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04/09/22
Résumé:  D’autres « accidents » sont intervenus après la rencontre de Julien et Marie. Moins heureux semble-t-il.
Critères:  fh
Auteur : Claude Pessac            Envoi mini-message

Série : Les barreaux

Chapitre 02 / 03
Entre parquet et barreau

Résumé de l’épisode précédent :

La rencontre entre Julien et Marie a été accidentelle, dans tous les sens du terme. Le début d’une belle idylle comme l’espère Julien ?








Onze mois plus tard…


Maître Paixcœur ne boude pas son plaisir. Cette deuxième journée d’audience a commencé de la meilleure façon qui soit ! Déjà, en voyant arriver à la barre la plaignante en petite robe fleurie, courte et passablement sexy, un peu trop maquillée, permanentée de frais, pimpante et parée de bijoux, l’avocate avait souri : une victime ne doit pas aguicher les jurés, mais les apitoyer en revêtant des tenues sobres, voire tristounettes. Détail, sans doute, que cette tenue inappropriée… mais aux Assises, tous les détails comptent.


Puis, que la plaignante s’effondre dès le début de son audition aura été, paradoxalement, une très bonne chose pour la défense. Vrai malaise vagal d’une victime fragile et traumatisée ? La chute un peu trop théâtrale de la bimbo a fait grimacer la majorité des jurés et du tribunal. Les deux jurées à être tombées dans le panneau de cette comédie ont été ralliées par la moue agacée du président Charton qui a sèchement reporté la suite des débats à l’après-midi après avoir appelé à lui les diverses parties et vertement tancé l’avocat de la plaignante. Que le Président Charton soit agacé par ce cinéma qui retarde les débats est une excellente chose pour la défense…


La veille, l’atmosphère avait été bien différente. À l’installation du Tribunal, la composition du jury ne s’était pas révélée favorable pour l’accusé : un jury presque totalement féminin à l’exception d’un vieux médecin obstétricien, ce n’est certes pas la configuration idéale dans une affaire de viol présumé. Présumé car la plainte de la victime n’avait été déposée que trois jours après les faits et le viol n’avait donc pas pu être médicalement attesté. Maître Tamara Paixcœur n’avait cependant pas tenté d’en contester la réalité en ergotant sur ce délai, sachant pertinemment ce qu’il en coûte pour une femme d’aller déclarer ce genre de faits aux autorités.


La situation s’était aggravée lorsque le Président du Tribunal avait enjoint l’accusé à décliner son identité. L’homme s’était bien levé mais n’avait pas prononcé le moindre mot. C’est Tamara qui avait pris la parole :



L’avocat de la victime s’était alors levé, vraisemblablement pour dénoncer une manœuvre de la défense mais le Président Charton l’avait arrêté d’un geste. Ce juge est bien connu pour détester les ergotages stériles qui ne font que retarder les débats. Pour autant, sa moue dubitative exprimait clairement ses doutes sur le sujet.


La lecture de l’acte d’accusation et l’énoncé des charges retenues contre son client n’avaient évidemment pas amélioré la situation et les membres du jury avaient regardé de plus en plus sévèrement le banc de l’accusé. Rien toutefois qui aurait pu étonner Tamara, c’était prévisible ! Mais donc, l’incident de ce matin, la sortie de la salle d’audience de la victime chancelante soutenue par deux huissiers se révèle être bon point, inespéré, pour la défense. Et ce n’est là qu’un début, pense l’avocate cannoise…


Féministe convaincue et militante, Maître Paixcœur est bien connue depuis l’acquittement obtenu de haute lutte dans l’affaire Micheline Tourmey, pauvre femme battue pendant 28 ans et qui avait fini par abattre froidement son salopard de mari. Maître Paixcœur, ardente défenseuse des droits des femmes, n’est évidemment pas montée à Colmar pour défendre un violeur, mais ce sont bel et bien le contexte de l’affaire, les circonstances particulières, le fond, la question centrale qui l’ont poussée à monter au créneau : comment juger équitablement un homme que tous reconnaissent en pleine responsabilité de ses actes à l’instant du crime mais qui juste après, a perdu la mémoire, ses souvenirs et jusqu’à son identité et l’usage de la parole. Un homme perdu, hagard, qui ne sait rien, ne comprend rien de ce qui lui est reproché, un homme incapable de se défendre, aussi innocent désormais qu’un nouveau-né mais qui, demain, dans six mois, dans un an pourrait retrouver toutes ou parties de ses facultés et par là même sa responsabilité. Bien sûr, il y aura bataille d’experts sur son cas : Altmann est-il un habile simulateur ou un pauvre hère irrémédiablement perdu dans les limbes ?


Cette bataille, l’avocate cannoise ne la redoute pas outre mesure. Ce n’est là qu’une péripétie annexe. De toute façon, amnésique ou pas, aux termes de la loi, son client sera jugé et condamné de la même façon qu’un autre s’il est reconnu coupable. Sa culpabilité : c’est bien sur ce terrain que va se jouer la bataille. Or, des éléments, bien tangibles, sont apparus et rythmeront les débats. Des éléments qui au premier jour de son procès ne peuvent totalement la convaincre de l’innocence de son client mais en viennent à faire plus que sérieusement pencher la balance. À commencer par l’instruction express, bâclée, menée uniquement à charge par le juge Maillard qui a trop fanfaronné dans les médias, brisée à de nombreuses reprises le secret de l’instruction pour régaler la presse. Accessoirement, ce m’as-tu-vu s’est mis à dos ses confrères, dont le sévère Président Charton, Tamara Paixcœur en est persuadée. Maillard a quitté depuis peu la magistrature pour se lancer en politique mais paradait quelques jours plus tôt encore devant les caméras, annonçant que dans cette affaire, la défense n’avait pas d’autre choix, vu la lourdeur du dossier, qu’appeler à la rescousse comme témoins de moralité au moins un, voire deux milliardaires américains du Gaffa, les ex-patrons de son client. Allégations fantaisistes que Me Paixcœur avait réfutées sèchement, arguant que la défense n’avait pas besoin de soutiens étrangers et tapageurs : « La Cour n’est pas un cirque. Nous recherchons la vérité, pas le bling-bling. Et nous avons largement de quoi étayer nos théories avec tous les errements et erreurs du dossier d’instruction ».


Le dossier est en effet entaché de plusieurs vices de forme, bien suffisants pour aller en Cassation si nécessaire, voire obtenir dès à présent l’annulation pure et simple de toute l’instruction. Mais ce n’est pas là ce que recherche l’avocate ; son client encore moins, elle le sait, lui qui a besoin au-delà de tout, de comprendre enfin ce qui lui est reproché.


Dans l’impossibilité de communiquer avec son client muet et totalement apathique, l’avocate a été contrainte de mener une enquête serrée avec l’aide efficace de son jeune confrère Maître Benayïm, l’avocat commis d’office au début de l’affaire. Une enquête qui a fait apparaître suffisamment de faits troublants pour que ce procès connaisse des rebondissements spectaculaires. À commencer par la reconstitution, bâclée, effectuée en octobre, soit quatre mois après les faits. Altmann, pas encore totalement remis des blessures de son accident, n’avait pu qu’assister en retrait à la scène. De toute façon, vu son amnésie et son mutisme, il ne pouvait bien évidemment ni confirmer ni infirmer les instructions circonstanciées que donnait la victime pour diriger le couple de gendarmes réquisitionné pour tenir les rôles des protagonistes.


Si l’avocate, pas plus que son confrère, n’avait alors émis la moindre remarque, Tamara avait pris de nombreuses notes. Après cette confrontation, sur le chemin du retour vers l’étude de son confrère colmarien, l’avocate avait voulu faire un détour par une jardinerie. Par chance, elle avait déniché exactement la même chaise longue en bois avec repose-pieds que celle de la victime. La Chilienne avait été installée dans le bureau d’Amir Benayïm qui avait bien compris que sa consœur souhaitait rejouer la scène avec le plus de précision possible. Une initiative qui était loin de lui déplaire évidemment !



oooOOOooo



Lorsqu’elle l’avait contacté par téléphone, le jeune avocat colmarien avait immédiatement été séduit par les intonations graves et voluptueuses de sa consœur. Ravi aussi quand ils étaient passés à des appels visio : il était tombé sous le charme de cette superbe méditerranéenne aux grands yeux outremer. D’appel en appel, leurs conversations, très professionnelles, s’étaient régulièrement achevées sur un ton plus badin et personnel. Et même plus, puisqu’affinité il y avait… Lorsqu’un soir, la veille de sa venue à Colmar en fait, Tamara lui était apparue à l’écran en nuisette diaphane ne masquant qu’à peine ses superbes seins libres sous des dentelles ajourées, il avait compris qu’à se dévoiler ainsi, elle l’asticotait, qu’elle n’était décidément pas indifférente à son charme et que, bien qu’elle fut un peu plus âgée que lui, et surtout nimbée d’une aura plutôt prestigieuse, il avait ses chances. Sentiment confirmé lorsqu’oubliant de couper la communication à la fin de cet entretien, la belle s’était levée et retourné, dévoilant fugitivement ses fesses nues. Vision si rapide qu’Amir n’avait pu discerner si elle portait ou non un string, mais avait ô combien apprécié les blanches rondeurs exposées. L’idée qu’ils aient pu discuter pendant une heure alors qu’elle aurait été nue sous la taille avait conforté ses espoirs et entraîné une intervention manuelle frénétique sur son manche dressé !


Ses espoirs n’avaient pas été vaines illusions : le soir même de son arrivée, après une journée de travail intense, Tamara avait manifesté l’envie de prendre une douche. Amir l’avait conduite jusqu’à la salle d’eau. Pendant qu’il lui sortait draps de bain et serviettes propres de l’armoire, la belle s’était déshabillée dans son dos. Se tournant vers elle, il l’avait découverte nue, prête à entrer dans la douche à l’italienne.



Bien que l’eau fût à peine tiède, cette douche fut torride ! Penchée en avant, les deux mains collées au mur, les jambes légèrement écartées, Tamara tournait le dos à son partenaire qui, sans précipitation, lui avait abondamment savonné le dos avant d’entamer un massage minutieux des cervicales.


Si sa demande de massage n’avait été a priori qu’un vague prétexte, Tamara avait rapidement apprécié les bienfaits de l’opération : les pouces, tour à tour légers et puissants, dénouaient à merveille les tensions accumulées, attendrissaient les nœuds de ses nerfs contractés, lui apportaient peu à peu un bien-être inespéré. Décontraction somme toute passagère car son corps tout entier s’était sur-tendu ensuite sous les caresses moins innocentes de son compagnon, surtout lorsque le massage délicat s’était insinué dans le delta de ses cuisses où un certain visiteur, raide comme la justice, avait été chaudement accueilli…


Il s’avéra dans les jours suivants que Tamara était très friande de massages en tous genres…



oooOOOooo



À côté de la chilienne, Tamara, après quelques recherches sur Météo France et Google Earth, a soigneusement positionné et orienté un spot sur pied.



En lieu et place du short et du marcel de l’agresseur, Amir s’est contenté de se débarrasser de ses vêtements, ne gardant que son caleçon et un tee-shirt. Tamara, elle, en bikini lacé par des cordons, s’installe sur la chaise longue qui a été positionnée au plus horizontal qui puisse. Elle ferme les yeux.



Amir s’exécute rapidement.



Tamara rouvre les yeux et affiche un sourire pincé.



Amir, au garde-à-vous à gauche du transat, acquiesce.



Manœuvre facile : les seins jaillissent !


Observateur, Amir constate :



Aussitôt dit aussitôt fait : sous la manœuvre violente, la traverse arrière du transat sort de sa crémaillère et l’ensemble s’effondre.



Amir modère sa force et à la troisième tentative, la manœuvre réussit sans provoquer l’effondrement du relax :



Voilà une reconstitution comme Amir les aime : cuisses ouvertes, la minette de sa consœur lui est totalement offerte. Ravi du spectacle, le jeune avocat sourit de toutes ses dents et dodeline du chef.



C’est une figue bien mûre et juteuse qu’expose effectivement l’ardente jeune femme, une craquette feuilletée dégoulinante d’un coulis suave. Amir n’aura pas à forer le passage pour emboutir la boutique !



L’heure n’est plus aux tergiversations, plus question de demi-mesure. Si le gendarme n’avait fait que se positionner tant bien que mal, il n’avait pas été plus loin dans la démo : on peut le comprendre et le juge s’en était tout à fait contenté. Mais là, il faut expérimenter sérieusement, juger le direct live. On va donc se la jouer genre chevauchée de Walkyries : il faut bien ça pour coller au scénario ! Cela dit, à genoux, Amir qui n’est pas nabot pourtant, ne se trouve pas en position idéale : trop bas pour espérer viser la cible et surtout la traverse du piétement du repose-pied lui cisaille les genoux. Le jeune homme se redresse, écarte les jambes de part et d’autre du bâti de la chaise et doit s’appuyer sur ses bras tendus, mains accrochées à l’armature en bois. Pas vraiment très confortable, cette affaire !


Amir embroche néanmoins le bijou nacré, jusqu’à buter au fond du cul-de-sac. Un, deux, trois aller-retour vaillants et… c’est le piètement du repose-pieds qui bascule ! Au grand désespoir de Tamara ! À peine le temps de se remettre en selle, et rebelote : cette fois, c’est tout le relax qui s’étale.



Sur l’épais persan, les deux amants sont largement plus à l’aise. Oubliée, la reconstitution, place aux caresses et chaudes effusions. Tamara fond sous les caresses mouillées qui durcissent ses tétons rétrécis par les stimulations d’une langue habile, elle s’époumone dans des baisers fougueux, roule des hanches alors qu’un démon rubicond fourrage allègrement dans son enfer incendié. La sueur perle sur sa peau, il lui semble que chaque parcelle de son corps ardent réclame la douce violence qui embrasera ses sens.


Tamara se laisse glisser dans le plaisir, sans retenue, sans fausse pudeur. Elle rue, elle tangue sous les coups de boutoir, son sexe fourmille désormais d’impatience. Flic-floc, vagues et ressacs se succèdent, la poussant vers une haute mer déchaînée où elle ne demande qu’à sombrer. La mer monte, c’est une marée d’équinoxe qui la ballotte en tous sens.


Une vague scélérate l’engloutit. Tamara plonge dans les abysses scintillants des milliers de perles des chevelures des Néréides, s’égratigne délicieusement aux branches de corail. Elle fend le cortège de Poséidon, fuse hors des eaux turquoise tel un missile Neptune qui grimpe dans les nues et explose, libérateur, dans l’Olympe chatoyant de l’orgasme. En apnée, Tamara se laisse porter de nuages en étoiles, savoure sa félicité, s’enivre aux fontaines de nectar. Tamara est heureuse, simplement heureuse alors qu’Amir explose en elle et la rejoint dans les cimes.




oooOOOooo



À la reprise de l’audience en début d’après-midi, les psychiatres, médecins et autres experts judiciaires n’ont été d’accord que sur un seul point : l’accusé n’a aucune atteinte neurologique, son état résulte d’un blocage psychologique.


Pour ce qui est du viol sur transat tel que décrit par la victime, convaincre le tribunal n’aura finalement pas été difficile : les défendeurs avaient obtenu le droit de faire installer la chilienne (pièce à conviction n° 3) dans le prétoire. Rien que pour la mettre en place, les huissiers avaient dû s’y reprendre à trois fois avant qu’elle n’accepte de tenir en position. Un mannequin de quarante kilos posé dessus, une petite poussée du pied sur le bâti et… patatras ! Opération renouvelée quatre fois encore avec par trois fois le même résultat ! Et éclat de rire général lorsque, remplaçant le mannequin, Maître Paixcœur, s’installant pourtant précautionneusement sur la chilienne, s’était retrouvée les quatre fers en l’air, le tissu ayant craqué !


Tamara aurait pu dès cet instant mettre Marie Magnère sur le grill mais s’en est bien gardée : il était préférable de rester sur un point positif plutôt que s’enliser dans des discussions stériles avec la victime qui aurait argué de sa terreur au moment des faits pour modifier sa version. L’avocate avait préféré appeler à la barre le témoin suivant. En l’occurrence, une élégante jeune femme.



Alors que l’avocat de la plaignante s’est levé d’un bond pour protester, le Président appelle la jeune femme à modérer ses propos.



Tamara jubile : à l’énoncé de ce nom, la demandeuse s’est empourprée, elle s’agite, protesterait si son conseil ne l’arrêtait. Lequel obtient le droit de s’entretenir avec sa cliente : conciliabules animés pendant quelques instants.



S’adressant à Tamara, le Président Charton prévient sèchement :



Fort regrettable ? Tu parles ! S’il avait pu être présent, l’avocate aurait dû porter son nom sur la liste des témoins de la défense, nom qui aurait attiré l’attention de Marie Magnère et permis à son défenseur de fourbir ses armes. Mais là, surprise totale !



Compatissante, Tamara présente des vœux de prompt rétablissement.



Acquiescement discret du Président visiblement courroucé qui discute avec ses assesseurs avant finalement de se tourner vers le banc de la victime : refus embarrassé de l’avocat de la partie civile de procéder à un contre-interrogatoire.



Marie Magnère rechigne à quitter son banc, son conseil doit insister. De toute évidence, la belle Marie préférerait se cacher dans un trou de souris. Fermement accrochée à la barre finalement, menton en avant, elle affiche un air de défi, paraît prête à répondre à ce qui vient d’être dévoilé mais perd toute sa morgue à la question qui lui est alors posée :



L’ex-juge Maillard aurait mieux fait de s’abstenir de fanfaronner sur les antennes de France 3 Alsace quelques jours plus tôt : un témoin l’a reconnu, ainsi que sa compagne dont la photo était apparue dans la suite du reportage et il s’était dépêché de contacter l’avocat colmarien.


Prête à exploser, la jeune femme se défend, toutes griffes dehors !



Marie ne répond pas mais sa moue furibonde témoigne de sa colère. Et si elle espérait encore s’en sortir par une pirouette, c’est raté avec ce que lui assène ensuite l’avocat :



Anéantie, comprenant qu’il ne servirait à rien de nier, Marie Magnère cherche un soutien dans le regard de son avocat mais celui-ci – amer – secoue la tête de dépit et d’un geste, l’enjoint à dire la vérité.



Le Président Charton assène un violent coup de marteau sur son bureau et fait signe aux parties en présence de s’approcher alors qu’un brouhaha résonne dans l’assemblée.



Nouveau coup de marteau rageur.



Furieux, le magistrat a failli ajouter : « Ou pas ! »


En quittant le tribunal une demi-heure plus tard, Tamara et son confrère sont aux anges : ils ont réussi à convaincre le Président de poursuivre les débats et de ne surtout pas annuler purement et simplement l’instruction.



Pour rien au monde, les avocats ne voudraient rater le big-bang programmé demain dès la reprise des débats.



oooOOOooo




Elle n’aura pas été longue à percuter Sara Benayïm ! En bonne mère juive séfarade protectrice, elle a profité de la première occasion qui s’est présentée pour interroger son fils en catimini. Sixième sens ? Elle a parfaitement compris au premier coup d’œil que les relations ne sont pas que professionnelles entre Amir et la superbe Tamara. Et que son fils prétende ne pas connaître précisément l’âge de sa consœur ne l’étonne pas, celle-ci a sans doute cinq ou six ans de plus que lui.



Moderne, la petite mère !


Sara Benayïm n’est pas tombée de la dernière pluie : que son fils ne succombe pas au charme d’une aussi sublime méditerranéenne l’aurait étonnée, mais imaginer que la belle aurait pu lui résister, l’aurait limite vexée !


Pour faire honneur à son invitée, Sara a cuisiné depuis le matin : la préparation du tajine del gezzar ne s’improvise pas, d’autant que Mamoune (comme l’appelle affectueusement son fils) a adapté la recette, pas convaincue que l’avocate apprécie les tripes, elle a ajouté, en cours de mijotage, des morceaux de paleron de bœuf. Avec cela, elle devrait satisfaire l’avocate. Pour couronner le repas, Sara a décidé de servir la mousse à la courge au miel, vanille, cannelle, gingembre et muscade : un dessert frais, adapté à la saison, un peu en avance sur le calendrier, puisqu’il est servi traditionnellement à Rosh Hashana (Nouvel An juif, en septembre) .


Toutes ses préparations l’ont bien fatiguée, elle qui souffre d’un début de sclérose en plaques. Si elle n’a à peine que 56 ans et en paraît d’ailleurs nettement moins, ses gestes sont ralentis, sa démarche est incertaine et sa résistance à la fatigue nettement réduite par la maladie. La pauvre n’a pu s’octroyer qu’une micro-sieste dans l’après-midi et elle sait déjà qu’elle ne veillera pas longtemps ce soir. « Tant mieux pour eux, cela leur évitera de jouer aux enfants sages trop longtemps… et je ne veux surtout pas savoir ce qu’ils feront dans mon salon dès que j’aurai le dos tourné ! »


Moderne et libérale Mamoune !


Tamara a soigné sa mise : classe et sage. En apparence du moins. Les plis de sa longue jupe noire se superposent largement mais s’ouvriront sans problème jusqu’à la taille en cas de besoin. Enfin… d’opportunité ! Son corsage festonné gris souris enserre sa poitrine sans faire pigeonner ses seins outre mesure mais la dizaine de sages boutons qui apparemment le ferme est factice : ils cachent en fait un très pratique zip !


Dans la salle à manger, alors qu’Amir et sa mère ont disparu dans la cuisine, Tamara repense à l’audience du jour. Au-delà des péripéties du procès, c’est son client qui focalise ses réflexions. Pauvre homme !


Cela faisait quelque temps déjà qu’elle doutait de sa culpabilité et était émue par son sort. Au premier jour du procès, le voir abattu, voûté, tête dans les épaules, regard perdu dans le vide, l’avait affectée. Elle l’avait observé pendant la lecture de l’acte d’accusation, perçu son incompréhension panique. Qu’il soit amnésique et mutique ne l’empêche pas de comprendre le présent, les faits qui lui sont reprochés et Tamara avait capté à plusieurs moments ses regards affolés, voire horrifiés par les actes qu’on lui imputait. Ce matin, il était arrivé plus hagard que jamais, les yeux cernés par une nuit sans sommeil certainement. Il n’avait pas absolument pas réagi à l’entrée en scène de sa victime présumée, pas réagi davantage aux péripéties du jour, pas même ri à l’épisode du transat. Indifférent, prostré, il affichait un air coupable, comme s’il avait accepté déjà ce qui, au vu de ce qu’il entendait, serait selon lui une juste condamnation méritée.


Coupable pourtant, il ne l’est pas, Tamara le sait avec certitude depuis la veille au soir ! Une femme l’a abordée au sortir du tribunal, lui disant détenir des informations irréfutables qui bouleverseraient le cours des débats. Révélations vérifiées et attestées par Amir ce matin. Témoignage choc donc, demain, pour tout le monde.


Tamara espère même qu’il sera un électrochoc pour son client. Elle le souhaite ardemment : ce serait merveilleux qu’il s’éveille enfin, qu’il retrouve la mémoire, la parole. Les médecins consultés ont parlé de cette éventualité, à tout moment, sous l’effet d’un choc émotionnel par exemple. Il y a peu de chance néanmoins, si peu de chance que Tamara n’ose y croire vraiment. Mais elle ne peut s’empêcher de l’espérer. Ardemment !


Et Marie, la rouée, l’intrigante, le monstre ? L’avocate n’a même pas de colère à son égard :


« C’est sûrement une pauvre fille, une paumée, une affabulatrice perdue dans ses mensonges. Va savoir ce qu’elle a vécu pour s’enferrer dans ses délires ! »



Perdue dans ses pensées, Tamara ne s’est pas aperçue du retour d’Amir et sa mère.



Tamara se sent toute chose d’être ainsi adoubée par l’adorable maman de son très cher confrère. Elle fait honneur au repas : elle a accepté les tripes avec une gourmandise non feinte, son palais est réjoui du mélange d’épices, elle s’extasie lorsqu’elle croque un morceau de bergamote confite mais s’étrangle un peu avec le piment ñora, provoquant le rire moqueur de ses convives. Et encore, elle ne sait pas que Sara lui a épargné les petits piments forts et a modéré le dosage des poivres.


Sara s’est assise en face de son fils et de son invitée, de l’autre côté de la table rectangulaire. Heureuse disposition pour la libertine Tamara qui ne tarde pas à profiter de la situation. Elle ne risque rien à écarter les pans de sa jupe : quand bien même Mamoune se lèverait pour aller à la cuisine derrière elle qu’elle ne pourra rien voir de son manège.


Rien de ses cuisses ouvertes, rien de son sexe épanoui et perlé de miellat. Son voisin, lui, louche régulièrement et pas toujours discrètement sur sa ravine exposée dont les berges s’épanouissent. Tamara s’en trouve toute excitée. Quand Amir vient simplement frotter son genou contre le sien, geste somme toute bien anodin pour un couple qui a largement passé le temps des timides avances de séduction, ces simples contacts provoquent bouffées de chaleur et abondantes sécrétions. Carpe diem, se réjouit la gourmande qui apprécie chaque petit bonheur comme s’il était unique.


La dégustation du tajine touche à sa fin, les assiettes se vident et les tourtereaux lâchent régulièrement des soupirs d’impatience qu’ils tentent de faire passer pour les plaintes satisfaites d’hôtes repus. Si Tamara, excitée par la situation, a du mal à se contenir et tend à gigoter sur sa chaise, Amir ne reste pas non plus de marbre comme en témoigne une protubérance notable sous sa braguette. N’y tenant plus, le jeune homme, oh combien maladroit, fait tomber sa serviette entre lui et sa voisine. Se penchant en râlant pour donner le change, l’immoral gaucher en profite pour plonger deux doigts vaillants dans la tabatière nacrée. Tamara sursaute sous cette intrusion aussi brutale qu’inattendue. Enfin… inattendue à ce moment précis peut-être, mais largement espérée.


La maîtresse de maison aurait-elle perçu quelque chose ? Toujours est-il qu’elle choisit fort opportunément cet instant pour desservir la table.



« Hey, elle a bien dit DE barreaux, pas DU Barreau ! Lapsus ? Ou serait-elle encore plus fine que je ne le pensais ? »


À petits pas, Sara quitte la pièce. Elle n’est pas encore au milieu du couloir que Tamara déboutonne déjà la braguette de son compagnon à la recherche d’un certain diable rouge qui n’est nullement comptabilisé dans les effectifs du régiment d’infanterie emblématique de la ville. (1)



Le fier soldat, s’il n’est pas de plomb, n’en est pas moins au garde-à-vous. Garde-à-vous impeccable et beaucoup trop tentant pour Tamara qui fond sur lui : ses lèvres capturent l’insolent caporal, sa bouche gourmande noie son casque ourlé dans sa salive. Elle lape, suce, pompe avec une belle ardeur. C’est que le temps presse, Mamoune ne va pas quand même mettre deux heures avant de revenir.



Lui-même ne s’interdit pas quelques privautés. Le chat de la voisine subit l’inspection générale, inspection en règle par des doigts inquisiteurs : rien n’échappe à leurs recherches assidues, ni les moindres recoins du conduit glycériné, ni les délicats froufrous des petites lèvres déployées, ni même le petit détonateur. Mais celui-ci fera long feu : la Madelon se laisserait bien aller à servir la soupe pour noyer les phalanges aguerries qui la fouillent mais elle se retient autant qu’elle peut et focalise toute son attention et une énergie dévastatrice sur l’étendard rubicond qui semble vouloir résister à ses assauts.


Au fond de l’appartement, dans la cuisine, la cafetière italienne siffle la fin du combat : vaincu, le fantassin rend les armes, il rend surtout une belle quantité de crème épaisse qui emplit la bouche de la cantinière zélée.


À peine le temps d’avaler consciencieusement, Tamara se relève et s’essuie rapidement la bouche. Heureusement que Mamoune n’est pas très rapide du fait de sa maladie, cela laisse le loisir à Amir de ranger sa pièce d’artillerie et de fermer la soute à munitions.



Tamara pouffe intérieurement, masque son fou rire par des applaudissements nourris.


« Attention, une cucurbitacée peut en cacher une autre ! Je lui dirais bien que j’ai eu mon compte de crème de concombre, mais je doute qu’elle apprécie ! »



oooOOOooo



(1) Les fantassins du 152e Régiment d’Infanterie de Colmar ont été surnommés « Diables Rouges » par les Allemands lors de la sévère bataille de l’Hartmannswillerkopf en 1915. Ce régiment a été le premier en France à être décoré de la Légion d’honneur.