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Temps de lecture estimé : 22 mn
13/05/21
corrigé 20/06/21
Résumé:  Au matin, Émilie a disparu. Dans une lettre, elle me propose de la retrouver en suivant d'improbables indices.
Critères:  f fh vacances bain forêt campagne voir exhib nudisme fmast confession -rencontre
Auteur : Fitiavana      Envoi mini-message

Série : Émilie

Chapitre 02
Saint-Valentin

Résumé de l’épisode précédent :

Parti marcher sur les chemins de Saint-Jacques, je rencontre Émilie dans des circonstances inhabituelles : elle se repose, nue, au bord d’un petit étang où je me propose de me rafraîchir. Comme ma présence à ses côtés ne la dérange pas, nous faisons connaissance après ma baignade et marchons ensemble jusqu’à l’étape, où nous partageons la même chambre, l’auberge étant complète.






Je m’arrache difficilement au sommeil, auquel je me suis abandonné bien plus profondément que ces dernières nuits. La veille au soir, en me couchant, j’ai eu envie de me faire du bien, un peu émoustillé à l’idée de cette femme nue à moins d’un mètre de moi, mais je n’ai pas osé bouger. J’ai l’impression qu’Émilie, malgré sa fatigue réelle ou feinte, ne s’est pas gênée pour s’offrir de son côté un petit plaisir solitaire. Évidemment, c’est plus discret pour une femme, mais je l’ai bien entendue se repositionner à deux ou trois reprises et respirer d’une manière saccadée qui en laissait deviner. Dans le calme de la nuit, il m’a semblé percevoir quelques bruits mouillés et un très léger gémissement, avant que son souffle ne revienne à un rythme plus régulier. La scène dont j’ai été le témoin aveugle et invisible m’a excité, mais m’a aussi aidé à m’endormir, encore mieux que la masturbation que je m’offre souvent quand j’ai du mal à trouver le sommeil.


Dans la lumière du petit matin qui filtre à travers les volets, je distingue la silhouette d’Émilie sous les draps. Je sors du lit sans faire de bruit et je vais me préparer dans la salle de bains. Je jette un coup d’œil à ma montre : il est presque neuf heures ! Nous avions convenu de repartir tôt ce matin, c’est raté.



Comme elle ne me répond pas, j’allume une lampe… et c’est la surprise. Émilie n’est plus dans son lit, elle a enroulé sa couverture et son oreiller sous les draps pour faire croire à sa présence. J’ai un choc en constatant que ses affaires ne sont plus là : elle est repartie pendant mon sommeil. Seul témoin de sa présence, un petit ruban rose est accroché à une courroie de mon sac.


Je commence à flipper : qu’est-ce qui a pu se passer dans sa tête, qu’ai-je fait ou dit de mal ? Qu’est-ce qui l’a fait fuir, regrette-t-elle quelque chose ? Je m’assieds sur mon lit pour revivre en pensée les quelques heures passées avec elle, et je ne trouve rien d’inconvenant dans mes actes ni dans mes paroles. À moins qu’elle ne soit vexée ou déçue, après avoir espéré se faire sauter dessus pendant la nuit ? Mais non, cette dernière hypothèse ne cadre pas avec son attitude.


Je fais le point sur ma situation : objectivement, même si je me réjouissais de continuer la route avec elle, je me retrouve exactement comme je l’avais prévu, randonneur solitaire qui se réveille seul dans une chambre de l’auberge des trois A… Il n’empêche que je me suis déjà habitué à sa présence, et les larmes me viennent aux yeux. J’y vois un nouveau présage et je suis, une fois de plus, tenté de renoncer. La veille au soir, j’ai remarqué un arrêt de bus en face de l’auberge ; même si nous ne sommes certainement pas sur un tronçon très fréquenté, il doit bien passer une ou deux courses dans la journée. Dépité, j’enclenche mon compagnon numérique pour trouver les horaires de la ligne ; naturellement, ce stupide appareil se plaint de ne pas avoir assez de batterie, de réseau, de mémoire… Je me souviens avec nostalgie de l’époque où, encore gamin, je partais sillonner la région avec un horaire de poche dans le sac à dos, celui-là tombait rarement en panne.


Je boucle mon sac que je laisse dans la chambre, et je descends tristement pour aller prendre mon petit déjeuner. Le cœur gros, je m’installe à une table dressée pour une personne.



Je prends l’enveloppe que l’aubergiste me tend. Sur le devant, elle a écrit deux mots : « et ensuite ? », et elle a dessiné un timbre-poste. Sur l’autre face, son prénom et un numéro de téléphone portable. Je dégaine immédiatement le mien, puis me ravise. Il vaut probablement mieux que je lise sa lettre avant de l’appeler. Comme je n’ose pas l’ouvrir devant l’aubergiste, dont je sens le regard curieux depuis son comptoir, j’avale fébrilement mon petit déjeuner et je remonte quatre à quatre les escaliers pour m’enfermer dans ma chambre. J’ouvre l’enveloppe, de laquelle je sors une feuille de papier pliée en deux, probablement arrachée à son carnet de route.



Cédric,


Je suis désolée de la surprise que tu as dû avoir ce matin en ne me trouvant pas à tes côtés. J’ai l’impression de t’avoir forcé la main hier soir, et d’avoir profité de toi. Je ne suis pas certaine de mériter ta compagnie, qui m’est pourtant agréable. Nous nous reverrons certainement sur le chemin, aujourd’hui, un autre jour ou l’année prochaine ?


Si tu veux forcer le destin, rejoins-moi avant ce soir. Tu me trouveras facilement… ou pas !


Si tu veux revoir mon saint, va où levant te mène.


Ce soir, je dormirai à un endroit qui me rappelle bien des souvenirs. Si tu passes la nuit avec moi, je te préviens à l’avance que je risque de me comporter de manière encore plus incongrue qu’hier.


J’ai eu beaucoup de plaisir à m’endormir à tes côtés hier soir.


Émilie



La dernière phrase est soulignée. Mon impression était donc probablement correcte. Je reste pensif. Que peut-il bien se passer dans la tête d’Émilie ? Cherche-t-elle une rencontre charnelle ? Dans ce cas, pourquoi avoir jeté son dévolu sur moi ? Elle a certainement croisé de beaux garçons sur sa route, dont beaucoup ne refuseraient pas une petite aventure avec une femme aussi séduisante et enjouée qu’elle. Est-elle nymphomane et a-t-elle peur, non pas que je lui saute dessus, mais qu’elle-même ne puisse plus se contrôler ? Et qu’entend-elle par « profiter de moi » ? Le fait d’avoir partagé la chambre ? Ces considérations matérielles me semblent déplacées sous sa plume, et de toute façon, la chambre, elle l’a payée seule. Pense-t-elle avoir profité de ma présence, plutôt ? Et pourquoi, d’ailleurs ? Pour se montrer nue, est-elle une exhibitionniste qui prend du plaisir à se montrer aux hommes ? Certainement moins courant que l’inverse, mais ça doit exister. Je me souviens du bijou que j’ai aperçu en bas de son ventre la veille et du « petit côté coquin » dont elle m’a parlé. De quoi s’agit-il exactement ? Était-ce un clin d’œil, un encouragement que je n’ai pas su saisir ?


Mes réflexions ne me mènent à rien et je décide qu’il est temps de quitter les lieux. Je relis sa lettre, en particulier le paragraphe qui ressemble furieusement au début d’un jeu de piste. Si tu veux revoir mon saint, va où levant te mène. Pas mon sein – ni les deux d’ailleurs, que j’avais trouvés très attirants –, mais mon saint. Pas le vent, mais levant. Ces deux erreurs, au milieu d’une courte lettre à l’orthographe irréprochable, sont évidemment volontaires. Le levant… dois-je me diriger vers l’est ? Mais ce serait retourner sur nos pas de la veille !


Je descends de ma chambre et quitte l’auberge des trois A… après avoir remercié l’hôtelier pour son hospitalité. Je fais quelques provisions dans l’épicerie-bar-tabac-boulangerie-kiosque-PMU qui jouxte l’auberge, puis je me mets en route. En passant devant la mairie, je me souviens des paroles de l’aubergiste : Émilie me recommande la visite du monument aux morts. Je le découvre à un jet de pierre de la mairie ; même fleuri, il est tristement banal, semblable à tous ceux qu’on rencontre malheureusement dans chaque village de ce pays.


Je parcours la stèle et constate que la commune a payé au siècle dernier un lourd tribut à la folie des hommes. Un nom attire mon attention : F. LEVANT, enfant du pays, a donné sa vie pour la France, selon l’impression consacrée. C’est-à-dire qu’à vingt-deux ans, alors qu’il n’avait rien demandé à personne, il a été sacrifié sur l’autel de la violence éternelle et s’en est allé rejoindre un monde évidemment meilleur.


Va où LEVANT te mène. Il y a forcément un rapport entre la lettre d’Émilie et ce malheureux soldat, mais je sèche. Je relis l’inscription : F. LEVANT, 23.01.19. – 14.02.19. En plus, ce pauvre bougre s’en est allé le jour de la Saint-Valentin, c’est pas glop pour sa copine, s’il en avait une. La Saint… Valentin ! Est-ce que c’est la clé ? Plutôt tordu, comme association d’idées, et digne des meilleurs « escape games », mais je n’ai pas grand-chose d’autre. Mon gadget numérique, qui s’est rabiboché avec le réseau, m’apprend qu’une douzaine de saints ont porté ce nom, aucun dans la région. Je sors l’enveloppe de ma poche, le numéro de téléphone d’Émilie retient mon regard. Est-ce que je dois utiliser mon joker, et appeler une amie ? Ou plutôt… demander l’avis du public, puisque deux dames d’un âge avancé s’approchent justement du monument ?



Les deux commères me regardent d’un air surpris. Je pense immédiatement que je fais fausse route, mais l’une d’elles me répond, d’un ton hésitant :



Elle me fait une description assez exacte d’Émilie, et comme je confirme, elle m’indique un chemin de terre, de l’autre côté du parc. Je remercie les deux villageoises et reprends mon chemin dans cette direction. En m’éloignant, j’entends Claudine me crier :



Je marche moins de dix minutes avant de trouver la grange de la famille Matthieu. Aucun doute possible : un petit panneau artisanal, planté en bordure du chemin, indique « chapelle St. Valentin ». Sous le panneau, un ruban bleu flotte au vent, semblable à celui que j’ai trouvé ce matin. Je l’accroche à mon sac, à côté de l’autre.


La carte m’apprend que je suis dans la bonne direction, le chemin qui borde la « chapelle » n’est pas en impasse, et si ce n’est pas le plus direct en direction de V…, il conduit en tout cas dans la bonne direction. Les courbes de niveau un peu serrées me font craindre quelques difficultés, mais pour l’instant, je suis sur un terrain facile. J’accélère le pas, en espérant regagner un peu de l’avance d’Émilie.


Il me faut vite déchanter. Rapidement, la pente du chemin s’accroît notablement, et je me retrouve bientôt à cracher mes poumons sur un raidillon à flanc de coteau. Heureusement, la vue qui s’offre peu à peu à mes yeux, à mesure de mon ascension, mérite le détour. Je félicite silencieusement Émilie pour son choix d’itinéraire. Arrivé au terme de mon escalade, je m’offre quelques instants de répit et je grignote une barre de chocolat.


C’est au moment où je me relève que je l’aperçois. Elle marche le long de la crête, mais… de l’autre côté du vallon ! Je ressors rapidement la carte : peu après la grange de la Saint-Valentin, il y avait un croisement, Émilie a dû bifurquer là où j’ai bêtement suivi le chemin. Je sors mes jumelles du sac pour compléter l’identification : c’est bien elle, je reconnais sa silhouette et la forme de son sac. Inutile de crier : le vent l’empêcherait de m’entendre. J’attrape mon téléphone : plus de réseau.


Pendant une ou deux heures, nous marchons sur ces deux chemins parallèles. J’ignore si de son côté elle a remarqué ma présence. Je crois bien l’avoir vue par moments regarder autour d’elle, mais comme le chemin sur lequel j’évolue est juste en dessous de la ligne de crête, je suis moins visible qu’elle. Pour ma part, je n’ose pas la quitter des yeux, au point de m’encoubler à plusieurs reprises.


Quand je vois enfin Émilie s’arrêter et sortir ses provisions du sac, je fais de même. De loin, je distingue qu’elle enlève son t-shirt et sa brassière, avant de s’asseoir au soleil. Je suis un peu surpris, et presque jaloux. Ce qui semble être sa tenue favorite pouvait à la rigueur passer pour normal au bord d’un lac, mais il n’en va pas de même au sommet d’une colline, et en plus, quelqu’un pourrait passer… Réflexion idiote : hier, au bord du lac, j’étais bien « quelqu’un », moi aussi. Pour ne pas être en reste, j’enlève aussi le haut, et j’ai l’impression que nous mangeons ensemble, bien que séparés par quelques centaines de mètres.


La pause est de courte durée. Une fois son casse-croûte avalé, Émilie enfile sa brassière, rajuste son sac à dos et se relève. J’ai l’impression qu’elle fait alors un petit signe de la main dans ma direction, elle m’a donc probablement bien remarqué, et elle doit bien se douter que je l’observe aussi, depuis le versant opposé.


Nos chemins parallèles descendent les pentes des collines et se rapprochent peu à peu, avant de se rejoindre à l’extrémité du vallon. Nous nous rejoignons sans un mot et marchons silencieusement côte à côte pendant dix bonnes minutes. J’ai l’impression qu’Émilie me doit quelques explications, mais je ne sais pas comment les lui demander. De son côté, elle semble absorbée dans ses pensées. Tout à coup, elle tourne la tête et s’exclame, comme si elle venait de découvrir ma présence :



Je ne sais pas si je dois voir de l’humour ou de l’ironie dans cette entrée en matière. J’essaye de me raccrocher à quelque chose de concret :



Je fais semblant de ne pas saisir l’allusion :



Le petit sourire en coin que je vois se dessiner sur son visage n’est pas de nature à m’inspirer confiance. Je pressens quelque nouvelle surprise à mon réveil.



Nous marchons sans plus revenir sur ce qui s’est passé ce matin. De temps en temps, Émilie me raconte une anecdote de ses précédents voyages, ou elle me montre un élément du paysage que je n’aurais pas remarqué seul – elle a l’œil d’une randonneuse expérimentée. Je lui réponds à demi-mot, perdu dans mes réflexions stériles.


Nous marchons au bord d’une petite route de campagne depuis quelques kilomètres maintenant. Ça doit bien faire trois quarts d’heure que le dernier panneau nous a annoncé V… à cinq kilomètres. Je tente un rapide calcul mental : nous marchons sans nous hâter, probablement à 4 ou 5 km/h sur ce terrain facile, on ne devrait donc plus être très loin. D’ailleurs les distances sont calculées depuis le centre des villages, et Émilie m’a dit qu’on s’arrêterait avant d’arriver à V… Je commence à sentir mes jambes et mon dos, mais je n’ose pas demander si « c’est encore loin ». Peu probable qu’elle me réponde « tais-toi et nage », mais une certaine fierté personnelle m’impose de lui faire croire que j’ai aussi un minimum d’endurance. Soudain, Émilie bifurque à droite pour suivre un petit sentier qui s’enfonce dans le sous-bois. J’imagine qu’elle s’éloigne pour satisfaire un besoin naturel et je l’attends au bord de la route.



Ah bon, c’est donc ici que la journée s’arrête enfin. Je marche sur les pas d’Émilie, nous traversons le sous-bois et la forêt. Après quelques hésitations, elle franchit une dernière rangée de buissons.



Nous sommes en lisière de forêt, au bord d’un étroit cours d’eau. Sur quelques mètres, une plage de galets descend en pente douce vers l’eau, où une petite cuvette un peu plus profonde, creusée dans le lit de rochers, semble nous inviter à la baignade. Les grenouilles, invisibles, s’en donnent à cœur joie. Tout autour, des arbres cachent cette petite crique aux regards extérieurs, à l’exception d’une trouée qui laisse le soleil de cette fin d’après-midi réchauffer les galets. Un peu en retrait, les branches font de l’ombre à une étroite bande d’herbe. Sur l’autre rive, les champs s’étendent à perte de vue.

L’endroit est magnifique. Il est difficile de dire s’il est naturel ou si la main de l’homme l’a aménagé. Nous posons nos sacs sur l’herbe et faisons quelques pas sur les galets. Je devrais peut-être manifester mon admiration avec plus d’enthousiasme, car Émilie me regarde avec un air inquiet :



Je la rassure :



Le regard d’Émilie se rembrunit.



De toute évidence, vingt ans plus tard, le souvenir de cette passion de jeunesse est encore vivace dans son cœur. Je n’ose poser la question qui me brûle les lèvres, mais Émilie lit dans mes pensées :



D’un coup, elle se lève et redevient la femme énergique et espiègle que j’ai découverte la veille.



Émilie se déshabille devant moi avec autant de naturel que la veille et sort de son sac une serviette de bain, qu’elle jette sur une pierre. Elle fait quelques pas vers le ruisseau, écarte et plie légèrement les jambes.



Un peu surpris, je la regarde se soulager sur les galets, face au soleil, sans vulgarité, mais sans faire le moindre geste pour se cacher. Si je ne l’avais pas encore remarqué, la pudeur ne fait pas partie de son registre. Je devrais probablement avoir la bienséance de détourner les yeux, mais l’étonnement m’en empêche. Le spectacle qu’elle m’offre est indécent et magnifique à la fois. Ses fesses aux courbes délicieuses s’écartent et laissent apercevoir la source délicate d’où jaillit un jet, droit et puissant, qui atterrit entre ses pieds. Au moment où elle tourne la tête vers moi, j’ai le sentiment d’être pris en flagrant délit de voyeurisme, j’ai peur qu’elle s’en offusque et me remette en place. Au contraire, elle s’amuse de ma surprise et se justifie, comme une petite fille prise en faute :



Elle termine, s’accroupit et se rince rapidement l’entrejambe avec un peu d’eau du ruisseau, puis se relève et se dirige vers la « baignoire ».



L’invitation a le mérite d’être claire. Je me déshabille également et je m’approche du petit bassin. Alors que je suis sur le point de rentrer dans l’eau, elle m’arrête et montre son sac :



Je souris à l’évocation de la piste qu’elle m’a fait suivre ce matin, et je m’exécute. Les deux grandes canettes de bière, sans être glacées, sont restées à température convenable, bien emballées dans du papier journal et une portion de couverture de survie. Je rejoins Émilie dans l’eau, après plusieurs heures de marche, c’est un plaisir de me décrasser et de me rafraîchir.


Nous restons longtemps silencieux dans ce bain improvisé. Les mouvements réguliers que nous faisons pour nous redresser sur les pierres glissantes, ajoutés à la promiscuité imposée par l’étroitesse de notre baignoire naturelle, font que nos corps se frôlent par intermittence. Pourtant habitué des saunas et spas naturistes, je me rends à l’évidence : si je ne suis pas parti sur le chemin dans l’idée de faire des rencontres, cette femme me fait un drôle d’effet, dans ma tête comme dans mon corps. La température de l’eau empêche heureusement mon ardeur de se développer de manière trop évidente, jusqu’au moment où Émilie change de position et vient se coller à moi pour s’installer plus confortablement.



Elle a les pieds appuyés sur le rocher et le dos contre mon corps, mais elle s’agrippe d’une main au rebord de la cuvette pour garder l’équilibre. La position ne doit pas être très confortable, je me lève pour la soutenir de mes bras, que je glisse sous sa nuque et dans le bas de son dos, la laissant flotter entre deux eaux. La position lui convient mieux, elle me sourit et ferme les yeux. Elle semble perdue dans ses pensées, qui sont peut-être érotiques, si j’en crois le bout de ses seins qui pointent fièrement à quelques centimètres de mon visage… mais non, inutile d’inventer des trucs, c’est le froid qui lui fait durcir les tétons, c’est tout ! Je berce Émilie de mes bras et la fais tanguer doucement, profitant de l’agréable vision de son corps qui émerge, puis replonge, puis ressort de l’eau…


Comme dans une caresse inconsciente, Émilie ramène doucement ses mains sur son ventre, puis remonte vers sa poitrine. Elle effleure ses mamelons, qui durcissent encore, puis chatouille le contour de ses seins, dans un lent mouvement circulaire de ses deux mains. Après quelques instants, le cercle se resserre, elle suit maintenant de ses doigts le dessin des aréoles. Je continue à la bercer, attendant la suite. Elle continue pendant quelques minutes, alternant entre petits pincements des tétons et caresses plus larges de sa poitrine. Émilie se mordille discrètement la lèvre inférieure tandis que je sens sa respiration s’accélérer. Je vois bien qu’elle est à la recherche de son plaisir, mais je n’ose pas faire le moindre geste pour l’accompagner. Elle a lentement écarté les jambes et par moments, l’une de ses mains quitte sa poitrine et descend sur son ventre, comme attirée par le petit bijou intime qui brille un peu plus bas, mais sa main hésitante n’ose pas dépasser le nombril et revient sagement, si j’ose dire, à son point de départ. Ses gestes se font enfin plus précis et plus rapides. Elle laisse échapper quelques gémissements de plus en plus sonores en massant généreusement ses seins à pleines mains, saisissant par instants ses mamelons entre deux doigts, et manifeste enfin son plaisir à travers deux longs cris de bonheur. Elle n’a pas ouvert les yeux, mais un sourire radieux illumine son visage au moment où son corps tout entier se tend.


Cette femme, que je ne connaissais pas hier matin, vient de s’offrir un superbe orgasme, sous mes yeux et dans mes bras, juste en caressant sa poitrine. Bon, dans sa lettre, Émilie m’avait prévenu de son attitude, mais je dois reconnaître que je ne m’attendais quand même pas à ça.



Merci qui ? Et pourquoi ? Je n’ai rien fait, moi, à part assister à sa touchante exhibition.


Émilie commence à frissonner, elle rouvre les yeux et me regarde avec surprise. Avait-elle oublié jusqu’à ma présence ? Elle se relève comme à regret et sort de l’eau, sans un mot, pour se sécher. Je reste encore quelques instants dans l’eau, évidemment. Émilie devine pourquoi et évite mon regard. Regrette-t-elle ce qui vient de se passer ? Elle fouille dans son sac et en sort une petite robe légère, qu’elle enfile rapidement en me tournant le dos. Pendant de longues minutes, nous n’échangeons pas un mot. Je sors enfin de la baignoire, et ce n’est que quand j’ai fini de me rhabiller qu’elle brise enfin le silence :



Je reste interloqué, bouche bée. Comment pourrais-je lui en vouloir de s’être abandonnée au plaisir sous mes yeux ?



Encore mieux. Attendons la suite des confidences.



Ses mots restent suspendus, je lève les sourcils et l’encourage à terminer sa phrase.



Je réfléchis un instant : il reste le toucher, le goût et l’odorat. Difficile de ne pas m’enthousiasmer devant un tel programme ! Je n’ose pas lui répondre directement, et j’essaye de la rassurer avant tout :



Pendant que je me demande quelle sera sa prochaine transgression, elle éclate de rire et lance :



Nous nous installons sur l’herbe et mettons en commun les provisions achetées séparément ce matin. Le dîner n’est certes pas aussi raffiné que celui qui nous a été servi la veille, mais le cadre est enchanteur et nous passons un moment délicieux à casser la graine en bavardant tout et de rien, devant le soleil couchant.


Une fois rassasiés, nous préparons notre « chambre » en installant nos tapis et nos sacs de couchage dans l’herbe, puis nous étudions rapidement l’itinéraire du lendemain. Émilie s’isole comme la veille pour remplir son journal. Une pensée amusante me vient à l’esprit : si elle y écrit vraiment tout ce qu’elle fait de ses journées, elle devra choisir soigneusement l’endroit où elle le publiera… ou alors, il faudra qu’elle s’autocensure !


Émilie revient vers moi, le regard un peu triste. Elle range son carnet dans son sac et s’assied sur les galets, au bord du ruisseau. Comme tout à l’heure, elle semble submergée par ses souvenirs. Je m’approche d’elle et je lui demande :



Je la prends doucement dans les bras, sans être trop certain des gestes qu’elle attend. Par moments, j’essuie du doigt une larme sur ses joues. J’aimerais être dans ses pensées, pour pouvoir lui dire une parole de réconfort, mais je ne connais pas grand-chose de son histoire. Qu’est devenu ce compagnon de route avec lequel elle a passé une nuit, ici même, vingt ans auparavant ?


Tout à coup, Émilie se lève et s’écrie :



Joignant le geste à la parole, Émilie se déshabille une nouvelle fois en un clin d’œil, puis trempe un pied dans l’eau.



Je risque un orteil : effectivement, ce n’est plus la même température que celle de notre bain, mais je ne suis pas frileux et j’ai ma fierté. Je fais quelques pas dans l’eau peu profonde, puis je respire un bon coup et plonge mon corps jusqu’aux épaules. Une fois passé l’instant d’inconfort au moment de rentrer dans l’eau, c’est bien agréable, après tout.



Comme elle ne répond pas, je me relève et l’arrose copieusement en donnant de grands coups de pieds sur la surface de l’eau. Elle riposte aussitôt, et nous jouons à nous gicler comme des enfants, jusqu’à ce qu’elle soit finalement trempée des pieds à la tête, elle s’assied alors à son tour dans le lit du cours d’eau. Nous éclatons de rire, tels des gamins pris en faute.



Une fois enveloppés dans nos sacs de couchage, Émilie roule doucement vers moi, se penche sur mon visage et m’embrasse tendrement sur la joue en me souhaitant une bonne nuit.