n° 20940 | Fiche technique | 21557 caractères | 21557Temps de lecture estimé : 13 mn | 01/06/22 |
Résumé: Une rentrée scolaire pas comme les autres : je vais enfin retrouver l’objet de tous mes désirs. Mais ça ne se passe pas exactement comme prévu. | ||||
Critères: fplusag profélève amour init -amouroman -rupture | ||||
Auteur : Geg Folie Envoi mini-message |
Épisode précédent | Série : Mourir d'aimer Chapitre 04 / 04 | FIN de la série |
Résumé des épisodes précédents :
Deux mois d’espoir, de doutes, de certitudes, de pas en avant, puis en arrière. Deux mois pendant lesquels arrive enfin la chance de ma vie. Je suis initié aux plaisirs de la chair par mon Aphrodite.
Quatre-vingts jours, une éternité ! Une séparation cruelle avec ma dame de Rénal. C’est probablement la première fois que je trouve que les vacances d’été sont trop longues. J’ai trop hâte de la retrouver.
Lundi 14 septembre au matin :
Nouvelle rentrée, même rituel, mêmes discours, même installation en cours, mêmes consignes. J’ai changé de prof principale et elle explique les changements : la grande nouveauté, c’est la philo. Ça représente pas mal d’heures chaque semaine, mais, bonne nouvelle : les cours de français ne sont plus obligatoires et sont réservés à ceux qui veulent améliorer les notes obtenues en première aux épreuves anticipées. Mon 12 me suffit, et il faut bien que je garde le plus d’espaces disponibles pour mon « Aphrodite ».
Arrivent la liste des fournitures et des livres que nous nous revendons d’année en année, et la distribution des emplois du temps. Je regarde très vite ! Effarement ! Mon amour n’apparaît pas. Je suis effondré, ce n’est pas possible, il doit y avoir une erreur. À la récréation, je dévale les escaliers jusqu’au rez-de-chaussée, entre au secrétariat, salue la secrétaire que je connais bien maintenant. Il ne faut pas que je montre ma panique :
Et je lui claque une bise sur chaque joue.
Je ne peux pas y échapper : je raconte sommairement et me dois de lui poser la même question. Elle se répand en détails, c’est interminable ! La sonnette qui marque la fin de la récréation me sauve.
Je ne sais pas interpréter le sourire qu’elle m’adresse à sa dernière réplique, mais il m’intrigue ! Je dois retourner en classe, mais diable que la matinée est longue ! À midi, comme il se doit, je rentre à l’ENG pour déjeuner. Nous entrons toujours par l’impasse Jean Bouvet, passons devant la loge, saluons le concierge, puis entrons dans le bâtiment pédagogique avant de rejoindre l’internat. À gauche, il y a au mur une étagère avec des casiers ouverts, dans lesquels chacun trouve son courrier. Je suis un peu surpris d’avoir une lettre dès le jour de la rentrée, je regarde l’enveloppe et suis glacé. Je reconnais l’écriture, et constate que le tampon de la poste précise qu’elle vient de Lyon ! Je ne rejoins pas le réfectoire, mais mon box, je serai plus tranquille. Tremblant, j’ouvre et je découvre huit pages, quatre feuilles recto verso. Je ne vous infligerai pas la totalité, d’autant que, ne l’ayant pas retrouvée avec mon journal, je suppose que je l’ai détruite plus tard. Mais certaines phrases se graveront à jamais dans ma mémoire, et l’esprit s’y imprimera tout autant.
« Mon tendre amour, c’est le visage inondé de larmes que je commence cette missive, tant je sais qu’elle va te faire souffrir… »
Je fais une première lecture en diagonale, puis reprends, page par page, lis, relis, essaie de comprendre, essaie de repérer l’organisation de ce long écrit. Elle est restée dans la dissertation classique, en trop parties : antithèse, thèse, synthèse.
• Antithèse : « j’ai été sincère, je t’aime… » et de longs rappels de notre aventure, de son vécu, de son ressenti, de son bonheur, de ses émotions…
• Mais la thèse arrive : « je suis mariée, j’ai une fille, je n’ai pas le droit de détruire tout ça, j’ai longuement réfléchi… Le sens du devoir… La peur du scandale, les risques judiciaires… »
• Suit la synthèse, axée sur la raison, le raisonnable : « Essaie de me comprendre, je n’ai pas le choix, j’ai des devoirs ; j’ai donc pris la décision… C’est pourquoi j’ai demandé ma mutation pour tenter de sauver… »
Et suit une longue conclusion : « je te demande de me pardonner… je t’aime toujours… je ne t’oublierai pas… Je sais que tu ne m’oublieras pas non plus… Comme moi, tu te souviendras de ta petite fleur que je garde précieusement. Regarde la photo, tu verras que je la porte souvent entre mes seins que tu caressais si tendrement… Je sais que tu vas respecter mon choix qui est très douloureux pour moi et je te demande, pour m’aider, de ne pas chercher le moindre contact ! Permets-moi un petit conseil, le dernier : poursuis tes études, tu as tout ce qu’il faut pour aller plus loin. »
Je sors la photo restée au fond de l’enveloppe et suis bouleversé aux larmes : un superbe camay, au centre duquel il y a le cœur de ma petite fleur.
Une douche glaciale ; je ne comprends pas ou refuse de comprendre ! Chacun peut imaginer que je suis dans « le yin et le yang » l’idée qu’elle l’était sûrement aussi quand elle m’a écrit me traverse l’esprit, ce qui n’est pas pour me calmer. Je doute : est-ce vraiment SA décision, ou l’a-t-on forcée ? Mais qui ? Pourquoi ? Je repense à la phrase de la secrétaire : « mutation hors mouvement ». Je reprends conscience. Je n’ai pas mangé, mais il est l’heure de retourner en cours à l’ENF. Inutile de préciser que je ne suis présent que physiquement. Oui, je vais trahir mon dernier serment, puisque les vacances sont finies. J’ai imaginé un stratagème pour en savoir plus, la secrétaire en sait sûrement davantage. À la fin des cours, je retourne la voir :
J’ai probablement l’air décomposé. Elle croit bon d’ajouter avec le même sourire énigmatique que le matin :
Je viens de recevoir un coup de poignard. J’ai l’impression que sa voix a sonné faux. Qu’est-ce qu’elle me cache ? Est-ce qu’elle se doutait de notre relation ? Mais comment ? À moins qu’elle l’ait appris par d’autres. Elle pouvait bien me dire dans quel lycée elle a été nommée, non ? Décidément, l’année commence bien ! Je remonte à l’ENG et sens que mon estomac vide depuis le matin crie famine ; je me décide à aller dîner. Court passage à mon box, nouvelle lecture, mais je ne tiens pas en place et je pars, sans trop savoir où je vais. Comme un automate, je marche, me retrouve sur les quais, au pied de son immeuble ; c’est bien vrai, elle est partie, il n’y a même plus son nom sur l’interphone ! Le même automate repart, et sans réfléchir s’arrête à l’annexe.
On doit être autour de 20 h, il n’y a plus grand monde, le bar est presque éteint, signe que l’heure de fermeture approche. Tonton n’est pas là, mais Ninette, sa fille, belle, souriante, moulée dans une superbe combinaison-pantalon patte d’éléphant m’accueille :
Pas de commentaire, elle prépare ma commande, me sert au bar.
Quelques clients partent.
Je me lâche un peu, tente de lui expliquer que ma meilleure prof est partie… et elle m’écoute :
Nous papotons jusqu’au moment où elle se lève et déclame avec autorité :
Les deux ou trois poivrots qui sont encore attablés se lèvent et quittent le bar, grognant et traînant des pieds.
Petit rire, puis
Nous commençons par vider les cendriers, les empilons sur le bar, puis essuyons les tables et les chaises que nous mettons sur les tables. Alignement général. Elle ramasse les quelques verres qui traînent et les dépose dans l’évier.
Ce moment m’a un peu apaisé, mais je me dis que je dois partir lorsqu’elle ferme la porte, fait descendre le rideau de fer et me dit :
Elle me montre la porte derrière le bar, éteint les lampes dans le bistrot, et nous nous retrouvons dans une pièce assez grande, avec un coin cuisine, une table ronde et un coin salon où nous nous installons devant nos verres et nos paquets de cigarettes. Elle apporte quelques cacahuètes, des olives farcies. Elle a pris soin de mettre en sourdine une musique douce, et nous babillons. Elle ne reparle pas de ma prof, laisse peu de place au silence, me questionne sur mes vacances, me raconte les siennes, sait trouver de nouveaux sujets.
Je n’ai pas le temps de me lever !
Et elle se relève pour préparer. En fait, je me sens bien. Pourquoi ne pas profiter de ce moment où je sens venir un peu de sérénité, et je m’enfonce un peu plus dans le canapé. Elle revient et dépose sur la petite table devant nous un plateau de charcuterie et de fromage, une corbeille de pain et quelques serviettes en papier. Suivent deux verres, et une bouteille entamée de vin blanc.
Je me surprends à grignoter avec elle et la conversation repart : mon goût pour l’écriture, le théâtre, la musique, les spectacles de la MJC. Je découvre qu’elle a assisté à plusieurs concerts de notre chorale, qu’elle a aimé mon interprétation du duo du thé (un air de l’opérette « Le pays du sourire »). Il est un peu plus de minuit lorsque je surprends un petit bâillement qu’elle a du mal à cacher.
Aïe, aïe, aïe, décidément je suis Gégé La Gaffe.
Ni l’un ni l’autre ne savons quelle attitude adopter. J’essaie de détendre l’atmosphère, émets un petit rire contenu :
Un grand éclat de rire :
Elle me prend la main et m’emmène au fond de la pièce où il y a une porte que je n’ai pas encore remarquée.
Elle n’a pas lâché ma main, je sens qu’il faut dire quelque chose :
Elle pose un index sur ma bouche et murmure :
Longue hésitation !
Je ne vois pas arriver le dernier geste ; elle se colle à moi, passe une main derrière mon cou, me regarde droit dans les yeux :
Je sens ses lèvres effleurer ma joue et frôler ma bouche. L’idée de profiter de la situation ne me vient même pas.
Je suis dans la rue et j’ai des sensations étranges : j’ai l’impression que mes pieds ne touchent pas terre. Certes, j’ai un peu bu, mais pas suffisamment pour perdre mon self contrôle. La fatigue ? La pression de cette journée ? À aucun moment je ne pense à ce dernier moment pourtant délicieux. Je rentre tranquillement à l’école, rejoins le dortoir silencieux, décide de prendre une douche, espérant qu’elle va m’aider à clarifier mes idées, et rejoins enfin mon box pour m’affaler sur mon lit. Je m’endors assez vite, et très vite retrouve la tendresse de mon « Aphrodite ».
Les jours qui suivent sont difficiles, je n’arrive pas à l’oublier. Peu à peu, la douleur est moins vive, la cicatrisation commence. Dès que je le peux, je m’installe au piano et joue, pour elle surtout « le canon de Pachelbel ». Beaucoup ne verront pas le lien, mais candeur de l’adolescent : ce « canon » a été repris dans l’introduction de Rain and tears tube du groupe Aphrodite’s child. Je ne cherche pas à traduire les paroles, c’est « Aphrodite » et cela suffit pour que j’en fasse mon hymne à Louise.
La réalité me rattrape progressivement, et je me recentre sur l’objectif de l’année, le Bac. Je continue à fréquenter le bar de Tonton, ne recherche pas de nouveau moment d’intimité avec Ninette et, forcément, ne refais jamais la fermeture.
En guise d’épilogue :
L’année suivante, je découvre le film « Mourir d’aimer » qui raconte l’histoire vraie de Gabrielle Russier (Annie Girardot) et Christian Rossi (Bruno Pradal). Certes, le scénario n’est pas le même que celui que j’ai vécu, mais je retrouve le contexte : une prof, son élève, la différence d’âge, les interdits… Je suis bouleversé et ne saurais dire ce qu’il m’a coûté par le nombre de places de ciné que j’ai achetées pour le voir, le revoir et le revoir encore. J’y ai sans doute inconsciemment trouvé une thérapie, prenant conscience que la raison de mon Aphrodite nous a sûrement évité le pire !
Mon Aphrodite ? Je ne la reverrai jamais. Pourtant, près de trente ans plus tard, discutant avec un bon ami, collègue du rectorat, je découvrirai que notre liaison a été connue, et que pour éviter tout scandale, « on » l’a incitée à demander sa mutation. Trente ans… ! j’avoue en avoir ressenti plaisir et soulagement : oui, elle avait été sincère ! Qui sait ? Elle porte peut-être encore ma petite fleur sur son cœur !
Et Ninette ? Vingt ans plus tard : un ami très proche, viticulteur, me fait rentrer dans le jury d’évaluation du concours des grands vins de France de Mâcon, en tant « qu’amateur éclairé ». Le travail terminé, nous allons prendre un bon rafraîchissement sur un stand de la foire. Je vois une très belle femme au sourire splendide, et aux cheveux blonds bouclés. Toujours l’œil connaisseur, je ne peux m’empêcher de l’admirer, pensant que je l’ai déjà vue quelque part :
Ah, oui, j’y suis, la fille du Tonton… À ma grande honte, son prénom ne me revient pas immédiatement. Elle quitte son poste, fait le tour du bar, s’avance tout près et m’enlace comme un certain soir de septembre 1970… Je n’ai pas le choix, l’étreinte dure moins de cinq minutes, mais reste chaste tant il y a de monde autour de nous. Elle se termine par un doux baiser et :
Au retour, dans la voiture, mon vigneron de pote s’exclame :
Je ne vais pas insister, il ne me croira pas. Et puis… c’est plutôt flatteur, non ? À notre arrivée chez lui, nous retrouvons nos épouses pour le dîner et subissons le questionnaire habituel :
J’aurais préféré que mon pote s’abstienne de sa remarque qu’il voulait drôle :
Il n’y aura pas de représailles, mais je me demande si je n’ai pas raté une belle histoire : « Il y a les filles que l’on aime, et celles qu’on aurait pu aimer… ! »
Clap de fin !