n° 20219 | Fiche technique | 29730 caractères | 29730Temps de lecture estimé : 17 mn | 23/04/21 |
Résumé: Je la rencontre sur le chemin, au bord d'un lac, et nous finissons – très sagement - dans la même chambre d'hôtel. | ||||
Critères: fh inconnu vacances sport bain hotel voyage nudisme -rencontre | ||||
Auteur : Fitiavana Envoi mini-message |
DEBUT de la série | Série : Émilie Chapitre 01 | Épisode suivant |
Je me recule de quelques pas, laissant les arbustes masquer à mes yeux le corps nu que je viens d’entrevoir. J’hésite sur la façon la plus élégante de me sortir de cette situation embarrassante. Malgré la chaleur, mes courbatures et la crainte de voir s’éloigner une occasion de me rafraîchir, le bon sens me recommande de repartir discrètement en sens inverse.
La voix claire et riante qui me répond n’exprime ni gêne ni surprise.
Je laisse traîner les mots et attends un instant pour lui permettre de couvrir sa nudité, puis je parcours à nouveau la dizaine de mètres qui me sépare du petit étang que j’avais aperçu de loin, une demi-heure et quelques kilomètres plus tôt.
Elle n’a pas bougé d’un pouce. Allongée dans l’herbe à même le sol, couchée sur le côté, elle lève les yeux de son livre.
Comment répondre à une question pareille ? Tout en essayant de ne pas l’incommoder par un regard trop appuyé, je l’assure que sa nudité ne me dérange pas.
Bon, comme moi, elle randonne. Ceux qui ont passé quelques jours ou semaines de leur vie sur les sentiers sont souvent plus à l’aise avec leur corps, j’ai eu l’occasion de m’en rendre compte pendant ma jeunesse. Je lui réponds d’un sourire, et le rapide coup d’œil que je lui lance me suffit pour remarquer l’absence de traces de maillot sur sa poitrine bronzée – elle est donc en tout cas adepte du topless, et peut être une inconditionnelle de l’intégral. Je constate aussi que les seules traces d’humidité visibles sur sa peau sont les gouttes de transpiration qui perlent sur ses épaules. Le « séchage au soleil » semble terminé depuis longtemps…
Je suis toujours debout devant elle, j’ai sûrement l’air con, et pas qu’un peu, avec mon sac toujours sur les épaules. Elle me rend mon sourire :
Je me déleste enfin de mon bagage, étire mon corps endolori, et commence à fouiller fébrilement dans l’inimaginable bordel qu’est devenu mon sac après trois petits jours de marche. Je suis sur le point de lui avouer que je pensais me retrouver suffisamment isolé pour me baigner nu, elle ne m’en laisse pas le temps :
Malgré l’incongruité de la situation, j’essaye de faire comme si elle était parfaitement banale. Des années de pratique naturiste m’ont habitué à la nudité, que je considère non seulement comme agréable, mais également comme saine et respectueuse. Je me déshabille rapidement et je risque un orteil ; après avoir marché pendant deux bonnes heures, je préfère rentrer lentement dans l’eau, mais ma prudence n’est pas justifiée. Le soleil a inondé de chaleur et de lumière ce plan d’eau peu profond pendant une bonne partie de la journée, et l’eau est idéale.
Je me retrouve rapidement au milieu du petit lac. L’espace d’un instant, une pensée rationnelle me traverse l’esprit : cette femme, que je ne connais ni d’Ève ni d’Adam, pourrait facilement tirer profit de la situation en me détroussant, ou simplement en me jouant un sale tour – du style de ceux qu’on fait dans les bandes dessinées – en me chipant toutes mes affaires et en me laissant dans une position délicate. Je me retourne pour regagner la rive, et je regrette aussitôt d’avoir eu cette idée. Elle a posé son livre et s’est allongée sur le dos. En m’approchant du bord, je me rends compte qu’elle a fermé les yeux. Je jouis encore quelques instants du plaisir enfantin de barboter dans l’eau, puis je m’apprête à sortir, en faisant volontairement un peu de bruit pour montrer que je ne profite pas de son sommeil apparent pour me rincer l’œil discrètement.
En effet, son attitude me met à l’aise. Je m’installe dans l’herbe non loin d’elle, et je laisse les rayons du soleil caresser mon corps. J’ai à peine le temps de m’allonger qu’elle m’interroge sans autre préambule :
Elle me scrute de son regard enjoué, la luminosité de ce jour d’été ensoleillé lui fait plisser les yeux et lui donne ce petit air rieur que j’aurai souvent l’occasion de voir. J’ai alors une réaction complètement idiote, une de celles dont j’ai le secret et dont je ne suis jamais très fier. En désignant maladroitement de la tête deux points cardinaux approximatifs, je lui réponds :
Évidemment, je regrette cette réponse d’ours mal léché aussitôt après l’avoir prononcée. J’ai toujours eu du mal à parler de moi, même avec mes proches, et je viens d’en faire une nouvelle et éclatante démonstration.
Alors je craque, et je lui raconte tout. La certitude que ça va rester en Asie, comme pour les dernières alertes il y a dix ans, l’angoisse des premiers cas en France, l’annonce de la pandémie, les mois de confinement et la vie qui s’est arrêtée, le télétravail et les journées passées à zapper entre jitsi, skype et zoom, les semaines de cinquante heures pour que ma boîte puisse mettre mes collègues au chômage partiel, la famille et les amis qui sont tombés malades, ceux qui ne s’en sont pas sortis, les projets annulés. Je lui explique la promesse secrète que j’ai faite – que je me suis faite ! de partir sur le chemin cette année encore si je m’en sortais, la documentation trouvée sur Internet et dans les guides, les préparatifs hésitants du voyage, les achats compulsifs de matériel qui ne serviront qu’à me rassurer, les pesées répétées du sac à dos pour traquer les grammes superflus, comme le font les vétérans, les amis qui trouvent ça stupide, les collègues à qui je n’ai rien osé dire et la famille qui tente de me décourager. Je lui parle de mon départ il y a trois jours d’un petit village de Haute-Savoie, de cette impression, dès le premier kilomètre, que je n’ai rien à faire dans ces godasses, et des cent fois où j’ai déjà failli rebrousser chemin et sauter dans le premier transport pour terminer confortablement chez moi mes trois semaines de vacances.
Je lui parle longtemps, comme à une confidente. Elle m’écoute et me regarde avec bienveillance. Je sens que je peux faire confiance à cette inconnue, m’ouvrir à elle comme je n’ai pu le faire avec personne depuis des mois. Mes émotions me submergent, et craignant de l’importuner, je conclus et réponds à sa question en lui expliquant mon souhait de faire un petit bout du chemin chaque année pour arriver en 2027, année jacquaire.
Me voyant sécher discrètement mes larmes du revers de la main, elle reste pensive et laisse le silence s’installer quelques minutes. J’ai la peur absurde qu’elle se rhabille et qu’elle parte en courant, en me traitant de fou comme bien d’autres l’ont fait avant mon départ. Heureusement, il n’en est rien.
En me tutoyant, Émilie me rassure et me donne soudain l’impression que je la connais depuis toujours. Le ton sur lequel elle a posé sa dernière question n’appelle aucune réponse. Je ne sais pas encore combien de temps durera le bout de chemin, mais mon cœur et ma tête me conseillent de renvoyer l’ours mal léché dans sa tanière pour un hivernage anticipé.
Comme je suis presque sec, nous nous habillons et nous nous préparons au départ.
Émilie est partie de Suisse, d’un patelin aux confins des cantons de Vaud et de Fribourg. Elle marche depuis un peu plus d’une semaine, entrecoupée d’une journée de pause à Genève, où elle a de la famille. Elle m’apprend que sa boîte n’a pas survécu à la crise, mais qu’elle a rapidement signé chez la concurrence, où elle commencera dans quelques semaines. Avec un mois de vacances forcées, mais sans revenu et avec peu de réserves, pas question de partir faire le tour du monde. Elle a donc choisi de partir pour la troisième fois sur le chemin.
Comme moi, elle est au milieu de la quarantaine, qu’elle porte heureusement bien mieux que moi. J’ai moins de gêne à l’observer du coin de l’œil, maintenant qu’elle est habillée. Son allure sportive, ses jambes musclées montrent avec éloquence que l’exercice ne se résume pas chez elle à quelques jours de marche par été. D’ailleurs, son équipement, de qualité, mais usé par les années, en dit long – rien à voir avec mon matériel flambant neuf, acheté à petit prix en grande surface il y a dix jours.
En marchant, elle me parle de ses expériences passées, des rencontres sur le chemin, de la magie des derniers kilomètres, inoubliables, et qui sont pour elle la raison de repartir quelques années plus tard (« tu verras par toi-même et tu comprendras », me dit-elle). Elle m’explique la difficulté des sentiers de montagne à venir, les autoroutes à pèlerins du nord de l’Espagne (« mais nous n’en sommes pas encore là »), la canicule et la soif – cette douce chaleur qui nous accompagne aujourd’hui n’est qu’un agréable avant-goût, d’après elle. Elle me raconte les endroits les plus improbables où elle a passé la nuit, des granges offertes par les agriculteurs au business lucratif des hébergements collectifs, en passant par les couvents et les monastères, les nuits sous tente et l’enfer des hôtels bas de gamme.
Émilie semble tenir pour acquis que le « bout de chemin » va se prolonger, et ce n’est pas pour me déplaire. Elle parle avec passion et montre qu’elle sait croquer à pleines dents l’instant présent. Je l’écoute avec intérêt, ce qui me permet d’ailleurs d’économiser mon souffle.
Émilie se moque gentiment de mes habitudes urbaines. En effet, mes voyages ont jusqu’ici toujours été des déplacements professionnels, bien encadrés et matérialisés par des billets d’avion, des réservations d’hôtels et des notes de frais. Je la rassure quand même un peu en lui expliquant que non, je n’ai pas réservé tout mon parcours à l’avance, mais que j’ai appelé l’auberge le matin même, après avoir estimé mon trajet pour la journée.
Je reste silencieux, mais mon esprit commence à fonctionner à toute vitesse. Bien sûr, si ça devait être le cas, je ne la laisserais pas dehors. Mais jamais je n’aurais eu le culot de proposer ce qu’Émilie vient de suggérer avec autant de naturel. Je ne suis pas parti pour chercher des aventures – je ne m’en sens actuellement pas le courage – et je ne m’attendais pas non plus à me faire draguer. Mais est-ce qu’on peut appeler ça de la drague ? Émilie est désarmante de simplicité. Pour elle, c’est peut-être parfaitement banal que deux inconnus qui viennent de se rencontrer partagent une chambre d’hôtel le soir même, elle n’a sûrement aucune arrière-pensée. Mais alors, pourquoi m’a-t-elle fait un clin d’œil ? Joue-t-elle avec moi, ou joue-t-elle tout simplement avec la vie, tout imprégnée qu’elle est de ce bonheur contagieux ? Au fond de moi, j’en suis presque à espérer que… que quoi exactement, en fait ? Je suis heureux de sa présence, elle me rassure, elle me distrait, elle me…
J’essaye de me rattraper avec une dose d’humour.
Émilie m’interrompt en éclatant de rire :
Bon, comme ça les choses semblent plus claires. Émilie n’en veut pas à ma vertu. Nous continuons notre chemin jusqu’à E…, où Émilie me guide sans hésitation jusqu’à l’auberge des trois A…
Il y a, quelque part, une bonne étoile ou un mauvais esprit qui s’amuse à emmêler les fils du destin, pour le meilleur ou pour le pire. L’aubergiste nous explique que le doyen d’une des grandes familles du village s’est éteint l’avant-veille, et que sa tribu éparpillée aux quatre coins du département a rappliqué pour lui dire adieu et soutenir son épouse et ses fils. L’établissement est plein comme un œuf.
Je suis comme paralysé, et les mots tout simples qui devraient sortir de ma bouche restent bloqués. Émilie vient à mon secours :
Émilie s’enregistre rapidement, pendant que je m’assure auprès de la cuisine que nous pourrons nous restaurer sur place. Nous nous arrêtons ensuite au bar de l’auberge pour un rafraîchissement bienvenu, pendant que le personnel prépare la chambre.
Dans l’escalier qui nous conduit à ma – notre – chambre, un malaise s’installe dans mon esprit. Que va-t-il se passer quand la porte se refermera ? Je suis parfaitement décidé à me conduire en gentleman, mais je suis un peu inquiet de l’attitude d’Émilie, qui d’ailleurs lit parfaitement dans mes pensées :
C’est marrant, j’ai l’impression d’avoir déjà entendu cette expression aujourd’hui.
Ben oui, on va juste dormir, mais si elle est aussi impudique qu’elle l’a été cet après-midi, je risque d’être un peu émoustillé, et même si je sais me tenir, ça va finir par se voir…
À peine entrée dans la chambre, Émilie jette son sac au pied d’un des deux lits, et me lance :
Je pose mon sac et recommence à fouiller dedans pour en tirer mon unique « tenue de soirée », composée d’un pantalon en lin et d’une chemise assortie, que j’embarque avec moi dans la salle de bains, évitant ainsi de me dénuder en sa présence. Bien sûr, Émilie m’a vu dans en tenue d’Adam quelques heures plus tôt, mais ce qui était naturel à l’extérieur me semble moins acceptable dans une chambre d’hôtel où nous sommes en tête-à-tête. Sous la douche, je me demande quel truc Émilie peut bien avoir à faire.
En un tournemain, et sans me laisser le temps de détourner les yeux, Émilie se retrouve en sous-vêtements. Je dois lui paraître un peu inquiet, puisqu’elle croit devoir se justifier :
Émilie ne me laisse pas finir ma phrase, elle éclate de rire à nouveau, ce rire clair et communicatif dont je suis déjà amoureux.
Joignant le geste à la parole, elle dégrafe son soutien-gorge et enlève son shorty, me dévoilant les trésors que je n’ai pas osé détailler après ma baignade. Émilie est magnifiquement conservée, et si elle n’a plus le corps d’une petite jeunette de vingt-cinq ans, elle peut être fière de ce qu’elle offre à mes yeux. Sa poitrine est ferme et admirablement proportionnée, son ventre plat, ses jambes musclées, et bien sûr pas un gramme de cellulite. Un petit bijou intime attire mon regard sur son sexe épilé. Comme elle s’en rend compte, elle sourit et me dit :
Émilie s’éclipse rapidement dans la salle de bain, dont elle laisse la porte entrouverte. Pendant qu’elle se douche, je fais un peu d’ordre dans mon sac, puis je lui laisse un peu d’intimité pour se préparer :
J’embarque mon livre de poche et mon guide de voyage, et je descends m’installer à la terrasse de l’auberge. L’hôtelier s’approche de moi et me demande si la chambre est à notre goût. Nous bavardons quelques minutes, en me souvenant des paroles d’Émilie, je lui demande si c’est vrai que la commune interdit aux randonneurs de dormir à la belle étoile autour du village. J’espère secrètement apprendre quelque anecdote croustillante sur des pèlerins délogés par les chiens ou les gendarmes au milieu de la nuit, mais il rigole de bon cœur. S’il y a effectivement eu des abus qui ont fait prendre des arrêtés municipaux au sujet du camping sauvage, personne ne va s’offusquer pour un ou deux randonneurs dans leurs sacs de couchage en bord de chemin.
Je le rassure rapidement à ce sujet. Pendant qu’il s’en retourne à ses occupations, j’aperçois Émilie, ravissante dans sa longue robe d’été, qui me cherche du regard. Je lui fais signe de la main.
Je l’invite d’un geste et la complimente sur sa tenue. Elle m’explique qu’elle en a une autre, plus légère et plus appropriée à la température étouffante de ce début de soirée, mais qu’elle la garde pour un autre soir.
Nous prenons l’apéro en planifiant notre itinéraire pour le lendemain. Le conseil d’Émilie est de pousser jusqu’à V…, ce qui ferait, d’après elle, une étape assez longue, mais sur un terrain facile. Le guide confirme ses paroles et je me rends à son expérience.
Comme nous sommes tous deux affamés, le dîner suit rapidement l’apéritif. Nous nous régalons : les promesses de l’aubergiste n’étaient pas de la vantardise. En terminant son dessert, Émilie étouffe un bâillement.
Quelque chose dans ma tête me fait prendre conscience du côté convenu de cette situation. Peut-être serait-il plus approprié que je reste sur la terrasse, que je fasse semblant de lire pendant quelques minutes, probablement sans pouvoir détourner mes pensées de cette femme qui va s’endormir nue dans ma chambre ? Mais Émilie m’a bien dit que nous allions « juste dormir dans la même chambre », donc elle ne va pas se méprendre sur ma réponse. Elle a un petit sourire mutin en se levant, juste de quoi semer à nouveau la confusion dans mon esprit. En montant l’escalier, elle se penche vers moi et me chuchote :
Est-ce qu’elle va se jeter sur moi dès que nous aurons refermé la porte de notre chambre ? Et comment est-ce que je vais réagir ? Mes craintes sont inutiles : Émilie rentre dans la chambre, enlève sa robe comme si elle était seule au monde, passe quelques instants dans la salle de bains dont elle revient entièrement nue, et se couche le plus simplement du monde dans son lit. Je fais de même, et quand je reviens dans la chambre, elle semble déjà dormir. Je me couche à mon tour, j’éteins les lumières, et je l’entends me dire d’une voix ensommeillée :