Un homme trop parfait...
- — Allô ? Caro ? Salut… Tu vas ? Dis-moi, c’est quoi ce sketch que tu nous as fait hier soir ?
- — Quel sketch ?
- — Ben, avec Marc cette bonne blague. Et j’te frotte, et la main aux fesses, et des murmures à l’oreille et toi qui te marres comme une folle…
- — J’ai le droit de m’amuser, non ?
- — T’amuser, t’amuser, mais ça n’amuse personne, ma chérie. J’te jure, tout le monde était effaré et ton mec était tout triste…
- — Eh oui ! Caroline existe, même sans Jérôme.
- — Mais t’es conne ou quoi ? T’as le mec le plus beau, le plus sympa, le plus intelligent, le plus gentil, le plus sexy et tu le fais chier ? T’es tombée sur la tête ?
- — Oh oui, ô combien. Le plus beau, le plus sympa, le plus intelligent, le meilleur père qui soit, le meilleur gendre, le meilleur fils, le meilleur de sa boîte, le mieux payé, le meilleur en sport, incollable sur tous les sujets, celui qui ne fait pas chier avec le foot, les bières, les pizzas et les copains bruyants. Tout, tout, tout. Oui, il est tout ça, Jérôme, c’est vrai, je le sais, je le reconnais, et j’en ai ma claque ! Là ! Si tu savais comme c’est pénible de vivre avec Monsieur Parfait !
- — Hou-là-là ! La voilà qui fait sa crise. Ça, ça cache quelque chose. C’est au lit qu’il est pas top ?
- — Au lit ? Ma pauvre fille si tu savais… Tu te réveilles le matin rincée-moulue et la première chose que tu demandes c’est : mais vous étiez combien ? Et lui il arrive cravaté, frais et dispo, son ineffable sourire aux lèvres, avec des croissants sortant du four, un bon café et en prime une rose sur le plateau. Tu y crois, toi ? Eh ben, c’est ça, Jérôme…
- — Putain et tu te plains ? Mais y a trois milliards et demi de femmes qui t’envient sur Terre.
- — Eh bien justement ça tombe bien. Jérôme, je vous le laisse. J’ai envie, moi, de gueuler sur un mec qui pète et qui laisse traîner ses chaussettes sales ! j’ai envie qu’il ait la trouille quand je sors maquillée comme une voiture volée ! j’ai envie d’un mec à câliner, à soigner, à réconforter, à rassurer… d’un mec ordinaire, quoi. Un mec qui soit pas brillant comme le soleil au point qu’on ne voit pas ce qui est à côté. Un mec normal avec qui j’existe. Tu comprends ça ou pas ?
- — Franchement ? Non… Pour nous, vous avez toujours été Jérôme et Caroline, le couple idéal, deux perfections qui se sont bien trouvées.
- — Tu vois, rien que quand tu dis ça, ça me hérisse. Pourquoi personne ne dit Caroline et Jérôme ? Hein ? Jamais… Même la bienséance ou la politesse voudraient qu’on place la femme en premier, eh ben non. Ouais elle est pas si mal, mais lui… il est tellement mieux, tellement tout. Merde à la fin, j’en peux plus !.
- — Mais attends, vous en avez parlé au moins ? Tu lui as dit tout ça ?
- — Tu rigoles ? Que veux-tu que je lui reproche ? D’être trop bien pour moi ? Et puis de toute façon, il manie tellement bien les mots et les idées que ce serait pour me faire embobiner encore une fois. Non, c’est marre. Je fais mes valoches et je le plaque. Il aura au moins un échec dans sa vie trop parfaite !
- — Tu dis que le champ est libre, alors. J’peux tenter ma chance, tu m’en voudras pas ?
- — Ha-ha ! Allez-y, battez-vous ! Même ma mère est candidate, elle qui dit à chaque fois qu’elle le voit « Ah ! Si j’avais quinze ans de moins… ! Allez salut, et bonne chance !
Ben ça… Caro qui plaque Jérôme, c’est un scoop. Le mobile de Géraldine chauffe le reste de la matinée et en un clin d’œil, toutes les bonnes copines sont au courant. De copines en copains, de copains en potes, à midi, pratiquement toute la ville, du moins dans ce microcosme, sait l’impensable. Tout le monde sauf… l’intéressé lui-même. Dans sa brasserie habituelle, les conversations baissent d’un ton à son entrée, quand il fait un tour d’horizon, les nez piquent dans les assiettes, et il se retrouve entre une vieille dame et un gros VRP inconnu, en tête à tête avec sa choucroute. Étonnant pour lui qui a habituellement « sa cour ! » En revenant au bureau, sa secrétaire trottine vers lui sur ses talons gigantesques, cul et poitrine moulés dans une jupe ultra courte et un chemisier semi-transparent :
- — Monsieur Jérôme, votre dame a laissé un message. Il faudrait que vous alliez chercher Stéphanie à son cours de danse à dix-huit heures précises.
- — Ah ? Merci Marie-Claude. Ça ne m’arrange pas du tout, j’ai le dossier Dupont à plier avant ce soir…
- — Si je peux faire quelque chose pour vous, surtout n’hésitez pas… quoi que ce soit, ajoute-t-elle d’un ton de profonde soumission qui ne lui est pas coutumier.
- — Non, ça va aller… ou plutôt si. Il y a des réunions prévues cet après-midi ?
- — Pas que je sache.
- — Alors, photocopiez-moi tous les éléments du dossier Dupont et disposez-les dans l’ordre calendaire sur la table de réunion, s’il vous plaît. Je gagnerai du temps. Merci. Et rappelez-moi l’heure à moins le quart.
Il bosse avec acharnement, espérant boucler à temps. Quand il entre dans la salle de réunion, sa secrétaire est en train de terminer de classer les documents sur la grande table, se penchant en avant pour atteindre la seconde rangée, une jambe levée vers l’arrière, ce qui a pour effet immanquable de remonter la jupe minimaliste et d’exposer la dentelle de sa culotte. L’esprit dans le dossier, il remarque à peine qu’elle a fait le tour de la table pour se placer face à lui, qu’un bouton du chemisier a été « involontairement » défait, et qu’elle affiche ainsi la même dentelle soutenant sa généreuse poitrine. Alors elle insiste, puisqu’ils sont seuls.
- — Vous savez, je ne parlais pas à la légère tout à l’heure. Vous pouvez me demander tout ce que vous voulez, je dis bien tout. Si vous voulez que j’aille chercher Stéphanie…
- — Vous êtes adorable, Marie-Claude. Mais ce n’est pas possible, ils ne vous la confieraient pas. Vous savez bien : sécurité, sécurité. C’est sa mère ou moi. Un jour, ils ont même refusé de la confier à ses grands-parents, il a fallu que je téléphone…
- — Mais surtout, n’hésitez pas, à toute heure du jour et de la nuit, je suis à votre disposition…
« Elle est bizarre, qu’est-ce qu’il lui prend, pense Jérôme. Elle vient d’avaler un flacon de ginseng ou quoi ? »
Ce qu’il ignore, c’est que l’info top confidentielle « Jérôme de retour sur le marché ! » était déjà parvenue dans sa boîte, ce qui avait allumé l’incendie dans le bas-ventre de sa secrétaire. Il se concentre rapidement et pioche une à une les pages qu’il souhaite utiliser, les insère dans celles qu’il venait de taper, et le document est prêt à être relié quand Marie-Claude revient annoncer qu’il est moins le quart.
- — Vous m’en faites deux photocopies et vous reliez les trois exemplaires. Merci, je file…
La mauvaise heure, les embouteillages, donc détours et petites rues. Un livreur, mais qu’est-ce qu’un livreur fout là à cette heure ? En retard de cinq minutes.
- — Ah, enfin ! Vous êtes en retard.
- — Je sais, Madame, pourtant je suis parti à temps, mais la circulation…
- — Preuve que vous n’êtes donc pas parti à temps, il faut tenir compte de cet élément. C’est comme en danse, le tempo est primordial, n’est-ce pas Stéphanie.
- — Oui, Madame.
Putain, comment peut-on faire aimer la danse aux gosses avec une vieille bourrique comme celle-là ?
Ils rentrent à la maison dans le même merdier circulatoire. Merci, Caroline et compassion pour tous les autres mercredis. La petite monte dans sa chambre.
- — Maman n’est pas là ?
- — Eh non, ma puce, sinon c’est elle qui serait allée te chercher…
- — Elle est où ?
- — Je ne sais pas.
Ils sont cons les adultes, ils te disent ce que tu sais déjà et ne te disent pas ce que tu veux savoir !
Ah ! Une enveloppe marquée « Jérôme » sur le comptoir de la cuisine. Jérôme pâlit, s’assoit.
Jérôme,
J’ai beau chercher, je n’ai rien à te reprocher. Tu es et tu as toujours été tout simplement parfait. Aussi, tout le monde pense que je devrais être la plus heureuse des femmes, peut-être le penses-tu également.
Eh bien non. À force de perfection, tu m’es devenu insupportable. Difficile à comprendre ? Regarde autour de toi. Les couples ne cessent de s’engueuler, de se déchirer, puis de se retrouver et de rebondir. Je crois que s’aimer c’est ça aussi. Mais avec toi, jamais la moindre petite ombre, jamais un mot plus haut que l’autre, jamais une date ou un événement oublié, et toujours ton ineffable sourire qui finit par devenir insupportable…
Auprès de toi, je ne suis rien. Je me sens transparente, invisible. Tu fais tout, tu penses à tout, tu gères tout, je n’avais qu’à me laisser vivre au point de me sentir totalement inutile, jusqu’à me croire inexistante. Mais je veux vivre moi, aimer, souffrir, m’engueuler, faire des choses, mal peut-être, mais les faire, en décider, tout ce qui fait qu’un être humain peut s’accomplir.
C’est pourquoi j’ai choisi d’arrêter là la comédie de la femme idéale du couple idéal. Je pars, définitivement, avec toute la maladresse et la goujaterie que représente cette lettre. Mais une discussion avec toi aurait, comme toujours, tourné à ton avantage et je n’ai pas envie de faire un autre tour de ton manège trop beau pour moi.
Je t’abandonne Stéphanie et, crois-moi, j’en ai les tripes arrachées. Mais je sais que, comme toujours, tu trouveras les mots pour lui expliquer la situation sans t’énerver. Je veux que son environnement, la grande maison, le jardin, et son mode de vie soient préservés. Avec mon petit salaire de prof, je n’ai pu louer qu’un petit appartement. Mais je la prendrai un week-end sur deux et la moitié des vacances, comme dira sans doute le juge. À ce propos, un consentement mutuel serait plus rapide et moins onéreux. Mais si tu en décides autrement, j’assumerais toute la responsabilité de cette séparation. Aujourd’hui était un mercredi exceptionnel puisque je déménageais, mais pour les suivants je continuerai de l’emmener à la danse, et ailleurs s’il le faut, elle en décidera.
Me comprendre te sera sûrement difficile, mais tant pis. J’ai mûri cette décision pendant des mois, des mois pendant lesquels je nous ai regardés vivre. Elle est devenue irrévocable. Pourtant, il m’est difficile de t’en vouloir, autant que de continuer à faire semblant de t’aimer.
Caro
Les gaulois avaient peur que le ciel ne leur tombe sur la tête, c’est pourtant ce qui vient d’arriver à Jérôme. Groggy comme un boxeur au tapis, il se fait un rapide protocole-commotion :
Je suis toujours vivant, je respire, mon cœur bat, j’entends la télé dans la chambre de Steph, tout va bien. Bordel, qu’est-ce qu’il lui prend ? D’abord, whisky triple dose… Ouf ! C’est raide, mais ça fait du bien. Et soudain, tout s’éclaire : la solitude de midi à la brasserie, le comportement de Marie-Claude… en fait, tout le monde savait, sauf moi, comme toujours.
Il bondit à l’étage quatre à quatre, oui, l’armoire est vide, la moitié du dressing, les tiroirs de la commode, les bijoux ; la chose a été préparée de longue date, jusqu’à cette attitude inhabituelle la veille avec Marc… Marc ? Non, pas possible qu’elle soit partie avec lui. Tiens, il était tellement saoul qu’il a oublié son écharpe sur le portemanteau de l’entrée, une bonne raison pour l’appeler :
- — Ah oui ? Désolé… j’étais un peu… perturbé hier soir. Ce n’est pas grave, je la reprendrai un de ces jours. Mes amitiés à ton épouse.
- — Je n’y manquerai pas.
Non, ce n’est pas le genre d’avoir ce type de cynisme. Il ne doit même pas être au courant. Il fouille partout, les tiroirs du bureau, de la cuisine et finit par trouver ce qu’il cherchait, un paquet de clopes entamé qui sert parfois à dépanner les copains. Il en allume une et sort sur la terrasse. Des années qu’il n’a pas ressenti les effets de la nicotine imprégner ses poumons et embrumer son cerveau. Un acte ridicule, une bien piètre bouée de sauvetage.
- — Tu fumes, papa, demanda une petite voix derrière lui ?
- — Eh oui, tu vois… ce n’est pas bien, n’est-ce pas ?
- — Je sais pas. Je peux essayer ?
- — Beuh… non ! Ce n’est pas pour les enfants.
- — Ben nous, à l’école, quand il fait froid des fois on fume avec la bouche. Alors on prend des crayons et on fait comme si on fumait pour de vrai…
- — Ha-ha, rit-il attendri par cette réflexion d’innocence et d’insouciance.
- — Elle revient quand, maman ? Parce que j’ai faim, moi.
- — Oui, je vais préparer le dîner.
- — Chouette ! Moi je vais mettre le couvert.
- — D’accord. Ne mets que deux assiettes, maman mangera quand elle rentrera.
Petite lâcheté, il n’a pas, pas encore, le courage de lui expliquer que maman ne rentrera plus. Il préfère faire comme parfois, quand elle a des réunions ou des conseils de classe. Comment trouver les mots pour briser cette innocence sans briser sa vie ? De quel droit la reléguer, elle aussi, au rang des trop nombreux enfants de divorcés, partagés, tiraillés entre l’un et l’autre des parents, avec un beau-père, une belle-mère, souvent aussi des demi-frères et sœurs ? Démolir son monde et ses certitudes, ses repères, est-ce une façon de l’aider à se construire, hein Madame l’enseignante ? Les yeux lui piquent, et ce n’est pas d’éplucher l’oignon qu’il va mettre dans l’omelette avec des champignons et des lardons, tout ce qu’il a trouvé comme inspiration ce soir. Elle a faim et mange de bon appétit, il chipote distraitement. Elle raconte sa journée chez sa nounou, avec d’autres enfants. Oh là là ! Mais oui, comment va-t-il faire demain matin ? C’est Caro qui s’occupait de ça… Pas difficile, il faudra la lever, la préparer et l’emmener chez la nounou qui l’emmènera ensuite à l’école. Pas de réel changement d’heure pour elle, juste dix, non quinze, oh non trente minutes de sommeil en moins pour lui. Il faut la faire déjeuner… Pourvu qu’elle ne traîne pas trop. D’habitude il préparait bien le déjeuner de Caro, ça ne changera guère.
- — Tu prends quoi le matin au petit déjeuner ?
- — Ben, du chocolat et des tartines !
- — Des tartines avec du beurre et de la confiture ?
- — Oui. De la confiture de cerises.
Il cherche la confiture dans les placards. Abricots, prunes, myrtilles, gelée de groseilles, miel…
- — Je suis désolé, mais je ne trouve pas de confiture de cerises, et il est trop tard pour aller en acheter…
- — Ben évidemment ! C’est chez Nounou que j’en mange.
- — Ah, c’est chez elle que tu prends le petit-déjeuner ?
- — Ben oui. J’ai bien le temps avant d’aller à l’école, c’est qu’à neuf heures.
Et en plus elle le prend pour un abruti ! Ah les enfants et leurs petites habitudes… Une évidence pour eux, un monde inconnu pour d’autres. De par son métier, il est vrai que Caro s’occupait beaucoup de Steph. Et il y aurait toutes les vacances scolaires, ces innombrables périodes de l’année où enfants et enseignants ne travaillent pas. Sa mère en prendra la moitié, mais le reste ? Il travaille quarante-sept semaines par an, lui, pas trente-six ! Et plus de quarante heures par semaine, pas dix-huit… Genre mille deux cents heures d’écart, un détail ! Une jeune fille au pair, seule solution. Mais d’abord il faut qu’il se fasse expliquer ces fichues bandes de couleurs sur le calendrier, avec ces zones différentes, c’est à n’y rien comprendre. Tout ça pour faire plaisir aux métiers du tourisme sans se préoccuper des gosses ni des parents. Plus les contraintes semblent s’accumuler à l’horizon et plus le moral de Jérôme remonte. C’est un battant, il est face à un défi, il aime ça. Cette pensée exaltante lui permet de s’endormir vers minuit, réveil calé sur six heures.
Stéphanie est déposée à l’heure chez la nounou, propre et correctement vêtue, sans oublier sac et goûter, et il remonte dans sa grosse BMW avec une grande inspiration, prêt à affronter les regards en coin de sa boîte. Sûr de lui et de sa position, il mène une journée tambour battant, sans omettre d’envoyer une demi-douzaine de mails à différents organismes procurant des employées au pair. Le soir même, il a déjà quelques réponses, divers C. V. En provenance d’étudiants de toute l’Europe. De retour chez lui, il stocke les CV pour les examiner à tête reposée pendant le week-end qui s’annonce chargé. Il va devoir expliquer à sa fille le départ d’une maman qu’elle réclame encore aujourd’hui.
- — Ma chérie, écoute bien papa et arrête-moi si tu ne comprends pas. D’accord ?
- — D’accord papa.
- — Tu sais, les grandes personnes sont un peu… compliquées. Un monsieur rencontre une dame, ou une dame rencontre un monsieur, et ils se disent : Oh ! Cette personne-là me plaît bien, j’aimerais bien vivre avec elle. ! Alors ils se marient et, comme ils s’aiment très fort, ils ont des enfants. Tu me suis toujours ?
- — Oui, oui.
- — Et puis un jour, avec le temps, l’habitude, peut-être qu’on s’aime un peu moins fort, il y a des choses qui agacent, qui fatiguent… Bref, ils n’ont plus envie de rester ensemble.
- — Ouais, ils divorcent, quoi. J’en ai parlé avec ma copine Karine. Ses parents ont divorcé. Et elle m’a dit que si maman n’était plus à la maison, c’est que vous avez divorcé.
- — Ha ha ! Non, du moins pas encore, il faut beaucoup de temps pour divorcer. Mais c’est un peu ça tout de même. Maman est partie, elle n’est pas en stage et elle ne reviendra pas vivre avec nous. Et ce n’est pas de ta faute, juste de la mienne et un peu de la sienne. Elle ne se sentait plus très bien ici, elle pensait ne plus avoir sa place. Mais elle t’aime toujours autant, tu sais, et c’est et ce sera toujours ta maman.
- — Ben oui. J’ai bien vu qu’il y avait plus ses affaires dans la salle de bain. Mais elle est où ?
- — Dans un appartement, quelque part en ville.
- — Toute seule ?
- — Je ne sais pas, je le crois.
- — Elle est pas partie chez un autre monsieur ?
- — Je ne crois pas, mais je t’avoue que je n’en sais rien.
- — Et toi ? Tu vas chercher une autre madame ?
- — Non. D’abord, comme je te l’ai dit, parce qu’il faudra longtemps pour divorcer. Et puis parce que une dame comme ta maman… ce n’est… ce n’est pas facile de la remplacer…
- — Ne pleure pas, mon papa chéri…
- — Non, excuse-moi, c’est fini. Voilà. Tu sais ce que l’on va faire ? On va aller acheter un téléphone portable, pour toi et rien que pour toi. Et on mettra dedans le numéro de maman et le numéro de papa, d’accord ?
- — Oh oui ! Chouette !
- — Oui, mais tu ne l’emporteras pas à l’école pour le montrer à tes copines. C’est juste pour pouvoir appeler maman quand maman te manquera et appeler papa quand tu seras chez maman.
- — Ah ouais, d’accord.
- — Parce que tu vas faire maintenant comme ta copine Karine, je suppose : un week-end chez maman et un week-end chez papa.
- — Eh ben voui, et pis la moitié des vacances…
- — Oui chérie. Sauf que… papa travaille presque tout le temps. Alors je vais essayer de trouver une solution pour les vacances. Une semaine à Noël c’est bon, un mois l’été aussi, mais il y a Toussaint, février, Pâques, et là je ne pourrais pas arrêter de travailler pour être avec toi.
- — J’irai chez Nounou !
- — Non plus, parce qu’elle aussi elle prend des vacances à ce moment-là. Je vais essayer de trouver quelqu’un qui nous plaise à tous les deux. D’accord ?
- — D’accord. On y va ?
- — Où ça ?
- — Chercher mon portable. Tu me laisseras le choisir, dis ?
Bon, ça, c’était fait. Sans larmes, sans fracas. Les problèmes sont plus profonds, plus cachés et apparaîtront avec le temps. Le portable est acheté, elle appelle sa mère qui, du coup, vient tout de suite la chercher. Pourquoi pas, c’est compréhensible : culpabilité, déchirure et tutti quanti. Elle la posera le lundi matin directement chez la nourrice. Bien, le week-end pour éplucher les candidatures d’étudiants au pair. Plutôt femmes, parce que Steph est une petite fille, inutile d’ajouter un souci d’éventuelle pédophilie, on en parle suffisamment comme ça. Pas de gens voulant apprendre le français, et qui donc ne le parlent pas encore, il faut que la petite comprenne et soit comprise. Uniquement des étudiantes souhaitant perfectionner leur français « littéraire » ou scolaire. Trois C. V. Ressortent du lot : une Portugaise, une Ivoirienne et une Danoise. Tiens, l’Ivoirienne et la Portugaise sont déjà en France, peut-être à la fin d’autres contrats. Jérôme rédige les réponses et les envoie par mail. La Portugaise appelle moins d’une heure plus tard, elle est disponible de suite et débarque lundi. Rendez-vous est pris pour dix-huit heures.
L’expérience avec elle ne dure qu’un mois et demi, le temps que Jérôme reçoive sa note de téléphone. Car elle lui disait chaque soir « yé fait lé ménache », mais elle avait passé la journée au téléphone avec les copains et copines au Portugal. Ciao ! L’Ivoirienne ne reste qu’une semaine, parce que la directrice de l’école téléphone chaque jour, car Stéphanie arrive en retard. Elle avait une notion très approximative de l’heure et était d’une lenteur affligeante. Reste la Danoise, appel au Danemark, la réponse est incompréhensible, mais il entend hurler « Anna, Anna !», ce qui est bon signe. Puis il y a quelques sons de cloches et des meuglements. Non, pas une vache, s’il vous plaît ! Puis enfin :
- — Hej ?
- — Allô ? Bonjour. Parlez-vous français ?
- — Oh oui, pardonnez-moi. J’étais à la traite et je ne savais pas que l’on m’appelait de France. Bonsoir Monsieur.
- — En effet, vous parlez un français impeccable et pratiquement sans accent.
- — Merci beaucoup. C’est la moindre des choses quand on veut devenir interprète au Palais de l’Europe. Cependant, j’ai encore beaucoup à apprendre concernant les expressions et les tournures de phrases, tous ces détails qui font la qualité de la traduction, surtout de la traduction simultanée.
- — Eh bien dites, je voudrais bien parler le danois comme vous le français, même sans les expressions. Je vous appelle donc pour cet emploi de jeune fille au pair. Êtes-vous toujours disponible ?
- — Oui, absolument. J’ai eu des propositions, mais je ne souhaite pas faire une garderie de cinq ou six enfants, ni avoir en responsabilité des adolescents difficiles de quinze ou seize ans. Vous comprenez ?
- — Tout à fait. Et une petite fille de cinq ans, tout ce qu’il y a de plus normale, mignonne et bien élevée, cela vous conviendrait-il ?
- — Ce serait le rêve ! Et comment s’appelle cette petite poupée ?
- — Stéphanie. Vous serez logée, nourrie et vous recevrez l’indemnité demandée.
- — Très bien. Je vous demanderais juste une faveur : pouvoir regarder la télévision, car j’apprends beaucoup en regardant les talk-shows.
- — Mais il y a même un téléviseur dans votre chambre. Et moi je vous demanderais de ne pas appeler le Danemark tous les jours à mes frais.
- — Oh, Monsieur, je n’oserais jamais, j’ai mon portable. Quand devrai-je commencer ?
- — Le plus tôt possible, le temps pour vous de faire le voyage, bien sûr.
- — Rassurez-vous, Monsieur, je ne viens pas à pied. Attendez une petite minute, je regarde les vols… Oui, c’est bien cela. J’ai un vol pour Orly qui arrive demain soir à dix-neuf heures douze, je peux le prendre.
- — Eh bien nous viendrons vous chercher à Orly avec Stéphanie. J’ai la photo de votre CV, j’essayerai de vous reconnaître, et de votre côté, un papa avec une petite fille…
- — Très bien, je suis très contente. À demain.
Ils ne pouvaient pas la rater à la descente de l’avion. Grande et athlétique, blonde platine naturelle avec une queue de cheval, les yeux d’un bleu pâle vers le centre et tirant sur le foncé à l’extérieur, le regard vif et l’allure décontractée, la danoise type des dépliants touristiques. Elle a un regard circulaire et les repère immédiatement.
- — Bonjour, je suis Anna. Et voici Stéphanie, je suppose. Bonjour. Bonsoir Monsieur.
- — Bonsoir Anna. Tu dis bonsoir ?
- — Bonsoir Mademoiselle.
- — C’est vrai que tu es bien élevée. Vous m’attendez un instant, je vais récupérer mes bagages de soute.
- — Vous voulez un coup de main ?
- — Pensez-vous, je suis suffisamment solide. Merci.
- — Nous nous proposions de dîner au restaurant de l’aéroport. Cela vous convient-il ?
- — Tout à fait. À tout de suite.
Elle part d’un pas rapide, allongeant un compas de jambes impressionnant. Les jambes sont en effet longues, mais musclées, servies par une paire de hanches bien galbées et un postérieur charnu. Les mouvements suggèrent une taille assez fine, mais des épaules de déménageur. Une impression de confiance naturelle se dégage de cette fille à l’apparence saine et décontractée. C’est peut-être enfin le bon numéro.
- — Je vous prie de bien vouloir m’excuser, je ne suis pas vêtue pour aller au restaurant.
- — Ne vous inquiétez pas, vous êtes très bien ainsi. Ce n’est pas un restaurant de luxe, plutôt un établissement de passage.
- — Tout de même. Et puis… j’ai encore fait une traite ce matin, ça soulage un peu ma mère, donné quelques autres coups de main jusqu’à midi. Je me suis douchée, j’ai fait mes valises et mon père m’a conduite à l’aéroport. C’est dans l’avion que j’ai constaté que… je n’avais pas eu le temps de faire mes ongles. Je… ne sais plus… comment vous dites ? Mon chat est mort, non ?
- — Ha-ha ! « Je suis en deuil de mon chat ! »
- — Oui, voilà ! C’est exactement cela que je suis venue chercher en proposant ma candidature. Toutes ces expressions populaires truculentes qui permettent de bien comprendre et de bien traduire une langue.
- — Et il est vrai qu’en français nous en avons beaucoup, et en plus avec des variations régionales.
- — Oui, c’est une langue très riche et tellement différente des langues anglo-saxonnes. C’est pareil pour le vin et les fromages. Vous avez de la chance de vivre dans ce pays que j’adore, et j’ai beaucoup de chance de pouvoir y passer une année avec vous.
- — Vous parlez donc le français et le danois, d’autres langues également, je suppose ?
- — Oui, l’anglais et l’allemand presque aussi bien que ma langue maternelle. Maintenant, le russe ce n’est pas mal, j’ai passé un an aussi à Saint-Pétersbourg. J’ai encore un peu de difficultés avec l’italien et l’espagnol. Ce sont aussi des langues latines, comme le français.
- — Mais les traducteurs du Conseil de l’Europe sont bien spécialisés dans certaines langues ?
- — Oui bien sûr. Mais si un intervenant vient à être coupé par le membre d’un autre pays, il n’y a pas toujours le bon interprète disponible. Il faut pouvoir réagir et donner au moins le sens général de la coupure pour que la traduction reste cohérente. C’est très exigeant et le recrutement est très difficile.
- — C’est bien payé, j’espère ?
- — Oh oui, très bien. D’autant que l’on est souvent amené à traduire des choses confidentielles dans des commissions non publiques. Et en fait, on achète un peu notre silence. Il y a un salaire de base qui correspond à la qualification exigée, trois à quatre mille euros, mais énormément d’avantages et d’indemnités, comme le déménagement et le « dépaysement », l’assurance sociale, la retraite et de très nombreuses primes. Quand une session se prolonge tard dans la nuit, ce qui est fréquent, on est payé double à partir d’une certaine heure et en plus on récupère ce temps. Beaucoup sont plus près de dix mille euros en comptant tout.
- — Et vous seriez basée à Strasbourg ou à Bruxelles ?
- — Les deux, j’espère.
- — Je vous souhaite d’être recrutée, car je vous sens passionnée par les langues et ce métier.
- — C’est vrai. Être au cœur de l’Europe et de ses décisions, je trouve cela fascinant.
- — Bien. Alors, Mademoiselle Stéphanie a-t-elle choisi ?
Le premier mois se déroule sans la moindre anicroche. Steph semble ravie, toujours très propre et bien tenue, et voue une grande admiration pour sa nouvelle complice. Jérôme rémunère assez généreusement Anna en lui faisant ses compliments, mais celle-ci a des choses à lui demander :
- — Merci pour tout Monsieur. Je suis vraiment chez vous comme notre reine Margrethe. Je voudrais juste vous demander où je pourrais louer une bicyclette, car je viens d’un pays où l’on en fait beaucoup.
- — Inutile d’en louer une, il y en a au garage, nous irons voir si cela vous convient.
- — Formidable ! Et je voulais vous dire aussi, si vous m’autorisez une remarque…
- — Faites, je vous en prie ?
- — Vous dépensez trop d’argent. Vous me payez moi, vous payez la nourrice et vous payez une femme de ménage. Mais je pourrais bien emmener Stéphanie à l’école et aller la chercher, plutôt que de l’emmener et aller la chercher chez sa nounou, non ?
- — C’est juste, mais… Je ne voudrais pas que ça la choque, même que ça les choque toutes les deux. Elle s’est attachée à cette dame au fil du temps.
- — Je comprends. Mais la nounou refuse d’autres enfants, je lui en ai parlé. Et puis nous pourrions passer lui rendre visite le mercredi pour rester en contact, par exemple…
- — Alors, pourquoi pas, si ça ne vous charge pas trop.
- — Mais Monsieur, je n’ai rien à faire. Je ne dis pas que je m’ennuie, mais j’aime agir. Je suis une fille de la campagne, une fille de paysan. Et chez nous, dès que l’on a les fesses posées sur une chaise, le père nous houspille, il y a toujours du travail. Aussi je me sens parfois un peu inutile. Comme le ménage, je pourrais le faire aussi bien, je pense, que la dame qui vient. Depuis que je suis là, elle passe plus de temps à me parler qu’à travailler…
- — Je ne dis pas que vous ne feriez pas aussi bien, mais… il me semble que dans le règlement des jeunes filles au pair, il est précisé qu’elles ne sont pas des employées de maison. Et puis avec votre niveau de qualification, vous feriez une femme de ménage de luxe !
- — C’est vrai Monsieur, mais vous ne me l’imposez pas, c’est moi qui vous le propose, et je peux le faire par écrit pour vous rassurer. Quant à ma qualification, celle qui m’est la plus chère c’est d’être une fille de ferme, et de ferme bio ce qui demande beaucoup de main-d’œuvre et de courage. Je sais donc tout faire et je peux tout faire dans une maison : le ménage, la cuisine, le lavage, le repassage, le jardinage et tout le reste. Rester assise quand je vois ce qu’il y a à faire, ça me rend un peu malade, surtout quand je vous vois courir partout tous les week-ends pour aller au marché, au pressing, faire la cuisine, tondre la pelouse et tout et tout, alors que vous avez travaillé dur toute la semaine… Et moi je n’ai rien fait que tenir compagnie à votre adorable petite fille qui se garde presque toute seule.
- — Anna… vous voulez boire quelque chose ?
- — De la bière si vous avez.
- — Oui, j’en ai. Et moi, un whisky… Tchin ! Tout ce que vous me voyez faire, je l’ai toujours fait. Je veux dire que je le faisais aussi quand j’étais marié.
- — Beuh ! Et que faisait Madame ?
- — Elle lisait, corrigeait ses copies, téléphonait à ses copines, que sais-je… Je voulais la rendre la plus heureuse possible, lui faire la vie la plus facile possible. Et ça a abouti à ce qu’un jour elle ne soit plus dans la maison en me laissant un mot disant que j’étais trop parfait et que c’était insupportable…
- — Non !… Pas possible… Je ne peux pas le croire, ça ne se peut pas…
- — Attendez… Tenez, lisez-vous même, mais gardez cela pour vous.
- — … je n’y crois pas… c’est complètement fou… on me le raconterait, je n’y croirais pas. Je dirais : oui, mais sous son air gentil, ce Monsieur doit être un pervers, un sadique, battre sa femme en cachette, je ne sais pas moi, mais ça… je n’imaginais pas que ce soit possible. Femme gâtée !
- — Eh oui. Donc voyez, ça ne me pèse pas de courir partout, j’en ai l’habitude.
- — Bon, eh bien, Monsieur Jérôme, il reste onze mois sur mon contrat. Je vais vous offrir onze mois de vacances. Vous cessez de courir, vous laissez tomber vos « mauvaises habitudes » d’homme parfait, vous congédiez vos employées et vous laissez faire Anna. Et puis c’est tout, et ça ne se discute même pas. Sinon, quand je vais rentrer chez moi, mon père me mettra avec les vaches parce que j’aurais trop grossi.
- — Mais c’est moi qui vais grossir et m’ennuyer, alors.
- — Non ! Vous avez un vélo vous aussi ? Alors nous irons faire du vélo ensemble. Ou alors vous m’emmènerez faire du tourisme et découvrir la France comme vous la connaissez.
Dès le mois suivant, Jérôme donne à Anna son indemnité de fille au pair, augmentée de ce qu’il donnait à la nounou et à la femme de ménage. Elle pousse des cris d’orfraie, il s’y attendait, et c’était cela ou revenir au schéma précédent. Et puis il insiste sur le fait que ça l’aiderait plus tard à s’installer en attendant de gagner dix mille euros par mois. La maison, qui semblait pourtant bien tenue, prend une tout autre allure. Il suffit parfois d’un cumul de détails : les vitres faites et les voilages fraîchement lavés laissent passer plus de lumière ; les faïences et les équipements des salles de bains qui retrouvent leur brillant d’origine ; les bouquins dépoussiérés comme les étagères qui les portent, même derrière ; les cuivres et l’argenterie étincelants ; même le jardin n’abrite plus un brin d’herbe, avec des massifs bien délimités et paillés. Pour que Jérôme ne se sente pas désœuvré, ils prennent l’habitude d’aller faire quelques kilomètres à vélo le long du canal, une fois sur deux avec Stéphanie qui, avec Anna, ne râle jamais devant l’effort. D’autres fois, ils prennent la BMW et partent à la découverte d’une région. Ils descendent dans un hôtel pour une nuit, chacun sa chambre, et Steph veut toujours dormir « entre filles » dans la chambre d’Anna. Jusqu’à ce samedi soir où une fête quelconque a rempli tous les hôtels du secteur. Le seul qui risque d’avoir encore de la place est le plus cher. Effectivement, il reste une chambre, mais une seule.
- — C’est une chambre pour couple, mais je peux vous la faire préparer en lits séparés.
- — Très bien, nous nous en contenterons.
- — Puis-je vous faire servir une collation au salon, le temps qu’on vous la prépare ?
Quelque chose entre gêne et amusement s’instaure entre eux, qui ricanent en sirotant leurs verres. Une fois enfermés entre leurs quatre murs, les déclarations fusent :
- — Je vous préviens, je dors à poil !
- — Je vous préviens, moi aussi !
L’éclat de rire est libérateur. En fait, Anna n’a guère de pudeur et pratique volontiers le naturisme, sans toutefois en faire une religion. La surprise est pour Jérôme. Il a bien remarqué précédemment que cette danoise était bien faite. De là à imaginer ce corps de rêve… Certes, elle a les attaches un peu épaisses et des mains comme des battoirs de lavandière, mais avec cette stature, ça passe très bien. Taille fine, plaque de chocolat, cuisses et bras aux muscles dessinés, large toison du même blond platine que ses cheveux. Cheveux qu’elle est en train de détacher tranquillement alors que deux canons d’une incroyable fermeté pointent leur azimut sur Jérôme, mâchoire pendante et virilité en pleine ascension. Elle regarde l’objet croissant du désir et remarque négligemment :
- — Je prends cela pour un compliment. Merci, Monsieur, et bonne nuit.
Ces mots sortent Jérôme de sa torpeur.
Elle se couche et éteint sa lampe, il en fait de même avec le braquemart sur le nombril. Il a bien du mal à trouver le sommeil, cherchant désespérément à se tripoter sans faire bruisser les draps. Soudain, elle murmure :
- — Monsieur, vous dormez ?
- — Non, vous m’avez trop excité pour ça…
- — Pareil pour moi. Je vous propose qu’on se masturbe en chœur, alors…
- — Oui, ça me fera du bien.
Ah oui, mais il ne s’attendait pas à ce qu’elle rallume, qu’elle repousse les draps, empile deux oreillers pour se caler confortablement jambes écartées en grenouille et se mette à se doigter tranquillement, les yeux fermés. Un instant désarçonné, Jérôme n’allume pas, mais ouvre ses draps du côté d’Anna, s’appuie sur un coude et commence à se masturber lentement en la regardant. Une main derrière la tête, les yeux fermés, ses grands doigts parcourent son sillon grand ouvert, produisant de petits bruits humides. Ses tétons sont érigés, plus drus et durs que jamais, tandis que ses doigts courent de sa grotte déjà béante à son clitoris dissimulé par sa forêt si blonde qu’elle en est presque blanche. Une petite table de nuit de trente centimètres sépare les deux lits, et il perçoit tous les moindres détails de ce spectacle, le souffle qui s’accélère, mais également les fragrances de ce sexe en ébullition. C’est absolument bouleversant. Son poignet s’active plus fort, suivant le rythme des doigts qui plongent en cadence dans le vagin d’Anna. Son autre main quitte sa nuque et vient titiller ses tétons. Son regard se pose sur le sexe mâle que la main martyrise, elle halète plus fort, puis il accroche celui de Jérôme et ne le lâche plus. Les deux emballent leurs mouvements et leurs souffles, leurs yeux crient « je vais jouir pour toi !» et c’est le corps de la jeune femme qui se tétanise en premier, passant d’un coup de l’arc bandé à la position fœtale. Jérôme plonge dans la poche de son pantalon, en sort maladroitement un paquet de Kleenex et épanche une incroyable série de jets brûlants dans les carrés de papier. Il n’a pas autant joui ni vidé ses gonades depuis si longtemps…
- — Pokkers ! Je crois que j’ai raté quelque chose, commente Anna impressionnée.
- — Vous êtes… tellement belle… tellement désirable… je croyais que jamais plus je ne désirerais une autre femme autant que Caroline, je m’étais trompé.
Cette fois ils éteignent et s’endorment. Jérôme ne veut pas entamer quelque histoire que ce soit, ni avec Anna ni avec personne d’autre. Pourtant, les nanas se pressent au portillon, à commencer par Marie-Claude, sa secrétaire, et Géraldine, la bonne copine de son épouse qui prend trop régulièrement de ses nouvelles. La façon dont Caro l’a plaqué l’incite à la prudence ; sous une quelconque influence, même d’un avocat, elle serait bien capable de chercher une compromission pour faire basculer le divorce en sa faveur. Il a déjà accepté le consentement mutuel pour aller plus vite, il ne va pas se faire avoir encore plus et perdre la garde de sa fille et beaucoup d’argent. C’est pourquoi cette nuit d’hôtel le perturbe beaucoup, d’une part par ce qu’ils viennent de faire change leur relation, mais d’autre part et surtout par la preuve matérielle qu’ils ont pris une seule chambre pour deux.
La suite lui prouve fort heureusement qu’il avait tort de s’inquiéter. La convention est acceptée et le divorce est prononcé ; Caroline quitte le domicile conjugal en y laissant sa fille, en retour Jérôme n’aura à verser ni à recevoir la moindre pension alimentaire. Le papa a la garde de l’enfant qui passera un week-end sur deux et la moitié des vacances avec sa mère. Merci monsieur le juge. Première véritable conversation sur le parvis du tribunal :
- — Tu sais, j’ai beaucoup pleuré et beaucoup regretté. La vie est moins facile sans toi…
- — C’est ton choix, je n’y peux rien.
- — Je sais. Je te remercie sincèrement pour tout ce que tu fais pour Steph, elle est vraiment très bien, là.
- — Je crois que j’ai tiré le bon numéro pour s’en occuper, je travaille toujours autant, tu sais.
- — Ah oui, ta nouvelle… copine. Elle a l’air très bien aussi…
- — Caroline, Anna n’est pas ma copine. C’est la jeune fille au pair qui prend soin de Stéphanie et accessoirement de la maison, un point c’est tout.
- — Ah bon, tu ne l’as pas sautée ? Ça m’étonne de toi, parce qu’elle est… comment dire, assez remarquable !
- — Eh bien non, ne t’en déplaise, et je n’en ai même pas l’intention. Tu pourras dire aussi à Géraldine qu’elle cesse de m’appeler, elle n’a aucune chance.
C’est quelques jours plus tard, le samedi, que Jérôme reçoit un curieux appel de Colette, son ex-belle-mère :
- — Mon cher Jérôme ; j’aurais souhaité vous entretenir, mais à l’abri d’oreilles indiscrètes…
- — Si vous y tenez, pourquoi pas, je n’ai rien contre vous, vous m’avez toujours accueilli comme un fils. Disons dans une heure devant la gare ?
- — Très bien, à tout à l’heure.
Jérôme doit s’arracher à la contemplation d’Anna et Stéphanie qui jouent dans la pelouse, au soleil d’un printemps exceptionnellement chaud. Leurs rires lui parviennent comme des vagues de bonheur, la petite va bien dormir ce soir. Elles sont toutes deux en maillot de bain, et celui de la danoise est minimaliste au possible. De dos, la ficelle du string disparaît complètement entre ses fesses puissantes, et de face deux triangles dissimulent à peine les aréoles de ses seins bondissant comme le ballon qu’elles s’échangent. Et Jérôme bande en observant le corps sublime de cette fille pétrie de qualités.
- — Anna ! Je dois sortir, un problème de boulot, on vient de m’appeler. À plus tard…
Colette l’attend devant la gare, droite dans une petite robe printanière. C’est vraiment Caroline avec vingt ans de plus, le même visage angélique, la même silhouette juste un peu alourdie par le temps. Il la fait monter dans la BM et prend une route plongeant en pleine campagne. Il s’arrête dans un petit bois, au bout d’un petit chemin au bout d’une petite route au bout de nulle part…
- — Ça vous va comme ça ? Loin d’oreilles indiscrètes ?
- — C’est parfait. Jérôme, ma fille est une imbécile. On ne quitte pas un garçon comme vous.
- — Si c’est son souhait…
- — Écoutez, ce n’est pas la peine d’avoir fait tant d’études pour être prof et ne pas voir ce qui crève les yeux. Je ne suis qu’une femme au foyer, mais je vois bien qu’à l’évidence vous l’adorez et que vous êtes capable de tout pour elle. Arrêtez ce divorce, c’est stupide.
- — Ah, ma chère Colette, on ne sait pas ce qui se passe derrière les portes fermées. Peut-être suis-je un monstre pervers qui la bat et la rend très malheureuse. On dit bien que les femmes battues sont de tous les milieux…
- — Non ça je n’y crois pas. Vous êtes… le gendre idéal, l’homme parfait dont nous rêvons toutes.
- — Ah vous croyez ça…
- — Jérôme, que faites-vous ? Arrêtez… Jérôme !… voyons, ce n’est pas raisonnable, Jérôme !… Ooohhh ! Jérôôômeeee…
- — Tu es venue pour ça, hein ? Maintenant que ta fille est partie, la voie est libre, dis ?
- — Je…
- — Allez, dis-le ?
- — Ou… oui…
Elle se pâme déjà, une main de son ex-gendre engagée entre ses cuisses charnues, l’autre insinuée dans l’encolure de sa robe lui pétrissant un gros sein. La raison de Colette vacille et la soumet à l’imminence de la réalisation de ses fantasmes. Il défait promptement l’étroite ceinture et ordonne sans appel :
- — Allez à poil ! Déshabille-toi, vite !… Tu es bien dodue, dis-moi, une vraie cochonne. Allez, suce-moi !
À genoux sur son siège, elle se penche et il lui fourre sa queue jusque dans la glotte. Elle tousse, hoquette, il la prend par les cheveux au mépris de sa permanente bourgeoise et la force à l’engloutir encore plus loin. La pauvre Colette fait ce qu’elle peut, mais n’a jamais subi tel traitement. Tout juste a-t-elle léchouillé une fois ou deux le sexe de son époux, il y a bien longtemps, du temps où elle en était amoureuse. Sous le crâne de Jérôme, l’orage gronde. Il y a à la fois ce désir allumé par le cul d’Anna et puis sa revanche sur Caro au travers de sa mère. C’est vrai qu’elles se ressemblent physiquement, bien que Colette soit plus grasse et plus molle. Mais cette cinquantenaire a toujours eu une attitude équivoque avec lui, le couvant de ses regards langoureux, le plaçant sur un piédestal à chaque fois qu’il ouvrait la bouche, ce qui énervait passablement sa fille. Eh bien, c’est le moment de montrer à quel point elle l’admire, voire même le désire. Il l’encourage par de puissantes claques sur son volumineux fessier puis engage ses doigts dans le profond sillon, furetant d’un orifice à l’autre. La femme glousse, s’étouffe, tousse, mais se laisse faire. Quand il sent qu’il risque d’éjaculer, excité plus par la situation que par le savoir-faire de la dame, il la redresse par les cheveux et ordonne :
- — Allez, ça suffit. Dehors !
- — Dehors ? Toute nue ? Mais vous n’y pensez pas ?
- — J’ai dit dehors ! aboie-t-il en posant son pantalon.
Elle sort comme une gourde, recroquevillée, un bras sur la poitrine et une main sur le pubis. Il l’attrape par un bras et la bascule sur le capot tout chaud de la voiture. Il engouffre son museau entre les lourdes cuisses et bouffe cette chatte tendre avec férocité. Belle-maman miaule et se pâme, mouillant à flots.
- — Tu aimes ça, hein, cochonne. Tu es juste venue te faire sauter, vieille salope. Tu vas voir ce que tu vas prendre…
Il se redresse et l’embroche d’un violent coup de reins, s’emparant d’un coup des deux gros nichons. Elle a beau prendre un air mi-horrifié mi-outré, elle garde les cuisses bien levées et bien écartées pour subir l’assaut convoité. Et l’assaut dure, dure. Il n’a pas franchement envie de cette femme trop vieille, juste envie de l’humilier. Elle est partie dans les soupirs, puis dans les râles, puis dans les vocalises. Elle peut y aller, personne à des kilomètres. Le ventre et les cuisses de Jérôme frappent le gros cul en cadence tandis qu’il pétrit les gros seins sans ménagement, pressant, pinçant étirant ces généreuses masses graisseuses n’ayant plus guère de tenue, encore moins après ce mauvais traitement. La quinqua s’arc-boute soudain tétanisée par un premier orgasme. À la surprise de Jérôme, le vagin un peu flou et sans réelle tenue se contracte violemment, soudain saisi de spasmes qui ne cessent pas, assez délicieux. Il redouble d’activité et commence à prendre goût à ce coït interminable. Colette est sur un plateau orgasmique et n’en descend plus tant que le mandrin la pilonne. Haletante, yeux exorbités, agitée de tremblements convulsifs, après tout elle est peut-être épileptique, du moins ça y ressemble vaguement. En fait, tout son être, toutes ses forces, toutes ses pensées sont concentrés sur son bas-ventre, sur ce fragile écrin de chairs tendres que le puissant phallus démolit à grands coups.
- — Tu aimes ça la queue, hein, vieille salope ?
- — Hungrrrr…
- — Tu mouilles et tu jouis, hein, grosse cochonne ?
- — Hungrrrr…
- — Je vais te la remplir de bon jus, ta vieille chatte en rut…
- — Hungrrrr…
Habituellement si délicat avec les femmes, si respectueux, Jérôme s’entend dire ces mots sans même y croire. Jamais il n’a dit de telles horreurs à aucune femme. De plus, il ponctue ses propos de lourdes claques sur les cuisses de Colette, ça non plus il ne l’a jamais fait. Quelle incroyable frénésie s’est emparée de lui ? Et en plus, ces paroles triviales excitent son plaisir, il va jouir. Une dernière accélération, suivie par quatre coups de reins d’une extrême violence et les jets de sperme brûlant jaillissent dans le ventre de la femme, portant sa jouissance à son paroxysme. Elle hurle comme un goret qu’on égorge, frappe le capot du plat de la main, hoquette, cherche l’air, les yeux injectés de sang. Il la quitte soudain, laissant s’échapper de la vulve quantité de pets humides et disgracieux. Il passe la main par la vitre arrière, attrape un paquet de cigarettes dans son veston et en allume une, négligemment appuyé sur la carrosserie. Colette refait surface et demande timidement :
- — Vous n’auriez pas un mouchoir en papier, que je m’essuie ?
- — Ah non. Quand on vient se faire baiser, on prévoit, chère Colette, on prévoit. Venez ici faire la toilette de la queue qui vous a fait jouir, venez la remercier comme il se doit.
La dame s’accroupit devant le mâle dominateur, accentuant ses pertes sonores, un filet de miasmes entre les jambes, et commence à lécher le pénis luisant maintenant au repos.
- — Allez, un petit effort, appliquez-vous, voilà, c’est mieux… Soulevez-le et gobez les couilles aussi, une par une… c’est bien, continuez… vous finirez suceuse de bites sur les trottoirs de Hambourg. Vous savez que certaines ont votre âge ? C’est bien, encore… Regardez comme il reprend vigueur… Vous voulez un deuxième tour, c’est ça ? Vous allez l’avoir…
Il se fait ainsi sucer un bon moment, jusqu’à ce que son sexe ait totalement retrouvé sa taille de fonctionnement. Le soleil se couche à l’horizon. Il attrape la robe en chiffon sur le siège et l’installe sur l’herbe.
- — Allez, à genoux maintenant !
La bonne femme se met docilement à quatre pattes. Il l’enfile deux ou trois fois par-derrière, lubrifiant son sexe dans les restes de leur étreinte. Puis ses doigts plongent dans l’épaisseur tendre des fesses grasses et les étirent pour ouvrir et distendre la rosette anale. Peu habituée, elle ne voit pas le coup venir. Ce n’est que quand le gland dilaté se pose sur l’entrée des artistes qu’elle se rebelle.
- — Oh non, Jérôme, pas ça ! Non !… NON !… Doucement, Jérôme, oh là là…
Trop tard, Madame, l’alignement des planètes rend la chose inéluctable. Il n’a qu’à se dresser sur ses pieds et peser de tout son poids pour que le barreau de chair entame une inexorable progression dans le rectum de son ex-belle-mère. Elle gueule comme une louve à la lune, pleurant, suppliant. Mais sans la moindre pitié, il s’enfonce en elle jusqu’à ce que ses couilles s’écrasent sur la vulve encore dilatée.
- — Eh bien voilà ! Non seulement vous êtes une cochonne, une salope, mais en plus vous êtes une enculée ! Ah vous pleurez ? Vous allez pleurer pour quelque chose…
Il entame ses va-et-vient en les ponctuant de formidables claques sur chaque fesse qui rougissent à vue d’œil. Ses larmes coulent sur la robe, entraînant une bonne partie de son maquillage. Elle râle, crie, suffoque, et cependant elle trouve assez de ressources pour proférer :
- — Vous êtes un monstre !
- — Eh oui, voilà, tout est dit. Vous comprenez pourquoi votre fille a voulu divorcer ? Vous imaginez qu’elle a maintenant le trou du cul comme une porte de grange, hein ? Le monstre vous encule, Madame, et il vous emmerde aussi !
La séance dure un bon moment, Jérôme étant à peine remis du premier tour. Mais l’onde des claques qu’il assène sur les fesses, les contractions de l’anus qu’elles engendrent, finissent par faire effet. Pratiquement au moment où Colette commence à prendre du plaisir, il se vide dans ses boyaux. Elle s’affale sur le sol, dévastée.
Quelques instants plus tard, Jérôme a reboutonné sa chemise, renfilé son pantalon et sa cravate dont il n’avait pas défait le nœud et s’installe tranquillement au volant. Il fait nuit noire maintenant, il met le puissant moteur en route et allume les phares et la radio. Colette se ramasse comme elle peut, secoue sa robe couverte de terre et d’herbe, imprégnée de taches diverses et se jette sur le siège de peur d’être abandonnée là. Ils ne desserrent pas les dents de tout le trajet, il conduit, elle essaye de reprendre apparence humaine ce qui est quasi impossible. Il la dépose là où il l’avait prise, devant la gare, elle sort en clopinant sur son talon cassé.
- — Ah ! Au fait, vous avez un TGV de retard, chère Colette, le divorce a été prononcé mercredi. Mon bonsoir à votre mari !
Il rentre chez lui en se maudissant, ce qu’il vient de faire le dégoûte. Jamais il ne se serait cru capable d’autant de méchanceté et de violence. Comme si d’un coup tous les barrages patiemment érigés pour construire « l’homme parfait » qu’il se voulait être avaient cédé. Il se hait, certainement plus encore que Colette ne peut le haïr. La petite dort, la gentille Anna l’a attendu pour dîner, il est presque vingt-trois heures.
- — Je vais me doucher, j’arrive. Prenez une bière et offrez-moi un grand whisky.
Il redescend en peignoir, les cheveux humides, l’air maussade.
- — Oh-oh ! Ça ne va pas fort… Ce n’est pas la peine de vous torturer pour le travail. Détendez-vous…
Il avale son whisky d’un trait et s’en ressert un autre.
- — Ce n’est pas le boulot, j’ai menti, je ne voulais pas le dire devant Steph. J’ai rencontré sa grand-mère…
- — La mère de votre ex-épouse ? Et alors, vous êtes divorcés, non ?
- — Oui. Mais… j’ai baisé mon ex-belle-mère, je l’ai même sodomisée.
- — Quoi ? Noooonnn… Ha-ha-ha ! Vous Monsieur Jérôme ? Pas possible, je n’y crois pas.
- — Et pourtant c’est vrai, je ne sais pas ce qui m’a pris… Des années qu’elle me couve du regard comme une chienne en chaleur.
- — Attendez, ça je note. Expression : « Comme une chienne en chaleur ». Oui, continuez ?
- — Oui, eh bien c’est tout. Comme si je me vengeais de mon ex sur sa mère… Un moment de folie…
- — Non, vous avez vidé la souffrance que vous avez ressentie quand elle vous a quitté. Le faire avec elle n’aurait pas eu d’intérêt, je suppose que vous baisiez souvent. Alors c’est la mère qui a servi d’exutoire. C’est le bon mot ?
- — Oui, le mot qui convient, un exutoire. Mais je ne me croyais pas capable d’être aussi vilain, et ça me fait presque peur et surtout honte. En plus, elle voulait me voir pour empêcher le divorce. Elle n’était même pas au courant qu’il était prononcé depuis mercredi…
- — Beuh ! Vous croyez cela ? Vous êtes bien naïf…
- — Comment cela ?
- — Qui croyez-vous que votre femme ait appelé en premier en sortant du tribunal ? Sa maman bien sûr : « Ouf, maman, ça y est, je suis divorcée, ça s’est bien passé comme je le voulais, je n’ai pas tous les torts, je l’ai bien eue… ! »
- — C’est ce que vous pensez ?
- — Bah bien sûr, c’est évident. C’est ce que j’aurais fait et ce que ferait toute femme qui a de bons rapports avec sa mère. Car la mère est encore plus inquiète que la fille dans cette situation. Je parie toute ma paye de l’année qu’elle savait et qu’elle voulait simplement obtenir ce qu’elle a eu : se faire enfin sauter par le gentil Jérôme, le gendre parfait.
- — C’est vrai, à bien y réfléchir vous avez certainement raison. Eh bien, voyez-vous, Anna, je préfère ça et de loin.
- — Vous préférez vous faire… attendez, dit-elle en compulsant ses carnets, « vous faire avoir », c’est ça ?
- — Oui, c’est ça. Vous pouvez ajouter : égale « vous faire abuser, enfler, mettre, baiser, niquer… ! »
- — Oh là-là ! C’est bien tout ça…
- — Bref, je préfère être le dindon de la farce plutôt que le méchant. Vous venez de me retirer un énorme sac à dos. Je me sens mieux.
- — C’est bon aussi, ça, « être le dindon de la farce », c’est noté. Vous êtes vraiment un gentil Monsieur. On peut dîner maintenant ?
- — Oui, bien sûr, j’ai même faim soudain. Mais dites, vous n’avez pas froid comme ça, toujours en maillot de bain ?
- — Froid ? Ici ? Vous plaisantez. Je viens d’un pays beaucoup plus froid. Et on va manger quelque chose de mon pays : boulettes de viande avec salade de pommes de terre.
- — Vous avez de la chance que je vienne de culbuter cette vieille chipie, parce que je ne sais pas si j’aurais pu résister à vos fesses pendant que vous préparez le repas…
- — Ah ! Ha-ha-ha !… Gentil, mais coquin ! Mais je note aussi : « Culbuter la vieille chipie ». Ha-ha !
Anna avait toujours avec elle des petits carnets répertoires où elle notait mots et expressions qu’elle ne connaissait pas au fil des conversations. Ils avaient pris ainsi l’habitude, une fois Steph endormie, de discuter environ une heure de tout et de rien, pendant laquelle elle enrichissait son vocabulaire et vérifiait avec Jérôme le sens précis de ce qu’elle avait noté durant la journée. Pour lui, c’était un moment de détente, pour elle c’était un moment important, car par chance elle était tombée sur un employeur cultivé.
- — Hum… délicieux ! Steph a dû aimer, non ?
- — Oh oui, j’ai dû en refaire avant que vous n’arriviez.
- — En plus, elle s’est bien dépensée avec vous. Vous jouiez comme des folles quand je suis parti.
- — Oui, elle est vraiment adorable et très éveillée. C’est un vrai plaisir pour moi de jouer avec elle.
- — Ah, deux choses à voir avec vous. Une : la semaine prochaine, il y a une soirée d’anciens camarades de promotion. On dîne, on discute, on boit, on danse. Évidemment, j’y ai toujours participé avec Caroline, mais cette année je vais me retrouver seul. Nous n’aurons pas Steph, accepteriez-vous de m’y accompagner ?
- — Tout le monde vient avec son épouse ou sa compagne, j’imagine. Est-ce que je ne serais pas un peu… déplacée ?
- — C’est un « point d’achoppement ». Vous ne notez pas ?
- — Non, c’est un mot courant du langage politique, et ça, je connais.
- — Il s’agirait de jouer pour un soir le rôle de ma nouvelle compagne…
- — Hum-hum… ça pourrait être intéressant. Ça dépend jusqu’où va le rôle ?
- — Jusque vers une heure ou deux du matin, quand tout le monde rentre chez soi. Rassurez-vous, ce n’est pas une partouze, juste un pince-fesses.
- — Ah, ça je note : « Pince-fesses ». Peut-être faudra-t-il les prévenir de ne pas trop pincer, parce que la réaction pourrait être douloureuse, dit-elle en brandissant sa grande paluche.
- — Pas de souci, rangez ça dans les expressions. Mais vous pourriez y rencontrer des gens intéressants, certains très haut placés, des contacts utiles.
- — Bon, c’est d’accord. Quelle tenue ?
- — Robe du soir pour les dames, smoking pour les messieurs.
- — Là, il va falloir que je fasse des emplettes, je n’ai pas prévu.
- — Je vous signe un chèque en blanc pour cela, ce sera un remerciement et un souvenir.
- — Toujours immanquablement gentil. Et l’autre chose ?
- — Oui, ce sont les grandes vacances. Steph est en vacances de début juillet au six ou huit septembre, je ne sais plus. Sa mère la prendra en juillet et moi en août. Donc j’aurais surtout besoin de vous début septembre. Je sais que Caro prépare sa rentrée et n’est pas disponible…
- — Mais je suis disponible en juillet, août et septembre, je ne vois pas le problème ?
- — Je pensais que vous aimeriez… je ne sais pas, prendre des vacances ou retourner au Danemark ?
- — Et qui s’occupera de la maison quand vous serez seul ? Et qui s’occupera de Stéphanie quand vous aurez besoin de vous reposer ? Pour moi c’est clair, je suis à votre service, même les mois d’été.
- — Bon, très bien… Mais je pensais que vous aviez peut-être besoin de temps pour déposer votre dossier de candidature au Conseil Européen ?
- — C’est vrai, je le dépose avant le premier octobre. Mais j’aurai tout le temps en juillet, une fois le grand ménage fait. Je serai toute seule ici et je pourrai vraiment me concentrer.
- — Alors c’est parfait. Et vous aurez une réponse quand ?
- — Oh ! Il faut neuf mois pour étudier les dossiers, puis passer devant une commission, puis passer des tests… Disons qu’il faudra au moins un an.
- — Super ! Pendant ce temps, je vous garde !
- — Non, le contrat de jeune fille au pair sera terminé…
- — On le renouvellera ou alors je vous ferai un contrat classique.
- — C’est vrai ? Ça me plaît vraiment. J’aime avoir des points de repère dans l’avenir, savoir où je vais. Et puis je suis tellement bien chez vous.
Le samedi suivant arrive bien vite, si vite qu’ils n’ont même pas eu le temps de reparler de cette fameuse soirée. Ce n’est que vers seize heures, quand Jérôme monte se préparer qu’il toque à la porte d’Anna.
- — Vous n’oubliez pas ? C’est ce soir…
- — Bien sûr, je n’oublie pas. Nous partons vers quelle heure ?
- — Vers dix-huit heures, nous avons environ une heure de route.
- — Très bien, à tout à l’heure.
Smoking, nœud pap, écharpe blanche, Jérôme est prêt vers dix-sept heures et fait les cent pas, fumant quelques cigarettes. Il est nerveux, son divorce a dû faire jaser aussi dans ce microcosme. Il ne sait pas comment la chose sera prise, bien que n’étant pas le premier dans ce cas, ni comment Anna sera perçue. Parfois il se dit qu’elle a toutes les qualités requises en tant qu’aspirante traductrice au Conseil Européen, d’autres fois il se dit qu’elle est danoise certes, mais fille de ferme avant tout et fort capable de le revendiquer haut et fort. Et puis ils n’ont rien réglé de leurs rapports : doivent-ils se tutoyer ou pas ? En tout cas, il faut absolument qu’elle laisse tomber le « Monsieur » dont elle use en permanence.
Enfin une porte à l’étage et un pas dans l’escalier, il vient l’accueillir. Sa mâchoire oublie de se fermer. C’est certain, il n’aura pas honte de la promener à son bras, les autres peuvent aller se rhabiller. Vache ! Moulée dans un fourreau bordeaux avec un tour de cou et un drapé croisé sur la poitrine, chignon « Néfertiti » avec deux tortillons de part et d’autre du visage, escarpins et pochette dorés, ce soupçon de maquillage qui rehausse sa beauté naturelle, voile vert sur les paupières, trait de crayon allongeant ses yeux, léger brillant à lèvres dans le ton de la robe, mais plus clair, elle est ébouriffante. Quand elle marche vers lui, le côté de la jupe s’ouvre jusqu’à mi-cuisse sur ses jambes parfaites, et quand elle fait un demi-tour, un prodigieux dos nu plonge des épaules à la naissance du sillon fessier, simplement traversé par deux brides croisées qui maintiennent le bustier en place. Elle est à tomber !
- — Est-ce que cela convient à Monsieur ? demande-t-elle ironiquement.
- — Ben… il faudrait être difficile…
- — Mais je sais que vous l’êtes, j’ai fait en sorte d’être à la hauteur. Je vous préviens que votre relevé de compte ne va pas aimer, surtout les chaussures. Il est très difficile de trouver ce que je cherchais en grande taille. Bah oui, j’ai de grandes mains, mais aussi de grands pieds.
- — Je… je n’avais pas remarqué, vous êtes déjà si grande, c’est harmonieux. Et le fric je m’en fous, le résultat est… stupéfiant !… Je suis déjà sorti avec des jolies filles, mon ex en était une, mais là… jamais !
- — Ha-ha-ha ! N’exagérez rien, je ne suis qu’une paysanne endimanchée. C’est ça ?
- — Dans ces conditions j’achète une ferme tout de suite et je passe ma vie à vous cultiver.
- — Aaahhh ! Ha-ha-ha ! C’est trop mignon ! Non, mais sérieusement, ça va ? C’est correct ?
- — C’est… par-fait !
- — Non, mais sans rire, je suis désolée pour les chaussures. Le même bordeaux, je n’ai pas trouvé. Noires, ça n’allait pas du tout, blanches non plus. C’est la vendeuse qui m’a dit « dorées comme vos cheveux, ce serait bien ». Sauf qu’elle n’avait que des échasses avec des talons de douze centimètres. Ça n’allait pas, j’allais être plus grande que vous, ce qui est une sorte d’offense dans notre religion luthérienne. Entre le chignon et les chaussures, j’aurais fait dix centimètres de plus que vous. Vous êtes grand, mais… combien ?
- — Un mètre quatre-vingt-six, quatre-vingt-dix avec ces chaussures…
- — Oui, c’est bien ça, j’aurais mesuré un mètre quatre-vingt-dix, plus le chignon, au moins quatre-vingt-quinze. Alors j’ai cherché et je n’ai trouvé que celles-ci, dans un magasin de luxe, tressées avec la pochette assortie et des talons de cinq centimètres. Venez voir près d’un miroir ? Hum… moui, c’est très bien, un joli couple, non ?
- — Superbe. Mais donc, si je comprends bien en vous regardant en détail, vous n’avez… pas de soutien-gorge ?
- — Eh non, dos nu, pas possible.
- — Et ça tient merveilleusement bien…
- — Heureusement ! Je suis jeune, sans grossesses ni maltraitance ! Ha-ha-ha !
- — Et… pas de culotte non plus ?
- — Eh non ! Impossible. Vous pouvez juste loger votre stylo là ! Ha-ha-ha ! Par précaution, j’ai mis un tampon. On ne sait jamais, si toutefois mon cavalier me faisait de l’effet, je ne pourrais plus me lever de mon siège avec une tache aux fesses. Ha-ha-ha !
- — Vous riez beaucoup ce soir, vous avez l’air d’être heureuse et ça me fait très plaisir.
- — Je le suis, Monsieur. Et je suis très fière de sortir avec vous sans être la bonne d’enfant.
- — Ah justement. Puisque nous sommes un couple pour un soir, il faudrait laisser tomber le « Monsieur ». On peut éventuellement conserver le « vous », si vous préférez.
- — D’accord mon chéri. Je te dis «tu » à partir de maintenant. Dis-moi pourquoi tu rougis, mon amour ? Ha-ha-ha !
Elle n’est pas possible, pense Jérôme en conduisant, avec sous le nez une cuisse dénudée presque jusqu’à l’aine. Et en plus il sait que quelques centimètres plus haut, sans le moindre obstacle, il y a ce triangle de moquette tissée de fils d’or… Il bande, déjà… Ils font effectivement sensation dès leur entrée dans la salle. Les premiers arrivés applaudissent avec quelques sifflets amicaux.
- — Sacré Jérôme ! Sitôt tombé de cheval… T’as toujours sorti les plus belles filles de la promo, ton épouse était sublime, mais là tu bats tous les records. Madame, enchanté qu’un si bel astre illumine notre soirée, dit-il en s’inclinant pour un discret baisemain.
- — Tout le plaisir est pour moi, cher Monsieur, répond-elle avec une légère révérence.
- — Xavier, compagnon de promo à Polytech, Anna, un amour venu du froid, bientôt traductrice au Conseil Européen, présente Jérôme.
- — Chère Madame, voici ma carte, si vous avez besoin de quoi que ce soit ou si ce grand nigaud vous fait des misères, n’hésitez pas, appelez-moi. Je suis toujours un cœur à prendre.
C’est ensuite un ballet de rencontres ou de retrouvailles, puis les flûtes de champagne commencent à circuler comme les petits fours. Les discussions vont bon train par petits groupes, dans lesquels Anna et Jérôme se retrouvent vite séparés. L’occasion pour Jérôme d’admirer sa cavalière d’un peu plus loin et d’apprécier son élégance et sa classe. Elle est en grande conversation avec Yann, un éditeur d’une maison célèbre. Elle le cherche du regard et lui fait un signe, il s’approche.
- — Salut, Jérôme, comment vas-tu ? Ravi de te revoir. J’ai fait connaissance de Madame avant même que tu ne me la présentes, et je te fais tous mes compliments. J’ai su les affres que tu as traversées, mais nous y sommes tous passés ou nous y passerons tous. Madame est la preuve que tu t’en es merveilleusement remis. Dis-moi, pouvons-nous dîner à la même table, car cette jeune femme m’intéresse énormément, professionnellement rassure-toi.
- — Content de te revoir et de dîner en ta compagnie, bien sûr. Puis-je savoir où se situe ton intérêt ?
- — Eh bien, disons que je suis bluffé. Je la croyais française de souche avant qu’elle ne me dise être danoise. J’ai mieux compris lorsqu’elle m’a expliqué son projet de devenir traductrice au Conseil de l’Europe, mais manier le français, qui est une langue difficile, à ce point de dextérité, c’est assez étonnant. Or moi je cherche des gens de ce niveau exceptionnel pour effectuer des traductions d’ouvrages, versions ou thèmes. Ah, on nous invite, passons à table… J’espère que l’orchestre sera plus discret que l’an passé durant le repas.
Ils sont par tables de six, les trois messieurs présentent élégamment les chaises aux trois dames. Un essaim de serveurs et serveuses envahit la salle et sert les hors-d’œuvre, un jeune homme remplit les petits verres de vin blanc.
- — Non merci, décline Anna. Si vous permettez, je préfère rester au champagne.
- — Oh, bonne idée, dit l’épouse de Yann. Mon estomac a horreur des mélanges.
- — Oui, et le champagne n’est pas tout à fait aussi bon que la bière danoise, mais c’est ce qui s’en rapproche le plus, ajoute ma cavalière, provoquant l’hilarité de la table.
- — Et en plus, elle a de l’humour, s’esclaffe Yann !
Anna ne savait pas si elle disposerait de temps lorsqu’elle serait traductrice simultanée, mais compte tenu du délai de recrutement, elle veut bien faire quelques essais de traduction pour l’éditeur. À la grande surprise de Jérôme, elle négocie âprement sa rémunération :
- — En traduction simultanée, une approximation n’est pas si grave, car il reste toujours le fil de la conversation pour affiner ou rectifier des propos selon la pensée du locuteur. En revanche, la traduction littéraire demande une justesse sans faille et en plus une connaissance pointue des expressions et des tournures dans chaque langue concernée. (se tournant vers moi) Chéri, rappelle-moi l’expression que tu as utilisée l’autre jour ? Ah oui, merci, « être le dindon de la farce ». En traduction mot à mot, le résultat sera ridicule en anglais par exemple. Et l’expression anglaise correspondante, « to be a fall guy !» donnerait « être un gars tombé » ne voudrait rien dire pour nous. Pour du mot à mot, vous n’avez pas besoin de traducteur, l’informatique suffit. Un traducteur, c’est comme un soliste qui réinterprète une œuvre dont le livre est la partition. C’est d’abord et avant tout un auteur qui réécrit un ouvrage dans une autre langue. Certes, il n’a pas à chercher les idées, la trame, le scénario ou le contenu, mais il recrée la forme qui est, je pense, la moitié du succès d’un livre…
- — Ben mon vieux, me fait Yann, je ne sais pas où tu l’as dénichée, mais sa beauté n’a d’égale que son intelligence. Avec de tels arguments, Madame, je ne peux que souscrire à vos exigences. L’éditeur fera un peu moins de marge, et c’est tout.
Le dîner se poursuit dans la bonne humeur, une certaine complicité s’établit entre Anna et la femme de Yann qui, pour Jérôme, a vu le danger venir. Pour défendre son territoire, le mieux est d’attaquer et de se positionner en amie et confidente de la trop éclatante danoise. Puis l’orchestre monte d’un ton et quelques couples se lancent sur la piste. Jérôme laisse Anna se dépenser sur quelques rocks, c’est elle qui vient le chercher pour les slows. Collée à lui, ils forment à n’en pas douter le couple de l’année. Joue contre joue, ils se murmurent à l’oreille :
- — Rassurée ? Vous ne vous sentez pas… décalée ?
- — Dis-moi « tu », appelle-moi « mon amour », s’il te plaît… Joue le jeu jusqu’au bout.
- — Avec plaisir, mon amour… Ah ! Ce que c’est bon… Mais ? Mais chéri qu’est-ce que je sens ? Tu bandes ?
- — Naturellement. Je tiens la plus belle femme de la soirée dans mes bras, en plus je connais en détail son corps merveilleux, notamment ce joli triangle doré qui est à quelques millimètres de ma queue et trois épaisseurs de tissus, alors le désir se fait impérieux, et je bande.
- — Hum… comme j’aime ça. C’est bon d’être désirée, tu sais ? Surtout par un homme que l’on désire aussi. Je te propose de changer de jeu, ce soir. C’est moi qui te masturbe et c’est toi qui me masturbes. Ça te va ?
- — Hou-là-là ! C’est le supplice de tantale ? Jamais je ne résisterai à l’envie de glisser ma queue dans ta jolie chatte rose ou entre tes fesses sublimes…
- — On va être obligés de faire l’amour alors ? Chouette. Moi je ne bande pas, mais mon tampon est insuffisant, et je sens des choses qui coulent le long de mes cuisses… Je te préviens, je ne pourrai plus m’asseoir de la soirée.
- — On rentre alors ?
- — Hum… moui, encore une danse et on rentre.
- — C’est quoi ton parfum, je n’arrive pas à reconnaître ?
- — Cherche, hume et cherche. Quelles notes sens-tu ?
- — Soleil… Foin…
- — Hunhun, mais encore ?
- — Une touche de musc… discrètement poivrée…
- — Pas mal, et puis ?
- — Euh… noisette ? Non, amande.
- — Très bien, tu as tous les composants. Et ça s’appelle ?
- — Là, je donne ma langue au chat. Je ne connais pas assez les parfums pour ça. Mais il est vraiment bien, très discret, il faut être en toute proximité pour le percevoir.
- — Oui, j’ai horreur de ces parfums puissants qui laissent un sillage, qui se mélangent et vous coupent l’appétit à table. Celui-ci s’appelle « Anna », juste lavée avec une savonnette à l’amande douce.
- — C’est vrai ? Incroyable, j’ai hâte de le humer sur tout ton corps.
- — Alors on y va ?
- — Allons-y !
Il faut bien encore une demi-heure pour dire au revoir à tout le monde, recevoir les derniers compliments et les dernières cartes de visite pour Anna, reine de la soirée. Dans la voiture, elle est tout sourire et semble heureuse.
- — Tu permets que je détache mon chignon ?
- — Oh, s’il te plaît, mon amour, garde-le encore un peu. J’ai tant envie de te contempler nue comme ça…
- — Ha-ha-ha ! Je l’aurais parié ! C’est bien pour ça que je t’ai demandé. Je crois que je commence à bien te connaître, mon Jérôme chéri.
Tandis qu’elle grimpe les marches du perron, il peut constater qu’effectivement, une longue tache d’humidité marque ses fesses. Il déverrouille la porte et la laisse entrer, elle pénètre dans le salon et s’arrête au pied de l’escalier. Comme il s’approche, elle tend le bras et lui pose deux doigts sur le sternum, l’empêchant d’aller plus loin.
- — Prêt ? demande-t-elle à son cavalier étonné.
En un geste autour du cou et deux déhanchements, la robe tombe à terre et Anna apparaît insolemment nue, somptueuse. Elle grimpe deux marches et s’immobilise, jambes légèrement fléchies, bras levés, mains sur la nuque. Elle fait soudain jouer tous ses muscles, et son dos apparut plus en V que jamais, parsemé de boules impressionnantes qui se poursuivent sur les bras, deltoïdes, biceps, supinateurs. Sur ses fesses, deux boules roulent, creusant des joues latérales. Lentement, elle se hisse sur ses doigts de pieds et les mollets remontent et étirent la peau, tandis que des fuseaux jaillissent sur ses cuisses. Elle fait demi-tour, place ses pouces sur les hanches et fait jouer ses abdominaux, puis prend deux ou trois pauses latérales montrant la puissance de ses bras, de son torse et de ses jambes.
- — Putain ! Mais tu as fait du culturisme ?
- — Exact, jusqu’à ce qu’on me dise que pour continuer il fallait prendre des anabolisants.
- — Ben chapeau Miss Univers… Vraiment scotché. On dirait un mec ! Au fond j’suis peut-être homo…
- — Ha-ha-ha ! Tu veux être gentil, mon amour ? Monte-moi une Carlsberg, s’il te plaît, le champagne me fait roter !
- — Avec plaisir. Mais je peux te demander pourquoi cette démonstration… de force ?
- — Oh, n’y vois pas de volonté de t’impressionner. Tu voulais me voir nue avec mon chignon, mon cul rebondi et mes seins qui tiennent tous seuls. C’est fait. Avec de bons pectoraux dessous, ça les booste ! Mais au repos, c’est la petite couche de graisse bien féminine qui prend le dessus…
- — Tu ne cesseras pas de m’étonner, conclut Jérôme en prenant deux bières.
Ils entament leurs canettes et Jérôme quitte son smoking avec soulagement. Ils se regardent en souriant et boivent à petites gorgées, juste pour faire durer.
- — J’ai le trac comme un ado pour sa première fois, murmure Jérôme.
- — Moi aussi, mais j’ai enlevé mon tampon et il va falloir se décider à faire quelque chose parce que ça coule…
- — Allez, c’est moi qui m’y colle. « À plat dos, mignonne », comme on dit pour se mettre en position.
- — Ha-ha ! Attends ! Il faut que je note…
- — Ah non, pas dans ces moments-là. On fera un récapitulatif demain. Vite que je profite de ta source, en espérant que ça me fera moins roter que la bière…
- — Je ne sais pas comment tu fais pour être encore lucide après champagne, vin blanc, trou normand, deux vins rouges, digestif… je serais complètement saoule.
- — Je ne sais pas… l’habitude sans doute. Ouvre-moi les colonnes du temple.
- — Oh, c’est joli, ça…
Elle s’offre, il plonge avec délectation et lape longuement son nectar, provoquant déjà des soupirs et de petits soubresauts.
- — Tu es certaine de ne jamais avoir pris d’anabolisants ?
- — Certaine de ne pas en avoir pris volontairement, oui, pourquoi ?
- — Parce que tu possèdes un clitoris étonnamment développé. Ce n’est pas un pénis, mais… comme une micro-bite, un petit champignon.
- — Et ce n’est pas normal ?
- — Je ne sais pas, mais je n’en ai jamais vu d’aussi gros. Habituellement c’est juste une perle minuscule. Là c’est… une très courte hampe et un petit gland au bout. Alors on dit que les stéroïdes peuvent provoquer ça… Mais tu es peut-être née comme ça, bien bâtie comme le reste !
- — J’espère. À l’entraînement, pendant les concours, on nous fournissait des boissons vitaminées, ce qu’on trouve un peu partout, maintenant. Je ne pense pas que ce soit ça… Tu me fais peur et… du coup j’ai moins envie… excuse-moi.
- — Non, c’est moi, je n’aurais rien dû dire. Je me mets la bite sous le bras et je vais fumer un clope.
- — Oh non, chéri, ta bouche va avoir un goût de cendrier et tu ne m’as pas encore embrassée…
- — Je me laverai les dents.
Jérôme prend une cigarette et sort nu sur le balcon, bientôt rejoint par Anna qui se colle à son dos et l’enlace de ses bras puissants.
- — Qu’est-ce qui ne va pas, mon doux Jérôme ?
- — Ce qui ne va pas c’est que je suis le plus grand crétin que la Terre ait porté.
- — Pourquoi dis-tu ça ?
- — Parce que… parce que… Je suis là avec la femme que je désire le plus au monde, la bite en berne et elle qui se pose des questions sur son clitoris. Tu parles d’un con ! Il y a deux heures, cinquante types bavaient en rêvant d’être à ma place, et je suis tellement maladroit que je gâche tout. Pardon…
- — Mais non, tu ne gâches rien. Ce ne sont que des actes manqués… Parce qu’il y a une petite voix intérieure qui te dit ; « Attention, Jérôme, tu vas encore souffrir si tu t’attaches à cette fille, tu sais qu’elle va partir, dans six mois ou dans un an… Si tu ne tombes pas amoureux, tu ne souffriras pas ».
- — Tu crois ça ?
- — Oui, parce que j’ai la même qui me dit « Hou là-là ! Attention, reste libre, sans attaches, sinon ce sera le drame ». Je crois que nous sommes trop honnêtes l’un envers l’autre pour juste… comment vous dites ? « Tirer un coup ! », c’est ça ?
- — C’est bien ça. Parce que tu mérites mieux, parce que je te respecte et que… certainement que je suis déjà très amoureux. Donc dans tous les cas je vais souffrir, la messe est dite.
- — Viens, tu vas prendre froid, on va dormir.
Ils rentrent et se couchent pour la première fois dans le même lit. C’est elle qui prend sa tête sur son épaule et câline cet homme parfait, ce battant faisant face à toutes les situations, mais au fond tellement fragile.
C’est le parfum de café et de croissants chauds qui tire Jérôme de son sommeil. Anna entre dans la chambre sur la pointe de ses grands pieds, augmentant ainsi l’impression d’incroyable longueur de ses jambes. Dire qu’il y a un an, c’est lui qui servait ainsi le petit déjeuner au lit… Qu’elle est adorable cette Anna, ajoutant la gentillesse à sa beauté, ses longs cheveux d’or blanc fraîchement brossés, son petit peignoir de satin assorti à ses yeux, bleu pâle avec des bordures bleu foncé. Elle s’assoit en tailleur sur un coin du lit, buisson impudiquement à l’air. Le soleil brille déjà fort et inonde le balcon de ses rayons tièdes, la jeune femme sort avec sa tasse de café. Même dans ces gestes simples, elle est magnifique et prodigieusement désirable. Jérôme va la rejoindre, encore nu, l’entoure de ses bras et pose de petits baisers sur sa nuque.
- — Je ne comprends pas, dit-elle. Je vois tes deux mains et pourtant quelque chose soulève mon peignoir…
- — Ah oui ? Quelque chose qui doit chercher refuge entre tes belles fesses, peut-être…
- — Alors… profitons-en, cette fois.
Elle pose sa tasse sur la balustrade et se retourne, il ouvre le peignoir et la prend dans ses bras, elle referme ses cuisses sur sa taille et se laisse porter sur le lit. Il n’y a pas le déferlement furieux qu’on aurait pu supposer, mais tout au contraire Jérôme prend le temps de profiter de chaque centimètre carré de ce grand corps somptueux, caressant et posant des bisous de son front à la plante de ses pieds, alternant baisers profonds et gourmands avec de longues succions des seins magnifiques. Il hume, goûte, profite de toute cette surface de peau sublime, elle se laisse faire avec de petits soupirs, les yeux dans le vague. Il la retourne ensuite pour recommencer dans son dos, s’attardant au creux des reins, à la nuque, à la pliure des genoux. Quand il écarte ses fesses pour en déguster le sillon, elle se hisse sur ses membres, fortement cambrée pour mieux s’offrir à cette débauche de caresses. Sa vulve dilatée jaillit d’entre ses cuisses, laissant échapper un long filet de suc prouvant son excitation. Il boit, lèche, lape le nectar qui sourd, aspire le grand clitoris entre ses lèvres et le fouette du bout de sa langue. Elle gémit, relève la tête, aspire l’air entre ses dents puis souffle des « Ja… Oh Ja… ! » et tout son corps s’embue d’une sueur infime.
Sa source coule à flots continus et Jérôme n’y tient plus. Il se redresse et présente son pénis à l’entrée de la grotte qu’il vient d’ouvrir. Il s’enfonce lentement et inexorablement dans l’étui chaud, doux et détrempé, jusqu’à ce que son gland bute contre un bourrelet plus dur en même temps que ses testicules s’écrasent sur la vulve duveteuse. Elle émet un grand « Haaaaaaa oui… ». Enfin ils y sont à ce moment tant attendu. Il reste un long moment immobile, jouissant de l’instant magique, admirant et caressant le splendide cœur renversé qu’il embroche. Il a besoin de partager ce bonheur et s’assoit sur ses talons, entraînant sa désormais maîtresse avec lui. Il repousse sa chevelure, tend le cou et elle retourne sa tête à demi pour un langoureux baiser. De balançoire en levrette, ils roulent ensuite sur le côté pour une cavalière, elle se retourne pour mieux le voir en s’empalant et ils roulent à nouveau en simple missionnaire qu’il fait varier en levant haut ses cuisses. Jamais leurs sexes ne se quittent, jamais l’étreinte n’est violente, ils cherchent juste l’un comme l’autre à partager le plus possible de surface corporelle, comme deux aimants néodymes qu’on laisse enfin se coller.
S’arquant pour passer de sa bouche à ses seins, il saisit ensuite ses pieds pour lever haut ses jambes puis la tourne de côté pour, chevauchant une cuisse et planté profondément entre ses fesses, avoir accès à tout, ses seins, son clitoris, son anus. Ses mains papillonnent de l’un à l’autre, déclenchant enfin un fabuleux orgasme chez sa partenaire, ce qui le pousse rapidement à son tour au plaisir. Mais Anna, ayant encore assez de lucidité pour voir arriver la jouissance de Jérôme, se déconnecte d’un coup et plonge sur le pénis apoplectique, le saisissant à pleine bouche et à pleines mains. Ses beaux yeux bleus encore injectés de sang, elle regarde monter l’orgasme sur le visage de son amant qu’elle branle énergiquement tout en lui pompant le gland et en lui massant les couilles… Jérôme rugit et, dans un ultime coup de reins, se vide d’interminables jets dans la gorge de la jeune femme. Soulagé et épuisé, il retombe sur le dos, elle se jette sur lui après avoir tout dégluti.
- — Mon amour… j’ai soudain réalisé que nous n’étions pas protégés et que je risquais une grossesse accidentelle. Tu ne m’en veux pas, dis ?
- — Bien sûr que non. Tu aurais dû me le dire. Mais ça ne fait rien, tout va bien…
- — Oui, tout va bien, très, très bien même. Merci, c’était merveilleux, tellement doux et fort à la fois…
Elle l’embrasse encore fougueusement, parcourt son cou, son torse, son ventre, à nouveau son sexe… Ils se câlinent longuement avant d’aller satisfaire leur fringale à la cuisine. Il prépare une salade, elle fait cuire des tranches d’agneau avec des haricots verts.
- — Tu sais, mon amour, je n’étais pas vierge, ce qui n’est pas bien pour une luthérienne, mais je vis avec mon temps et j’ai vite voulu savoir ce que c’était. Mais aujourd’hui, quand tu m’as pénétrée, j’ai immédiatement senti que c’était parfait. Je me suis sentie comblée, remplie, pas distendue non plus, juste bien, comme Cendrillon avec sa chaussure. Tu vois ce que je veux dire ?
- — Très bien, tu as trouvé chaussure à ton pied.
- — Encore une expression ? Vite, je note… Tu te rends compte ? Stupide ce conte. Comment veux-tu marcher avec des chaussures de verre ? Tu risques de te couper…
- — Mais non, ce n’est pas du verre, comme les vitres d’une fenêtre, mais du vair, v-a-i-r, une sorte de fourrure grise et blanche, de la peau d’écureuil des pays nordiques, comme le tien.
- — Noooonnn ! Pas possible ?
- — Si, je t’assure. C’est un conte français de Charles Perrault dont c’était la spécialité : Cendrillon, le chat botté, etc. Ce sont des imbéciles ne sachant pas ce qu’est le vair, la fourrure, qui ont compris le verre, comme le verre à boire.
- — Ah ça, c’est incroyable ! Je suis furieuse ! Arriver à vingt-cinq ans pour découvrir qu’on m’a menti depuis mon enfance. Parce que j’avais un livre avec cette histoire, et la chaussure était dessinée, transparente avec des étoiles pour bien montrer que ça brillait. Et même dans le dessin animé, c’était pareil.
- — Eh oui, tout ça fait par Disney avec… un mauvais traducteur !
- — Ha-ha-ha ! Exact, eh oui, on aurait pu le dire à ton copain Yann. Il faut que je lui envoie un mail pour qu’il me transmette un manuscrit à traduire. Je pourrai utiliser ton ordinateur ?
- — Autant que tu veux quand je suis au boulot.
- — Enfin, tout cela pour te dire que j’ai beaucoup joui et que je n’ai qu’une envie, c’est recommencer.
- — À mon avis, tu vas être vite exaucée si tu restes à poil toute la journée.
C’est évidemment ce qui arrive, dans la cuisine d’abord puis sous la douche ensuite. Ce n’est que peu avant dix-huit heures qu’Anna s’écrie :
- — Oh là-là, la petite chérie arrive dans cinq minutes, vite !
Elle se lève d’un bond, enfile la première petite robe venue, attache ses cheveux en boule sur la tête et sort au premier coup de klaxon. Stéphanie se précipite vers elle en criant :
La jeune femme s’accroupit pour prendre la fillette dans ses bras, ce qui laisse voir sa touffe dorée sans la moindre culotte. Jérôme apparaît sur le perron en jean et T-shirt, coiffé avec la patte du réveil et vient à la voiture chercher la petite valise et le sac de jouets. Il ne faut pas être Madame Irma pour deviner que ces deux-là sortent du lit.
- — Bonjour, lance-t-il dans l’habitacle.
- — Salut…
À peine a-t-il refermé la portière que la voiture démarre en trombe. Caroline frappe le volant à grands coups de poing en hurlant :
- — Salope ! La salope ! Elle se tape mon mari et ma fille l’adore… Putain, mais quelle conne je suis, mais quelle conne !…
Certaines prises de conscience sont parfois difficiles…
À suivre