Une Histoire sur http://revebebe.free.fr/
n° 20653Fiche technique59077 caractères59077
10014
Temps de lecture estimé : 41 mn
21/12/21
Résumé:  Après avoir vécu de trop nombreuses aventures (quelles soient sexuelles ou sous forme de mission pour son travail), le narrateur croit enfin tomber amoureux. Mais son travail le rattrape !
Critères:  #policier #confession fh caférestau amour travesti hgode hsodo jouet
Auteur : Samir Erwan            Envoi mini-message

Série : Une licorne sur le corps

Chapitre 01 / 04
Des jalons

– 1 –



Enfant, adolescent, jeune adulte, il est difficile d’imaginer comment le temps passe rapidement. Comment la vie peut nous offrir des opportunités que nous saisissons ou non. Des surprises que nous n’aurions jamais présumées. Et pourtant, des années après, nous sommes capables de poser les jalons qui ont fait prendre à notre vie des tournants jamais visualisés. Des rencontres, des lieux, des choix, et encore.


Il m’a fallu longtemps avant d’accepter que la petite culotte de soie de Marie, une de mes copines alors que j’étais étudiant universitaire, petite culotte noire que j’ai essayée sur un coup de tête, par curiosité – et qui m’a fait bander ! – a été l’un de ces jalons.

Je n’ai pas eu le choix de baliser dans cette ligne de temps mon recrutement dans le Service de Renseignement de mon pays, car depuis, je vis dans le monde du secret et de la géopolitique. Enfant et adolescent, jamais je ne me serais représenté en espion (j’avais horreur de l’armée, des armes à feu, de tous les sports), j’aimais lire et écrire, j’essayais de pasticher Daniel Pennac. Depuis mon engagement dans le Service, ces velléités littéraires ont été abandonnées, je n’avais jamais été très bon d’ailleurs. Sauf une fois, alors en mission, planqué dans un AirBnB de la tour Elizabeth, me suis-je obligé d’écrire une nouvelle (une histoire liée au Panama Papers, une histoire d’amour et de sodomie) pour forger ma légende d’espion. Aussi ai-je eu du plaisir à écrire, à inventer autre chose que des mensonges d’État pour obtenir ce que je voulais. Écrire de la fiction, créer des personnages, leurs relations, dénicher des situations perturbatrices de leur quotidien. Avec du sexe. Toujours avec du sexe. Car l’un de mes premiers jalons dans ma vie a été cette petite culotte de Marie que j’ai portée, seul dans ma chambre, me reluquant la croupe, la nuit…


Mais ce récit sur Christine Panama, je l’ai écrit, car j’avais rencontré Raïssa. Raïssa. Un autre point de repère, porteur de sens dans ma vie. Je n’y aurais jamais pensé. Au départ, elle n’était qu’une agente recrutée, source d’information dans une enquête professionnelle. Je me suis mis à la désirer, puis à l’aimer. Nous avons réussi cette mission. Elle s’est fait enrôler dans notre Service. Elle a fait son chemin. Mais nous étions toujours ensemble sur cette piste, nous la remontions à deux, accompagnés de Charlène, notre acolyte ambiguë. Nous avons eu des aventures, vécu des aventures ; nous avons surmonté les obstacles à trois – bien que nous soyons toujours indépendants l’un de l’autre – et quand nous nous retrouvons, après des mois ou des années de silence, nous nous reconnaissons dans l’autre et nous nous étreignons. C’est de l’amour. Il n’est pas exclusif, c’est tout.


La rencontre avec ces deux femmes m’a toutefois obligé à poser un nouveau jalon dans la trame de ma vie. Ma féminisation assumée, la création de Milly qui, dois-je avouer, adore aviver le désir des hommes. Sucer des queues et se faire enculer aussi. J’avais découvert ces deux dernières expériences grâce à Charlène. La femme en moi, cet alter ego qui s’est dévoilé tardivement, Milly, était docile, soumise et libre. Milly était élégante, passive et attentionnée. Je l’avais créé femme dissolue, passionnée et inventive. Peut-être était-ce parce que c’est ce que je recherche chez une femme ? Je ne sais.




– 2 –



Ma vie d’espion n’a été, tout du long, qu’une succession de missions d’infiltration et d’investigation. Souvent de l’analyse et de la recherche. Régulièrement du sabotage et du chantage. Je ne sais plus combien d’identités j’ai empruntées, combien de légendes j’ai inventées. Au final, quand je me retrouve le soir, la nuit, dans une maison ou un appartement qui ne m’appartiennent pas, car fourni par le Service, seul, définitivement seul, je me demande où se cache ce véritable MOI. Je le retrouve dans mes souvenirs, dans mes réflexions, dans mes humeurs, mais je me questionne : si je suis si adaptable pour les besoins de la mission en cours, où se terre ce JE, cette essence qui fait ma personnalité propre ?


Je me transfigure alors en Milly, fixant une légère prothèse de faux seins donnant du volume au soutien-gorge rouge affriolant. Une culotte, rouge aussi, fine, tenue par des rubans sur mes hanches. Des bas, le plus souvent noirs, sous une jupe courte au genou, mais ample, volante, pouvant cacher mes érections. Un caraco simple, ressemblant à une nuisette, laissant entrevoir le haut du soutien-gorge ou ses bretelles délicates, est alors de mise. J’ai les cheveux longs maintenant, ils m’arrivent plus bas que les épaules et je les peigne avec soin sur le côté. Le maquillage est devenu une formalité, mes cils deviennent plus longs, mon regard plus profond, plus accentué avec un trait d’eye-liner qui se poursuit au-delà des yeux.


Milly se tient là, devant le miroir de cette planque mise à disposition par le Service. Elle est belle, attrayante, elle se sent dissolue et passionnée quand vient le temps. À l’occasion, Milly sort, d’autres fois elle se rechange et je redeviens moi. Mais la question demeure : mais qui ?


Lorsqu’elle sort de nuit, Milly jette son dévolu sur l’un des multiples bars gay du Village. Personne ne m’y connaît, mais Milly a commencé à se faire une réputation. Elle est drôle, taquine, maîtrise plusieurs sujets de conversation. On sait d’elle qu’elle s’y connaît en musique, underground ou non, qu’elle boit du vin blanc, qu’elle a beaucoup voyagé. Chacun ignore son métier par contre, car chacun est au fait de la culture de discrétion qui entoure les nuits de la Métropole, surtout au Village. Et Milly ne sort que la nuit.


À l’occasion d’une rencontre, d’une discussion intéressante, d’un rire bien senti, d’une caresse bien menée sur la jambe, Milly accepte les avances, les propositions. Jamais on n’a été chez elle. On ignore tout de sa vie diurne, mais on chuchote qu’elle suce comme une déesse et que si elle reste toujours habillée en gardant ses hauts, elle n’hésite pas à laisser tomber ses slips. Quelques fois elle les oublie dans les toilettes publiques, dans le parc ou dans l’appartement du conquérant, celui qui s’est enfoui dans son cul qu’elle aide à ouvrir de ses deux mains en jouissant.

Milly est passive, elle n’a jamais pénétré d’hommes ou de femmes. C’est toujours elle qui se laisse prendre, c’est elle qui le demande, qui le supplie passionnément. Mais elle se masturbe quand elle chevauche le trousseur de jupon giclant sur son torse : je le dis, Milly s’est fait une réputation.


Honnêtement, je ne sais ce qui pousse Milly à agir de la sorte.


Et au matin, j’ai déjà regagné mes pénates et ma vie d’espion indocile, méthodique et astucieux. Homme actif, charnel et séducteur avec les cheveux longs porté en chignon style samouraï. Viril et galant quand il le faut, chaleureux et social d’autre fois. Un infiltré dans le milieu de la musique, un tout nouveau joueur sur la scène culturelle underground pour faire venir les jeunes, en particulier les anars. Jeans et t-shirt de band rock ou de symboles politiques d’extrême gauche sont mon nouveau look grunge. La musique est mon monde et le local empli de disque compact ou vinyle est ma deuxième maison. J’y passe mes journées, je suis le propriétaire et gérant de ce magasin de disque, du nom de Ninatta musica. La boutique est située tout juste devant la tour Elizabeth, là où j’ai gagné mes galons en tant qu’officier du Service, là où j’ai fait tomber Jacob et ses mafiosos, là où j’ai découvert la taupe.




– 3 –



Malgré les quelques doutes que j’ai toujours au sujet de certains membres du Service – m’avaient-ils relégué dans un placard ? L’infiltration en valait-elle vraiment la peine ? –, j’apprécie ces moments d’écoute musicale, ces discussions sur tous les sujets avec les jeunes fréquentant le magasin, les relations nouvelles qui s’y sont créées. Stéphane est un collègue, Max et Carl sont devenus des amis en hantant presque tous les jours mon commerce.


Et puis, après une dizaine de mois de cette infiltration dormante où je devais me rapprocher d’un cercle « d’anarchistes » qui avait dans le collimateur une organisation d’extrême droite – les anars voulaient casser du facho, les fachos voulaient foutre à la porte du pays tout Arabe, juif, noir, brun, rouge, jaune, et encore, le Service était là pour calmer le jeu –, un nouveau jalon s’est imposé dans ma ligne de vie. Une autre pierre dans la vie de ce MOI qui se cherchait, après la petite culotte de Marie, l’entrée dans le Service, le recrutement de Raïssa, la rencontre de Charlène, ma féminisation assumée de nuit. Cette nouvelle balise indiquant un point tournant dans ma vie, c’est Malika.


Rien n’était prévu lors de notre premier tête-à-tête, chacun à un bout de table. Je ne devais pas accompagner Carl au bar de la tour Elizabeth, mais j’y étais allé quand même, boire un verre ou deux, me détendre après ma journée de travail. Et puis Carl a rencontré Max, un collègue de la radio indépendante de la ville. Ce dernier était avec un groupe de trois-quatre amis et attendait le début d’un concert à deux pas de la terrasse. J’étais ce gérant du nouveau magasin de disque qui venait d’ouvrir, les discussions allaient bon train sur la culture, sur les nouveautés musicales, sur les changements possibles dans la société. Malika participait et je la trouvais régulièrement vraiment pertinente. Elle avait une vision précise des choses.


Elle avait les cheveux mi-longs, noirs, glissés sur un côté de sa tête, laissant une épaule découverte. Elle portait un mince pull blanc à bretelle, et sa peau hâlée se distinguait clairement. Des yeux sombres, verts, perçants sous des sourcils arqués, un nez tout fin, des lèvres charnues, corail. Un demi-sourire en me regardant, le menton appuyé sur son poing.


Carl discutait avec Max, Malika était dans une solitude en bout de table, moi aussi, de l’autre, elle m’a fait un signe de la tête de deux rapides coups à droite, je lui ai répondu d’un signe de tête aussi, de haut en bas. Elle s’est levée, a salué tout le monde, est partie simplement. J’ai donné de l’argent à Max pour qu’il règle pour moi et j’ai marché dans la nuit, dans la direction qu’elle avait prise.


Je ne savais où j’allais, j’allais seulement la retrouver et qui sait ce qui se passera, me disais-je. En vérité, elle m’a surprise. Je ne pensais pas qu’une telle fusion sexuelle pouvait jaillir si rapidement. Nous n’étions plus tout jeune, Malika et moi – la quarantaine tous les deux –, mais nous connaissions les corps, nos corps, et avons connu celui de l’autre en trois nuits. C’est seulement au matin de la troisième nuit qu’enfin, nous avons pris un petit déjeuner ensemble. Et que nous nous sommes dit nos prénoms. J’ai toutefois menti lorsque nous avions résolu à nous dévoiler : j’ai utilisé mon nom de gérant du magasin Ninatta musica, et non mon vrai nom.


Après le p’tit déj, elle m’a souri, a passé sa main dans mes cheveux longs, puis m’a embrassé tendrement. J’étais à l’heure au magasin de disques, la caisse enregistreuse connectée, les commandes à faire en attente. J’observais par la vitrine les passants se presser, et toutes leurs vies m’hypnotisaient. Le soleil était bon, les oiseaux chantaient et Stéphane le collègue m’a rappelé à l’ordre, avec humour.



Avec un soupir, j’ai ramassé le courrier, ai déplacé un coffre de disque CD en rabais, puis me suis dirigé derrière le comptoir, en attente de clients. Stéphane le collègue a rigolé en me voyant appuyer mon menton dans la main, rêveur :



Je ne pouvais nier, ça faisait trois nuits que je ne dormais pas. Je me suis donc excusé :



Je me suis caché dans mon appartement loué par le Service, dans lequel s’entassaient encore de nombreuses boîtes de disque vinyle de groupes des années 70 que j’avais rachetés à excellent prix à un collectionneur. Je les débarquerais dans ma boutique prochainement, en faisant un coup de pub : ça marcherait bien.


Mais pour l’heure, je n’avais pas la tête au commerce ni à l’espionnage, bien qu’à la radio, à l’heure du journal, le journaliste parlait d’une nouvelle agression d’un groupe de séparatiste de l’Érythrée : « Ils viennent d’acquérir des armes d’on ne sait d’où, l’enquête suit son cours… » Ç’aurait dû m’intéresser, mais en fait, je m’en fichais, aussi bien de l’Érythrée que de ma mission de noyautage où il me fallait dénicher des infos sur les actions des fachos et des antifa. Je m’en fichais aussi du commerce, Stéphane était parfaitement capable de gérer l’activité. Je ne pensais qu’à Malika avec qui j’avais vécu des moments de grâce : jamais, depuis la rencontre avec Raïssa et Charlène, je n’étais retombé sur une personnalité si vraie, si franche, si intègre. Jamais je n’avais mangé d’aussi bons toasts au miel (je ne consomme pas de miel, mais peut-être pourrais-je commencer ? C’est diablement bon !), alors que les oiseaux appelaient au rassemblement. J’avais en mémoire les rideaux qui ondulaient sous la brise lors de mon réveil, l’aube qui rosissait le ciel… Mais aussi, Malika, chanter une complainte au rythme de mes hanches, une lamentation désirée. Ou bien son massage lors de la première nuit (ou dernière nuit ? La nuit dernière ?) qui plus continuait-il, moins devenait-il professionnel et plus la ressemblance à des caresses crasses se faisait sentir. Un baiser sur mon coccyx, sur une fesse, sur l’autre, une brise chaude, un souffle chaud, une respiration entre mes fesses, une langue, de la salive, de la mouille sur mon trou, une langue à l’intérieur : elle m’a léché le cul ! Et nous avons été plus loin. Trois nuits durant.

Jamais depuis Raïssa et Charlène je n’avais eu autant de plaisir avec quelqu’un. Jamais quelqu’un ne m’avait compris aussi rapidement que Malika. D’ailleurs, comment avait-elle fait ?


C’est avec tous ces souvenirs et ces questionnements en tête que je me suis mis à écrire, dans mon petit appartement débordant de cartons de disque. Le récit de notre rencontre a été publié sur un site de nouvelles érotiques, mais pas toujours – le site de l’imaginaire – sur lequel mon histoire des panamas papers, écrite au temps de « 1000fleurs », était déjà parue. J’ai arrangé le contexte dans le récit, je ne pouvais avouer ma mission pour le Service. De la fiction donc ? Pas tout à fait… Cette suite de souvenirs avec Malika a été éditée sous le nom de « Trois nuits pour un p’tit déj » » avec comme hashtag #fh, #facial, #anulingus, # fsodo #hdanus #hgode – totalsexe, avec raison.


Total sexe. C’est ce qui résumait l’histoire avec Malika. Mais il y avait un petit quelque chose de plus. Il y avait plus qu’une envie d’y revenir. Il y avait une envie d’y rester. De mieux la connaître, de la découvrir, de m’y plonger ; et aussi, de me faire sonder, de me découvrir, de m’y révéler.


« Une vie à deux serait-elle possible ? » me suis-je dit lorsque j’ai terminé l’histoire « 3 nuits pour un p’tit déj » ? Car c’est de cette manière que je concluais. J’ai décidé de me lancer ; ce gérant de magasin devait avoir une vie, non ? Il ne devait pas seulement fréquenter les milieux progressistes, il devait y vivre. Et Malika était une amie de Max, qui fréquentait mon commerce. Carl et Max travaillaient ensemble dans une station de radio indépendante de la métropole. Le cercle de relation de mon personnage se créait, ma légende pouvait vivre une liaison. Qui sait jusqu’où celle-ci pouvait aller ? Raïssa était de nouveau en mission à l’étranger, et Charlène occupée aux Affaires Internes. De toute façon, nous ne pouvions nous côtoyer, Charlène et moi ; j’étais en opération, je ne pouvais « connaître » quelqu’un du Service. C’était ce qu’il y avait de pire dans ces histoires d’infiltration…

Donc autant faire vivre de nouvelles histoires d’amour.

D’autant plus que je rêvais de ses cuisses musclées et élancées, de ses fesses toutes rondes et rebondies sous sa croupe arquée, de ses hanches en A sous la taille fine, de son dos avec son tatouage de licorne stylisé, de ses épaules de nageuse recouvertes de cheveux noirs ondulés, de ses petits pointus. Je lui avais dit :



Et elle avait hoché la tête, souriante, la garce, comme si elle le savait pertinemment. Mais qu’est-ce que cette fille me faisait faire ? Et cette licorne qui enroulait son corps, du bas de la fesse droite en galopant sur son dos, dont la corne allait rejoindre le bout de son téton gauche, dansait dans ma tête, m’hypnotisait de toutes ses couleurs tatouées quand je faisais crier Malika par derrière…




– 4 –



Malika et moi nous sommes donc revus. La glace avait été rompue. Nous ouvrir l’un à l’autre s’est concrétisé un soir, et ce n’était pas chez elle. Pas simplement en baisant parce que nos corps se cherchaient. Je l’ai invité à un dîner, au restaurant italien « l’Aperitivo » où je m’étais déjà restauré il y a des années, lorsque je tentais de découvrir les liens entre Jacob et la mafia de don Baldo. Non pas que je souhaitais me remémorer ce que j’y avais vécu (ce que mon personnage d’alors y avait vécu, dois-je préciser), mais simplement parce que la gastronomie offerte à ce restau était excellente. La soirée avec Malika a été rafraîchissante… nous avions l’un et l’autre de la répartie, nous pouvions discourir sur l’état du monde comme sur de menus détails : t’as remarqué que le serveur porte des lacets roses ?

Nous avons négocié l’un et l’autre pour payer, nous avons chacun payé notre part sans plus de discussion puis avons marché tranquille dans le quartier sans nous inquiéter de rien. J’avais déjà appris qu’elle était prof d’université depuis une quinzaine d’années, elle enseignait la dramaturgie et écrivait des pièces de théâtre. D’ailleurs, il y en avait une qu’elle avait écrite à l’affiche ces temps-ci.



Chez moi, elle a fouillé parmi les milliers de disques, s’extasiant de découvertes, et nous avons fait l’amour sur le rythme calme de Portishead, groupe fondateur et emblématique du mouvement trip hop. Nous avions discuté de ce rythme hip-hop sur lequel se greffent toutes sortes d’influences, jazz, blues, musique électronique, musique de film, soul, rock.



J’étais enchanté de savoir Malika aimant la musique, elle faisait partie de mon monde depuis cette mission. Je l’ai pris par la taille, elle s’est laissée tomber comme une danseuse, je l’ai embrassée et lui ai demandée de mon air le plus grave :



Elle a ri, s’est redressée rapidement et m’a fait pivoter pour que je perde l’initiative. Elle était dans mon dos et j’ai vu grâce à la lampe allumée du salon, par le reflet de la fenêtre, que tout en souriant, malicieuse, elle déroulait le foulard de son cou pour m’entraver les poignets dans mon dos. Je n’ai réagi qu’en bougeant à peine les épaules et en m’interposant à peine :



Son rire était vicelard, joué, mais perfide et d’une poussée, elle m’a fait choir sur le sofa. Je me suis retourné tant bien que mal pour la regarder, elle avait ses yeux enivrés de nymphomane que je lui ai déjà connue, les nuits précédentes. Je ne savais pas à quoi m’attendre. Du tout. J’étais chez moi, dans mon repaire de proprio de magasin de disque, les poignets attachés dans le dos, et une femme devant moi se déshabillait alors que tournait sous l’aiguille Portishead et son trip hop lascif. Malika dansait, dévoilant son corps doucement, pièce par pièce, révélant ses tatouages. J’avais omis de les indiquer dans l’histoire de « Trois nuits pour un p’tit dé », je ne voulais pas tout mettre au grand jour, mais Malika était l’une de ces femmes tatouées. Une belle licorne imprimée en finesse le long de sa hanche gauche. La queue de la licorne orne sa fesse gauche bombée, et le museau et la corne dessinés filent jusqu’à son sein ferme, à droite. Le bout de la corne touche un mamelon rosé et percé d’un anneau. Comme si l’animal mythique entourait et chevauchait son corps. Et Malika se tortillait nue devant moi, moi attaché, bandant comme un âne.



Elle a fait mine d’aller vers des cartons de disques rares avant de se rétracter pour venir vers moi. Je n’avais pas peur de m’être fait duper, je ne m’étais pas fait prendre dans un piège à miel à mon tour, Malika était joueuse et elle enlevait mon pantalon lentement, sur le simpling de la musique. J’ai tenté de me libérer de mes entraves dans le dos, mais elle avait bien serré le nœud du foulard. Elle s’est accroupie devant moi, elle a folâtré avec mon sexe en érection : elle ne l’a pas touché, seulement effleurée de ses ongles, pour frôler ensuite mon scrotum, revenir vers mon membre. Je donnais de petits coups de hanches pour qu’elle enfin me touche, mais ces caresses s’éloignaient de mon sexe dès mes tentatives de surprises. Mon pénis vibrait de désir et d’attente, je râlais seulement avec l’optimisme qu’un jour, elle me prendrait dans sa bouche. Mais non.


Malika, plutôt que de m’assouvir, s’est assise sur mon visage, ma bouche absorbant son sexe trempé et mon amante a exécuté une chorégraphie que je ne pouvais voir. Tout ce qu’il m’était possible de faire, sortir la langue, la pointer le plus loin possible, la faire danser entre ses cuisses, boire et m’imbiber de sa cyprine…

Je ne sais plus combien de temps ce temps a duré, je perds toujours le contrôle lorsque Malika prend les initiatives. Je sais qu’elle m’a touché le gland du bout des doigts, mon sexe remuait par à coup. J’ai entendu Malika rire, j’ai joui.

Plus tard, elle a remarqué une tache sur un coussin du canapé. Plusieurs formes de gouttes, un long trait. Elle a demandé en pointant l’éclaboussure :



Des images d’Éric, mon informateur, mon nouvel agent « diamant », qui pouvait infiltrer des cercles auxquelles je n’avais pas accès, à genoux sur ce sofa, moi derrière, Raïssa nous regardant, curieuse, envieuse, une main dans sa culotte… Une spéculation ? Cette scène qui s’est produite ?

J’ai enfoui cette réminiscence derrière des protections cérébrales, je ne voulais que vivre avec Malika. D’ailleurs, elle a dormi à la maison et depuis, nous ne nous quittons presque plus. Nous explorons nos corps, découvrons de nouveaux jeux, aimons ces fouilles, n’avons aucune honte à la soumission ou la domination de l’autre, nous en rions d’ailleurs. Malika aime se faire posséder attachée, moi aussi. J’aime jouer avec son cul, elle aime jouer avec le mien. Elle détient plusieurs objets qu’elle introduit petit à petit dans nos plaisirs. Je me suis déjà assis sur mon visage, l’obligeant à engouffrer sa langue dans mon anus, ma queue entre ses seins que je compressais, j’ai éjaculé partout sur son ventre. Elle me caressait si bien, elle me chuchotait qu’elle appréciait que je n’aie pas un seul poil :



Depuis mon affectation en cette métropole, chaque semaine, je nageais. Je m’étais d’ailleurs inscrit dans un club de compétition amateur pour me maintenir en forme. Et le poil sur le corps des sportifs fait perdre des fractions de seconde dans l’eau pour atteindre la ligne d’arrivée ! C’était l’une des raisons que je m’étais bâties, mais la véritable finalité était pour la vie de Milly.



Et ses petites culottes, et ses jupes, et ses débardeurs, oui oui. Chaque jour, je me retenais de tout lui dire. Chaque jour je me maudissais de lui mentir.



Elle croyait que j’étais le propriétaire d’un magasin de disques de musique : mais non. Elle croyait que je découvrais le plaisir prostatique : mais non. Comment lui avouer que j’étais en fait un espion qui aimait se travestir ? Et qui serait ma sœur, d’ailleurs ?



Comment lui déballer sans tout foutre en l’air ? Retarder l’aveu ne ferait que mettre l’huile sur le feu.




– 5 –



J’ai appelé Stéphane, mon collègue, pour l’informer que je prenais deux semaines de congés. Malika et moi sommes partis en vacances, en voiture, en voyage, longeant le fleuve, suivant la route des bières. Nous nous amusions à prendre des photos de paysage, à faire des moues devant l’appareil, des selfies, nous créer des souvenirs de ce road trip. Nous dormions dans les « bed n’ breakfast » typiques de ces régions reculées. Malika avait apporté une panoplie d’objets de fantasme et un soir, au soleil couchant, alors que la brise passait par la fenêtre faisant onduler les fins rideaux de notre logis, elle était apparue nue sinon ses bottes de cuirs, avait harnaché son strap-on autour de sa taille et m’avait prise longuement : j’étais obnubilé par les couleurs oranges et roses du ciel et j’ai joui extrêmement fort.



Je ne pouvais plus nier que Malika me renversait le cœur, que j’adorais tout en elle : nos discussions sérieuses, qu’elles soient culturelles, politiques ou philosophiques, notre humour, nos jeux sexuels. J’aimais son indépendance, sa prise d’initiative comme son lâcher-prise. J’aimais qu’elle me prenne, j’aimais aussi la contraindre et éjaculer sur son corps.



Elle a acquiescé, curieuse, et le lendemain, alors que nous louions la chambre, nous nous sommes embrassés et dit un « À ce soir ! ». Ce que je voulais qu’elle porte, c’était cet œuf vibrant qu’elle adorait tant. J’ai attendu qu’elle parte de l’hôtel en lisant le journal qui informait sur la nouvelle guerre civile érythréenne, puis j’ai traversé la rue pour louer une petite chambre spartiate. Tout ce dont j’avais besoin, c’était d’une douche, d’un miroir, du temps pour me préparer.

J’ai déniché dans cette petite ville un magasin de lingerie, puis d’autres boutiques de vêtements féminins. Mes achats effectués, je suis retourné dans cette chambre minuscule et me suis transformé en Milly.


Trente minutes après l’heure dite, le serveur avait remarqué l’attente de Malika et prenait soin d’elle, vin proposé, petits fours offerts, prospectus de la région en lecture. Durant ce temps, quatre fois durant cinq secondes seulement, j’ai pris mon téléphone et ai appuyé sur « ON » sur l’application connectée à son œuf. Si elle avait bien écouté, elle se l’était insérée avant de s’asseoir au restau, ne sachant ce que je lui préparais. Quatre fois donc je l’ai surprise et le serveur n’y a vu que du feu. Ou peut-être était-ce pour ce que Malika dégageait qu’il prenait soin d’elle.


Le serveur finalement a entendu la clochette de la porte, s’est retourné pour accueillir une dame, petite et agréable, sexy et souriante, bien maquillée, vêtue d’une robe d’été d’une pièce, de belles factures, laissant voir tout son dos. Il s’est avancé vers elle, lui a demandé si elle avait une réservation bien que le restaurant ne soit pas si plein, et la dame a pointé Malika, en pleine lecture :



Milly a donc traversé la salle accompagnée par le serveur. Il lui a tiré la chaise, Milly l’a remercié en lissant sa robe sur ses cuisses avant de s’asseoir. Malika a levé la tête, l’œil interrogateur, puis a souri au serveur :



Le serveur a fait un salut de circonstance, est parti, laissant tout le questionnement de Malika en suspens.



Milly a rigolé, a joué dans ses longs cheveux peignés sur le côté tout en faisant un clin d’œil à Malika. Milly a dit mon nom avant de commencer :



Malika a accusé le coup, soudainement interdite, ses yeux scrutant ceux de Milly :



Malika l’a serré tranquillement, se questionnant constamment, toujours scrutant le fond des yeux de Milly qui ne se résorbait pas, qui ne fuyait pas. Pourtant, en moi, mon cœur battait la chamade, c’était à prendre ou à laisser, je jouais gros sur ce coup. Mais Milly a pris le contrôle, a souri à Malika, a poursuivi :



Je n’ai pas répondu, j’avais déjà récupéré le téléphone dans la sacoche de Milly et celle-ci a appuyé sur « ON » de nouveau. Malika s’est raidie, a tenté de ne pas se faire remarquer, mais je la sentais bien remplie de sensations nouvelles, pur mélange de pudeur, d’excitation et de désinhibition. Elle a regardé Milly d’un air complice, le serveur est revenu :



Dans son phrasé, j’avais changé la modulation du vibro caché dans son vagin, elle a senti la différence, mais j’ai éteint. Le serveur parti, Malika, la main devant sa bouche, regardait la femme devant elle, curieuse, hésitante :



J’ai coupé Malika dans sa tentative de comprendre, je me suis dit que tout déballer serait le plus facile et le plus honnête :



Malika souriait, voulait poser mille questions, mais j’avais l’assurance qu’elle ne prendrait pas la mouche et que je pourrais répondre aux millions de questions, car nous resterions ensemble, malgré cette révélation de bord de fleuve.



Le serveur revenait régulièrement, un peu trop souvent même. Les deux femmes à table ont commandé des crabes, elles ont picolé joyeusement et durant ce repas de trois heures – où j’ai fait jouer l’œuf vibrant en Malika trois ou quatre fois sans qu’elle s’y attende – j’ai dénudé cette partie de moi. J’ai raconté le slip de Marie, puis l’une de mes conquêtes qui aimait me mettre un doigt dans le cul, puis une rencontre d’amour avec une transsexuelle ; l’acceptation d’aimer la sodomie, vouloir aller plus loin, mes jeux anaux solitaires puis mon passage à l’acte ; me travestir véritablement et non seulement en cachette, mes nuits au Village gai de la Métropole :



Les deux femmes à table se sont pris la main, près des coupes de vin. J’ai pressé le bouton « ON » sur mon téléphone en cachette, Malika a écrasé ma main de ses doigts, s’est serré la mâchoire, m’a fixé de ses yeux verts. Sa culotte devait être mouillée à l’écoute de mon histoire de Milly, avec cet œuf en elle que je contrôlais.


Nous avons payé nos repas et sommes partis à notre chambre. C’était la première fois que je me retrouvais en Milly avec Malika. Milly jouait la fille qui découvrait cette chambre, appâtée par une autre femme dans son hôtel. Lorsque Malika a fermé la porte derrière nous, qu’elle l’a verrouillé, qu’elle a mis les mains sur ses hanches avec un sourire incroyablement vicieux, j’ai su que notre relation avait évolué : pour le mieux !




– 6 –



Nous avons repris nos vies comme s’il n’y avait pas eu de révélation. J’ai réintégré mon poste derrière la caisse de mon magasin de disque, l’année scolaire allait commencer et Malika donnait de nouveaux cours universitaires. Notre sexualité continuait à nous rassasier sans obligation d’incorporer Milly dans nos jeux, nous étions déjà inventifs. Une nuit, alors que je suivais du doigt la croupe de la licorne tatouée chevauchant le corps de Malika, elle m’a toutefois demandé :



Et c’était vrai. Je n’avais plus besoin de me travestir pour l’instant.



Les arrivages de disques étaient nombreux ces jours-là, j’avais aussi laissé Stéphane prendre ses congés et le rythme de la vie a repris, une routine appréciée où Malika et moi nous voyions le soir et dormions soit chez elle, soit chez moi. Nous nous côtoyons déjà depuis plusieurs mois et mon amante m’a proposé de nous trouver un appartement commun.



J’ai joué le concubin heureux de la proposition, nous avons été le visiter, il était en effet parfait pour le couple que nous devenions. Mais chez moi, à l’intérieur de moi, dans ce JE si étrange, mon esprit échafaudait une prise de recul obligatoire, mes réflexions virevoltaient en : « Oui, quelle belle idée ! » et « Non, c’est impossible ! », car j’étais un espion qui vivait une vie empruntée, qui n’était pas la sienne. Je devais infiltrer un mouvement de gauche dont Malika appréciait les actions. Elle me l’avait dit un matin, alors que nous lisions le journal :



Elle s’esclaffait de l’action de désobéissance civile du groupe d’anarchistes, sorte de Robin des Bois des temps modernes. Je lui ai demandé de me montrer l’article et j’y ai vu la photo de Clive, l’un des responsables du Refuge, témoigner sur l’action et être cité : « Nous, on avait besoin de cette bouffe. Quand les jeunes sont venus au Refuge pour nous la donner, on ne savait pas d’où elle provenait ! Et on l’avait déjà distribuée quand les policiers ont fait leur enquête par la suite ! »


J’ai fait un rire moqueur aussi, jouant sur plusieurs niveaux différents :


1 – oui, l’action semblait porteuse de sens ;

2 – Clive fréquentait mon magasin de disque ;

3 – c’était même l’un des leaders du mouvement de gauche que je tentais d’infiltrer ;

4 – il me faudra faire un rapport ;

5 – Malika était-elle sympathisante des actions directes de la gauche ? ;

6 – m’avait-elle vraiment demandé que nous nous achetions un appartement ensemble ? ;

7 – où s’en va ma vie !


J’ai changé de sujet, en pointant le journal que Malika lisait, en soupçonnant quelques pays occidentaux de fournir des armes aux rebelles de l’Érythrée pour mettre à mal le gouvernement. De cette manière, le pays occidental « félon » pouvait contrôler le détroit de Bab al-Mandab reliant la mer Rouge au golfe d’Aden. Malika a haussé les épaules : « Peut-être ! » et nous nous sommes resservis du café.


Plus tard cette même journée, j’ai écrit un rapport sur les relations que j’entretenais avec ce Clive, responsable du Refuge de SDF et leader progressiste d’un mouvement ne portant pas de nom ; une somme d’individualités réunie par des idéaux. Dans la vitrine du Ninatta musica, en haut à droite, j’ai installé une affiche d’un ancien spectacle ayant eu lieu il y a déjà trois ans. Le dessin faisant la promotion du groupe de musique était beau, une sorte de serpent se transformant en femme qui chante. Cette affiche était le signal attendu par le Service. Je n’avais plus qu’à attendre.


Deux jours plus tard, le référent de ma mission, mon distinguo, est venu fureter les magazines musicaux, les nouveautés de groupes francophones. Mais qu’avais-je fait pour être rangé dans cette voie de garage, avec Nicolas, l’éternel apprenti-espion, mon distinguo ? Nicolas avait pris du galon, ces derniers temps. Il était aux Affaires Internes à une certaine époque, il était sur mes talons lorsque j’avais « pris des vacances » dans un pays du sud. Milly s’était même joué de lui pour découvrir l’avancée de ses enquêtes. Et voilà qu’il bossait maintenant au Comité d’Action, avec Juliette, sa Supérieure immédiate. Celle-ci opérait sous les ordres de Richard, ancien distinguo devenu mon complice. Au-dessus de cette pyramide, il y avait Mike, le DirOp.



Un bel exemplaire de la troisième édition de « Guitars around the world », faisant état de l’histoire des guitares, avec des photos, des conseils pour les luthiers, des partitions de chansons folks, d’autres de solos improvisés enfin mis sur papier. Nicolas l’a regardé avec attention, s’est aperçu qu’il y avait des feuillets de mon rapport écrit sur Clive, il a refermé le bouquin.



Je lui ai indiqué un prix exorbitant, il a tiqué, je lui ai fait un sourire de vendeur comme quoi il avait besoin absolument de ce livre sur les guitares. Je savais pertinemment que Nicolas s’en fichait des guitares. J’ai enquêté sur lui. Il a payé, est reparti en me saluant du bout des lèvres : mais pourquoi le Service a-t-il affecté un mec comme lui sur ma mission ? Il ne sait que jouer un seul rôle, celui du grand dadais. Il me l’avait déjà prouvé, dans cet hôtel de ce pays où il faisait tellement chaud !


J’avais incorporé, à mon rapport sur Clive et le mouvement de gauche, une note sur mon désir de m’établir avec Malika, la compagne de mon personnage. J’avais aussi indiqué vouloir rencontrer mes supérieurs, Richard en particulier, pour pouvoir discuter de la mission.


Le problème d’être un infiltré, c’est que nous devons être prêt, presque au garde-à-vous, lorsque le Service nous demandait des comptes, des rapports, des notes d’observation (infiltration, sabotage, vol, recel et j’en passe !), mais on ne savait jamais quand il répondrait à nos demandes. C’est pour cette raison que je me questionnais sur ma mise au placard possible.


J’ai attendu une semaine. Avec Malika, ça devenait ingérable. Pas entre nous, juste à l’intérieur de moi. Surtout qu’elle était revenue sur le sujet de Milly. Sans malice, elle m’avait simplement questionné indirectement :



J’ai haussé les épaules en déviant la question : « Non… il est bon ce saumon ! » et j’imaginais ce pauvre poisson remonter le courant de la rivière, pris dans les tourbillons de mes pensées diffuses et enchevêtrées : le Service ignorait tout de mon travestissement, Malika ignorait tout de mon métier. Je devais jouer plusieurs rôles sur différents niveaux.

Mon personnage de gérant de magasin de disque avait décidé de passer à l’acte, d’acheter l’appartement avec Malika. Je devais jouer le jeu, mais je n’avais toujours pas l’accord du Service. Si le Service rejetait ma demande, j’allais plaquer Malika comme une vulgaire conquête. Car à cette requête, celle de m’installer avec elle en appartement, j’avais aussi demandé une enquête. Sur elle, Malika, ma compagne, ma nouvelle complice, mon amour. Non pas que j’avais des doutes sur elle : je voulais l’instruire de mon véritable métier. Je voulais l’accord du Service pour lui révéler mon métier. Comment l’accepterait-elle ?


Pour ça, il y avait le service des Affaires Internes. Mon amie Charlène y travaillait. Mais il n’était pas certain que ce soit sur elle que ne retombe mon dossier. J’ai attendu une semaine.

Entretemps, j’ai découvert que Malika et moi n’avions pas tout exploré, j’ai décelé une nouvelle facette à ma compagne. Une sensibilité érogène extrême des seins. Malika aimait que je les stimule, que je les masse, les suce, les pince, les caresse, les effleure. Pas seulement le mamelon ou l’aréole, parfois ultrasensible, mais la surface entière. Couchée sur le dos, elle aimait se masturber alors que j’étais à genoux près d’elle, mes doigts sur ses deux tétons, malaxant, pinçant, jouant avec l’anneau qu’elle portait. Son autre main était glissée sous mes fesses, son majeur et son index dans mon cul. Je contrôlais les va-et-vient de ses doigts, par des poussées. J’étais capable de les extraire de mon anus puis rapidement, en m’ouvrant, Malika pouvait y revenir sans autre effort. Mon pénis était esseulé au-dessus de son ventre, mais je n’en avais cure, j’adorais la regarder jouir alors que je lui triturais les tétons. Malika abandonnait sa masturbation clitoridienne et se laissait aller seulement aux sensations venues de ses seins en me regardant fixement dans le lointain de mes yeux, la bouche ouverte, une inspiration qui ne terminait jamais. Alors elle fermait les jambes en criant, comme si tout son corps était submergé par cette jouissance mammaire. Nous en avons discuté, je ne savais pas que ça pouvait exister.



Elle m’a affirmé que c’était la même chose et que je pouvais percevoir de nouveaux sens à mon corps.



J’ai écouté son conseil. À son tour, à genoux à mes côtés, Malika s’est mise à stimuler mes tétons en me chuchotant des mots d’amour, que j’étais beau, que mon sexe était bien raide. Elle me pinçait et bien que je sentais de nouvelles sensations, j’étais loin de l’orgasme proposé :



J’ouvrais la bouche, éprouvant quelque chose de nouveau, la féminité de Milly s’immisçait dans ma tête. Les yeux fermés, je me sentais belle et désirable, on aimait mes seins, on adorait les toucher, les caresser, les titiller. Les yeux toujours clos, je me suis tourné doucement sur le ventre, me suis arqué le dos :



Je l’ai entendu soupirer d’aise avant qu’elle n’effleure mes fesses.


Plus tard, nous avons été dans le sex-shop où nous avions déjà nos habitudes. Nous avons regardé les pompes à tétons pour favoriser l’afflux sanguin, les plumeaux, les roues crantées. Malika était plutôt curieuse de ces roues à pointes, mais nous sommes ressortis avec des pinces à mamelons reliées entre elles avec une chaîne. Nous avions divers poids que nous pouvions installés sur la chaîne.

Elle l’a essayé tout d’abord, m’a convaincu de le tenter, nous avions bien ri de ces découvertes : l’ambiance entre elle et moi continuait à être joyeuse, amoureuse, câline, coquine. Mais j’étais inquiet. Le Service ne répondait pas à mes demandes ! Je n’avais plus aucun contact depuis que j’avais envoyé mon rapport dans le livre de « Guitars around the world » incluant la demande de pouvoir dévoiler mon véritable métier à ma conjointe !




– 7 –



L’été tirait à sa fin. Malika et moi avions fait une offre d’achat pour l’appartement. Nous étions au 15 du mois, nous avions souligné au vendeur vouloir nous y installer au premier du mois prochain. J’avais joué le jeu jusqu’au bout – au final, j’avais bien envie de vivre et de m’installer avec elle –, mais si le Service refusait simplement ma demande « d’aveu de métier » à Malika, je devrais commencer à réfléchir pour me dépêtrer de la situation.


Il y avait désormais un fouillis dans ma tête. De plus, bien que Malika prenne certaines initiatives que j’adorais – me prendre en levrette avec son gode-ceinture en particulier, ou simplement en m’insérant un gode avant que je ne la pénètre – bien que mon plaisir prostatique soit assouvi, lorsque je me regardais dans le miroir, j’y cherchais Milly, quelquefois. Alors je déambulais dans ma chambre, ou dans celle de Malika lors de ses absences, j’ouvrais les tiroirs, je touchais et admirais les sous-vêtements. Un matin, après m’être brossé les dents, je me suis surpris à vouloir m’appliquer du rouge à lèvres. J’ai laissé le tube sur le comptoir, me ressaisissant. J’entretenais cependant mes cheveux. Je les coiffais toujours en chignon de samouraï, ça correspondait à ma couverture de gérant-artiste de magasin de disques. Quand je me retrouvais seul, je les peignais longuement sur le côté et me regardant dans le miroir. Milly me faisait un clin d’œil.


Je me suis fait percer les oreilles. Mon rôle de connaisseur de musique underground qui s’habille en look grunge me donnait la possibilité de porter des boucles noires, de style punk. Un soir plus tard, j’ai fouillé dans les bijoux de Malika. J’ai trouvé de fines parures en or ou en argent qui ne déplairaient pas à Milly.


J’avais dit à Malika ne plus avoir besoin de me travestir « pour l’instant ». Justement, le temps passait.

Et Malika m’a fait une superbe démonstration d’amour, un soir, à mon retour du Ninatta musica. Ma compagne avait passé la journée chez elle, à lire, à préparer ses cours, à écrire et j’ai été la rejoindre pour partager la soirée et la nuit, comme toujours depuis notre repas à l’Aperitivo. Elle m’a accueilli avec un verre, un baiser, des sourires, une complicité. Nous nous sommes assis sur sa petite terrasse en nous projetant sur notre prochaine acquisition. Elle devait y réfléchir depuis un certain temps déjà, car elle m’a demandé à brûle-pourpoint, alors que chantaient les oiseaux et se couchait le soleil :



J’ai failli m’étouffer, surpris.



Malika me regardait franchement, sa proposition était sérieuse, j’étais estomaqué, tout ce que je pouvais faire, c’était essayer de bégayer, essayer de prononcer des mots, des phrases, de mettre mes idées à l’endroit, à l’envers : comment était-ce possible que Malika me comprenne si bien alors que tout au long de ma carrière d’espion, j’avais pu me créer un rôle et personne ne m’avait jamais surpris ? Malika me perçait à jour en me souriant, sans aucune arrière-pensée malsaine. Assise en tailleur sur la chaise de jardin, avec un jeans serré, un débardeur laissant voir ses épaules, ses beaux yeux verts sous sa frange me scrutaient avec attention. Malika avait seulement pris acte que l’homme qu’elle aimait – moi ! – se travestissait à l’occasion et qu’il lui avait avoué. Et qu’il ne s’était jamais transformé en Milly depuis leur rencontre. Il n’en avait plus besoin, avait-il essayé de se convaincre… Mais Milly lui faisait de l’œil quand il passait devant des magasins de lingerie, ou quand il croisait une femme dans la rue portant une robe que Milly jalousait…



Elle s’appuyait la tête contre le dossier, me regardait de côté avec un sourire pensif, elle accepterait le choix que je prendrais, quel qu’il soit. Je voyais bien Milly marcher aux côtés de Malika, deux belles femmes allant prendre un verre dans un bar. Peut-être que des hommes les accosteraient ? Milly porterait des bas, une robe, la nuit sera douce sur son corps, ses cheveux détachés, des bracelets aux poignets, de belles boucles d’oreille qui ne seraient pas à clip… J’ai parlé avant de réfléchir plus en avant :



Malika s’est rapidement levée de sa chaise en tapant dans ses mains, énorme sourire aux lèvres :



Dans la chambre, elle avait déjà tout disposé sur le lit. J’ai sifflé d’enthousiasme. J’ai touché les vêtements, la lingerie, les bas, imaginant bien Milly les porter : il lui faudra un maquillage sombre, un maquillage de vamp ce soir.



Je me suis retourné vers Malika, assise encore en tailleur dans le fauteuil qui a déjà vu tant de nos ébats, sourire les poings sous le menton, pour lui répondre :



Outre Raïssa, personne n’avait été témoin de ma transformation. Et puisque tout allait si bien entre Malika et moi, je n’étais pas gêné, je n’avais rien à cacher. Sauf mon véritable métier ! Je me suis entièrement déshabillé et j’ai pris une douche. J’ai appliqué certaines crèmes pour rendre ma peau plus douce puis j’ai revêtu les sous-vêtements. Malika m’avait préparé un shorty noir qui soutenait mes fesses. Le soutien-gorge était provocateur et moulait bien ma prothèse toute légère. Les bas autofixants avaient une couture élégante qui descendait le long de la jambe pour donner des courbes sensuelles. Je me suis assis devant le miroir pour me coiffer, me maquiller avec du eye-liner perçant. Je voyais bien Malika, à travers le miroir, être impressionnée par la métamorphose. Et lorsque j’ai terminé d’appliquer le rouge à lèvres, je l’ai embrassé par le reflet : Milly était revenu et j’étais serein. Malika au contraire a rejoint la femme que j’étais devenue, toujours en sous-vêtement, et m’a caressé les bras, scrutant mon visage, mon sourire assuré :



Nous nous sommes embrassés, ses lèvres étaient chaudes, Malika soupirait d’aise, les yeux fermés.



Milly s’est glissée dans la robe à manches longues, en maille fine et confortable, presque imperceptible. Le décolleté était en empiècements de dentelle souple, comme les manches. Milly avait un look raffiné de femme fatale impétueuse oscillant entre la délicatesse et la provocation.

Malika s’était préparée elle aussi, comme elle sait si bien le faire et si rapidement, avec une jupe plus courte que celle de Milly et un décolleté plongeant tout aussi empreint de sensualité. Elle ne portait pas de soutien-gorge, ses petits seins se tenaient bien sur sa poitrine.


Nous sommes sorties dans la rue, marchant tranquillement, faisant claquer nos talons dans la nuit. Malika a demandé à sa copine :



Malika a ouvert grand les yeux en acceptant, heureuse que je lui fasse si confiance, et nous avons pris un taxi pour nous rendre au Saloon, bar gai où Milly avait ses habitudes, il y a quelques mois.



Marco et Jojo sont venus vers nous pour m’étreindre :



J’ai accueilli ces effusions d’amitiés avec joie : cela faisait du bien de retrouver des compères ne connaissant que Milly, sa conversation, sa belle humeur, sa connaissance musicale, ses opinions politiques…



Marco l’a regardé d’un œil spécialiste, de haut en bas, une moue sur les lèvres. Puis il a souri et s’est exclamé :



Milly a éclaté de rire tandis que Malika se retournait vers moi, ne comprenant pas le compliment de Marco :



Il a hoché la tête, tout souriant en lâchant un : « Bienvenu ! » et en nous invitant à sa table, dans un box non loin de la table de billard. Jojo s’est rapproché de moi en me glissant :



Marco commandait déjà du vin blanc – il connaissait bien Milly – tout en engageant la discussion avec Malika ma complice :



Marco était un bel homme, grand et mince, aux cheveux roux et court, aux grains de beauté partout sur le corps. Il est notaire de profession et connaît parfaitement le droit. Il était en couple à l’époque avec Freddy. Ce dernier venait au magasin que je tenais en journée. J’ai eu peur qu’il ne me découvre. Mais je savais que Milly avait un bon passing, j’en avais eu déjà plusieurs preuves dans des hôtels de bords de plage dans des pays étrangers, en mission ou non, avec Raïssa ou non. Lors de mes premiers temps au Saloon, Milly passait pour une femme. Quand elle y a vu Freddy et Marco, j’avais décidé de faire le test du « passing » un cran plus haut : me reconnaîtra-t-on en tant que personne cis ? Freddy n’y a vu que du feu, n’a jamais reconnu le propriétaire du Ninatta musica et de fil en aiguille, en jouant au billard, en buvant des coups, en discourant sur le monde, Milly a intégré une petite communauté LGBTQIA+.

Puis Freddy et Marco se sont laissés. Marco était en peine d’amour au bar, Milly l’a consolé, l’a écouté. Il fallait lui changer les idées, Milly commençait à le désirer, sa peau pâle, ses lèvres charnues, les yeux brun-rouge… Marco a surmonté sa peine, a remonté la pente puis a avoué à Milly, un soir d’alcool :



Les yeux de Marco ont fixé Milly, totale incompréhension :



C’est avec ce choix, cette proposition plutôt, que le passing de Milly est tombé : tout le monde savait que jamais, au grand jamais, Marco n’aurait fait l’amour à une « femme bio ». Il défendait son genre et son orientation sexuelle. Il est ainsi devenu mon régulier durant un certain temps. Nous n’étions que des amis qui satisfaisaient nos besoins…

Avec Malika, Marco se faisait un plaisir de raconter la communauté que nous avions créée. Malika avait admis ne pas s’y connaître en lexique LGBT+ et Marco aimait narrer les histoires, expliquer ce qu’était l’intersexualisme, ou bien être pansexuel, bispirituel – 2 S – queer ou encore raconter la cisnormativité. La soirée a passé, Malika avait du plaisir et des questionnements. Milly racontait aussi la différence des genres, appuyée par Jojo. Celle-ci disait à Malika, en montrant un travesti du Saloon assumant que son passing n’était pas parfait :



Nous avons éclaté de rire et Malika me regardait le sourire aux lèvres, les yeux profonds, elle découvrait un monde qui n’était pas le sien, mais qu’elle acceptait comme tel. C’était une alliée de choix et je l’aimais. Milly l’aimait aussi. Et Milly a compris être bisexuelle à cet instant. Car elle était attirée autant par Malika que par Marco.


Jojo et Marco continuaient à séduire ma compagne, Jojo racontant son boulot de travailleuse sociale pour que les jeunes puissent accepter leur identité sexuelle. Finalement, celle-ci a quitté notre box, appelé par d’autres amiEs. Marco a regardé Milly en ignorant Malika et lui a souri :



Milly a fait la coquette comme elle savait si bien le faire, souriant de côté, jouant avec ses cheveux. Marco s’est rapproché de Malika et moi, les coudes sur la table comme pour nous confier un secret :



Milly a souri, indécise. Mon regard s’est tourné vers celui de mon amour. Malika m’observait, les yeux en spirale d’envoûtement. Elle a cassé la glace en se retournant vers Marco.



Marco interdit, ses yeux ont tourné vers Milly, les miens vers Malika qui hochait la tête, de retour vers Marco qui a pointé Milly du menton en attendant sa réponse. Milly a répondu, pas moi. Mais je souriais aux éclats, intéressée par l’avenir.



Dans l’appartement de Marco, je lui ai taillé une pipe alors qu’il était assis dans un fauteuil, Malika dans un autre. Je les regardais l’un et l’autre, Marco appréciait, Malika relevait sa jupe. J’offrais une performance avec l’accord de ma complice qui aimait l’homme cis que j’étais de jour, la personne trans que je pouvais être la nuit. La queue de Marco, longue et fine, tressautait et laissait déjà couler un peu de liquide. Je me suis levée pour relever ma robe et descendre mon shorty en regardant Malika qui se masturbait, la bouche ouverte, fixant mes yeux. Marco a bien compris, comme toujours, et a pris mes hanches à deux mains pour me pénétrer par à-coup de professionnel sodomite. En même temps, il masturbait le membre de Milly qui se laissait prendre, qui se laissait faire, complètement fasciné par la jouissance que procurait la scène à Malika, mon amour. Je crois que nous avons joui les trois ensemble.


Le travestisme au final, n’est pas seulement de se déguiser en femme. C’est plus que donner une illusion. C’est d’y croire. Agir comme telle. Le devenir. L’être, tout simplement.