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Temps de lecture estimé : 55 mn
24/12/21
Résumé:  L’espion-narrateur se fait happer par une mission hors de sa compréhension. Raïssa est de retour, Charlène aussi. Et sa Supérieure lui fait des avances. Trop d’espions dans une même pièce !
Critères:  #policier fh hotel voyage voir travesti trans pénétratio fsodo
Auteur : Samir Erwan            Envoi mini-message

Série : Une licorne sur le corps

Chapitre 02 / 04
La bataille des cinq espions

Résumé de l’épisode précédent :

Le narrateur, agent de renseignements et travesti à ses heures, a rencontré Malika, qui comprend tout de lui. Mais il lui cache encore son véritable métier.







– 8 –


Je suis un homme. Mon métier est officier de renseignement. Je suis un espion cisgenre, qui aime les femmes. C’est mon rôle.


Je vais à la piscine chaque semaine, le soir après mon travail au Ninnata musica, pour me tenir en forme. Je fais des longueurs dans mon couloir, certaines fois je m’inscris à une course bon-enfant, pour le plaisir de me mesurer, de me surpasser. Ce soir-là, Robert avec qui j’ai l’habitude de courser pour le plaisir n’est pas là ni Guy ni aucun autre amateur avec qui j’ai tissé quelques amitiés. Je fais donc ma nage sans me soucier de rien. Tous les deux ou trois mouvements de bras, je tourne les épaules sur le côté ainsi que la tête pour permettre la respiration latérale tout en veillant à garder en même temps les hanches bien droites. Inspiration courte, expiration longue. À recommencer, encore et encore, jusqu’à épuisement du corps. J’en arrive à me dire que ça ressemble au sexe tantrique de Malika et moi, une possession du corps, une compréhension, une respiration, un contrôle. Un pincement de doigts sur les mamelons, une pression sur la prostate : Malika et moi faisons l’amour sans nécessaire pénétration.


Je m’arrête pour reprendre mon souffle après je ne sais combien de longueurs de piscine. Toujours dans l’eau, je remarque une femme, venant vers moi, me regardant, petit sourire aux lèvres. Je l’ai déjà vue. Je la connais, cette femme. Mais je la connais portant un tailleur serré, ses seins moulés dans la blouse, sa jupe arrivant au-dessus des genoux gainant ses fesses en cœur, avec des bas noirs qui longent ses jambes. Je me souviens, la seule fois que je l’ai rencontré, m’être dit : « Je la verrais bien en maillot ! » Cette femme est pâle, aux yeux bleus, avec ses cheveux blonds coiffés en chignon. Elle a de fortes hanches, bien roulées, et des seins lourds, plutôt volumineux. Elle me fait penser – elle m’a fait toujours penser – à Ursulla Andress dans James Bond contre le docteur No. Je la vois maintenant en maillot deux-pièces de type brésilien, son ventre plat, ses seins coincés : parfait pour la plage, son maillot, mais pas pour la nage !


Juliette. Elle est ma supérieure. La supérieure de Nicolas aussi. Je donne mes infos à Nico, le petit espion dadais, il fait son rapport à Juliette. La dernière fois que j’ai vu Nicolas, c’était en lui vendant un livre sur les guitares. Ce livre recelait, à l’intérieur, mon rapport sur les agissements d’un groupe de gauche et une requête de ma part pour le Service où je demandais à ce que les Affaires Internes enquêtent sur Malika, la conjointe de mon personnage d’infiltration. Parce que mon Moi en tombait amoureux. Parce que mon rôle devait jouer le jeu et acheter un appartement avec elle. L’enquête du Service prouverait que Malika est hors de tout doute – qu’elle ne fait partie d’aucun autre réseau d’espionnage étranger et qu’elle ne fait pas partie d’un quelconque groupe criminel, ainsi je pourrais enfin dévoiler ma véritable identité.


Voir Ursulla Andress – pardon, Juliette ma Supérieure – à la piscine me confirme que le Service a pris note ma demande.

Celle-ci, tout en grâce, les cuisses jointes, s’accroupit à mes côtés et me chuchote :



Je regarde tout autour, en effet, il n’y a plus personne, seulement Juliette et moi. Et ma Supérieure balance des hanches en se rendant aux vestiaires, me laissant regarder son cul dans son maillot cachant très peu de peau. Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ? me dis-je en sortant de l’eau et en la suivant.


Elle se tient debout, près de la porte, les mains sur ses hanches. Hautaine. Une statue grecque en chair, toute en forme, avec une fine taille, un ventre plat et de bons seins débordants du maillot. On dit que les gros seins sont un signe de fertilité. Et parce que j’apprends à jouer avec ceux, petits, de Malika, me vient toutes sortes d’idées étranges en voyant Juliette dans le vestiaire de la piscine, presque nue, toute féminine, dévoilant des atouts intimes : nous ne sommes pas si proche elle et moi pour ça ! Titiller ses tétons que je ne vois pas, mettre ma queue entre ses deux globes chauds… Je me demande soudainement si ses seins sont faux, les femmes peuvent vraiment avoir une si forte poitrine ? La vue de son corps me donne envie d’en voir plus, associant sa tenue, sa posture, ses cheveux blonds, ses yeux bleus, son air arrogant, ses gros seins (!) à une actrice porno. Que sa peau semble douce ! Je m’ébouriffe et la regarde dans les yeux, attendant qu’elle prononce un mot, une phrase, mais seules les commissures de ses lèvres bougent vers le haut, satisfaite de son effet. Je rétorque alors à son silence :



Elle hausse l’épaule gauche, l’épaule droite, l’épaule gauche, l’épaule droite quelquefois, comme une danse d’athlète en faisant la moue :



Elle s’avance en deux pas suggestifs vers moi, je dois lever la tête pour suivre ses yeux, les miens arrivant au niveau de sa bouche. Elle sourit de se savoir plus grande que moi, et moi de n’avoir qu’à baisser la tête pour fondre mon nez entre ses deux seins. Bien que Juliette dégage une aura froide, frigide, impénétrable, ses yeux bleus sont calmes et beaux. Elle est une espionne plus gradée que moi, je suis pourtant de dix ans son aîné et une fossette sur sa joue se creuse : Juliette est une bonne espionne, car elle sait lire les gens, elle vient de déchiffrer mes yeux, elle connaît les pensées qui ont traversé mon esprit…



Je ne réponds pas, elle brise l’échange de regards, se déplace dans le vestiaire, me laisse voir son dos arqué et musclé, ses fesses pleines et belles à croquer, son devant avec ses seins proéminents, son ventre plat, ses longues cuisses, comme si elle paradait pour moi seul. Ces mouvements ne me laissent pas indifférent, mais je n’attends qu’une chose, qu’elle aborde un sujet : Malika et moi. Je la laisse monologuer. Elle discourt sur les avancées de l’enquête dans laquelle je ne suis qu’un élément parmi tant d’autres. Je travaille sur le groupe d’anars, d’autres agents travaillent sur d’autres groupes, de gauche ou de droite, le but étant de résorber la violence pouvant surgir de ces différences d’idéaux :



Bien sûr gamine que je le comprends, je suis dans le métier depuis plus de vingt ans, j’en ai vu passer des femmes comme toi, sûres d’elle, arrogante, ayant une vision d’ensemble, mais ne pouvant se salir les mains. Juliette se rapproche à nouveau, son visage près du mien, elle m’observe et les commissures de ses lèvres se soulèvent en un mignon sourire de celle qui sait.



Elle fait une pause, gonfle sa poitrine – dans laquelle, faut l’avouer, je voudrais y plonger le nez – respire un grand coup avant de continuer à détailler mes yeux, mon nez, ma bouche, les pores de ma peau :



Je suis surpris, je l’ai laissé paraître. Juliette fait une moue ricaneuse :



Je comprends maintenant : ma Supérieure me fait passer un test ! Elle est comme ça la nouvelle génération, mettre à l’épreuve les agents pour tenter de les faire fléchir ! C’en est grossier ! Car elle caresse mon torse glabre, remonte son doigt le long de mon menton, son autre main dans mes cheveux, ses gestes sont doux et sensuels. Et si finalement je la prenais par la taille ? Et si j’approchais mes lèvres des siennes, mon bassin du sien ? Et si ?



D’un geste brusque, je repousse ses mains, dont l’une commençait à redescendre sur mon torse, mon ventre…



Le visage de Juliette se décompose, donnant une impression de tristesse ou de désarroi, pour rapidement se reconstruire en cette statue blonde et glacée, belle et plastique.



Et Juliette me montre son dos, ses fesses coincées dans son maillot brésilien en quittant le vestiaire, me laissant seul avec trop de questions en tête.

Deux jours plus tard, je suis à la gare, après avoir donné quelques conseils à Stéphane dans la gestion du magasin de musique, puis après avoir inventé une histoire à Malika :



Parce que l’offre d’achat avait été acceptée, parce que nous nous étions débrouillés pour avoir les clés au premier de mois prochain, parce que tout était organisé ! Mais que le Service n’avait toujours pas répondu.

Durant tout le trajet de 10 h en train en direction de New York, je rêvasse des plaisirs que m’avaient fait vivre Malika la nuit avant le départ : les menottes liant mes mains dans mon dos, les pinces reliées par une chaîne mordant mes mamelons, son gode ceinture dans ma bouche, puis dans mon cul, les claques sur mes fesses, ses mots crus, feints, mais vulgaires :



Malika s’est retirée après m’avoir fait jouir et nous avons éclaté de rire et de surprise de tous ces nouveaux jeux que nous pouvions inventer.



Mais Malika ne perdait rien pour attendre, car au milieu de la nuit je l’ai stupéfaite dans son sommeil : c’était elle désormais, la ligotée, un gag ball en bouche, mon membre dur la pénétrant de toute part comme lors de nos premiers ébats. Au matin, toasts au miel et café chaud, nous nous sommes embrassés en souriant : « Allez, ce n’est que six jours, tout au plus… », ai-je soupiré en quittant l’appartement.



– 9 –


Juliette m’avait rejoint sur le quai de la gare, m’avait refilé un papier en cachette. J’ai tenté d’aborder le sujet de Malika, mais elle m’a ignoré. J’ai lu son mot assis dans mon siège : « Rdv au Royal Hôtel, chambre 207 », nous ne nous sommes pas reparlés, elle était dans un autre wagon, je l’ai aperçu rendu dans la Grande Pomme, puis disparaître.


New York est une ville de fous. J’en ai visité des métropoles durant ma carrière, mais New York a toujours eu cet effet hallucinant de rapidité et de je-m’en-foutisme individuel. Je ne voulais pas y rester, je voulais déjà repartir, surtout après les embouteillages du centre-ville qui m’ont fait perdre plus d’une heure. J’ignorais ce que me réservait Juliette, autant aller la rencontrer directement à la chambre 207 du Royal Hôtel.


Bel établissement chic et somptueux, des miroirs, des lustres, des tapis rouges dans le hall, dans les couloirs, j’ai grimpé les deux étages sans m’attarder et toqué à la porte. Un « Entrez ! » étouffé s’est fait entendre, j’ai suivi l’ordre, aux aguets : la chambre était humide et chaude, quelqu’un venait de prendre une très longue douche et en effet, Juliette est sortie de la salle de bain, tout au fond, une serviette autour du corps, une autre enroulée autour de la tête. Juliette portait un sourire de celle qui sait, qui obtient ce qu’elle veut et se dégageait de la chambre et de sa présence mi-vêtue les conditions idéales pour que je déboutonne ma chemise, balance mes chaussures, enlève mon pantalon pour me précipiter sur cette statue aux courbes fermes.


Mais pourquoi tente-t-elle cette séduction ces derniers temps, alors qu’auparavant elle faisait tout pour m’ignorer, ne pas me rencontrer, ayant attitré Nicolas le dadais en tant qu’agent de liaison ? Mais pourquoi ?

Elle a dit mon nom, un espoir soufflé dans la voix, j’ai répondu fermement pouvoir revenir. Elle a rejeté ma proposition, s’est plutôt assise en croisant ses jambes sur une chaise droite, à une petite table devant la fenêtre nous offrant une nuit new-yorkaise et m’a invité à la rejoindre d’un geste sensuel de la main.



Juliette avait déjà pris le temps de se maquiller et son regard papillonnant et séduisant m’évitait de regarder ses épaules, la naissance de ses seins sous la serviette. Tout de même, en devinant mes pensées, elle a remonté sa serviette, suggérant ses gros seins fermes, symbole de fertilité.



Dans la salle de bain, plusieurs produits de beauté, des cosmétiques, différentes crèmes ont tenté Milly, mais je me suis précipité dans la douche. Comme je terminais, Juliette a crié : « Entrez ! » et je n’ai eu le temps de me sécher, et ai enroulé la serviette autour de ma taille pour jeter un coup d’œil dans l’entrebâillement de la porte : qui était ce nouveau visiteur ?


J’ai été estomaqué de voir entrer Raïssa, ma Raïssa, mon cœur, mon amour, mon être, celle pour qui je ferais tout, celle pour qui j’ai déjà tout fait, que je n’avais presque pas revu depuis notre « aventure » dans cette île du sud, alors qu’elle était entourée d’une dizaine d’hommes. Raïssa ! Habillée en Jamila, pimpante, sexy à souhait, son corps devenant de plus en plus beau, ferme, mature, avec les années. Raïssa était suivie d’un bel homme, son âge, une trentaine d’années, une barbe de quelques jours bien taillée, des yeux bruns scrutant tous les recoins, avec un bras en écharpe par-dessus son élégant veston.

Et Juliette portait toujours sa serviette enroulée sur son buste généreux, elle s’était peigné les cheveux qui retombaient sur ses épaules. Je ne voyais que son dos et ses fesses bombées, je ne voyais pas son visage ni son sourire de manipulatrice. Raïssa a commencé les hostilités :



Puis, Juliette, d’une voix forte, m’a appelé. J’étais bien obligé de sortir de la salle de bain, une serviette autour de la taille, ruisselant d’eau.



Raïssa n’a pu répondre que cela, la bouche ouverte par la stupéfaction, additionnant les corps presque nus de Juliette et moi, dans la même chambre d’hôtel.



Je n’allais pas rajouter : « Ce n’est pas ce que tu penses… », cela n’aurait servi à rien, il suffisait que Juliette s’explique, pour toute cette mise en scène ; c’est tout. Mais c’est alors que j’ai remarqué le lit défait, mes vêtements éparpillés dans la chambre, ceux de Juliette aussi, un slip bien en évidence. Jamais je n’aurais pu imaginer cette situation, me faire « surprendre au lit avec ma Supérieure », devant Raïssa : à quoi tout cela rimait-il ? L’homme avec le bras en écharpe, derrière une Raïssa habillée d’une robe éblouissante et révélatrice, souriait, rigolait de la situation en silence. Juliette l’a rompu :



Elle a pris soin de me caresser le torse, un sourire de jubilation sur le visage, avant de s’enfermer dans la salle de bain. Je me suis secoué, j’ai regardé Raïssa, elle aussi a secoué la tête, des yeux frappés de stupeur :



Je me suis avancé vers le lit pour observer le linge que Juliette m’avait préparé puis j’ai laissé tomber la serviette comme si j’étais seul pour enfiler mon sous-vêtement :



Raïssa a croisé les bras en me regardant, méfiante, défiante. Elle ne saisissait pas non plus la scène, mais semblait trouver du charme à la situation :



Raïssa a fait un bruit de langue et de bouche, que seuls les Algériens sont capables de faire pour montrer le mépris.



Raïssa a fait de nouveau ce bruit de succion de la bouche démontrant le doute, puis l’homme qui accompagnait Raïssa a mis sa main valide sur son épaule :



Mon agente a haussé les épaules, ignorant mon regard. Toutefois, après quelques secondes, elle s’est décrispée, ses yeux sont revenus vers moi :



Raïssa et son complice se sont regardés, puis Raïssa m’a confirmé d’un hochement de tête ma dernière question :



L’homme accompagnant mon agente s’est dirigé vers le minibar, s’est servi un verre et nous en a proposé un. J’ai acquiescé, Juliette a fait non de la tête et a commencé à discourir pour moi, d’une voix pompeuse et autoritaire. Elle savait prendre la direction. Était-ce la même chose au lit ? Un frétillement s’est fait sentir à mon entrejambe : Milly était soumise, je pouvais le devenir avec Malika. Et avec une autre femme ? Mais pourquoi toutes ces pensées ?



J’allais hocher la tête alors que William me donnait un verre de whisky, mais Raïssa s’est emportée avant que je ne puisse bouger :



Raïssa a soufflé par le nez, a hoché la tête et croisé les bras :



La discussion s’est quelque peu éternisée, j’écoutais les palabres entre Raïssa et Juliette comme si je regardais un match de tennis : arguments, refus, contre-argument, autre refus. William a fait un geste d’apaisement à Raïssa :



Juliette a répliqué :



Raïssa a soupiré, s’est assise et m’a regardé dans les yeux, en ignorant notre Supérieure hiérarchique à tous les deux. En quelques minutes, elle a dévoilé l’essentiel de sa mission : notre Service de renseignements sait que l’Aristo – nom de code donné au PDG d’une société-écran dont Raïssa n’a pas donné le nom – séjournera au Royal Hôtel durant une semaine. Il aura dans son attaché caisse d’importants documents dont le Service veut dérober.



Raïssa s’est levée à contrecœur et a suivi William vers la sortie. Elle s’est retournée et nous a regardés, Juliette et moi :




– 10 –


C’est ainsi que nous nous sommes retrouvés, Juliette et moi, habillés sur notre 36, elle dans une jolie robe bleu marin étincelante et moi en costume cravate chic, à siroter des martinis dans la salle de bal du Royal Hôtel. Des couples dansaient, un orchestre d’instruments à cordes donnait l’ambiance, les gens riaient et prenaient du bon temps sous le plafond en coupole et son lustre à mille verres.


Juliette et moi, assis l’un devant l’autre sur de hauts tabourets, sirotions nos boissons et observions les nouveaux arrivants. Un couple de richards, un autre couple de parvenus, un groupe de jeunes gens ayant lancé une start-up qui s’asseyaient ensemble sur des banquettes avant de commander du champagne…

Nos yeux, à Juliette et moi, s’évitaient, mais avaient le même objectif : repérer l’Aristo.



Nous avons donc passé la soirée à ne rien faire sinon surveiller la foule de danseurs et de buveurs de champagne. Juliette, de sa voix grave, son index tournoyant sur son verre vide tentant de faire sortir un son aigu, m’a demandé, curieuse :



Réminiscence lointaine. Jacob, Raïssa, Charlène, monsieur Jonathan. Les enregistrements. Les robes. Le AirBnB de la tour Elizabeth. Raïssa. Charlène. J’ai soupiré. Je ne pouvais rien dire. J’ai souri et ai regardé Juliette droit dans les yeux :



J’ai haussé les épaules puis tendu le cou, croyant faussement voir arriver notre cible commune, l’Aristo. Tout ce que je voulais en fait, c’était aborder le sujet de Malika, pour que je puisse me dévoiler, que j’avoue être un espion à mon amour pour enfin pouvoir vivre librement, et non en constant mensonge. J’aurais simplement pu demander, entre deux martinis : « Alors Juliette, vous avez répondu à ma demande ? Quel est le résultat de l’enquête à propos de Malika ? » Mais Juliette semblait avoir un agenda caché, j’attendais le bon moment pour aborder Malika, moi, la vie à deux possible…



Ce n’était pas difficile de jouer un rôle devant un public d’inconnu. Il était plus difficile à tenir face à d’autres agents du même calibre que soi. J’ai pris Juliette par la taille et nous nous sommes dirigés vers l’ascenseur menant à notre étage. Juliette a collé son corps contre le mien, a tenté d’immiscer son nez contre mon oreille, puis ma joue alors que nous montions, pressant ses seins contre mon torse, je l’ai gentiment repoussé alors que les portes automatiques s’ouvraient.


Dans notre chambre, elle a de nouveau tenté de me pervertir, se déshabillant sensuellement devant moi, débutant par ses talons hauts, puis me demandant de baisser la fermeture éclair de sa robe dans son dos. Je l’ai certes aidée, mais n’ai pas été plus loin avant de m’étendre entre le drap et la couette, encore habillé, et fermant la lumière. Juliette a donc pris son temps, se dénudant entièrement, grimpant sur le lit sensuellement, venant vers mon corps. Mais je respirais profondément, comme si je m’étais déjà endormi. Juliette est restée interdite au-dessus de mon corps. J’avais les yeux fermés. Elle s’est couchée après de trop longues secondes, secouant les draps, l’oreiller, fermant la lumière d’un geste rageur.

Je souriais intérieurement. Bonne nuit.



– 11 –


Le lendemain, je me suis réveillé à l’aurore. J’ai rêvé à Malika. Que faisait-elle à ce moment même ? Juliette dormait encore, recouverte par les draps. Je me suis rapidement douché puis changé pour me retrouver dans le couloir aux tapis rouges de l’hôtel. Une marche en ville, Central Park, passer la journée avant de me retrouver en chic costume à cravate avec une Juliette aguicheuse, tentatrice, pour trouver l’Aristo que Raïssa aurait très bien pu identifier !

Selon les informations qu’elle avait données, les arguments qu’elle avait avancés la veille, William, son collègue était peut-être brûlé, certes, mais pas elle. Une machination peu subtile de Juliette : pourquoi cette volonté d’être sur le terrain ? Pourquoi à tout prix ?


Je n’ai pas été surpris de trouver Raïssa à attendre près de l’ascenseur. Jeans et simple blouse, les cheveux dénoués, longs, noirs, ondulés comme si elle venait de se coiffer, elle m’a souri et m’a embrassé sur la joue. Les commissures de nos lèvres se sont frôlées, j’ai soudainement eu envie de l’embrasser comme à l’époque. Raïssa avait le sourire fatigué du matin :



Raïssa s’est avancée vers moi en soufflant mon nom :



Puis elle m’a regardé, emplie d’empathie :



Je pouvais tout dire – ou presque – à Raïssa. Elle seule connaissait, à ce moment même, mes secrets. Elle a hoché la tête, compréhensive, avant de regarder par terre, puis de revenir vers moi :



Empathique de nouveau, elle s’est mordu les lèvres en me fixant. Moment de silence entre nous où il n’y avait que nos yeux qui nous parlaient. Puis, elle s’est agitée :



Elle m’a remercié d’un sourire extraordinaire et d’un baiser sur la joue, m’a indiqué le numéro de leur chambre avant de partir en me saluant de ses doigts. J’ai soupiré. J’ai reluqué son cul. Je l’aimerai toujours, cette ancienne jeune étudiante en science Po devenue agente émérite !


L’Aristo s’est pointé à la salle de bal trois jours plus tard. Trois jours où j’ai joué le rôle du mari de Juliette, couple incongru qui échangeait des banalités avec le personnel de l’hôtel et qui faisait les boutiques durant la journée, tout en visitant le MET, le Guggenheim, le Ground Zéro. Dès qu’elle le pouvait, Juliette m’embrassait comme une femme aimante, collait ses gros seins contre moi, me caressait le bras ou les fesses. Si nous n’étions pas en mission, ç’aurait pu passer pour du harcèlement sexuel. J’ai laissé couler, ne réagissant à ses avances qu’en public. Dans les kiosques de journaux typiques de New York, j’ai remarqué que certaines « Une » parlaient aussi de la guerre en Érythrée.


Le soir, Juliette et moi dégustions de bons plats, sirotions nos cocktails tout en scrutant la salle. La nuit, Juliette tentait toutes les techniques de séduction pour me faire basculer entre ses jambes. J’ai toujours résisté, en disant non, tout simplement, en tentant de la raisonner, arrête s’il te plaît. Exaspéré, à la troisième nuit, j’ai haussé le ton : « Qu’est-ce que tu cherches à la fin ! Je t’ai dit non, on ne fera rien, mais tu continues sans cesse ! Non, c’est non ! Est-ce que c’est clair ? »

Jamais, nous n’avons jamais dormi sous les mêmes draps et jamais nos jambes ne se sont touchées. Et pourtant, quel corps avait-elle, Juliette ! Mais Malika me manquait, et j’étais en mission.


L’Aristo est arrivé en grande pompe dans la salle de bal avec au moins deux gardes du corps qu’on reconnaissait à leur mine patibulaire. Il portait bien son nom, l’Aristo. Un costume écarlate de très bonne coupe avec un veston queue-de-pie, un chapeau haut de forme, un monocle, une moustache, une canne à pommeau d’or : l’Aristo était un original qui n’était pas né à la bonne époque. Il savait se faire remarquer, ce PDG de société écran, il menait une vie entourée de fastes et de femmes.


Je me suis tourné vers Juliette pour l’encourager, mais je me suis attardé à l’observer. Elle semblait hypnotisée, surprise, un peu déconvenue. Elle retenait son souffle et ne quittait pas des yeux cet homme en rouge, au chapeau et à la canne au pommeau d’or.



Tranquillement, elle a tourné son visage vers la voix qui lui parlait. Ses yeux semblaient perdus, sa bouche tombante.



Elle s’est soudainement ébouriffée, m’a reconnu, a souri, a zyeuté de nouveau l’Aristo qui s’asseyait avec sa bande et commandant du champagne. Juliette était redevenue une agente opérationnelle, mais je venais de craindre l’annulation de la mission.

Juliette le regardait l’Aristo, impressionnée puis s’est retournée vers moi, m’a fixé d’un œil assuré, s’est ajusté le bustier en empoignant ses seins, s’est levée et a lissé sa robe tout en regardant sa cible. Puis vers moi :



J’ai hoché la tête en convoitant son cul dansant dans sa robe serrée. Juliette est une courtisane, et peu d’hommes ne seront capables de refréner ses ardeurs. J’ai réussi. Espérons que l’Aristo ne soit pas comme moi !

J’ai observé Juliette se présenter devant la cour de l’Aristo, lui tendre la main, se faire embrasser le dos de la main avec charme. Les deux gardes du corps restaient alertes, mais l’Aristo a fait un signe de la main : « Tout va bien. » J’ai vu Juliette se faire inviter par sa cible à s’asseoir tout près de lui, j’ai senti la victoire dans le cœur de Juliette, sa satisfaction de ne pas être rabroué une nouvelle fois, croiser sa jambe en direction de sa cible, se placer les cheveux en dévoilant ses épaules, puis me défier du regard, sourire aux lèvres, tandis que les yeux de l’Aristo plongeaient dans son décolleté échancré.


J’ai considéré que c’était un signal fort, j’ai terminé mon verre et me suis éclipsé. J’ai pris les escaliers. J’ai grimpé les marches deux par deux jusqu’à l’étage de la suite de l’Aristo sans être essoufflé. Il n’y avait personne dans le couloir, je pouvais m’approcher sans crainte. Devant sa porte, j’ai écouté : aucun bruit. Je me suis accroupi devant la serrure en sortant mon matériel de cambrioleur, un appareil électronique dont on fait glisser un embout plat dans la serrure. J’ai attendu dix secondes avant que le voyant ne s’allume et clignote de vert.


J’ai soudainement eu une sorte d’illumination intérieure : toutes mes missions importantes semblaient se dérouler dans des hôtels ! J’ai tourné doucement la poignée, ai poussé la porte. Il n’y avait aucun membre de sa garde rapprochée dans la chambre. Je m’y suis faufilé. Je suis ressorti deux minutes plus tard, mission accomplie. Ce n’était pas si difficile que ça, finalement. L’attachée-caisse était en évidence sur une table basse, je l’ai ouverte sans aucun souci y trouvant les documents convoités par le Service. Je les ai dérobés. J’ai rapidement regardé dans les autres valises près du mur, j’ai ouvert les tiroirs pour me donner bonne conscience, et jeté un œil dans la salle de bain, il n’y avait rien d’autre d’intéressant. J’ai tranquillement pris l’ascenseur pour me rendre à la chambre de Raïssa, les dossiers sous le bras.


William et elle avaient bossé sur ce dossier, c’était à eux que revenaient les honneurs de la réussite de l’enquête. Devant leur porte, j’ai toqué. Une fois, deux fois, j’ai ouvert, ce n’était pas verrouillé. J’ai tout d’abord discerné les ombres chinoises contre le mur : une femme mince, aux cheveux fous, aux seins lourds, à la croupe arquée dansant le baladi. Je me suis approché et mon sexe s’est durci. Je revoyais Raïssa nue. Elle chevauchait William. Ses mains à lui caressaient ce corps que j’avais tant aimé. Tous les deux gémissaient, ils se faisaient plaisir, ils s’aimaient, je l’avais bien perçu lorsque je les avais vus pour le brief, je le voyais bien maintenant.


J’aurais pu me racler la gorge, leur faire savoir ma présence. J’aurais pu me joindre à eux. Mais Raïssa a crié en se donnant quelques coups de bassin plus fort que les autres avant de se soulever, laissant le sexe de William esseulé. Raïssa s’est déplacée langoureusement sur le ventre et le torse de son collègue en soufflant puis a enserré le visage de William entre ses jambes. C’est vrai, Raïssa aimait s’asseoir sur nos visages…


Le pénis de William était encore dur, ferme, gros, long, j’ai salivé et ça m’a surpris. Milly suce des bites. Pas moi. Mais celle-ci me faisait envie. Ça faisait longtemps que je n’avais octroyé aucune fellation à un vrai sexe. Je suçais celui en silicone de Malika, mais sentir les veines, la chaleur, flairer le corps, jouer avec la langue sur un méat palpitant, deviner le liquide séminal venir doucement… ça faisait une éternité. Et celui-là, là, juste là, tressautait, car Raïssa dansait de nouveau, mais sur la langue et le nez de William, en s’appuyant des deux mains contre le mur. La queue de William, je pourrais la prendre en main, en charge, en bouche… soupeser ses couilles, les lécher, Raïssa viendrait m’aider, nous partagerions ce sexe fier comme nous partagions celui de Charlène…


Mais je me suis retiré en catimini. J’ai déposé les documents dérobés sur le pas de la porte. William et Raïssa souhaitaient vivre leur vie à deux, pour eux deux. Et moi je retrouverais bien Malika. J’aborderai la question avec elle. Peut-être acceptera-t-elle de faire l’amour avec un autre homme, et moi ? Et serais-je transformé en Milly, si c’était le cas ? J’ai refermé la porte de la chambre de Raïssa et William sans faire de bruit. J’ai soupiré. L’image du corps nu de Raïssa en tête.


Suis descendu à ma chambre. Des images de baise plein les souvenirs. La porte 207 était entrouverte, mes sens se sont éveillés soudainement. Notre chambre avait-elle été fouillée ? Étions-nous, Juliette et moi, démasqués nous aussi ? Si oui, Juliette était en danger, dans les bras de l’Aristo et des deux gardes identifiés !

J’entendais gémir, Juliette était torturée ! J’ai sorti un couteau de ma poche, l’ai déplié. Ce n’était pas une grande arme offensive, mais si je m’en servais bien, ça pouvait couper des jugulaires. J’ai avancé, les dents serrées, prêt à poignarder l’Aristo.


Il était bien là, l’Aristo. À genoux sur le lit. Nu. Poilu. Ses bras devant lui. Ses mains agrippaient des hanches. Les hanches de Juliette. En levrette. La bouche ouverte. Criant à chaque coup de bassin de l’Aristo. Elle se faisait défoncer. Royalement. Et l’Aristo, un rictus aux lèvres, exaltait de baiser ma Supérieure aux gros seins. Ceux-ci se balançaient sous elle. Elle avait les yeux fermés, profitait de cette copulation. Combien de temps cela avait-il pris ? Cinq minutes pour grimper les marches, deux minute pour me rendre à la chambre, deux minutes pour dérober, huit minutes pour me rendre à la chambre de Raïssa en ascenseur, douze minutes d’observation et de fantasme, quatre minutes pour redescendre et être témoin de cette noce sexuelle : total, 33 minutes pour que Juliette ramène l’Aristo dans notre chambre et qu’ils se donnent à fond tous les deux. Quelle salope ! Et pour lui, quel opportuniste ! Car elle en voulait, Juliette !


L’Aristo s’est rapidement retiré de la collègue en disant : « Wait a minute, we’ll try something else… » en pointant son sexe à l’entrée de l’anus de ma Supérieure. Celle-ci s’est effondrée en râlant, le visage dans les oreillers et a accepté ce membre pénétrer son cul. Doucement, l’Aristo s’est mis à coulisser en elle, le visage béat, tout en maintenant ses hanches. Juliette couinait, râlant, les doigts crispés aux draps. Puis l’Aristo a chuchoté un : « Okay… » avant d’enculer Juliette de belle manière, et de faire crier celle-ci.


J’en avais assez vu, je suis sorti. Des images de baise plein les souvenirs encore.

Je suis sorti de l’hôtel. Respirer l’air de New York. Seul. Avec ces dessins dans la tête de corps copulant entre eux, de la queue de William pointant le plafond, avec celle de l’Aristo s’introduisant dans l’œillet de Juliette, avec les seins de Raïssa, ceux de Juliette, ceux de Malika, les pinces sur ses tétons, sa jouissance, la mienne, elle me sodomisant avec son gode, me disant des mots crus et amoureux et encore, et encore et encore et encore.



– 12 –


Le soleil se levait lorsque j’ai repris mes esprits. Malika me manquait. La mission était terminée. Je pouvais rentrer. J’ai pris un taxi pour revenir au Royal Hôtel. J’ai toqué à la porte de Raïssa et William. La petite étudiante de Science Po m’a ouvert, heureuse, et m’a sauté dans les bras :



Derrière elle, William, le bras toujours en écharpe, mais torse nu et en jeans, m’a salué de la main. Raïssa a continué :



J’ai haussé les épaules :



Raïssa a hoché de la tête, incrédule et en me fixant. J’ai brisé le lien de regard et ai observé le bas de la porte : il m’aurait été impossible de glisser les documents sous celle-ci, la porte ne laissant aucun interstice. Le regard de Raïssa m’informait qu’elle savait très bien que je mentais. Son sourire aussi. J’ai souri à mon tour.



J’ai mis mon index devant ma bouche en souriant :



Raïssa a pris le choc, a fait des yeux ronds, sa bouche aussi, j’étais content de l’effet, je l’ai salué et suis parti.


Rendu à la chambre que je partageais avec Juliette, j’entendais des ronflements derrière la porte. Je suis entré. Juliette dormait. Elle était accompagnée de l’Aristo. Plusieurs bouteilles de champagne étaient alignées sur la table. Ils avaient dû passer la nuit à baiser et à picoler. Je me suis accroupi à côté du lit pour être face au visage de Juliette, je l’ai réveillée doucement en mettant un index devant mes lèvres. Elle a compris aussitôt bien qu’elle ait encore les yeux dans le coaltar. Je me suis levé et lui ai indiqué de me suivre dans la salle de bain. Elle m’a rejoint, encore nue, j’ai remarqué des traces de spermes dans son cou et sur ses seins qui n’avaient pas été essuyés. Je lui ai tendu une serviette et sans faire de cas, elle se l’est enroulée autour du corps. J’ai chuchoté :



Le temps pour Juliette de comprendre ces quatre mots, elle s’est regardée dans le miroir, s’est tapotée le visage, la moue, elle devait avoir un sacré mal de crane :



Juliette a hoché la tête, comprenant la situation.



Juliette me regardait, je me demandais si elle avait conscience de la situation en fait. Son œil était pervers.



Juliette a de nouveau hoché la tête, le visage fermé. J’ai continué :



Et j’ai quitté New York avec deux jours d’avance, laissant une Juliette effondrée. Je n’avais pris aucune photo d’elle la compromettant. Je voulais seulement lui faire comprendre que bien qu’elle ait pu divertir la cible le temps du casse, elle avait abusé pour la suite. Et pour une cadre du Comité d’Action, ce n’était pas exemplaire. Comme si elle connaissait l’Aristo bien avant cette mission ?



– 13 –


Les langues qui s’enroulent entre elles, les lèvres qui s’attachent, les corps qui s’épousent, nos rythmes qui s’harmonisent. Nous soufflons nos retrouvailles en missionnaire, Malika m’enserre le cou de ses avant-bras, ses jambes ceinturent mes hanches, ses talons sur mes fesses et nous sentons une dérive des sens en même temps. Malika hurle alors qu’une chaleur se déverse de mon bassin en elle. Une petite voix déclare, ingénue : « Ça y est, nous venons de créer la vie… » puis je roule sur le côté alors que la petite voix se répète : « Ça y est, nous venons de créer la vie… Ça y est, nous venons de créer la vie… » épuisé d’avoir tout donné, si heureux de l’avoir retrouvé.

Nos respirations s’accordent dans la chambre aux fenêtres ouvertes, aux rideaux flottant dans la brise, dans la lumière nocturne de la ville. Malika revient vers moi, la main sur mon torse, sa cuisse sur les miennes, son autre main sur ma joue, ses lèvres tout près :



Je souris, acquiesce en silence :



Et je me maudis de lui mentir. Tout ce que j’aimerais dire à Malika, c’est : « La mission s’est bien passée, mon rôle n’était pas si compliqué, dérober des documents, j’ai fait ça toute ma vie… » Elle m’aurait répondu : « Il n’y avait pas de danger ? » j’aurais haussé les épaules : « Bah, il y avait des gardes, mais j’ai pu me faufiler sans me faire voir… » Malika alors m’aurait posé d’autres questions : « Dans tes missions, il y a toujours des femmes avec qui tu as la possibilité de coucher… » je me serais alors tourné vers mon amour : « Oui, cette fois-ci aussi, ma Supérieure et moi dormions dans le même lit, mais il ne s’est rien passé – Tu es certain ? – Je ne te mens pas. – Alors tourne-toi sur le ventre… » aurait-elle conclu cette discussion en se glissant entre mes jambes. J’aurais soulevé mes fesses, elle aurait enfoui sa langue dans mon anus en me caressant doucement le sexe de ses ongles et nous aurions fait l’amour une nouvelle fois.

Mais le Service n’a toujours pas donné son accord pour que je lui dévoile mon véritable métier, Malika croit toujours que je suis un propriétaire du magasin de musique underground Ninnata musica et je m’en veux, car nous emménagerons dans notre appartement commun dans peu de temps. Dans deux jours d’ailleurs !



Il y a un temps en suspension. Je sens Malika se raidir. Une sorte de spasme. Elle lève la tête, me regarde dans les yeux, dit mon nom avant de continuer :



Prononcée à la blague, cette phrase passe bien. Sur un ton sérieux, c’est bien souvent des emmerdes. La dernière fois qu’on m’a dit cette phrase, Raïssa me faisait savoir qu’elle connaissait mon secret. Mais j’ai déjà avoué mon penchant pour me travestir à Malika…

Ma compagne se lève du lit. J’admire son tatouage en forme de licorne stylisée qui contourne tout son corps. Je l’entends soupirer : « J’ai besoin d’un verre », et me lève à mon tour, mon sexe long et mou faisait éclabousser quelques gouttelettes de sperme un peu partout.



Habile comme si elle avait six mains, elle est déjà de retour avec deux coupes de vin, deux shooters et trois bouteilles, vin blanc, vodka et de la crème de cassis : la soirée s’envolerait ! Elle s’assied à table, toujours nue, je l’imite, elle verse, me tends un shooter de vodka glacé :



Nous trinquons, buvons, « Tcha ! » ça me brûle le corps, j’ouvre la bouche et l’observe sans rien dire. Malika boit cul sec, savoure, sait très bien qu’elle a à dire. Ses petits seins pointus gonflent lorsqu’elle prend enfin une grande respiration :



Ses yeux vert clair sont beaux, je la crois d’avance, je lui fais confiance. Elle me sourit, soulagée par mon attention, hoche la tête, verse du liquide dans nos verres, fais un mélange dans les verres à vin de crème de cassis, de vodka puis de blanc. On l’appelle le Double K – du nom du célèbre hacker – ce cocktail qui prend cinq secondes à réaliser. Malika remplit aussi les shooters de vodka. Nous sommes parés. Le reste de la soirée se déroule dans son histoire.



– 14 –


« T’ai-je dit qu’un acteur connu avait commencé à enseigner dans mon département, à l’université ? Il s’appelle Marwan. Il est très sympa. Nous avons tissé une amitié, car nos étudiants, à lui et à moi, sont pour la plupart les mêmes. Nous avons commencé à échanger sur leur parcours, leurs volontés, leurs potentiels. Entre profs, on s’échange beaucoup d’informations sur les élèves. »



« Marwan et moi nous entendons bien, je te le présenterai si tu veux. Sinon, un soir que tu travaillais parce que Stéphane ton collègue devait récupérer ses enfants, Marwan m’a invité à prendre un verre au bar de la tour Elizabeth. Je t’ai rejoint tout juste après, tu te souviens ? Marwan m’avait dit qu’il habitait un appartement dans la Tour, et qu’il y avait de bons groupes de musique. En effet, c’était sympa, nous avons passé du bon temps, il y avait un chanteur barbu avec des paroles poétiques dans ses chansons, ça suggérait la pratique de la feuille de rose, ça m’a stimulé parce que, tu sais bien, j’aime bien te lécher le cul… »


J’ai acquiescé, elle a continué. Depuis qu’elle avait prononcé le nom de la tour Elizabeth, et de son bar, je m’étais mis en mode écoute active, que l’officier de renseignement que j’étais prenait lorsqu’il rencontrait ses sources. Je me revoyais avec Raïssa dans mon AirBnB, sauf qu’à ce moment, c’était Malika mon amour qui se débriefait elle-même.


« Puis est entrée une belle femme dans le bar, je l’ai remarqué dès son arrivée. Elle était superbe : une jupe blanche, à mi-cuisse, découpée en une suite de petits losanges le long de ses hanches, laissait voir sa peau mate, son dos dénudé. J’ai été estomaquée à son entrée, tandis que Marwan me racontait des techniques théâtrales. La femme qui venait d’entrer avait une belle couleur de la peau, comme un mélange de bronze, de fumée et de chaleur… je ne sais pas si tu vois ?

Elle a salué tout le monde à son arrivée, elle connaissait le barman, des clients qui semblaient être des habitués avant d’apercevoir Marwan. Elle est venue vers nous, j’étais ébahie par ses longs cheveux noirs, son sourire, ses yeux en amandes… »


Dès que cette femme est entrée dans l’histoire de Malika, j’ai su qui c’était. J’ai compris le jeu du Service. M’en suis-je trouvé conforté ? Pas vraiment. Mais je faisais le lien entre mon aventure à New York à contrer les avances de Juliette et l’arrivée improbable de Charlène dans la vie de ma conjointe.


Malika continuait à raconter l’histoire, je me taisais et l’écoutais. Marwan a fait les présentations entre les deux femmes, a précisé que Charlène travaillait aussi à l’université en tant que professeur en art audiovisuel. Le but de leur rencontre à tous les trois rendait un projet possible : mutualiser leurs trois spécialisations pour créer une pièce de théâtre nouvelle, post-moderne, et caetera ! Je me suis souvenu que Malika m’avait raconté ce soir-là qu’elle avait bu avec des collègues pour tenter de créer un nouveau projet, mais que tout restait encore à faire. Tous les trois se sont revus régulièrement en réunions de travail, à l’université ou au café du coin…


Dans sa narration, Malika s’est tue, a rempli de nouveau nos verres de double K en soupirant et est entrée dans le vif de l’histoire.

Elle m’a donc dit que le soir même de mon départ à New York, Charlène, sa collègue universitaire, l’avait invitée à prendre un verre. Sans Marwan le comédien. Malika a accepté avec joie, je venais de partir, elle ne voulait pas passer une soirée seule. Elles se sont retrouvées dans un bar du centre-ville, Malika m’a avoué avoir passé une belle soirée, charmée par la discussion de Charlène, par ses lèvres, ses clins d’œil, sa répartie. Malika était impressionnée par le talent de sa collègue : non seulement s’y connaissait-elle en musique et en art audio, mais en plus elle dessinait, faisait de la photo, peignait des toiles. Charlène lui avait montré quelques croquis sur son téléphone, toutes ces créations étaient de connotation sexuelle, stylisée et subtile : une bouche en pleine fellation, deux mains tenant des fesses, une clavicule, une bouche ouverte en pleine respiration. Malika a parlé de moi, de mon absence, Charlène l’écoutait avec attention. Elles se sont fait la bise en se quittant et en se programmant une nouvelle soirée le lendemain.


Charlène et Malika se sont découvert des affinités, des connivences, elles s’appréciaient. Tout du long de cette deuxième soirée enivrée, Malika a précisé que Charlène se rapprochait d’elle, qu’elle sentait sa chaleur, une forme de désir montant entre les deux femmes, jusqu’à ce que Charlène glisse sa main sur la cuisse nue de Malika. Celle-ci a souri, s’est retirée poliment, gênée, a baissé sa jupe, Charlène s’est excusée et elles ont changé de sujet.


Elles sont ressorties encore pour un troisième soir de suite. Malika a extériorisé que Charlène l’attirait, qu’elle voulait mieux la connaître, la comprendre, qu’elle avait un Dieu sait quoi de mystérieux, de magnétique. Était-ce sa voix grave, son regard perçant, ses lèvres charnues ? Charlène était célibataire depuis peu, me racontait Malika, et qu’il lui était difficile de trouver un homme (ou une femme) passé quarante ans. Charlène lui exposait sa vie amoureuse, quelques-unes de ses conquêtes, des aventures à trois, des expériences de bisexualité. Malika était curieuse de cette vie, ça lui faisait plaisir de sortir entre filles : « C’est rare que je le fasse ! la plupart de mes amis sont des hommes ! »


Charlène s’est confessée : elle aimait sodomiser les hommes qu’elle fréquentait. Malika toute souriante, lui a glissé qu’elle aussi, elle aimait porter un strap-on et faire jouir ses hommes. Charlène et Malika se sont alors épanchées sur leurs secrets de dominatrice et d’enculeuse : « C’est rare de se reconnaître entre femmes ! »


Moi, j’écoutais mon amour me raconter cette « rencontre » qui ne devait rien au hasard, me disant que ces deux femmes m’avaient fait jouir de la prostate. J’avais la main sur le front et Malika a bien vu que je bandais tandis qu’elle me parlait. Je m’imaginais plein de choses : Charlène et Malika au lit, Malika et moi nous appliquant, complices, sur le sexe de Charlène, ou bien Malika suçant Charlène et moi la prenant par derrière, ou bien moi et Charlène baiser Malika mon amour, l’un devant, l’autre derrière, Malika hurlant de plaisir comme Raïssa il y a tellement d’années… Je rajoutai Raïssa au tableau, dans ce lit imaginaire, Malika avec un gode-ceinture, Raïssa et moi baisés côte à côte. Et pourquoi ne pas rajouter William, le copain de Raïssa dans ce lit ? Il y aurait trois queues, un gode-ceinture, chacun baisant l’un ou l’autre et encore ! D’ailleurs, Raïssa, en a-t-elle déjà porté un, un sexe en silicone autour de la taille ? Faudra que je lui demande un jour. Et Milly se joindrait-elle à la partie ?


Alors que nous étions toujours nus, Malika et moi, à la table de cuisine, la bouteille de vin blanc terminée – nous ne pouvions plus faire de cocktails ! – et celle de vodka bien entamée, ma compagne a continué :



Malika a murmuré mon nom en regardant son verre, puis mes yeux :



J’ai ri en lui disant que ce n’était pas nécessaire, à moins qu’elle ne le souhaite, et je la trouvais belle, nue, à table, les jambes allongées sur la chaise d’en face, ses petits seins pointus pointant les bouteilles, son tatouage en licorne lui parcourant le corps, ses cheveux noirs avec sa frange cadrant son visage :



Mais j’ai arrêté de suite. Je ne voulais pas te tromper. Mais j’ai été tenté… Charlène m’a regardé, a accepté en chuchotant : «T’es certaine ?» j’ai affirmé : «Oui, pour l’instant.» Mais je ne sais pas pourquoi j’ai dit pour l’instant, j’aurais pu tout arrêter là, à ce moment même, nous serions restés amies, des professionnelles travaillant pour un spectacle, nous aurions pu continuer à nous voir, mais j’ai rajouté un pour l’instant, je ne sais pourquoi. 



L’histoire de Malika était close. J’y ai vu le plan des Affaires Internes du Service : essayer de me faire tomber avec Juliette, appâter Malika avec Charlène. Si l’un ou l’autre avaient succombé aux charmes des agents, jamais le Service n’aurait accepté que je ne me dévoile à Malika. Donc, autant jouer la franchise dans l’immédiat. Surtout que le désir de Malika avec Charlène, ma chick-with-dick préférée, offrait de nouvelles perspectives sexuelles au couple que nous formions.



J’ai acquiescé, sérieux. Mes yeux sombres ont regardé ceux verts de Malika. Je me suis lancé :



Malika a commencé à émettre des sons : « Mais ? Que ? Tu ? Hein ? » interloquée par le phrasé négatif. J’ai respiré, avant de continuer, d’un ton grave :




– 15 –


Malika me regarde, stoïque. Ses yeux verts me fixent, je veux m’y fondre. Je souris. J’ai déjà craché le morceau. Et je me sens bien. J’aime ses bras autour de mon cou. J’aime son ventre contre le mien. J’aime qu’elle soit assise sur moi, mon sexe en elle. J’aime notre immobilité. Seules les palpitations instinctives de mon membre vibrent en elle. Malika continue de me fixer et je la sens fébrile de ce non-mouvement des corps, juste ma queue qui vit en elle. Et nos yeux qui s’abîment dans l’autre. D’un chuchotement rauque, retenu, elle me demande :



Son petit sourire et la fixation persistante de ses yeux dans les miens me confirment que Malika ironise. J’ai soudainement envie de la culbuter sur la table, renverser les bouteilles et les verres et m’activer en elle. La faire crier, jouir, qu’elle hurle son amour malgré les cachotteries et l’invention d’une vie à deux que je lui ai fait miroiter. Mais je me retiens.


Quand elle m’a parlé de l’apparition de Charlène dans sa vie, j’ai reçu la révélation qu’il me fallait tout lui révéler. Tout lui dire, avouer, raconter. Une succession de jalons de vie. Malika connaissait déjà la petite culotte de Marie. Je me suis donc mis à table, mis à nu – bien que nous l’étions déjà, nus et à table. Je lui ai retracé mon embauche au Service de renseignement et ai résumé mes premières missions. J’ai surtout pris mon temps sur la tour Elizabeth et la mission « 1000fleurs ».


J’ai expliqué les formations que reçoivent les officiers de renseignements et leur mise en application. Comment j’ai recruté Raïssa, comment je l’ai transformée en Jamilla pour infiltrer le lit de ma cible. Comment cette cible s’est retournée contre moi, en faisant chanter la soundwoman du bar de la tour Elizabeth qui n’était autre que Charlène, elle aussi en infiltration…

Malika m’écoutait raconter, subjuguée par la nouvelle vie qu’elle me découvrait. À l’occasion, elle demandait un point de détail, mais le plus souvent, elle nous versait des verres en écoutant.



Malika a hoché la tête, songeuse, mélancolique de nos premières baises peut-être.

J’ai relaté ce nouveau jalon dans ma vie : non seulement j’aimais qu’on me mette un doigt dans le cul lorsqu’on me suçait, mais j’adorais qu’on me sodomise. C’est ainsi que Milly s’est révélée totalement à moi par la suite, grâce à Raïssa en particulier et à une mission gardée secrète dans mes états de service.



Malika acquiesçait à mes confidences. Elle n’a pu s’empêcher de me demander, sans jalousie dans sa voix, ni dans ses yeux :



C’est alors qu’elle s’est levée de la chaise, quelque peu titubante dû à l’alcool et qu’elle s’est assise à califourchon sur moi, glissant son sexe sur le mien, devenant de plus en plus dur.



J’ai raconté comment Milly lui avait fait un cunnilingus sur la terrasse de son appartement, puis j’ai continué sur la mission « Mantille » qui a duré trois ans et comment j’avais découvert son secret à elle, Raïssa. Entretemps, mon membre s’était introduit en Malika, et nous ne bougeons plus. Seules les palpitations des veines de mon sexe résonnent en elle. Et nos pupilles s’hypnotisent elles-mêmes.


Je t’aime… Je le sens plus que je ne l’entends – Malika n’a pas ouvert la bouche, elle et moi avons seulement tressailli face à ce sentiment. C’est le signal. Je la prends par la taille, mon dard bouge soudain en elle, elle crie, se laisse transporter sur la table, les bouteilles se renversent et éclatent, elle hurle de plus belle en projetant des verres. Son corps tellement beau, ses seins tellement chauds, je suis bien debout, elle couchée sur le dos. Mes mains sur sa taille, mon bassin s’empressant en elle, elle qui fait le grand écart de ses jambes, nous jouissons de nouveau, comme toujours, ensemble, amoureux. « Nous venons de créer la vie… », dit une petite voix ingénue quelque part dans ce monde.



– 16 –


Nous avons tendu un piège. Les meilleurs plans sont les plus simples. J’étais revenu de New York avec deux jours d’avance. Juliette était supposée me retenir tout ce temps. Mais elle s’était prise un peu trop au jeu, n’a pu me séduire, s’est fait prendre par l’Aristo – mais pourquoi s’est-elle laissée aller autant d’ailleurs ? – et ça été un jeu d’enfant pour moi que de dérober les documents de cet étrange PDG de société-écran que le Service souhaitait.

Donc, Charlène devait se dire qu’elle aussi avait, devant elle, six jours pour séduire ma compagne.



Malika irait la rejoindre comme prévu pour travailler sur leur spectacle post-moderne. Moi je trouverais un moyen de m’infiltrer chez Charlène. Nous la ferons alors parler. Il faudra la surprendre par contre, je ne pourrais pas simplement accompagner Malika lorsqu’elle toquerait à sa porte. Si Charlène me voyait avec Malika, elle comprendrait sa mission avortée et trouverait n’importe quel moyen pour éviter la confrontation. Quoique, c’est Charlène, mon amie, mon aimée, peut-être notre relation passerait-elle avant la raison d’État ? Charlène est la meilleure espionne que je connaisse, elle peut duper tout le monde. Alors, pour ne prendre aucune chance, et puisque je ne pouvais répondre à cette question – notre relation à elle et moi ? Ou la raison d’État avant tout ? – je préférais ce plan simple : je m’infiltre, Malika va rejoindre sa future amante –, car il n’y avait pas d’autres intentions de la part d’un membre des Affaires Internes – et je capture Charlène. Nous la ferons parler. Simple.


Au final, rien ne s’est déroulé comme prévu.

Malika a normalement passé la journée, allant à l’université puis revenant à la maison, se préparant pour rejoindre Charlène. Moi, je m’étais fait passer pour un collègue universitaire désirant connaître les heures de cours de ma cible, puis je m’étais planqué le reste du jour, attendant le moment de m’introduire dans l’appartement de Charlène, avant elle. Ni vu ni connu, je suis passé par l’arrière, vêtu de mon attirail de guerrier noir, cagoule en poche.


Charlène habitait le même appartement que j’avais connu il y a une éternité déjà, lorsqu’elle « cohabitait » avec Simon l’avocat. Je le connaissais bien et ainsi, j’ai pu me faufiler dans un placard dont je savais que Charlène n’ouvrirait pas. Balais, lessive, serpillière et réservoir d’eau chaude ont été mes compagnons durant la demi-heure d’attente avant l’arrivée de la propriétaire. J’ai pris le temps d’huiler les gonds de la porte pour ne pas me faire repérer lorsque je l’ouvrirais. Certes, je me sentais comme un gamin jouant à cache-cache, mais il fallait que Charlène considère que la soirée s’annonçait comme prévu avec Malika, que je n’étais pas dans le plan. Pour elle, j’étais toujours à New York. J’ai patienté.


À son arrivée, elle n’a pas ouvert le placard comme de raison, je l’ai entendu se changer puis s’affairer dans la cuisine. Elle devait préparer l’apéro. Elle a mis les infos à la radio, où il était évoqué l’avancée des rebelles érythréens sur le gouvernement, avant qu’elle ne change pour une chaîne musicale. Elle allait et venait dans son appartement. Je ne voulais oser un regard dans l’entrebâillement, j’attendais la présence de Malika.


Avec quinze minutes de retard, Malika s’est pointée au rendez-vous en toquant à la porte quatre fois rapide, puis deux fois plus espacé, comme il étant entendu entre elle et moi. C’était donc bien elle qui arrivait, et non un quelconque voisin ou colporteur. Charlène lui a ouvert, j’ai entendu les salutations, elles se sont fait des bises et Charlène l’a invitée. La discussion de Malika était naturelle, elle s’exclamait sur certaines œuvres affichées sur les murs – Charlène possédait de multiples talents, dont celui de créer des toiles picturales à connotation sexuelle – et elles ont trinqué avec un bon vin.


Une fois qu’elles étaient au salon, j’ai risqué un coup d’œil : Charlène, assise dos à moi, avait attaché ses cheveux en une longue queue de cheval, je distinguais bien ses teintes rouges dans la lumière. Elles étaient belles, ces deux femmes que j’aimais, Charlène en robe révélant ses atouts, Malika, dans un fauteuil de l’autre côté de la table basse, en jeans, les jambes croisées et faisant tourner son vin dans le verre. Cette dernière m’a vu marcher à pas feutrés, cagoulé, et n’a pas bronché. J’avais entre les mains des menottes en plastique pour maintenir Charlène le temps qu’elle comprenne qu’elle ne pouvait plus continuer sa mission de déstabilisation, il me faudrait agir vite !


J’ai respiré doucement, un coup, deux coups, Malika souriait à la conversation de Charlène. Tout allait bien, je prenais mon élan pour saisir les poignets de mon ancienne amante, celle qui faisait partie de ma vie et qui m’avait révélé à moi-même quand, soudainement, j’ai reçu un coup sur mon épaule gauche qui m’a fait perdre l’équilibre pour tomber sur une plante en pot.


Une silhouette vêtue de noir, cagoulé tout comme moi, venait de me mettre en échec et se positionnait pour un combat à mains nues. Charlène et Malika s’étaient levées entre temps, stupéfaites de l’irruption de deux hommes en noir qui fondaient l’un sur l’autre. J’ai attaqué le bas du corps de mon assaillant en surprise, il a bloqué un coup de poing, mais pas les deux suivants. Son corps a penché vers l’avant et j’allais lever le genou contre son front quand j’ai remarqué du coin de l’œil un deuxième inopportun jaillir du fond du couloir. J’ai bloqué son attaque de mes avant-bras pour l’ignorer, tourner sur un talon, la jambe allongée, pour achever le premier ennemi qui s’est effondré en râlant. Le nouveau venu, en noir lui aussi, cagoulé, plus bâti que le premier, se préparait à se propulser contre moi quand j’ai vu Charlène bondir. J’ai dû la parer, j’ai tenté de riposter, les coups fusaient de part et d’autre, chacun était pour sa propre gueule, j’ai reçu un ou deux coups sur la mâchoire, ai pu jouer du coude contre le nez du mec en noir avant de me retourner face à Charlène qui m’a fait valser d’un coup de pied sauté sur le torse.


J’ai pu me relever alors que Charlène maîtrisait le second inconnu en noir, mais son complice se relevait malgré mon coup sur sa tempe et il allait surprendre Charlène dans son dos. Je me suis propulsé contre son corps, l’envoyant à son tour valdinguer contre un buffet aux portes vitrées. Je n’ai entendu que le bruit fracassant, j’ai reçu du verre dans le dos et j’ai donné je ne sais combien de coups de poing avant de constater que Charlène était en mauvaise position face à l’autre ennemi. Or, comme si tous les espions de la ville étaient en planque devant l’appartement où Malika avait rendez-vous, une troisième silhouette masquée et en noir a surgi pour mettre un terme à la mêlée, assénant coup sur coup le rival de Charlène. Le mien sombrait dans l’inconscience en râlant de nouveau et je me suis retrouvé devant Charlène, les cheveux toujours attachés, mais ébouriffés, prête à s’élancer contre moi et la dernière silhouette intruse en noir, plus féminine que les deux précédents, en position de bagarre toutes les deux contre moi.


La dernière arrivée s’est jetée comme une tigresse, j’ai paré ses coups, j’ai tenté de contre-attaquer, elle m’a mis dos au mur, j’ai roulé sur celui-ci avant de répliquer d’une salve d’impacts esquivée aisément par mon adversaire. Elle s’est élancée de nouveau et j’ai enfin pu frapper du coude, contrecoup et perte d’équilibre, nous avons chu l’un sur l’autre. J’ai tenté de maintenir les poignets de mon opposante, mon poids sur son corps que je sentais chaud et ferme et rapide, car j’ai reçu un coup de genou entre mes jambes qui lui a permis de se relever en un bond pour rejoindre Charlène, toujours aux aguets.


Un coup d’œil vers le salon, Malika était debout, le verre toujours à la main, subjuguée par la violence du combat qui venait d’avoir lieu. C’est elle qui a mis fin à l’animosité :



La silhouette féminine cagoulée en noir a avancé par à-coup vers moi, menaçante, son menton allant de haut en bas, prête à défendre Charlène quand celle-ci a posé un bras conciliant sur son épaule :



La combattante agressive a levé le menton vers moi en jappant :



Et j’aurais reconnu cette voix parmi toutes les voix. Je souriais quand j’ai soulevé la cagoule. La combattante en noir s’est aussi esclaffée lorsqu’elle a retiré la sienne et nous nous sommes enfin retrouvés, Charlène, Raïssa et moi, ensemble, encore une fois.



Je me suis alors tourné vers Malika, debout au centre du salon, au milieu des débris de la table basse et de la vitre du buffet non loin, le visage interdit face à la situation :



Malika a hoché de la tête puis a bu son verre d’un seul trait avant de dire, de manière ironique :




– 17 –


Trois femmes sont assises dans mon salon. J’ai fait l’amour avec ses trois femmes. Je les aime tous les trois.



Celle-ci sourit, déplace sa longue queue de cheval derrière son épaule et confirme mes soupçons :



L’interpellée se trouve au centre d’une rencontre d’agents de renseignements qui détricotent les opérations enchâssées les unes aux autres. Malika comprend ce qui est en jeu sans que nous ayons eu à lui dire : ni Raïssa, ni Charlène, ni moi ne devrions être ensemble à nous dévoiler nos missions respectives.



Celle-ci s’est activée la première après la bataille et nos présentations. De fait, nous venions de saccager une partie de son mobilier, et quatre personnes – dont Raïssa et moi – venaient de s’introduire dans son appartement sans invitation :



Elle a démasqué le premier indésirable : j’ai juré en le reconnaissant. C’était Nicolas, l’éternel apprenti-espion, mon distinguo dans cette mission d’infiltration. Il était sans connaissance. Mais que foutait-il dans cette galère ? Nicolas avait pris du galon, ces derniers temps. Il était aux Affaires Internes à une certaine époque, il était sur mes talons lorsque j’avais « pris des vacances » dans un pays du sud. Milly s’était même joué de lui pour découvrir l’avancée de ses enquêtes. Et voilà qu’il bossait maintenant au Comité d’Action, avec Juliette sa Supérieure immédiate – et la mienne – puis Richard, mon ancien distinguo devenu mon complice. Mais que faisait Nicolas sur une opération de terrain ? Et Raïssa a émis un juron aussi, elle venait d’enlever la cagoule du deuxième assaillant : William, son agent binôme sur la mission contre l’Aristo, assommé lui aussi.



Charlène a pris en charge la suite, elle a appelé le Service pour qu’on vienne récupérer les deux espions amochés qui s’en sont pris à nous et a ordonné :



Elle a raccroché le téléphone et nous a regardés, muette. J’ai vérifié le pouls de nos collègues inconscients, Raïssa et moi les avions bien malmenés avant de nous retourner l’un contre l’autre, mais ils survivraient. Quand je me suis relevé, je savais d’avance la question qui me serait posée :



Raïssa était assise dans un fauteuil, un verre à la main et la jambe croisée, ses cheveux fous autour d’elle et a aussi montré Malika de la main :



Raïssa a longé ma compagne de son regard suspicieux avant de revenir vers Charlène et moi :



J’ai acquiescé à la proposition et les ai invités chez moi. Charlène a ramassé ses affaires, Malika est venue me rejoindre en me demandant un petit : « Ça va ? » en regardant le sang sur ma lèvre inférieure. Je m’étais bien fait taper durant l’escarmouche. J’ai opiné du chef et nous sommes partis nous retrouver entre les cartons de disques et de la littérature sur la culture et le monde de la musique.



Charlène fait une moue en fermant les yeux, ce qui signifie : « Oui, et tu n’étais pas supposé le savoir… », avant de reprendre :



Raïssa et moi nous fixons des yeux, nous connaissons peut-être cette opération. Charlène continue :



Je réfléchis aux protagonistes de toute cette histoire dont je n’ai aucun élément, mais dont je semble être le dindon de la farce :



Et un silence tombe sur l’appartement, j’aurais cru pouvoir entendre la musique de tous ces disques encore emballés dans les cartons qui auraient comme destination les rayons de mon magasin, je tente de réunir les divers fils reliant Nicolas, l’éternel apprenti-espion, William l’acolyte de Raïssa qui était supposé être blessé, Juliette notre Supérieur qui avait tenté de me draguer, mais s’était laissé aller avec l’Aristo, Charlène, Raïssa, et moi…

La voix de Malika s’élance dans le silence, soudainement :



Elle prend une grande respiration et se doute de quelque chose :



Raïssa et Charlène partent quelques minutes plus tard, après que nous ayons établi une ligne de communication pour nous seuls. Raïssa ignore Malika, Charlène lui fait la bise.

J’embrasse enfin Malika.

La nuit. Il fait noir. Ni Malika ni moi ne dormons. Nous sommes bien, tout simplement, au lit, nus, enlacés. Elle me murmure dans l’oreille : « Mais qui es-tu, finalement ? »

Elle sent mes épaules hausser, je ne réponds pas. Elle murmure de nouveau : « Tu pourrais revenir à tes anciennes amours… » Je me retourne vers elle, interloqué. Malika me sourit, apaisée : « Écrire. Tu m’as dit avoir toujours voulu écrire… »

C’est vrai, je lui ai dit. Elle me connaît. C’est vrai que j’en ai des histoires à raconter. Et je m’endors en jonglant avec cette idée…