu’il a très largement épuré la dette qu’il avait envers moi, mais je le paye royalement et surtout, il m’a avoué que cela le changeait des filatures de maris volages et de femmes infidèles. Cela lui rappelait les temps bénis où il travaillait pour le MI5.
Je l’appelle et lui explique la situation.
Il se renseigne.
Quoi faire d’autre ?
Rien.
J’attends.
Une seconde bière, puis une troisième et une quatrième. Ce fut au bout de la cinquième que mon téléphone vibra.
C’était John.
Je réfléchis quelques secondes….
*****
Quelque temps auparavant dans l’avion.
Christelle était très intriguée par sa voisine, son costume et son maquillage. Son visage révélait une paix intérieure. Mineko, quant à elle, était émue par la Française et son histoire, sa découverte du plaisir et par l’homme par qui tout était arrivé, Marc-Aurèle. Les deux femmes parlèrent de leurs vies, Christelle de son métier, Mineko de son art. Cette dernière est une Geisha. Elle lui conta son entrée à dix-huit ans dans une Okiya (Maison de Geisha) ainsi que le long apprentissage des différents arts auxquels elle s’est formée.
Les Geishas sont des artistes accomplies, elles pratiquent la danse, la musique et la traditionnelle cérémonie du thé.
Christelle était très intriguée et subjuguée par le récit de la Japonaise. Cet univers l’interpellait au plus profond d’elle-même. Comment imaginer que des femmes aient bâti des siècles durant un monde dévolu uniquement aux plaisirs des sens en faveur des seuls hommes. C’était purement stupéfiant, incroyable et incompréhensible. Jusqu’à présent, pour elle, les hommes n’étaient que des pions sur l’échiquier de son business. Alors, se consacrer à eux…
Mais c’était avant la rencontre avec Marc-Aurèle.
Aujourd’hui beaucoup de choses étaient différentes, elle avait envie de lui plaire, qu’il la regarde avec envie, avec passion et fougue !
Elle ferma les yeux et s’imagina à la place de Mineko, en Geisha, appliquant ces arts divins à son héros qui serait son samouraï pour l’occasion.
Le choc des roues sur la piste la tira de sa rêverie. Peu importe, elle venait de réaliser ce qu’elle voulait. Depuis toute petite elle avait toujours réussi à avoir ce qu’elle désirait et ne voyait aucune raison pour que cela ne cesse.
Jusqu’à présent, il avait été le maître du jeu… Eh bien, aujourd’hui, cela allait changer !
Alors que l’effervescence de l’arrivée gagnait la cabine, Christelle éteignit son iPhone le plus calmement du monde puis se pencha à l’oreille de Mineko. Les deux femmes se regardèrent, échangèrent un sourire complice et quittèrent l’avion dans la cohue générale.
Christelle de Valnor ne prendra pas la sortie VIP.
Christelle de Valnor n’ira pas vers le chauffeur qui l’attendait.
Christelle de Valnor ne montera pas dans la limousine au champagne millésimé.
Christelle de Valnor venait de changer les règles du jeu.
Que va penser Marc ? Que va-t-il faire ? Comment va-t-il réagir ? Elle essayait d’imaginer son visage lorsqu’il réalisera la situation. À la seule évocation de cette idée, elle ressentit ce petit frisson si caractéristique. Il n’y a pas de doute, cela l’excitait terriblement.
Christelle demanda à Mineko de l’héberger, ce que la Japonaise accepta avec un enthousiasme non feint. Les deux femmes rirent de leur nouvelle complicité. Christelle se laissa entraîner dans un autre temps, une autre vie. La Française n’avait pas encore de plan précis, mais sa confiance en elle était inébranlable. Elle ne savait pas trop ce qui l’attendait, mais c’était tout l’intérêt de la vie.
Une sueur froide lui glaça soudainement le dos. Et si Marc-Aurèle ne la retrouvait pas ? Si elle venait de détruire d’un coup toute la magie de cette aventure ? Si…
Fermez les yeux et imaginez : Un japon moderne, high-tech à la pointe de la technologie, quand, au détour d’une rue, vous voici plongé dans un hanamachi (Ville fleur, quartier de Geisha), comme si le temps n’avait pas eu de prise, comme si la modernité s’était arrêtée au bout de la rue. Vous voici à Akasaka le plus réputé des quartiers de Geisha de Tokyo.
Christelle en avait le souffle coupé, non, elle ne rêvait pas. Elle était hors du temps, dans une autre époque qu’elle imaginait révolue. Elle s’accrochait à sa nouvelle amie qui lui souriait pour la rassurer. Son regard bienveillant l’a calma. Il émanait de cette femme un sentiment de plénitude et de sérénité.
Il faut dire qu’elle était intarissable. Tous les deux pas, elle s’arrêtait pour expliquer à Christelle quelque chose, lui montrer ceci ou cela. Mais attention, Mineko ne jouait pas au guide touristique, non. C’était la passion de cette femme pour un univers qui s’exprimait à travers chacun de ses gestes et de ses mots. Une couleur devenait l’expression d’un sentiment, un jardin un monde merveilleux et c’était sans fin. Elle décrivait avec subtilité l’essence même de ses traditions et de son art où tout n’était que suggestion, aussi bien dans le regard que la gestuelle.
Tout emporté par la joie de faire découvrir ce monde de volupté à sa nouvelle amie, Mineko ne pouvait s’empêcher de lui faire une démonstration de danse au beau milieu de la rue. Ses gestes étaient lents, doux et précis. Aucune émotion ne se percevait dans son regard, à peine le bruit de ses pas résonnaient sur les pavés. Christelle était subjuguée par tant de beauté, de grâce et de sensualité.
Ses joues avaient soudainement rosi d’émotion.
*****
Suite 2024, Marriott Hôtel, Tokyo
Je m’affale dans un fauteuil.
Bon sang, réfléchis, Marc-Aurèle, réfléchis.
Je prends mon BlackBerry, le tourne entre mes doigts, le repose, le reprends.
L’appeler ? Lui demander des explications ?
Non, cela n’a pas de sens. Nous avons, non, j’ai lancé ce jeu stupide, stupide, mais terriblement exaltant. Cela ne peut pas finir comme cela.
Il me faut la retrouver.
C’est à ne rien y comprendre.
Elle va me rendre fou.
Mais bon sang, où est-elle passée ? J’en crève de ne pas savoir, je me fais des films, des films d’horreur évidement. Le pire est quand je l’imagine dans les bras d’un bellâtre qui me regarde avec un sourire narquois tout en me faisant un doigt d’honneur.
J’envoie un uppercut contre le mur, suivi d’un grand coup de pied. La douleur me ramène à la réalité. Je tourne en rond dans cette chambre. Comment est-ce possible ? on ne disparaît pas ainsi.
Premièrement, me calmer.
Je me déshabille et me glisse dans la douche. Je laisse couler l’eau glacée sur ma peau. Au fur et à mesure que le froid pénètre mon corps, mon esprit se vide. Quand mes muscles se mettent à frissonner et que mes lèvres deviennent bleues, là, je mets l’eau chaude, très chaude. Je me relaxe, tout occupé à sentir la chaleur diffuser progressivement dans toutes mes chairs.
Douce sensation.
Me voilà calme et détendu.
Je suis perplexe. Je ne me reconnais pas dans cet hystérique. Je suis normalement quelqu’un de posé, d’étonnamment calme, quelqu’un de froid et de calculateur d’après ce que l’on me dit. Qu’est-ce qui me fait bouillir de la sorte ? Il va falloir que j’apprenne à maîtriser mes émotions.
Je passe une serviette autour de la taille et vais me servir une coupe de champagne. Je dois retrouver une certaine… zut j’ai oublié. Je regarde le morceau de papier où j’ai griffonné le nom. Mineko Iwasaki. Comment faire ? Je prends une gorgée de champagne, le laisse pétiller un peu sur ma langue avant de l’avaler et de sentir son arôme envahir ma bouche.
Mon cher Marc, tu te ramollis. C’est pourtant simple. Je prends le téléphone et appelle la réception.
Ce que j’apprécie dans ces palaces c’est que tout le monde se met en quatre pour satisfaire vos moindres désirs. Et c’est ainsi que quarante-cinq minutes plus tard un groom frappait à ma porte pour m’apporter ce que j’avais demandé. C’est aussi simple que cela.
Vingt-huit adresses !
Il y avait vingt-huit Mineko Iwasaki à Tokyo même. Il y aurait pu y en avoir une centaine mon gars, alors courage. Je n’avais pas de temps à perdre. J’enfile un costume léger et me voici parti plein d’entrain. Je confie la liste au chauffeur de taxi et nous voilà en route pour la première adresse.
*****
Durant ce temps, Christelle était à mille lieues de s’imaginer la colère ou le désarroi de Marc-Aurèle. Elle se sentait tout simplement bien.
Mineko et les autres Geishas de l’Okiya étaient aux petits soins pour elle. Elles la lavèrent, la parfumèrent et la massèrent. Elle se sentait transportée dans un havre de paix ou le temps et les turpitudes du monde moderne n’avaient pas de prise. Les femmes riaient et parlaient de leurs vies.
Depuis Vienne, plus rien n’était comme avant. Autrefois, lorsque Christelle se faisait masser, c’était juste relaxant. Aujourd’hui, lorsque les mains des Geishas glissaient sur sa peau, lorsque les poils du pinceau caressaient son visage tout en étalant le fond de teint, tous ces contacts provoquaient en elle ces petits frissons si caractéristiques, petits frissons qui se propageaient dans tout son corps, faisant hérisser ses poils, petits frissons qui faisaient durcir sa poitrine et naître des picotements dans le bas des reins, petits frissons qui humidifiaient son entrejambe.
De petits frissons nommés plaisir.
Elle ressentait une envie soudaine de laisser sa main se glisser dans la moiteur de son intimé. Elle avait adoré se donner du plaisir. Elle avait encore tellement de choses à découvrir concernant son corps et son plaisir. Mais ce n’était ni le lieu ni le moment.
La quiétude et la sensualité de l’instant furent soudainement perturbées par la cloche annonciatrice de l’arrivée d’un visiteur. Personne n’était attendu. Les Geishas se mirent toutes à parler en même temps cherchant l’identité du visiteur ou de la visiteuse. Christelle retenait sa respiration tout en tendant l’oreille. Et si c’était lui ? Rien qu’à cette idée, son excitation se décupla.
L’Okasan vint chercher Mineko, un homme la demandait, un Occidental. Tous les regards se tournent immédiatement vers la Française. La panique envahie Christelle. C’était Marc-Aurèle. Elle n’aurait jamais imaginé qu’il la retrouverait si vite.
Mineko se leva et sortit de la pièce vers l’entrée dans une sorte de parloir spécialement prévue pour recevoir les visiteurs.
Elle ne lui en tint pas rigueur, il ne pouvait pas connaître le protocole. Il entra dans le vif du sujet sans laisser le temps à Mineko de lui proposer un rafraîchissement.
Quelque chose ne tourne pas rond. Elle n’a pas été étonnée que je lui parle d’avion comme l’ont fait les autres. Mon sixième sens, ou plutôt mon sens des affaires me laisse penser qu’elle ne me dit pas tout.
Restant impassible, je n’arrive pas à décrypter son langage corporel, mais elle ment, j’en mettrais ma main à couper.
Vite, réfléchir.
Le vide intersidéral, aucune idée ne surgit, aucune stratégie, rien.
Plus de stratégie avait dit Pauline, laissez parler votre instinct m’avait-elle conseillé.
C’est dans cette parenthèse temporelle qu’un phénomène surprenant se produisit.
Pour la première fois de ma vie, je me mets à parler sans arrière-pensée, sans objectif à atteindre, sans stratagème savamment établi.
Pour la première fois de ma vie, je vais dire ce que je ressens, sincèrement.
Pour la première fois de ma vie, je laisse sortir ce qu’il a au fond de mon cœur, et, qui plus est, à une inconnue.
Je déballe tout, toute l’histoire, toutes mes turpitudes, mes angoisses et mes espoirs.
Mineko souriait intérieurement en l’observant. Tout en l’écoutant, elle repensait à la façon dont Christelle lui avait parlé de cet homme.
Elle n’eut pas le temps d’en dire plus que déjà l’Okasan intervenait pour mettre fin à l’entrevue et rappeler à Mineko ses obligations.
Je me retrouve seul, planté devant cette porte qui venait de se refermer.
Que faire ?
Je n’avais pas le choix.
Attendre.
J’allais devoir attendre trois jours, mais au moins l’espoir renaissait.
*****
À quelques mètres de là, Christelle de Valnor était inquiète. Pourquoi Mineko tardait-elle ? Enfin, la voilà.
Elle relata les faits à la française en oubliant, volontairement, de décrire l’état d’excitation profonde du français. Christelle n’en croyait pas ses oreilles, Marc-Aurèle la cherchait. Se pourrait-il qu’il tienne à elle sincèrement ? Elle voudrait rebrousser chemin, se jeter à corps perdu dans les bras de son héros. Se pourrait-il que ce soit lui l’homme qu’elle a secrètement attendu toute sa vie ?
Christelle était pétrifiée. Elle ne connaissait rien à la cérémonie du thé, et puis, pour être honnête, ce n’était pas du thé qu’elle avait envie de partager avec l’homme au BlackBerry, non, pas du tout. Elle avait plutôt imaginé des retrouvailles torrides.
*****
Trois jours.
Trois jours de dur labeur dans l’Okiya, car toute Geisha qui se respecte doit pratiquer la cérémonie du thé à la perfection. Aucun faux pas n’est toléré, car c’est un art et non une distraction.
La voici en immersion totale dans le monde fabuleux des Geishas. Avec l’aide des autres filles de l’Okiya, Christelle fut initiée à la danse, art nécessaire pour se mouvoir avec grâce. Puis vint l’apprentissage de la cérémonie du thé. Une initiation longue et harassante parfois jusqu’au bout de la nuit.
Elle doutait, serait-elle à la hauteur ?
Christelle ne voulait point décevoir ni Mineko ni les Geishas et l’Okasan qui ont toutes été si prévenantes en lui massant ses pieds endoloris par les heures de danses et en soignant ses doigts brûlés par le thé. Chacune des femmes de l’Okiya a partagé son savoir avec elle. Christelle ressortit grandie par cette expérience hors du commun.
*****
Trois jours.
Les trois jours les plus longs de ma vie.
Trois jours à tourner à rond dans ma chambre, sans envie, vidé de toute substance. J’aurais pu profiter de ce laps de temps pour faire du tourisme, mais non, je suis à sec. Il n’y a plus qu’une seule chose qui m’obsède. Qu’apprendrai-je dans trois jours ? La reverrai-je ou me faudra-t-il partir à la recherche d’un autre indice tel un jeu de piste ?
Enfin le jour J.
Essayer de transformer l’épave que je suis devenu en quelque chose de présentable ne sera pas une mince affaire. C’est que je ne voudrais pas la décevoir. Douche, rasage de près, chemise blanche, costume et deux whiskys plus tard histoire de me donner un peu de contenance et de courage, je suis prêt.
*****
À l’Okiya, chaque Geisha a prêté quelque chose à Christelle afin que celle-ci ait la tenue parfaite. Elle était vêtue d’un kimono de soie violet légèrement décolleté dans le dos, d’une ceinture de soie large noire nouée en tambour, celle d’usage pour les femmes d’âge mûr. Son visage était entièrement fardé de blanc, les sourcils et les contours des yeux soulignés de khôl noir, les joues et les lèvres maquillées de rouge et de rose.
Instant de vérité.
Christelle se regarda dans un miroir et, oui, le miracle c’était produit ! Elle s’était métamorphosée en Geisha.
*****
Je hèle un taxi et me rends fébrile à la maison du thé qu’elle m’avait indiquée. Je suis reçu par Mineko. Son calme contraste avec mon excitation non dissimulée. Elle me demande de la suivre sans mot dire. Elle m’emmène dans une pièce vide.
Vous devrez accepter de vous laisser guider à travers les différentes étapes préparatoires.
Vous ne pouvez en aucun cas converser avec une Geisha.
Vous ne pouvez en aucun cas toucher une Geisha.
Vous vous devez de respecter l’art de la Geisha.
Vous observerez le silence durant tout ce temps.
Je reste sans voix.
Quoi ? Une cérémonie du thé ? Ne pas pouvoir parler ? Mais elle se fout de moi ou quoi ? Je ne suis pas venu participer à une farce ou une mascarade, mais rechercher l’inconnue du train !
Devant mon mutisme, elle m’interpelle.
Que faire. Je bous intérieurement. Trois jours d’inactivité à attendre ce moment comme la délivrance, l’instant où j’allais pouvoir enfin repartir avec elle et voilà qu’elle me propose de prendre un thé !
Putain, elle se fout de moi ! Ou alors je suis dans un monde de cinglés.
Est-ce que je lui déverse ma rage ?
Mes mâchoires restent crispées.
Quel autre choix ai-je ?
Elle s’incline vers moi et s’efface de la pièce à reculons. En sortant, elle fait coulisser le panneau constitué d’un cadre de bois recouvert de papier de riz. Ce type de construction permet de créer des espaces d’intimité sans couloirs ni fenêtres tout en laissant passer la lumière. Très astucieux, ces Japonais, ne pas l’oublier.
Je suis seul.
Et maintenant, je fais quoi ?
Un autre panneau coulisse et laisse entrer deux jeunes filles, à peine la vingtaine d’années. Elles ne portent pas la tenue des Geishas. Peut-être des apprenties. Elles referment derrière, elles et me saluent. Je leur rends leur salutation. Elles font quelques gestes sans mot dire.
Que veulent-elles ? On va jouer aux devinettes longtemps ? OK, on joue au Pictionnary ? Ohé, on est au vingt et unième siècle et on a inventé le langage !
Rien, n’y fait, je devrais me calmer.
OK, je comprends, elles veulent ma veste. Je la leur tends. L’une d’entre elles la plie soigneusement avant de la poser par terre. L’autre me montre ma cravate.
Quoi ?
J’hésite.
Elles semblent y tenir. J’ai accepté les règles, je dois donc m’exécuter.
Je la donne.
Au moment où elle me montre ma chemise, je commence à craindre le pire. Me voici torse nu. Je continue, ma montre, mes chaussures et mes chaussettes suivent le même chemin.
Je suis très gêné. J’ai pourtant maintes fois participé à des strip-pokers sulfureux, mais je n’étais pas le seul à finir en tenue d’Adam. Là, cela me semble mal barré.
J’inspire un grand coup et défais ma ceinture. Mon pantalon va rejoindre le reste de mes habits par terre. Il ne me reste que mon boxer. Je sens une certaine fébrilité chez les jeunes filles malgré l’impassibilité de leur visage.
Je l’enlève et me voici entièrement nu.
Je perçois quelques regards furtifs vers mon sexe que je ne cherche nullement à cacher. Elles s’inclinent, me saluent, et se retirent à leur tour à reculons en emportant mes habits.
Me voici de nouveau seul.
De longues minutes s’écoulent. Je ne sais plus quoi penser. Je suis là, perdu je ne sais où en plein milieu de Tokyo… à poil. J’espère simplement que ce n’est pas une farce.
Le panneau s’ouvre à nouveau, et voilà deux autres jeunes filles qui entrent et qui me saluent. Elles me font signe de les suivre dans la pièce d’à côté.
Au point où j’en suis, je m’exécute.
Cette pièce comporte en son centre un petit tabouret de bois et une grande bassine d’eau. Elles me font asseoir.
La première prend un récipient et me verse de l’eau chaude sur la tête. Elle glisse sur mes épaules puis sur mon torse. Une des filles entreprend de me laver les cheveux.
Rien à voir avec un shampoing, je dirais plutôt qu’elle me masse le cuir chevelu. D’abord avec le bout des doigts, puis avec les ongles, régulièrement, faisant de petits mouvements de va-et-vient avec ses doigts. Je me détends, ferme les yeux. J’en oublie que je suis nu ainsi que leur présence. Je ne ressens plus que l’effet bienfaisant des doigts sur ma tête.
Douce sensation.
Je ne m’en lasse pas.
Étrangement le reste de mon corps semble ressentir un manque. Tout en moi réclame à présent le même traitement. À croire que les filles ont deviné mes pensées, car la seconde commence alors à me mouiller le corps et à le savonner, avec le même rythme, tout en douceur. Elles semblent être à l’unisson tellement leurs mouvements sont coordonnés. Je sens ces mains glisser sur mon corps, commençant par les épaules, puis, progressivement, descendre.
Petit à petit, je me sens pénétré par une sorte de douce chaleur qui se répand de la tête au pied.
Délicieux.
Encore plus fabuleux lorsque cette merveilleuse sensation va réveiller mon sexe, sentir celui-ci se gonfler progressivement, divin moment où il se décolle de mes bourses. J’ai l’impression que toute la douceur procurée par ces mains converge vers mon pénis. Il se dresse inexorablement.
Indescriptible état qu’est le mien.
Elles entreprennent ensuite de me laver les bras en même temps, avec la même cadence. C’est… je ne sais pas comment le décrire. Mon sexe est, quant à lui, déjà collé à mon ventre. Après les bras, les mains, le ventre, le dos, le bassin. L’une d’entre elles s’attache maintenant à couvrir mon sexe de savon tout en le lavant, enfin, ou en le massant, je ne sais.
Elle le décalotte.
Ma respiration s’accélère.
Je sens mes bourses se durcir. Je me concentre, je frissonne. Ensuite vient le tour de mes cuisses. Je suis déboussolé, partagé entre le regret qu’elle n’ait pas été jusqu’à m’emmener à la jouissance finale, mais en même temps soulagé de pouvoir garder le peu de contenance qu’il me reste.
Puis vint le tour de mes jambes et enfin des pieds. Elles s’attardèrent sur chacun de mes orteils.
Divin.
Je sortis de ma torpeur quand elles entreprirent de me rincer. Cela signifiait la fin de ce rituel, à mon plus grand regret. Elles me séchèrent et se retirèrent.
Une autre jeune fille entra et me fit signe de la suivre. La nouvelle pièce contenait juste une table et quelques flacons posés à même le sol. Elle me fit allonger sur le ventre. Mon sexe s’est un peu relâché, mais je le mets quand même tout contre mon ventre en prévision de ce qui arrivera très certainement. Car il est évident que l’étape suivante est celle des massages.
Effectivement, la jeune femme entreprit de me masser de la tête au pied. Mais quand je dis de la tête au pied, ce n’est pas au sens figuré, c’est juste qu’aucun muscle n’a échappé à ses mains expertes. Elle s’est attaché à détendre l’intégralité de mon corps, à éliminer chacune des tensions musculaires qui le sclérosaient, et, magie de la nature, au fur et à mesure de ses attentions, mes angoisses, mes turpitudes et mes peurs s’évanouissaient.
Diablerie des massages qui à la fois délassent votre corps et vident votre esprit. Elle me fait ensuite mettre sur le dos. Mon sexe avait repris une taille normale. Elle se remet à l’œuvre, avec néanmoins une variante. Après être arrivée à mes orteils, après s’être assurée qu’il ne persistait plus la moindre tension, elle reprend ses massages en remontant vers mes jambes. Mais ceux-ci sont différents, son touché a changé et ma réaction ne se fait pas attendre. Elle cherche à m’exciter, c’est sûr. Elle y arrive facilement à vrai dire.
Mon sexe reprend rapidement de la vigueur. Ses mains ne le touchent pas, mais remontent à l’intérieur de mes cuisses, caressant mes bourses, alternant entre effleurements et pressions plus ferme. Elle tire la peau entre ses doigts et la masse. Mon sexe est déjà à la verticale, mais elle ne s’arrête pas là. À chaque fois que ses mains remontent vers moi, ses doigts s’enfoncent un peu plus dans la raie de mes fesses vers mon anus. Son visage est tout prêt de mon sexe, mais je ne sens que son souffle qu’elle utilise comme une main invisible pour titiller mon gland. Je me prends à espérer qu’elle l’attrape avec ses lèvres, qu’elle le gobe avec gourmandise. J’ai envie de lui plaquer sa tête dessus.
Mais j’ai promis, ne pas toucher, ne pas parler.
C’est divinement bon.
Jamais je n’avais eu une telle érection, un tel plaisir sans que ma partenaire ne me touche le sexe. À ce moment-là, je pense que le moindre contact direct avec mon gland aurait provoqué inévitablement plusieurs salves de sperme d’une puissance à la mesure de l’événement. Voyant que j’étais proche du point de non-retour, elle diminue progressivement l’intensité de ses caresses et entreprend de me parfumer.
Enfin, elle se retire à son tour.
Je reste seul avec mes pensées.
L’excitation baisse progressivement. Je reprends lentement mes esprits quand un panneau s’ouvre. Il laisse place à Mineko qui, toujours impassible, s’avance vers moi. Elle me tend un kimono de soie et des sandales. Elle m’aide à me vêtir et à serrer la ceinture. Puis elle me guide vers un autre panneau, l’ouvre et me fait entrer dans un jardin japonais.
Une forêt miniature où chaque arbre, chaque fleur semble avoir été disposé de sorte à créer une harmonie parfaite. Sur un bord, une fontaine déverse un filet d’eau dans un bambou. Lorsque celui-ci est plein, il bascule et laisse s’échapper l’eau tout en émettant un « bang » en rebondissant sur le bord de la fontaine avant de reprendre sa place. Ce bruit lent et plus régulier qu’un métronome donne à ce lieu une sorte d’intemporalité. Mon hôtesse me fait signe de m’asseoir devant une table basse où est minutieusement disposé tout le nécessaire pour exécuter une cérémonie du thé, puis elle se retire.
Me voici seul.
J’inspire.
Je ne suis plus sur terre, pas vraiment au paradis, je suis ailleurs. Tout n’est que quiétude, bien-être, calme, sérénité, en totale contradiction avec le monde extérieur, violent et agressif. Là, seul, face à cette nature parfaitement ordonnée, je comprends enfin.
Je suis arrivé surexcité et envahi par des sentiments confus.
En laissant mes habits, j’ai abandonné le monde extérieur.
En me lavant, elles ont purifié mon corps.
En me massant, elle a détendu mes muscles et vidé mon esprit de tout sentiment parasite pour le rendre disponible.
En m’excitant, elle a mis tous mes sens en éveil, pour que mon corps et mon esprit soient en harmonie et en paix, ouverts et disponibles pour profiter au mieux de ce qui allait suivre.
Elle arrive, enfin, mon inconnue, de l’autre côté du jardin.
Mais c’est elle, sans être aile.
Tout est étrange ici.
À l’extérieur, le maquillage sert à mettre en valeur les charmes de la femme et créer des artifices qui occultent le reste. Ici, il a pour fonction première de faire ressortir l’essentiel sans mensonges.
Pour la première fois, je la vois différemment.
Sa beauté est une beauté « pure », rehaussée par sa blancheur. Tous les traits de son visage sont masqués par le fond de teint et seules ses courbes harmonieuses se dégagent. C’est de cette simplicité et de cet équilibre qu’elle tire sa force, son pouvoir envoûtant. Sa bouche, à la fois fine et charnue, de par sa couleur rouge, contraste totalement avec le blanc originel du visage. Je la vois comme une invitation à la gourmandise, mes lèvres ont envie de venir la goûter comme un fruit mûr à point.
Et ses yeux verts.
Toute l’expression de son visage passe par ses yeux sublimement mis en valeur par ses sourcils parfaitement épilés et surlignés de noir. Je vois dans ce regard une formidable envie de vivre. Ils brillent comme une lueur d’espoir ce qui contraste encore plus avec l’impassibilité du visage qui frôle la résignation.
Son kimono dissimule quasiment l’intégralité de ses formes, ne laissant deviner que le renflement de la poitrine et le cintre de la taille.
Paradoxalement, elle semble se dissimuler sous ce maquillage et ses habits alors qu’elle se montre à moi dans toute sa simplicité et sans faux semblants.
Je suis perdu.
Moi qui suis adepte des mini-jupes, lingeries affriolantes et décolletés plongeants, je suis subjugué par la femme qui se tient devant moi.
Elle s’incline pour me saluer.
Je suis pétrifié.
Je ne peux bouger et lui rendre la pareille.
Je l’observe me présenter tous les ustensiles qu’elle va utiliser. Le silence est total, rythmé par le bruit de la fontaine. Elle les prend un à un et commence à les purifier avec un linge blanc.
Je réalise soudain qu’elle a dû travailler dur ces trois jours durant pour pouvoir m’offrir cette cérémonie.
Je l’observe.
Quelle maîtrise !
Ses gestes sont précis, aucun tremblement.
Elle met l’eau à chauffer.
Elle pose tout et plante ses yeux dans les miens.
Je suis infiniment troublé.
J’ai déjà croisé et soutenu son regard dans le train, mais c’était uniquement par défi, histoire de montrer que j’étais l’homme, le mâle alpha, le dominant. Ici, je suis décontenancé. Ses yeux pétillent de vie. Elle semble me dire : regarde ce que je suis capable de faire pour toi. Je veux être celle qui t’apportera la sérénité et la plénitude, à toi, qui es capable de remuer ciel et terre pour moi.
Je suis terrassé, abasourdi.
À ses yeux j’ai envie de me montrer tel que je suis, de laisser tomber ma carapace de chevalier des temps modernes. J’ai envie de lui avouer mes faiblesses, de la protéger, de la voir sourire.
Elle prend l’eau, la verse délicatement dans un récipient dans lequel elle a préalablement déposé les feuilles de thé.
L’eau frémit.
Elle mélange le tout avec un fouet de bambou qu’elle tourne avec des gestes précis et réguliers. Il se forme petit à petit une mousse uniforme à la surface. Elle attend que l’infusion soit parfaite puis verse le breuvage ainsi préparé dans un bol aux formes épurées. Elle en essuie délicatement le bord avec un linge propre et le tourne trois fois, dévoile légèrement son poignet et me le tend en prenant soin de ne pas croiser mon regard.
Lorsqu’elle relève délicatement sa manche, je suis subjugué. Cela peut paraître tout à fait ridicule, mais de la voir dévoiler ainsi quelques centimètres de sa peau alors que tout son corps est dissimulé par son kimono et par son maquillage produit sur moi le même effet que lorsque j’ai entendu pour la première fois l’enregistrement de son orgasme.
Je prends le bol et le porte délicatement à mes lèvres. Je me dois de garder à ce moment toute la solennité de l’instant. Elle a mis beaucoup d’énergie pour arriver à un tel niveau de maîtrise, je me fais un devoir d’être à la hauteur.
Je bois.
Le liquide s’écoule en moi.
Je profite pleinement de l’instant.
En acceptant et en buvant ce bol de thé qu’elle a préparé uniquement pour moi, je réalise que nous venons de passer un pacte tous les deux.
Tout devient clair pour moi.
J’en suis sûr.
J’ai enfin compris ce que je fais ici et ce que j’attends de la vie.
*****
À la fin de cette cérémonie des plus troublantes, Christelle se retire sans mot dire comme elle était entrée. Mineko fait alors son apparition et me fait signe de la suivre.
Je m’exécute et me retrouve dans une salle avec mes habits et me rhabille, aucunement gêné par sa présence. Une fois ma cravate réajustée, je réalise soudain que je ne suis pas à l’aise. Je me sens engoncé dans ce costume qui m’apparaît pour la première fois comme un carcan, une sorte de déguisement représentant mon statut social sans me permettre d’être qui je suis réellement.
*****
Quelques minutes plus tard, me revoici dans la cohue tokyoïte. Le choc est d’une rare violence tellement le contraste avec cette maison de thé est gigantesque. C’est un lieu hors du temps, loin de toutes les préoccupations de notre monde sous perpétuelle pression. C’est cela qui m’a permis de me recentrer sur l’essentiel, mon moi, mes émotions et mes envies.
C’est pendant que ce thé chaud s’écoulait dans mon corps que l’idée a jailli dans mon esprit.
Aussi, je n’ai plus de temps à perdre, il va me falloir quelques jours pour tout préparer.
*****
Une semaine plus tard, Christelle de Valnor, vêtue d’une simple robe printanière et d’un chapeau sortait de l’Okiya. La séparation avec Mineko, l’Okasan, ainsi qu’avec toutes les Geishas fut douloureuse. C’est Mineko qui, essuyant une larme au coin de l’œil de la Française, eut le mot de la fin.
Le taxi l’attendait. Le chauffeur chargea l’unique sac de sport de sa passagère et lui ouvrit la portière.
Une petite heure plus tard, la voiture arriva.
Et elle le vit, Marc-Aurèle, simplement vêtu d’un bermuda et d’un tee-shirt.
Il était rayonnant, un immense sourire illuminant son visage. Elle régla la course, descendit du taxi et récupéra son sac.
Marc lui tendit la main qu’elle saisit avec un bonheur non dissimulé.
Pour la première fois, Christelle de Valnor et Marc-Aurèle se touchèrent… et ce fut un déferlement de sensations et d’émotions. Ils s’arrêtèrent net, se tournèrent instinctivement l’un vers l’autre, leurs regards embarrassés témoignant de l’affolement de leurs sens. Marc leva alors la main de l’inconnue du train et y déposa un baiser délicat qui l’électrisa.
Il l’a fixa droit dans les yeux.
Christelle marqua une brève hésitation avant qu’une étincelle dans son regard lui signifiât qu’elle venait de comprendre.
Toujours main dans la main, ils se regardèrent une nouvelle fois, et, de concert, jetèrent leurs smartphones à l’eau.
Les doigts toujours enlacés, il lui fit franchir la passerelle pour accéder au pont.
FIN