n° 20045 | Fiche technique | 96268 caractères | 96268Temps de lecture estimé : 54 mn | 05/02/21 |
Résumé: Évolution des choses et avancement d'une enquête difficile... | ||||
Critères: ff collègues travail amour humilié(e) contrainte cunnilingu policier -policier | ||||
Auteur : Jane Does Envoi mini-message |
Épisode précédent | Série : La vengeance du fantôme Chapitre 02 / 02 | FIN de la série |
Résumé de l’épisode 1 :
Une vague de suicides ? Qu’est-ce qui peut bien relier ces quatre décès entre eux ?
L’océan atlantique et sa côte superbe enchantaient bien des gens en ce début de juillet ensoleillé. Des tas de gamins s’escrimaient à faire des châteaux de sable que l’eau salée de la prochaine marée décimerait sans pitié. Un cycle immuable depuis des siècles. Les gosses creusaient, pelletaient, maçons de l’impossible, des constructions éphémères qui ne dureraient que le temps d’une vague. N’était-ce pas là le vrai bonheur pour ces têtes pas toutes blondes fort heureusement ? Une jolie femme, allongée sur une natte de coco ne relevait pas le nez de sa revue.
Élyse Clameur profitait de ses vacances pour se détendre. Son mari devait nager quelque part dans ces vagues qu’elle jugeait fort peu sympathiques. Puis il y avait tant de rochers sous les pieds que se rendre un peu plus loin vers le large la rebutait. Bretignolles-sur-mer, la brune jurait qu’on ne l’y reprendrait plus. Ah ça, non ! Pas deux fois, une location dans cette station balnéaire vendéenne. Les voisins de la maison louée à prix d’or, où elle et son mari créchaient, s’avéraient des plus dissipés. Toutes les nuits c’était « nouba et java » au son d’une musique de zazou.
La plage avec ses cris d’enfants, ceux aussi des mouettes et des goélands offrait à la nénette appétissante un repos bienvenu. Le vent chaud qui courait sur sa peau nue jusqu’à la taille contribuait également à lui faire apprécier son rectangle de sable blond. Loin de leur bled paumé, loin de tout, noyé dans la masse grouillante de vacanciers turbulents, Jacques et elle se payaient une seconde lune de miel. Les choses ne fonctionnaient pas toujours aussi bien dans ce vieux couple. Alors, la madone des dunes feuilletait avec une sorte de sourire entendu, sa revue achetée au kiosque de la plage.
Une ombre vint s’intercaler entre le soleil et elle. Ses lunettes aux verres fumés se relevèrent pour voir qui osait entraver sa vue. Il était là. Assez baraqué pour son âge, plutôt un corps bien entretenu, Jacques, le mari si souvent infidèle, lui souriait.
Le mari posait sa paume humide sur le dos chaud de son épouse. Elle eut un vrai sursaut.
Il avait attrapé le flacon qu’elle lui tendait. Son journal posé sur le côté, elle savoura les allers et retours des pattes qui l’enduisaient d’une crème anti-coups de soleil. Ce n’était pas fait pour arranger l’état de son mâle. Son caleçon de bain se déformait au rythme de ses bras qui balançaient ses mains. Pour le taquiner, l’exciter peut-être encore davantage, elle aussi avança sa menotte vers la bosse, heureusement invisible des autres plagistes. À genoux dans le sable, Jacques caressait donc sa belle. Il n’omit rien, pas un centimètre carré de cet épiderme doré comme un « Petit Lu ».
Il s’offrit même le luxe de tripoter la partie des seins qui débordait sur le côté de la natte. Élyse se retint pour ne pas soupirer ou gémir. Ses plus proches voisins auraient pu être alertés par ses manifestations intempestives déplacées, dues aux attouchements particuliers de ce mari amoureux d’elle… pour le moment. Au bout d’elle ne savait pas combien de temps, le feu était aussi en elle. Alors, elle se retourna vers Jacques, la voix rauque d’un coup.
En quelques mouvements rapides, tout leur matériel de parfaits vacanciers était fourré dans le sac de la femme. C’était donc main dans la main qu’ils retraversaient la plage, évitant les corps alanguis au soleil d’été. En louvoyant, ils parvinrent finalement à reprendre le chemin sablonneux qui menait à leur appartement. Ils n’avaient guère eu à marcher que six ou sept minutes. L’orage qui les tenaillait n’avait cessé de titiller leurs sens. La porte à peine franchie, Jacques se jeta sur Élyse. Il n’y avait que bien peu à retirer. Deux misérables slips de bain qui filèrent vers le carrelage nickel de ce loft océanique.
Et si les jeunes d’à côté dormaient, eh bien ce n’était que justice que les cris diurnes de l’épouse les réveillât. Un juste retour des choses pour les punir de les ennuyer toutes les saintes nuits. Un corps à corps fabuleux réunissait ces deux vieux amants qui se connaissaient si parfaitement. Un atout pour chacun d’eux de savoir ce que l’autre attendait. Une osmose parfaitement agencée et les arguments déployés pour se donner du plaisir avaient la priorité. Il ne pouvait en résulter qu’une jouissance à la hauteur de leur désir. Élyse eut un orgasme lent à monter, mais si savoureux à déguster. Quant à Jacques… si la coulée de lave était moins violente avec l’âge, elle n’en demeurait pas moins exquise.
Après la partie de jambes en l’air orchestrée avec maestria par la belle Élyse, une douche s’avérait nécessaire. L’endroit du loft pour se passer sous l’eau, trop exigu pour les recevoir les deux ensemble, elle y passa la première. Puis comme le soleil tapait toujours aussi fort, pas besoin de se vêtir. Si d’aventure les jeunes du logement accolé au leur, l’apercevaient, ils n’auraient que des regrets. Elle s’étala de nouveau, mais cette fois sur un transat sur la terrasse. Son journal refit surface et elle acheva la page commencée sur le sable.
Jacques enfin, une bonne quinzaine de minutes plus tard, refit son apparition, pas plus vêtu que sa Vénus.
Jacques avait presque arraché le journal des mains de sa femme.
L’épisode « lécheries » se prolongeait depuis un bon moment. Si les gamins d’à côté voulaient guetter, ils avaient de quoi se rincer l’œil. Mais à vingt balais, sans doute qu’ils avaient d’autres chats à fouetter, à défaut de chattes à léchouiller. Les râles fusaient sur cette terrasse où deux corps s’offraient un reliquat de bonheur. Les vacances s’annonçaient bien. Un éternel recommencement entre un homme une femme, bien que depuis quelque temps… il était permis de faire des folies entre gens du même sexe.
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Trois semaines sans âme qui vive derrière les fenêtres fermées de la villa cossue qui dominait la ville. Pas question de faire de trop fréquents passages dans les parages, inutile de se faire repérer par le voisinage. L’été battait son plein et beaucoup de citadins avaient fui la ville. Juillet se mourait, sous un soleil de plomb plus difficile à supporter entre les murs des rues vides. Les aoûtiens dans un grand chassé-croisé allaient bientôt remplacer les malheureux qui finissaient leurs vacances. Le monde continuait sa rotation immuable.
Puis un beau matin, les persiennes s’étaient relevées. Enfin un signe de vie qui signifiait le retour du couple occupant cette chouette demeure. Il ne restait plus qu’à finir la besogne entreprise des mois plus tôt. Trouver le bon moment, le moyen aussi de faire, de passer inaperçu, telle une ombre, une gageure qui lui faisait danser le cerveau, lors des trois premiers « suicides ». Un seul regret, l’anicroche « Marinette ». Mais le fantôme se promit de la prendre en charge dès que son job serait enfin achevé. Seul le sort de Jacques n’était pas encore soldé. Une question de temps sûrement et son heure allait sonner.
Une mini Cooper sortait de la longue allée gravillonnée dont le portail électrifié venait de s’ouvrir. Au volant, un petit bout de femme. Une belle plante jugea l’observateur inconnu. Mais il savait déjà tout sur les résidents de la baraque. Une patience d’ange lui permettait de connaître, sinon les habitudes des habitants, du moins la plupart de leurs déplacements. Sans doute que la nana se rendait au supermarché. Après les congés, remplir le frigo devenait une nécessité. Élyse… la forme en noir connaissait même son prénom, Élyse la femme de Jacques… en elle résidait le principal obstacle à la mise au point d’un stratagème menant à l’exécution du gaillard.
L’écarter le temps de faire son boulot de nettoyage, difficile, mais pas vraiment insurmontable. Après cela, son travail serait enfin définitivement clos. Plus de quinze piges d’attentes, de tortures morales pour une délivrance expédiée en quelques semaines ! Si elle l’aidait à aller de l’avant, l’autre là, qui patiemment guettait sa proie, ne s’en glorifierait jamais. Il s’agissait en fait de débarrasser la terre de quatre ordures. Combien de victimes ces salopards avaient-ils à leur actif ? Facile d’abuser sexuellement de paumées, de leur faire miroiter des montagnes de pognons et de ne prendre que leur virginité sans leur accorder la moindre chance.
De plus, certains sévices seraient gravés à tout jamais dans l’esprit de la plupart de ceux dont le quatuor avait abusé. La silhouette qui se tenait tapie pas très loin de l’ultime cible en savait quelque chose. Elle portait dans sa chair des stigmates toujours terriblement palpables. Trois initiales gravées au fer rouge, une lettre sur chaque fesse… et summum de l’horreur la dernière juste au-dessus de l’anus. Ces trois marques justifiaient aux yeux de ce spectre longiligne, une vengeance légitime. Des larmes de rage venaient de monter dans les yeux de ce vengeur encagoulé.
Jacques Clameur… Celui-ci n’était pas plus coupable que les trois autres ! Pas moins non plus et sa seule présence sur les lieux, sa participation en plaquant au sol la victime, encourageant tacitement le bourreau à cramer la viande… méritait le châtiment suprême. Bien sûr, personne n’avait voulu prendre la plainte portée à l’époque des faits. Ces salopards étaient des fils à papa intouchables et la parole de quelques traîne-misère n’aurait pas pesé bien lourd, face à l’armada de conseils que les parents n’auraient pas manqué de faire monter aux créneaux. Oui… son combat était plus juste et surtout… sans appel !
Bien… le temps de l’action s’annonçait. Tout préparer pour une réussite totale était primordial et les faits lui donnaient raison. Les flics chargés de faire la lumière sur chacun des « suicides » y perdaient leur latin. Là encore, l’ombre avait suivi les informations et s’était aussi rendue dans le bistrot qui servait certains soirs de quartier général aux policiers. Les oreilles grandes ouvertes, c’était fou ce qu’il était possible de glaner. Un seul bémol, cette victime collatérale qu’était devenue Marinette. Pas question de la laisser moisir dans un asile psychiatrique. Si elle avait perdu l’esprit, ce n’était pas du tout prévu.
Comme quoi, rien ne serait toujours vraiment parfait, quoi qu’on en pense. Mentalement, il lui fallait récapituler et contrôler que tout se passerait pour le mieux. Prévoir pour ne pas avoir à subir. Alors le cerveau de cet exécuteur se mit en mouvement. La voiture de Jacques… celle dont il était si fier était remisée au garage. La grande silhouette franchit donc l’espace libre entre le portail et son poste de guet. Reconnaître les lieux, pour savoir comment opérer. Bon ! Pas si difficile après tout. Le point noir… Élyse… mais pour elle il y aurait toujours un bon moyen de l’éloigner suffisamment de temps pour… oui ! Ce serait jouable.
Jacques et elle étaient de retour depuis une semaine. Elle avait fait le jour de leur arrivée les courses urgentes. Mais ce matin, il lui fallait réapprovisionner la maison en produits moins essentiels. Donc elle poussait son chariot dans les allées du supermarché local en évitant les ménagères pressées ou les personnes âgées qui déambulaient dans les rayons. À plusieurs reprises un caddie avait failli heurter le sien. C’était fréquent ce genre de mésaventures, les gens ne faisaient plus attention à rien. Sa liste à la main, elle engrangeait tout ce qu’elle avait pris soin de noter sur son papier.
Du beurre doux ! Il était écrit là que la maison en manquait. Et c’était en se baissant pour en saisir une plaquette qu’une vieille connaissance l’apostrophait.
Un sursaut et deux regards se croisaient, se reconnaissaient également.
Un chariot glissait le long de ceux des deux discuteuses qui venaient de lui céder un peu de place.
Élyse et sa copine Maurine suivirent des yeux la forme qui poussait devant elle sa caisse à roulettes vide. Elles se sourirent et dès que l’autre eut disparu dans une contre-allée, un peu plus loin dans les rayonnages du magasin, la conversation reprit de plus belle.
Élyse filait vers les caisses, alors que son amie Maurine continuait ses courses. Un peu plus loin, dans la travée des gâteaux et bonbons, un curieux personnage ne quittait pas des yeux la femme qui s’activait à terminer ses emplettes. Lorsqu’elle sortit, une singulière filature se mettait en place. Et en quittant le parc à voitures, après avoir rempli son coffre de ses achats, l’amie du couple ne remarqua pas le moins du monde qu’elle avait à ses basques, un véhicule distant de quelques centaines de mètres.
Arrivée devant chez elle, la femme déchargea son coffre tranquillement, sans se douter que des quinquets anonymes la reluquaient toujours depuis l’abri de l’habitacle de la bagnole qui l’avait suivie. L’occupant du véhicule attendit patiemment de longues secondes avant de marcher sur le trottoir, de relever les noms sur la boîte à lettres et de regagner sa tire. Voilà… son plan lentement se mettait en ordre de marche. Il savait le blase de la bonne copine et celui-ci devrait lui servir pour éloigner Élyse de son mari… le temps nécessaire à la réalisation de ses projets.
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Aux environs de deux heures du matin, plus aucune lumière dans la rue du Général-de-Gaule, là où les époux Clameur vivaient. Une jolie maison de plain-pied que la belle Élyse avait décorée avec un goût très sûr. Caché dans un bouquet de noisetiers sauvages, le guetteur avait vu les deux personnes d’abord regarder un film à la télé, puis faire comme des milliers de couples ce soir-là. Le porno de Canal était plus que jamais toujours d’actualité ce premier samedi du mois. Si le visiteur inconnu ne voyait rien des images diffusées par le petit écran, en revanche, il avait une vue panoramique totale sur le canapé.
C’était édifiant ! Les attouchements conjugaux s’étaient de plus en plus précisés au fil des images cochonnes qui se déroulaient devant les deux tourtereaux. Leurs gémissements avaient fini par se mélanger à ceux du son de la télé. Ceux des amants gardaient un aspect de sincérité que les acteurs X ne sauraient jamais retranscrire. Rien ne serait jamais meilleur que le réel, quoi ! La petite affaire du couple n’avait guère duré au-delà du film et ils quittèrent ensemble le salon. Depuis un bon moment, tout semblait endormi. Les lampes de rue aussi étaient soufflées depuis quelques instants.
Deux ou trois enjambées avaient amené le voyeur devant la porte-fenêtre. La serrure de celle-ci n’était même pas verrouillée. Un jeu d’enfant de la pousser pour gentiment pénétrer chez ces gens, trop confiants ! Pas question de voler quoi que ce soit. Il s’agissait seulement de remplacer les comprimés que Jacques prenait chaque matin pour sa Thyroïde qui ne fonctionnait plus très bien. L’avantage d’avoir visité la baraque lors des vacances du couple. L’ordonnance de Clameur qui se trouvait dans son bureau montrait là son utilité.
Le visiteur attrapait le pilulier au nom de Jacques, et en un tour de main remplaçait les dragées contenues dans la boîte, par d’autres. Demain matin, en lieu et place de son comprimé habituel, le bonhomme avalerait un somnifère bien costaud. L’intrus se mit aussi en quête du portable d’Élyse. Celui-ci se trouvait sur la table du salon, à côté du téléphone de son mari, là où elle s’était laissé dévêtir un peu plus tôt par son gaillard en rut. Il ne fallut pas plus de dix secondes à la grande silhouette sombre pour récupérer le numéro de la maîtresse de maison et la puce de celui de Jacques. Les dix chiffres notés, aussi discrètement qu’il était entré, le corps souple ressortait de cette maison, ni vu ni connu !
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Le commissaire entrait dans une rage folle. Anita blasée essuyait ce nouvel orage sans rien dire. Il n’était pas le premier et ne serait pas le dernier. Une véritable épidémie de suicides et de morts sans explication et le big boss en bavait de colère. Mais il était d’abord flic et c’était sans doute plus pour stimuler sa capitaine que pour la critiquer. La gestion des dossiers s’avérait parfois hasardeuse et le coup de pouce du destin dans ce genre de situation intervenait quelquefois d’une manière très aléatoire. La pluie de réprimandes du soir n’avait du reste aucun effet sur cette bonne flic.
En retournant sur ses dossiers, Anita avait la sensation que depuis quelque temps, un vent de folie soufflait hors des murs du commissariat. Les suicides ou décès plutôt étranges s’accumulaient. Difficile cependant, au vu du peu d’éléments retrouvés sur les lieux de ceux-là de conclure à des morts non naturelles. Il aurait fallu y consacrer un temps qui lui faisait cruellement défaut. Maryse et elle passaient déjà les trois quarts de leur journée à enquêter et décemment, elles n’arrivaient pas, n’y parviendraient jamais, à faire mieux.
La brigadière la vit rentrer dans le burlingue avec sa gueule des mauvais jours. Pas le moment de poser des questions, quand sa supérieure faisait cette tronche, elle n’était pas bonne à prendre avec des pincettes. Elle replongea donc son nez dans les procès-verbaux ouverts devant elle.
Maryse et sa cheffe s’éclipsèrent donc dans l’indifférence générale de la maison « poulaga ». Il flottait. Un de ces crachins qui mouillait jusqu’aux os les carcasses des personnes sans imperméable. Lors du court trajet du bureau à leurs voitures respectives, les deux fliquettes étaient trempées comme des soupes. Elles se firent un signe de la main et chacune s’éloigna vers son domicile. Anita songea que la douche ne serait pas un luxe. Elle se lova sous le jet sympa d’une eau domestique qui la lavait de sa journée de boulot.
Mais avec cette pluie tiède, quelques idées moins… prudes montèrent à son esprit. Et pour finir, une sorte d’envie refoulée depuis un moment revenait à fleur de peau en songeant à un précèdent avec cette Maryse appétissante. Elle sourit à son miroir en mettant une dernière touche à un maquillage très succinct. Après tout, elle ne vivrait qu’une fois, alors pourquoi avoir des regrets ? Elle fila chez l’épicier du coin. Une tarte aux fraises, et une bonne bouteille de rouge, elle se sentait prête pour… oui, s’envoyer en l’air.
Maryse, chez elle, en cuisinant ses patates, songea que ce petit break d’une soirée leur serait salutaire. Puis il arrivait souvent qu’à force d’avoir les choses les plus évidentes sous les yeux, on ne les vît plus ! Dans sa sauteuse, les pommes de terre rissolaient délicatement, les côtes de porc embaumaient la cuisine. Elle mit le feu très doux, juste pour réserver au chaud les casseroles. Avec une sorte de soupir d’aise, elle fila vers sa salle de bain. Pas besoin d’allumer un feu qui couvait déjà en elle depuis… qu’elle savait qu’Anita venait.
Si l’exactitude était bien la politesse des rois, le capitaine Solivers méritait une couronne. Pile-poil à vingt heures, elle pénétrait chez sa collègue. De suite ses narines frémirent à ces odeurs délicieuses qui s’échappaient des fourneaux de Maryse. Dès l’ouverture Anita sentit qu’elle avait bien fait de se pomponner. Une fois n’était pas coutume, elle avait aussi délaissé son jean pour une robe boutonnée sur le devant. Un miracle de la voir ainsi vêtue… en vraie femme. L’hôtesse non plus ne s’y était pas trompée, qui avait souri.
Le tête-à-tête entre elles avait été des plus cordial. Un petit plus avant de passer à des jeux moins sérieux. La fermeture de cette fameuse robe avait résisté assez longtemps pour faire perdurer une température que l’apéro et le vin, à table, avaient largement contribué à surchauffer. Le réconfort se cachait dans ces caresses échangées, dans des baisers enflammés et pour finir, une bonne partie de la nuit avait été consacrée à… oublier les vilaines choses de la vie et de la mort aussi. Personne ne songerait à blâmer ces deux-là qui se noyaient dans un plaisir intense. Demain serait un jour tout neuf, il serait toujours temps d’aviser.
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Juste au lever, Élyse fit glisser devant le bol de son homme son médicament. Il régulait sa thyroïde et par là, son humeur également. Ainsi après son premier devoir, à savoir un petit tour aux toilettes pour soulager sa vessie, Jacques avala la pilule avec un trait d’eau fraîche. Dans un quart d’heure, il petit-déjeunerait en compagnie de sa belle. Mais pour l’heure, celle-ci mettait en route son Android. Une palanquée de messages faisait grelotter la sonnerie spéciale « SMS ». Le dernier émanait de Maurine, la bonne copine retrouvée au supermarché quelques jours plus tôt.
Elle lui demandait de passer le plus rapidement possible sans trop expliquer de quoi il retournait. Elle recommandait aussi expressément de ne rien dire à Jacques, pour une affaire de la plus haute importance qui nécessitait la plus absolue discrétion. Puis le message stipulait également de ne pas éveiller les soupçons du mari de Maurine, donc de ne pas rappeler au téléphone. Très intriguée, Élyse après avoir englouti ses deux tartines emmiellées avertissait son homme d’une course urgente.
Jacques se sentait vaseux et lui rétorquait qu’il allait se poser sur le canapé, qu’elle pouvait prendre tout son temps. Son épouse jetait un regard suspicieux sur son époux, un peu inquiète.
Il baillait à s’en décrocher la mâchoire et ses gestes semblaient ralentis. Alors à demi rassurée, la gentille épouse sautait dans sa voiture et s’empressait d’aller visiter sa vieille amie. Il lui faudrait presque une heure de route, dans le meilleur des cas, si la circulation le permettait. Le cul de la bagnole avait tout juste viré au carrefour, une silhouette toute noire sauta prestement hors du bouquet de coudriers où elle se terrait depuis le lever du jour. En quelques pas, l’intrus trouvait la porte d’entrée non fermée et se glissait dans l’habitation.
Il ne lui fallut guère plus de deux minutes, pour repérer l’homme sur le canapé. La manipulation des cachetons avait joué son rôle et le propriétaire de la baraque, étendu de tout son long sur le sofa, dormait paisiblement. Le visiteur lui leva le bras sans qu’il ne manifestât une réaction. Alors au prix de mille précautions et surtout d’un énorme effort Jacques se trouva soulevé littéralement et emporté vers le garage. Dans celui-ci restait la guimbarde du gaillard, celle dont il se servait pour aller à la pêche. Et c’était sur le siège avant, côté passager que le fantôme installait le dormeur.
Le reste devenait mécanique. Relier un tuyau allant de l’échappement du véhicule à l’habitacle en passant par la vitre latérale « chauffeur ». Clore l’interstice entre la glace et la carrosserie, mettre en route le moteur et disparaître, non sans s’être assuré que tout allait comme il se devait. Un retour à l’intérieur, pour vérifier, surtout ne pas omettre de remettre la puce dans l’appareil de Jacques. Il ne faudrait guère de temps et sans vraies douleurs pour que l’âme de Jacques s’évade de son corps endormi. Son exécution bouclait un long processus de vengeance qui avait débuté des années auparavant. Pas un seul faux mouvement, tout s’orchestrait au millimètre près, par des gestes précis, efficaces. Tous minutieusement préparés, concoctés, évalués, décidés, le point d’orgue étant ce dernier « suicide » en cours.
Maurine, qui voyait débarquer chez elle une Élyse un peu affolée ne saisissait pas vraiment ce qu’elle fichait là. Les explications saugrenues et abracadabrantesques que lui fournissait son amie n’arrangeant pas une compréhension difficile.
Lors du trajet de retour, angoissée au possible, Élyse avait multiplié les égratignures au Code de la route. Maurine s’agrippait à sa portière et surtout fermait les yeux à chaque virage que son amie coupait outrageusement. L’anxiété de la femme de Jacques, palpable, se ressentait dans sa conduite dangereuse. Néanmoins les deux femmes mirent à quelques secondes près, une heure pour rentrer. Immédiatement, suivie par sa copine, Élyse appelait son mari tout en se rendant au salon. Personne ! Toujours réunies, elles firent le tour des pièces à vivre de la demeure. Pas de traces du bonhomme.
Ce fut Maurine qui la première détecta le ronron étrange d’un moteur dans le garage. Visiblement Jacques avait démarré sa voiture dans l’appentis où étaient remisés les deux véhicules du couple.
Elles se précipitaient toutes deux vers l’endroit d’où le son monotone du moulin se faisait entendre. Élyse entra par la porte latérale. On ne distinguait plus rien dans l’habitacle totalement envahi par une sorte de brouillard bleuâtre. Un véritable cri de désespoir déchirait alors l’espace confiné du bâtiment.
Un grand silence après que le moteur s’était tu et que le vantail de la bâtisse fut ouvert… Un silence de mort. Élyse, tétanisée par la vue de son mari qui, assis sur le siège, semblait dormir simplement. Maurine sortait pour appeler les secours, il fallait bien que l’une des deux réagisse sainement. Le SAMU serait là d’ici quinze minutes, mais sans doute était-il déjà trop tard. Jacques ne respirait plus du tout. Élyse soudain fléchit sur ses genoux et un autre cri déchirant résonna dans cet endroit maudit.
Son amie se mit elle aussi à genoux près d’elle. Elle l’attira contre son épaule. Sa meilleure copine avait des soucis et ce geste ne prêtait pas à confusion. Il n’y avait aucune méprise. Le drame qui se jouait là les rapprochait encore un peu plus.
Tel un zombie, Élyse sortait de la remise. Soutenue par Maurine, elles s’approchaient de la policière en civil qui accompagnait une autre femme. Le médecin des pompiers se précipitait vers la voiture…
Élyse soutenue par Maurine et par cette Maryse parvenait à entrer dans la maison… Elle prit place sur un siège de la cuisine.
Alors Maurine avait commencé son récit. La policière prenait des notes. La copine expliquait comment sa potine avait débarqué chez elle. Elle insista sur l’histoire du message, narra aussi la découverte dans la bagnole. Maryse, rejointe par sa cheffe posait des questions, écoutait, écrivait. Elle voulut voir le téléphone de la femme, celui du mari. Ce fut Anita qui posa d’un coup une question surprise.
La femme avait pris sa tête entre ses mains. Elle sanglotait doucement. Anita et Maryse étaient ressorties pour discuter avec le type des secours. Le toubib avait une gueule connue d’Anita. Elle se souvenait de ce gaillard.
Dans la cuisine, une bonne odeur de café frais régnait. Maurine montra du menton le pot qui en contenait encore. Sans prononcer un mot, elle demanda aux deux enquêtrices si elles en désiraient une tasse. Anita vint s’asseoir face à Élyse qui, prostrée, tournait sans cesse sa petite cuillère dans le breuvage noir. La voix de la copine creva le silence.
Maryse répondit par l’affirmative.
Anita et Élyse s’éclipsaient vers la chambre conjugale et effectivement, du tiroir un agenda avec une photographie atterrit dans les pattes du capitaine.
L’image entre les doigts d’Anita… avait un air de réchauffé. Une sorte de bouffée de chaleur qui accompagnait toujours les avancées significatives d’une enquête, un signe qui chez la flic ne la trompait jamais. Cette photo, ou plus exactement une tout identique lui revenait en mémoire. Un peu de lumière illuminait d’un coup toutes ces morts inexpliquées. Quatre types sur la reproduction… et tous morts dans des circonstances bizarres. Il n’était plus question de coïncidences désormais. Il y avait bien un lien entre ces quatre hommes qui posaient sur le cliché.
De retour au commissariat, les deux nanas reprenaient les dossiers de ces quatre défunts. Il devait forcément y avoir un truc qui leur avait échappé. Le lien était cette photo. Sur celle-ci, ce n’étaient que des gamins… enfin une petite vingtaine de piges, vingt-cinq tout au plus. Les deux flics allaient devoir creuser dans la direction de ces années de jeunesse. Mais que chercher ? Et surtout où ? Les morts avaient presque tous, entre quarante-cinq et cinquante balais, et s’étaient tous « suicidés » dans un laps de temps très réduit. Le lieu de leurs études… un point de départ ?
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Anita et Maryse avaient donc rendu visite à tous les professeurs susceptibles d’avoir connu les quatre gaillards. Bien entendu que quinze ou vingt ans après, retrouver des témoins s’avérait compliqué. Une photo de classe, celle de fin d’année, qui alimentait le livre du bahut… permettait cependant de remonter à quelques noms. C’était donc ainsi que plusieurs anciens étudiants avaient donné quelques détails assez glauques sur les « mousquetaires ». Oui ! Les garçons et les filles de leur université les avaient surnommés ainsi. Il semblait régner autour de ces loustics une atmosphère relativement secrète.
Pour les hommes qui les avaient côtoyés, aucun n’avait voulu rester ami avec eux en général et le nommé Dominique Staneley-Kaly en particulier. Au fil des discussions, les mots enfin montraient que ces mecs, inséparables étaient la terreur des nanas du campus. Bien peu d’entre elles osaient raconter des horreurs. Mais l’une d’entre elles, une nommée Cynthia Pourtois brisait enfin la loi d’un silence pesant. Les deux flics sonnaient un samedi matin chez cette femme, mariée depuis et maman de deux gamins.
Cynthia venait de dégrafer sa robe et elle présentait son épaule à la vue des deux fliquettes. Une sorte de cicatrice rose violet, longue d’une dizaine de centimètres.
Les deux enquêtrices avaient la tête farcie des mots assez durs prononcés par cette Cynthia Pourtois. Elle n’avait pas tout à fait tort. Les consciences n’évoluaient pas assez vite et trop d’affaires de mœurs étaient encore taboues ou entravées pour des raisons bien mâles connues. Et sous ces macabres découvertes, il se cachait un gros caca bien puant, dont les odeurs commençaient à remonter. Normal ! À force de remuer la merde, son fumet faisait des vagues. Anita et sa collègue démêlaient un écheveau et le fil qu’elles tenaient demeurait bien ténu.
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La gare, un endroit de la ville très fréquenté. Comme toutes les gares de province, elle restait un peu le cœur de celle-ci. Au restaurant, le coup de feu du soir remplissait la salle et les employées allaient et venaient. Aucune n’avait les deux pieds dans le même soulier. Le temps du dîner accélérait les mouvements et les serveuses s’affairaient avec pourtant toujours le visage souriant. Une grande brune, très mince, venait le crayon et le calepin en main, prendre la commande de deux femmes qui visiblement n’étaient pas des clientes habituelles.
Elle était repartie. Une belle femme finalement avec un visage aux traits agréables, bien que mangé par une paire de lunettes. Les deux clientes suivaient des yeux la silhouette presque maigre de cette employée affable. Quelques instants plus tard, les boissons servies chatouillaient les papilles de celles qui s’apprêtaient à déguster un plat alléchant. La serveuse, dont le badge arborait le prénom « Hélène », commandes prises, était de nouveau accaparée par une table proche. Un court instant elle eut la sensation que les regards des femmes de la table dix s’appesantissaient un peu trop sur ses hanches.
Pour la soirée « dînette » préméditée depuis quelques jours, les deux donzelles s’étaient faites belles. Dans l’esprit d’Anita, ça passait par la case robe ou jupe, et chez Maryse, c’était légèrement plus complexe. Il n’y avait plus de cheffe ou de subordonnée. Juste deux amies ou plus exactement deux amantes qui affectionnaient de se retrouver dans un lieu où personne ne se préoccuperait de leur métier, de leur petite personne tout bêtement. Mais comment résister à ce besoin viscéral d’allier l’utile à l’agréable ?
Elles n’avaient discuté de rien et fini par atterrir dans ce restaurant bondé. Pour passer inaperçue, la foule semblait tout indiquée. Le prénom noté sur le badge de la serveuse les ramenait toutes les deux dans leur enquête. Pas moyen d’échapper à cette fatalité ? Pour cela, il eut fallu que l’une et l’autre en eussent envie et ce n’était pas le cas. Leurs yeux s’étaient ostensiblement attachés à suivre les faits et gestes de cette femme que les dires de Cynthia Pourtois avaient mis en évidence. Mais les quinquets inquisiteurs des flics malgré tout ne passaient pas inaperçus.
Les œufs mimosas de l’entrée égayaient les assiettes et aiguisaient l’appétit. Ensuite vinrent les magrets de canard au miel et vinaigre… une pure merveille qui fondait dans leur bouche. Le tout arrosé d’un petit vin de pays et les prunelles de Maryse brillaient déjà de mille feux. Chez Anita, c’était plutôt les mains qui en disaient long sur sa satisfaction du moment. La soirée s’annonçait sous des auspices bienveillants et ni l’une ni l’autre ne cherchait à bouder le plaisir simple de dîner en tête à tête.
Demain serait un autre jour et il serait temps de prendre la température auprès de cette serveuse pas si mal gaulée. Mais interdiction de toucher autrement qu’avec les yeux… déontologie obligeait. Autant profiter de ce que le chef de cuisine concoctait et rien que la vue attirait l’appétit. Alors lorsque les dents plongèrent dans les aliments raffinés… un éveil sensoriel exquis monta au-delà de leur gosier, une sensualité qui s’inscrivait dans leur corps via l’estomac. Un régal, une merveille que chacune appréciait à sa manière. Maryse sentit que le pied de celle qui lui faisait face appuyait légèrement sur le sien.
La seule réponse fut la main sur la table qui vint à la rencontre des doigts de son accompagnatrice. Le petit manège des femmes qui devenaient plus femelles n’échappait pas à cette serveuse qui s’était sentie visée par leurs regards attentifs. La conclusion devenait donc évidente. Ces deux nénettes étaient lesbiennes et son joli derrière avait donc un attrait potentiel pour elle. Ça la rassura de le savoir. Les derniers mois avaient mis ses nerfs à rudes épreuves. De plus, remarquer que d’autres femmes ne se gênaient plus et osaient ostensiblement s’afficher dans un lieu aussi fréquenté, sans peur, un signe que la toute-puissance masculine déclinait ?
Hélène avait connu le sexe avec quelques messieurs. Puis un groupe, un soir l’avait dégoûtée à vie de cet appendice qui leur pendouillait entre les jambes. Pas pour ce qu’il représentait, non ! Mais parce que ceux qui le portaient, pour le faire bander, employaient des méthodes… plutôt dégueulasses. Plus jamais depuis l’époque de ses études, elle n’avait accepté de recevoir dans son lit un homme, pas plus qu’elle n’aurait voulu entrer dans le pieu d’un mec. Souvent, il lui arrivait encore de faire des cauchemars suite à une soirée pourtant bien lointaine déjà.
En voyant ces doigts qui se joignaient sur la nappe blanche, elle eut un sourire. Et si ses pensées lui donnaient chaud au cœur et peut-être même au ventre, elles n’avaient rien de masculin. En fermant les yeux, elle se revoyait ce maudit soir-là. Invitée par Dominique, le fort en gueule d’un quatuor dont toutes les filles du bahut parlaient, elle s’était crue plus forte, plus maligne aussi que toutes celles qui l’avaient prévenue. À vingt ans, toute la vie s’étalait devant elle, et que connaissait-elle de la méchanceté de certains ?
Pas grand-chose pour ne pas dire rien. Confiante, sûre de sa beauté, de cette fraîcheur que lui conférait sa jeunesse, des rêves plein la tête, comment se serait-elle doutée de ce qui allait arriver ? Un petit flirt qui débutait d’une manière tellement douce. Puis sans raison tout avait chaviré, basculé dans l’horreur la plus absolue. Dominique au début était seul avec elle dans un appartement tellement immense. Il avait de l’argent, ne s’en cachait pas. Il avait voulu jouer. Aller plus loin dans ce flirt déjà très poussé.
Sentant que les choses lui échappaient, elle ne voulait plus continuer. Mais il devenait de plus en plus insistant et sans trop comprendre comment, Hélène s’était retrouvée les mains et les pieds liés. Le garçon bavait et les cris, les plaintes, les supplications de la jeune fille avaient envenimé la situation. C’était bien ce soir-là qu’elle avait appris, compris que parfois les pleurs attisaient, accentuaient les envies des mâles. Il lui avait alors arraché ses vêtements. Et il avait fourré ses pattes partout… À quel moment avait-il invité ses copains ?
L’histoire d’amour, les mots doux avaient vite dérapé et elle se trouvait incapable de faire face. Même ses larmes avaient excité ces quatre salauds. La nuit avait été d’une longueur sans fin. Une nuit d’amour ? Pouvait-on seulement imaginer le calvaire ? Trois types l’avaient à tour de rôle montée, le quatrième lui se contentait de se branler en chouffant la scène. Invité par ses potes à se montrer plus masculin, il n’avait cependant pas franchi le pas. Hélène avait tenté de le faire fléchir, le suppliant de l’aider. Le résultat avait été que celui qui l’avait invitée avait eu une idée géniale.
Dans la cheminée, sur les braises du bois qui brûlait, il avait fait chauffer le tisonnier… Depuis cette nuit d’enfer… un « D » ornait le haut de la fesse gauche de la jeune femme. Un « K » lui creusait la droite. Mais le pire c’était bien qu’à ras de son anus comme pour lui faire savoir chaque jour depuis cet instant que sa chair était à lui, un « S » horrible lui avait arraché des hurlements et continuait à la hanter. Elle avait subi longtemps… et au petit matin les quatre mecs l’avaient littéralement jetée dehors, comme un paquet de linge sale.
Non sans l’avoir avertie que si elle racontait ce qui s’était passé, il lui arriverait des bricoles. Hélène n’avait pas tenu compte de leurs menaces et la suite avait donné raison… aux types. Les flics ne l’avaient même pas écoutée. Le copain du fils d’un magistrat ne pouvait pas faire de saloperies… quant aux traces… personne n’avait seulement voulu la croire. La rage petit à petit imprégnait chacune des pensées de cette femme bafouée, violentée. Alors oui… elle avait tout quitté. Ses études, sa région, même sa famille. Il lui avait fallu beaucoup de patience et une dose incroyable de courage pour continuer à vivre…
Une seule idée, fixement ancrée en elle, l’avait fait tenir et encore tenir… la vengeance. Elle était après de nombreuses années de galère revenue sur les lieux de son crime. Et sa quête pour retrouver un à un ces quatre ordures était aujourd’hui récompensée. Ils avaient tous payé pour ses maux qu’elle avait endurés. Mais ça ne la rendait pas plus joyeuse pour autant. Non ! Sa vie, sa sexualité avaient du plomb dans l’aile. Impossible de voir dans les mecs qu’elle croisait autre chose que des bourreaux potentiels.
Incapable de vivre des amours normales, Hélène enviait ces deux femmes qui lui prouvaient par A plus B que tout était encore possible. Après plus de vingt années passées à avoir peur, une petite lumière d’espoir s’allumait là, dans ce décor d’un restaurant où elle gagnait sa croûte. Alors lorsque les deux femmes qui visiblement se montraient de l’affection lui avaient souri… elle aurait tout donné pour un instant d’un tel bonheur. Lorsque celle qui paraissait la plus âgée s’était éclipsée vers les toilettes, que l’autre n’avait pas tardé à la suivre, Hélène aurait tellement voulu voir, savoir ce qu’elles se faisaient.
Les prunelles brillantes, celle que sa compagne appelait Maryse était venue régler la note. Leurs regards s’étaient aussi un instant mélangés et Hélène voulait y lire une promesse. Celle de se revoir peut-être ? Celle de ne plus être seule avec ses fantômes. Celle de ne plus sentir le poids de ce qu’elle avait fait, pour retrouver le calme et surtout… pour que plus une femme ne subisse ce que ces gars, ou plus exactement ces animaux qui ne méritaient pas la dénomination d’homme, étaient capables de faire…
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Les quelques verres d’alcool pris au cours de la dînette amplifiaient les émotions chez les deux nymphes. Ils décuplaient également les envies sensorielles. C’était donc sans y réfléchir plus que cela qu’elles avaient de nouveau partagé la même couche. Des mains baladeuses, des bouches voraces, tout était matière à se donner du plaisir. Et comme dans toutes choses, l’expérience entraînait aussi une plus grande liberté de mouvement, en décomplexant totalement les deux femmes qui savaient désormais, ce que l’autre attendait.
La fin de nuit avait été agitée. Pour la première fois aussi, Anita avait osé sortir des accessoires qui, s’ils ne remplaçaient jamais un sexe d’homme, pouvaient pour une partie de « cul » ponctuelle, donner le change. Les avantages d’une queue sans les inconvénients qui l’accompagnaient trop souvent. Un bon compromis dont les deux lèche-foufounes s’accommodaient aisément. Dans les caboches qui s’activaient entre les cuisses, ou sur toute autre partie du corps des deux partenaires, le derrière de la serveuse à lunettes s’imprimait en filigrane.
Aucune n’en avait expressément parlé, et pas question de la mettre sur le tapis ou entre elles lors de leurs ébats plutôt… poussés. Mais indéniablement cette femme avait du chien. Une sorte d’aura qui ne passait pas inaperçue. Alors après qu’à tour de rôle elles eussent joui, que le calme revenait dans la chambre où les mains restaient jointes, cette Hélène faisait l’objet de toutes les pensées. Aucune n’en parlerait avant d’avoir discuté avec cette femme du sujet de leur enquête. Anita et Maryse finirent par s’endormir. En se lovant, l’une et l’autre contre sa compagne de fornication.
Le lever de soleil de ce lundi d’une semaine toute neuve allait porter deux femmes flics aux portes du restaurant où elles avaient dîné le samedi soir précédent. L’employée arborait toujours un sourire de circonstance en voyant avancer vers elle ces deux clientes nocturnes. Elle fut d’autant plus surprise lorsque la plus âgée des deux lui colla sous les narines une carte de police.
Anita venait de pousser sur le bar derrière lequel la serveuse se tenait, une photo. La femme la prit entre ses doigts. Ceux-ci tremblotaient de plus en plus. Maryse observait les réactions de la nana. Une espèce de raideur dans le haut du corps, le sang qui refluait du visage, la môme accusait le coup. Après, la défiance des gens à l’égard de la police pouvait se justifier par mille petites raisons. Cette femme sur la défensive tressaillait devant le cliché qui était couché sur le zinc.
La plus ancienne des policières parlait. L’autre se contentait de scruter les moindres mouvements d’Hélène. Cette dernière passa la tête par la porte de communication, bar-cuisine. Elle s’adressa à une personne invisible des deux keufs.
Une voix grave monta alors de l’autre côté de la cloison.
Le reste perdu dans le brouhaha des bruits du chef qui donnait ses ordres à ses arpettes… et déjà la serveuse prenait la direction de l’extérieur, où quelques tables attendaient les clients.
Alors les yeux perdus dans le vague d’un autre soir, d’une nuit de cauchemar, la femme avait laissé aller tout ce qui encombrait son esprit. Elle narrait alors par le menu ce premier moment doux au possible qui pourtant avait débouché sur la pire des nuits de sa vie. Tout restait inscrit dans sa mémoire et chacune de ses paroles ramenait à la vie ses souvenirs. Pas très joyeux, franchement pourris même. Et quatre oreilles écoutaient avec attention, sans interrompre cette Hélène qui revivait vraiment les pires instants de son existence.
Elle reprenait son souffle de temps en temps, expliquant parfois lorsqu’Anita semblait ne pas saisir son très long calvaire enduré. Comment après quelques gentillesses, il n’avait plus été question de consentement ou de tendresse ? Comment aussi la parole d’une femme comptait peu dans la sphère macho de ces années-là ? Puis les atrocités qui avaient à jamais mutilé sa peau. La stigmatisant à vie. Elle s’attachait à retracer son long périple pour se faire entendre. La brisure de ses rêves sur l’incroyable mauvaise foi des mecs qui se serraient les coudes.
Elle parlait, ne pouvant plus s’arrêter de ressasser les événements qui avaient marqué sa vie tout comme ses chairs au sens figuré, mais également propre. Maryse à la fin de cette audition sauvage, Maryse, pourtant aguerrie avait des larmes aux yeux. Anita revenait sur les détails, mais l’un d’eux surtout qui pourrait sans doute attester de la véracité des dires de cette malheureuse.
Dans l’endroit où les employés pouvaient se doucher, Hélène avait relevé le bas de sa robe. Elle avait simplement baissé sa culotte. Pas besoin de le faire de manière indécente ! Non, quelques centimètres suffisaient pour lire la véracité de l’incroyable récit fait par cette dame Normann. Trois longues traces représentant les initiales du bonhomme retrouvé noyé dans sa piscine creusaient la viande et démontraient s’il en était besoin que la vérité se trouvait là en boursouflures infâmes. Dans les yeux de cette Hélène dansaient des lueurs d’horreur.
Anita citait une à une les dates des décès de ces sinistres personnages. Depuis un jour ou deux, elle avait également vérifié qui avait pu refuser les dépositions à l’encontre d’un fils de proc ou d’un ami de ce dernier. Et sa surprise s’était avérée immense de savoir que le commissaire qui les poussait à des résultats était à cette époque-là, le chef de poste du commissariat qui avait vraiment couvert les agissements de cette bande de salopards ? Elle avait pris note de tout ce qui s’était raconté là sur la terrasse.
Hélène de nouveau s’était longuement étendue sur le sujet. Elle parlait et la main de Maryse au fil des mots traçait sur un bloc-notes un dessin. Lorsqu’au bout de plusieurs minutes de discussion, un visage était apparu, les deux enquêtrices ne purent s’empêcher de se dévisager avec stupeur. Elles prirent donc congé de l’employée. Son patron, un gros type se tenait en haut des marches menant sur l’espace extérieur du restaurant. Il suivait des yeux les deux nanas qui venaient de palabrer avec sa serveuse.
Elles passèrent devant lui !
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Un retour plutôt silencieux que seul le ronronnement du moteur de la voiture perturbait. Plongées dans leurs pensées, les passagères digéraient ce qui s’était dit. Au bout d’un kilomètre, Maryse fut la première à reprendre la parole.
Maryse pointait du doigt son carnet de notes et plus précisément le crayonnage de l’individu que mettait en cause le dessin. Le véhicule s’engageait alors sur le chemin qui menait à son appartement. Instinctivement, Anita s’était dirigée sans un mot vers le gîte le plus sûr. Elle saisissait déjà la pression qui leur pesait sur les épaules, cherchant le moyen de l’évacuer. En existait-il un meilleur que la tendresse pour terrasser la mise à rude épreuve de leurs nerfs ? Le reste de cette journée pouvait les délivrer et permettrait sans doute aux esprits embrouillés de se replacer dans une configuration apaisée, une bonne marche à suivre.
Le sofa revoyait donc les anatomies se dévoiler, puis le salon gardait le secret des gémissements déclinés sur tous les tons par deux amantes qui n’en finissaient plus de se trouver. Plus un centimètre carré des peaux qui n’eut à subir les caresses de lèvres juteuses, de bouches affamées. Les doigts aussi fêtaient les retrouvailles charnelles avec une facilité enivrante. Plus les relations entre elles avançaient, plus elles s’enhardissaient bien naturellement. Les plaintes n’étaient que de plaisir et les spasmes des corps qui se lovaient l’un contre l’autre dureraient jusqu’à la fin de la soirée. Un endormissement bienvenu aurait raison des massages et des papouilles si savamment distillés. C’était un jour tout neuf qui réveillait les deux maîtresses enlacées.
Les ablutions matinales effaçaient les stigmates amoureux passés. Et fraîches, pimpantes, les deux policières faisaient une entrée calme au commissariat. Le planton dès leur arrivée hélait Anita !
Un agent ou deux qui allaient se rendre en ville, pour régler la circulation et faire acte de présence, s’écartèrent de la machine qui distribuait un café plutôt infâme. Ils ne s’appesantiraient pas dans les parages. Un gradé restait un gradé et un fossé entre la « pitaine et la piétaille » existait bel et bien.
Anita grimpait les marches qui menaient au premier. Les services administratifs et donc le bureau du boss étaient tous à l’étage. Elle appuya sur la sonnerie et attendit sagement que le voyant vert s’allumât. Lorsque ce fut le cas, elle s’engagea résolument dans l’espace patronal.
La porte se refermait doucement sur le visage tendu de la capitaine de police Anita Solivers. Les marches de bois grinçaient sous les pas de cette fliquette qui regagnait son bureau. Les agents qui la croisèrent pensèrent tous que la remontée de bretelles avait dû être sévère pour qu’elle tire une pareille bouille. Dans son bureau, Maryse la vit arriver, blanche comme un linge.
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Une canne à pêche, dans un bel emballage, un cadeau superbe pour un commissaire sur le départ. Et puis la capitaine Solivers, promue au grade de patronne du commissariat, voilà ce que fêtaient tous les fonctionnaires ce samedi soir. Le préfet avait fait un beau discours pour encenser Dupré. Pour Anita, le procureur de la République en personne avait tenu à lire un billet écrit de sa propre patte. Tout ce petit monde allait bien et quelque part, dans la ville une jolie serveuse pouvait enfin rêver que ses malheurs étaient à tout jamais derrière elle.
Comme tous les soirs depuis six mois, Maryse et la nouvelle commissaire partageaient une petite maison qu’elles payaient à parts égales. Officiellement, celle-ci comportait deux logements distincts. Fort heureusement, une porte de communication offrait l’avantage de s’ouvrir discrètement sur un monde fait de tendresse et de félicité. Alors, les mauvaises langues continueraient longtemps à parler dans leur dos. Elles seraient les gouines de service pour la majorité des agents du poste de police.
Rien n’avait plus d’importance. Seul comptait que les personnels chargés de prendre les plaintes s’acquittassent de leur tâche sans faire de différence. Qu’elles émanent de femmes ou d’hommes, toutes seraient traitées avec le même pied d’égalité et plus personne ne passerait à travers les mailles du filet… Il y avait encore du chemin à faire pour une parité normalisée… mais la voie était enfin ouverte et toute tracée. Après la cérémonie d’investiture de la boss en titre, une table pour trois voyait Anita, Maryse et Hélène goûter au plaisir de la chair dans le restaurant de la gare… le cuistot avait un vrai talent et sa mangeaille restait la meilleure de la ville…
Bien sûr, Hélène ne saurait jamais la fin de l’histoire. Mais était-il nécessaire qu’elle ait connaissance des arcanes qui avaient mené à la blanchir totalement ? Elle rendait très souvent visite à une femme qui avait perdu la boule à la suite du suicide de son mari. Les infirmières qui s’occupaient de cette malheureuse trouvaient dans l’abnégation de cette visiteuse généreuse un rayon de soleil, dans les yeux de leur patiente. Et puis de temps à autre, une fête réunissait ces trois protagonistes féminines, qui un court instant de l’existence avaient vu de quoi l’homme en tant qu’individu était capable…
Le meilleur comme le pire… et parfois ces deux extrêmes savaient se chevaucher pour ne former qu’un tout… que tout un chacun se plaisait à appeler : être humain !
Fin