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n° 21274Fiche technique40912 caractères40912
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Temps de lecture estimé : 23 mn
09/11/22
Résumé:  Road trip pour une braqueuse et une juge d’instruction, avec une meute de tueurs à leurs basques.
Critères:  ff amour mélo policier -policier -amouroman
Auteur : Laetitia            Envoi mini-message

Série : Cavale

Chapitre 03 / 03
Cavale 3

Résumé de l’épisode précédent : Ça se corse pour Cassandre et Juliette.




Je suis partie le lendemain de bonne heure. Je voulais rester le moins de temps possible absente. Une nouvelle fois, j’ai évité au maximum les grands axes. La discrétion, toujours la discrétion. Je poussais tout de même la Porsche Cayenne sur les petites routes, où elle était parfaitement à son aise.


Vers midi, je téléphonai à Juliette depuis Draguignan. Tout allait bien, rien à signaler à Barcelonnette.


Arrivée à La Ciotat, j’ai trouvé sans encombre la boîte de Milone dans les pages jaunes, dans la rubrique « transports frigorifiques et isothermes ». Ladite rubrique se trouvait juste après celle des transports de fonds, mais avant celle des transports funéraires. Tout un programme.


Arrivée sur place, j’entrais dans la cour à la suite d’un énorme camion Volvo. Je me suis présentée à l’accueil :



Je crois bien que le terme cagole a été inventé pour elle. Juste pour faire couleur locale. De plus, en me penchant par-dessus le comptoir, j’ai pu voir une mini-jupe en cuir au ras des fesses très certainement. Une cagole quoi !



Pas certaine qu’elle ait saisi le jeu de mots. J’ai contourné le guichet et j’ai ouvert la porte :



Il était du genre légèrement en surpoids et adipeux.

Il me regarda bêtement. Il dit à la cagole :



J’attrapai la blondasse qui s’appelait donc Cindy (ça lui allait bien) et la poussai hors de la pièce. J’ai claqué la porte et j’ai fermé le verrou. Je me suis assise sur le fauteuil face au bureau de Milone, j’ai mis mes pieds dessus puis j’ai sorti le Ruger 45 ACP. À la façon dont je le tenais, il a tout de suite compris bien des choses.



Il décrocha son téléphone.



Il a essayé de se lever et en même temps d’ouvrir un tiroir de son bureau. Le canon du Ruger a fauché la lampe de bureau qui a valdingué à l’autre bout de la pièce. Malheureusement pour lui, sa tempe se trouvait sur le chemin de ladite lampe. Il eut un mouvement peu élégant qui eut pour effet de faire basculer en arrière le fauteuil à roulette où il était encore à moitié assis. Ils s’effondrèrent (le fauteuil et Milone), contre un classeur gris métallique. Je me levai et récupérai dans le tiroir un très laid pistolet ZVS de fabrication d’Europe de l’Est. Sûrement un calibre 9 mm :



Il avait un peu de sang qui coulait d’une plaie au front. Pendant qu’il se relevait, je repris :



Je me suis saisie du coupe-papier qui traînait sur le bureau, je me suis levée et je l’ai approché de son œil :



J’ai approché encore plus près la pointe du coupe-papier :



Il a gardé le silence, mais il était tout pâle.



Il se tortilla, tint trois secondes et flancha :



Il ne mentait certainement pas. Plus du moins. J’avais des bribes d’un truc énorme avec une organisation cloisonnée. Affalé sur son fauteuil, les deux mains sur la tête, Milone ressemblait à un vieux tas de chiffons.




oooOOooo



En roulant, sur le chemin du retour, je me dis que je détestais toute cette merde que j’étais obligée de faire. J’essayais de balayer mes états d’âme sans y arriver. Je me demandais aussi si je n’aurais pas mieux fait de tuer Milone. Puis, je me suis persuadée qu’il n’allait rien dire. Tout simplement parce que dans sa position, s’il parlait de ma petite visite, si ce n’était pas moi qui l’effaçais ça serait ses commanditaires.


Je me suis arrêtée sur le bord de la route pour appeler Juliette. Elle répondit aussitôt :



  • — Ça va ?
  • — Oui.
  • — Du mouvement ?
  • — Non, personne.
  • — Parfait. J’ai le nom d’un des commanditaires.
  • — C’est qui ?
  • — Gérald Tate. Ça te dit quelque chose ?
  • — Gérald Tate ?
  • — Oui.
  • — Oh, nom de dieu !
  • — Quoi ?
  • — C’est mon ex-mari.
  • — Ton ex… mari ?


J’étais interloquée.



  • — Qui est ton ex, Juliette ?
  • — Bon, OK, Tate est médecin. Le genre de médecin qui mériterait d’être rayé de l’ordre. Mais ça, c’est juste un détail. Il n’exerce plus, d’ailleurs. Pas pour ses malversations ni pour avoir trahi le serment d’Hippocrate, c’est plutôt parce qu’il s’est mis dans la politique.
  • — De la politique ? Ah, on y vient.
  • — Il s’est présenté aux élections pour un petit parti du centre droit, mais n’a pas été élu. Voilà… je ne connais pas les tenants et aboutissants de ses affaires.
  • — Vous avez divorcé quand ?
  • — Il y a trois ans.
  • — Pourquoi ?
  • — C’est une longue histoire.
  • — Vas-y, ça peut avoir son importance.


J’ai senti dans son ton au téléphone une grosse hésitation, et surtout des relents de haine qui montaient :



  • — Je l’ai rencontré alors que je débutais ma carrière en région parisienne, juste après mes études. J’ai été mariée à ce type, deux ans. Un mois d’amour, une lune de miel dans un lieu paradisiaque, et vingt-trois mois abominables avec un tyran sadique. C’est une ordure. Comme ses amis d’ailleurs.


Elle marqua un silence, se remémorant certainement des souvenirs enfouis au plus profond d’elle. J’ai respecté son silence et j’ai attendu qu’elle reprenne :



  • — Je t’ai dit qu’il s’était présenté pour un parti de centre droit aux élections.
  • — Oui.
  • — C’est la partie visible de l’iceberg. Ses idéaux politiques sont ailleurs plutôt du genre à vouloir en finir avec la démocratie.
  • — Je comprends.
  • — J’étais jeune, je n’ai rien vu au début. Mais je me suis vite aperçue qu’il s’est marié avec moi pour que j’instruise certains dossiers dans le sens qu’il voulait. J’ai bien entendu refusé. C’est là que ça s’est compliqué…
  • — Compliqué comment ?


Elle marqua un nouveau silence. Elle reprit au bout d’un moment avec un sanglot dans la voix :



  • — Il voulait aussi me prêter à ses amis…
  • — Te prêter. Ne me dis pas que tu veux dire…


Elle me coupa la parole sans s’en rendre compte :



  • — Notamment parmi cette bande d’ordures (apparemment, elle ne trouvait pas d’autre mot pour les définir), il y avait un salaud de chef d’entreprise néo-fasciste, d’une laideur repoussante. Le genre de type dégueulasse à tous les niveaux. Il m’a écœurée tout de suite quand je l’ai rencontré lors de réceptions, autant physiquement que moralement. Mais ce n’était rien comparé à ce que j’allais découvrir de cette ordure et de mon ordure de mari.


Sa voix tremblait et je l’imaginais bien au téléphone trembler aussi de tout son corps.



  • — Cette ordure nous a invités dans une de ses villas sur la côte. Je ne voulais pas y aller. Tate m’a forcée. Une fois arrivé là-bas, il a surtout voulu me faire coucher avec l’ordure. C’était bien sûr hors de question. J’ai voulu partir. Alors son ordure de copain m’a fait mettre nue par les deux petites ordures qui lui servaient de gardes du corps et de domestiques, puis il m’a fait fouetter avec une cravache. Ensuite, ils m’ont violée successivement, tous les trois. Rien ne m’a été épargné. Les coups, les insultes, toutes les pratiques dégueulasses, les pires outrages. Je te passe les détails scabreux. Pendant ce temps-là, Tate regardait en souriant. Pire, il avait mis en route une caméra sur un trépied. L’ordure filmait sa femme se faire violer par les trois salauds.


Nouveau temps de silence…



  • — Puis cette ordure, au grand ravissement de mon ordure de mari, m’a fait jeter dehors en précisant que si je racontais quoi que ce soit, la fois suivante serait pire, et même fatale, qu’il n’en avait rien à foutre d’une petite juge de merde !
  • — Quelle horreur, quelles ordures ! dis-je en reprenant ses mots.
  • — Oui, toute juge d’instruction que j’étais, j’avais tellement honte, et peur aussi, que je n’ai pas porté plainte, ni quoi que ce soit. J’avais le bas-ventre en sang, pas mal de bleus partout, sans parler des coups de cravache. Je suis revenue à Paris. Je suis allée voir une copine gynéco à qui j’ai fait jurer le silence. J’ai demandé le divorce et ma mutation à La Rochelle. J’ai obtenu les deux. Sûrement que Tate a dû se dire qu’il n’y avait plus rien à tirer de moi. C’était il y a trois ans. Le 17 août. J’ai la date en tête à jamais. J’ai même l’heure exacte en mémoire.
  • — Tu savais que ton proc. le connaissait ?
  • — Pas du tout. Je venais tout juste d’arriver à Annecy.
  • — C’est quoi le nom de ce chef d’entreprise ?
  • — Pourquoi ? T’inquiète, il est mort depuis. Le crabe a eu raison de lui, l’ordure.
  • — J’espère qu’il a souffert.


Je commençais à comprendre pourquoi la peau de Juliette valait tant pour la bande de crevures de néonazis de merde. Si elle avait auditionné Zivanovic, il aurait pu lâcher le nom de Tate. Quand Tate a compris que c’était son ex-femme qui instruisait le dossier, il a paniqué. Ce n’est pas pour la somme perdue à la frontière suisse, bien sûr. Ça, il s’en foutait, il pouvait s’asseoir dessus, les sommes en jeu sont faramineuses. D’ailleurs, ce fric devait financer leurs petits groupuscules fachos dans divers pays. Zivanovic n’était qu’un second couteau, qui avait comme unique mission de blanchir le fric en le faisant passer en Suisse ou ailleurs. Et aussi de nettoyer le terrain en cas de problème, en plus de nettoyer le pognon. Quand Tate a compris que les tueurs de Zivanovic n’arrivaient à rien, il est passé à la vitesse supérieure en engageant les fameux tueurs allemands.


J’exposais tout ça à Juliette qui commença à se calmer un peu :



  • — Maintenant qu’on a à peu près toute l’histoire, on fait quoi ? dit-elle en reniflant.
  • — On peut faire beaucoup de choses. Le plus simple et efficace, c’est de tuer ton ex-mari. Ça arrêtera tout, tout net.
  • — Non, mais j’en ai marre. Je rentre à Annecy et je réouvre le dossier. Le proc. n’est plus là pour le bloquer. J’ai de quoi le reprendre. J’ai assez pour faire tomber tout le monde.
  • — Déjà, tu n’as rien, pas de preuves flagrantes, que des suppositions mises bout à bout. Et si tu fais ça, tu signes ton arrêt de mort, Juliette. Que tu sois juge d’instruction ou juge de ce que tu veux, ça ne les arrêtera pas. La voie légale ne t’amènera nulle part.
  • — Il est déjà signé mon arrêt de mort, il me semble.
  • — Ils ne te tiennent pas pour le moment. Tant que ce n’est pas le cas, tant qu’on est en cavale, tu restes en vie. Si tu refais surface, tu es morte… comme et quand ils veulent.


Un silence s’ensuivit. Elle méditait sur mes arguments :



  • — De toute façon, je ne pourrai plus jamais reprendre mon boulot. Le monde et la réalité des choses sont bien différents de ce que l’on nous apprend à la fac sur le droit et la justice avec un grand J. Ce n’est pas ça, la justice.
  • — Juliette ?
  • — Quoi ?
  • — Juliette, tu es une princesse. Et je ne veux pas qu’on fasse de mal à une princesse. Tu comprends ?
  • — …
  • — Juliette ?
  • — Quoi ?
  • — Tu t’appelais Juliette Tate alors. Je préfère Juliette de Vernay, bien plus classe !


Elle rigola à ma tentative de détendre enfin l’atmosphère.



  • — C’est malin. Et non, Mademoiselle Cassandre, dont j’ignore le nom, j’ai conservé mon nom de jeune fille. J’ai toujours été Juliette de Vernay. Jamais je n’ai été salir mon prénom en l’accolant à ce patronyme dégueulasse. Ordure !
  • — D’accord Juliette. Moi, je n’ai pas de nom de famille… C’est pour ça. Je n’en ai jamais eu de nom de famille… ni de famille d’ailleurs. Depuis ma plus tendre enfance, je n’ai pas de nom… Mon prénom, Cassandre, se suffit à lui-même.
  • — Cassandre, je crois… que je suis a… Je crois que je… t’…
  • — Oui ?
  • — Non, rien, Cassandre. Reviens vite, j’ai hâte ! J’ai peur aussi.
  • — Moi aussi j’ai peur, Juliette. Moi aussi.
  • — Tu as compris ce que je n’arrive pas à te dire ?


Je n’eus pas le temps de répondre que oui, elle avait raccroché.


J’ai repris la route. J’ai allumé la radio, pour le flash d’info. On a retrouvé le cadavre d’un truand parisien dans les dunes près d’Ostende, et un autre dans une forêt près de Bruges. Règlement de comptes ? s’interrogeait le journaliste. D’après lui, il était hautement probable que ces deux meurtres soient liés. Puis il se mit à soliloquer sur la voiture qui avait explosé à l’aube en plein Bruges, avec deux hommes à l’intérieur.


Règlement de compte, t’as raison… Leurs comptes ont été réglés et bien réglés. Enfin, pas complètement, les comptes ne sont pas arrêtés encore, mais on avance.


On recherchait activement les auteurs de ces tueries. Ça, ça voulait dire que la police belge et la police française n’avaient aucune piste tangible. L’imbécile continua en débitant un couplet sur l’insécurité grandissante dans le pays. J’ai éteint la radio.


C’était en Belgique, connard, qu’est-ce que tu nous parles d’insécurité galopante dans le pays à la radio française ?


En tout cas, on pouvait suivre notre chemin grâce aux petits cailloux que nous avions semés.


Quelques minutes plus tard, en réfléchissant à tout ce merdier, une idée sombre m’envahit. Une hypothèse à laquelle on n’avait pas pensé, mais qui, là, me prenait à la gorge. Je rappelais Juliette aussitôt :



  • — Juliette, je pense à un truc…
  • — Quoi ?
  • — Ton ex-mari, il connaissait ta maison à Barcelonnette ?
  • — Il n’est jamais venu, mais oui, il savait que j’avais une maison dans le coin. Il ne sait pas précisément où, mais…
  • — Bon, écoute-moi, tu boucles tout, tu te planques à la cave, au grenier, où tu veux, tu ne lâches pas le flingue des mains. Tu tires dans le tas sans sommation si besoin. Je suis là dans deux heures maxi.


J’ai raccroché une nouvelle fois, je ne roulais plus tranquillement du tout, maintenant.


J’ai rappelé Juliette une demi-heure plus tard. Ça sonnait dans le vide.

J’ai réessayé à plusieurs reprises, même résultat.

Puis encore un quart d’heure après. Cette fois, la communication a basculé directement sur le répondeur de Juliette. Son portable était donc éteint cette fois.


Ça ne sentait pas bon. Pas bon du tout. L’angoisse m’étreignait. J’ai encore accéléré. Dans les virages, la Porsche remplissait parfaitement son rôle et atténuait les risques que je prenais sur la route.


Pourquoi je lui ai dit de s’enfermer ? Pourquoi je ne lui ai pas dit de se barrer de là-bas ? Je suis une conne. Jamais je n’aurais dû la laisser toute seule, de toute façon. J’ai voulu la protéger et j’ai échoué. Je voyais le corps de Juliette aux mains de cette bande d’ordures. Le terme qu’elle employait s’était imposé à mon esprit et je l’utilisais sans m’en rendre compte. Ordures…


J’ai observé mon visage dans le rétroviseur. La fatigue, l’anxiété me faisaient des cernes effrayants.


Je me suis rendu compte que je craquais au volant. J’étais en train de faire une belle crise de nerfs. Une crise de nerfs silencieuse. J’ai respiré lentement une dizaine de fois. Vidée… Et j’ai encore accéléré sur ces routes montagneuses.



oooOOooo



Cachée derrière un rocher, j’observais la maison silencieuse avec les jumelles que j’avais achetées dans un magasin en traversant Barcelonnette. J’ai laissé la Porsche plus bas, histoire d’avoir une approche plus silencieuse. Cent mètres avant le sommet de la côte, j’ai trouvé une berline Mercedes qui apparemment n’avait pas pu monter plus haut, l’accès étant trop abrupt pour elle. Un Range Rover avait pu passer et était garé devant la maison. À coup sûr, ils n’allaient mettre qu’un guetteur seulement aux abords de la maison. Je le repérai à la jumelle, avec ce qui ressemblait à un fusil d’assaut entre les mains. Cet imbécile était descendu patrouiller sur le chemin, disparaissant ainsi à la vue de ceux restés dans la maison. L’occasion rêvée de le choper et de le faire parler discrètement.


Je me planquais dans le ravin, laissant passer le con qui sifflotait. Je me suis approchée derrière lui et lui ai mis mon pistolet contre la tempe tout en le soulageant du fusil d’assaut, un très efficace Beretta modèle AR 70. Je lui ai susurré à l’oreille :



Il hocha la tête en signe d’assentiment. C’était un jeune mec qui perdait un peu son sang-froid. Pas un vrai pro en tout cas.



Là, il paniquait complètement.



J’ai éclaté de rire. Contre le Bolchévisme… en 2022 !



Il ne répondit pas :



Il mentait certainement, mais je m’en foutais. J’avais l’intention de faire payer toute la bande. Maintenant, il était clair que l’argent de la drogue et d’autres trafics, après blanchiment, servait à financer les délires néonazis de cette équipe de dégénérés :



Tate et Zivanovic étaient partis. Ils avaient laissé les deux imbéciles de fachos et les deux Allemands en couverture pour assurer leurs arrières et pour me régler mon compte surtout. Ça n’allait pas être de la tarte quand même. Ni pour eux ni pour moi. Plus que quatre, donc. Non, trois, parce que j’allais liquider celui-là.

J’étais de plus en plus inquiète pour Juliette. Non, en fait, je n’avais presque plus d’espoir, même si je me persuadais du contraire. J’ai serré les dents. J’ai poussé un profond soupir.


J’allais commencer par passer mes nerfs et mon angoisse sur le petit nazi de merde. Il allait falloir, par contre, que j’agisse silencieusement pour ne pas avertir ceux restés dans la maison. Une balle dans la tête était donc à exclure. Le nazillon se prit un coup de crosse dans le visage. Son nez explosa sous l’impact. Avant qu’il ne réagisse, je l’attrapai par le col et je le propulsai, à moitié inconscient, dans le ravin. Il dévala la pente bien raide à cet endroit, sans crier. Quand il allait arriver en bas du ravin, au milieu des rochers, son corps allait être cassé de partout. Pas de pitié pour ce genre de crevure.


Je me suis approchée en rampant dans les hautes herbes de la bâtisse. Un autre type, à coup sûr le deuxième facho, fusil à la main aussi, faisait les cent pas devant la maison. Il semblait nerveux, il appelait son pote. Apparemment, l’absence de son petit camarade lui pesait. Il l’appela encore.


J’hésitais entre conserver encore un peu mon effet de surprise et ne pas bouger - mais pour quoi faire ? Cet effet ne durerait pas longtemps encore - ou bien en liquider un de plus, là, tout de suite.


J’ai opté pour la deuxième solution et advienne que pourra ! J’armai le fusil d’assaut subtilisé à celui que j’avais envoyé au fond du ravin. Le deuxième type fut proprement fauché et s’écroula au sol, tout aussi proprement.


Un tir est parti du toit de la grange, dans ma direction. Je tirais au jugé la moitié d’un chargeur du Beretta vers ledit toit. Un corps dégringola des tôles et tomba au sol. Une voix féminine s’est élevée depuis la maison :



Karolina Mengelberg… Le type que je venais de descendre (au sens propre comme au figuré d’ailleurs) était bien, comme je le pensais, Horst Habermann.

La voix reprit, cette fois très inquiète.



Pour faire bonne mesure, j’arrosais la fenêtre d’où la voix était partie. Les vitres explosèrent sous les impacts.


Je me reconcentrais sur mes opposants et leur nombre. Dans l’action, j’avais un peu perdu le fil. J’ai refait les comptes dans ma tête. Si le petit nazi ne s’était pas trompé, il n’y avait plus que cette chère Karolina encore opérationnelle. Ça se présentait plutôt bien finalement.

J’ai crié :



Enfin… Ces gens me semblaient être tout de même de piètres stratèges. Ils avaient l’avantage du nombre, de la puissance de feu et du fait d’être protégés par des murs, alors que j’étais seule, à découvert, et surtout armée, en arrivant, d’un simple pistolet.

Au lieu de faire fructifier ces avantages en restant groupés, ils l’avaient dilapidé en se séparant. Pour l’instant, je n’avais eu qu’à les dessouder les uns après les autres, comme à la fête foraine. Les deux Allemands qu’on m’avait décrits comme le haut du panier n’étaient finalement pas terribles. Et je ne parle pas des petits nazillons, qui eux devaient être considérés comme de la chair à canon par les autres. Enfin, quand on est le must des tueurs en Europe, et qu’on est assez inculte pour ne pas avoir lu la Guerre des Gaules de Jules César qui insiste sur le fait de capitaliser sur ses forces ! À leur place, j’aurais parié sur le regroupement, j’aurais fait en sorte que j’approche d’eux, puis sur l’encerclement. Je n’aurais pas tenu dix secondes. Enfin, bref…


Maintenant que Karolina n’avait plus l’avantage du nombre, ma tactique allait être simple. J’étais à dix mètres de la maison, plutôt à l’abri des tirs provenant des fenêtres : j’entre et je tue.


Plus que trois mètres jusqu’à la porte, mais complètement à découvert. J’ai foncé. Des impacts de balles en provenance d’une des fenêtres du premier étage ont labouré le sol juste derrière moi. Tiens, elle est montée à l’étage ? Pourquoi pas après tout… J’ai tiré une série de balles vers la fenêtre avant de me mettre sous le large linteau en pierre de la porte d’entrée, fermée à clé, mais maintenant à l’abri des tirs en provenance de la fenêtre de l’étage. Une balle du Beretta devrait faire sauter la serrure sans problème. Finalement, la citadelle n’était pas si imprenable que ça.

J’étais dans la cuisine. Où se trouvait Juliette ?


J’entendis des pas derrière moi. Karolina descendait les escaliers, avec l’intention de foutre le camp. Je ne lui en laissai pas l’opportunité. Une dernière balle du Beretta l’atteignit dans le dos. Elle n’arriva même pas à la porte. Voilà. C’était terminé.


Où était Juliette ?


J’ouvris la porte du séjour. Puis je me figeais. Elle était là, allongée sur un tapis. En m’approchant, j’ai pu voir sa poitrine martyrisée. Son ventre n’était qu’une plaie rouge.

Je suis tombée à genoux devant elle. Même dans cette mort atroce, son visage était resté très beau. Elle rayonnait presque, ses bras le long de son corps.


Tout ce périple, toute cette cavale commencée à Ostende, il y a une éternité, me semblait-il… Tout ça pour en arriver là.

Je suis retournée précipitamment à la cuisine pour vomir.

Quand mon estomac eut rendu ce qu’il avait à rendre, je suis retournée dans le séjour, et j’ai regardé le corps de Juliette, comme pour m’imprégner de l’horreur.


J’ai voulu défendre ma jolie juge et j’ai échoué.

Maintenant, après avoir été martyrisée, elle était là, devant moi, morte, mais avec une grande douceur sur son visage. De la quiétude, presque. De la délivrance aussi. Elle ne remettrait plus jamais ses mèches blondes derrière son oreille. Ses yeux ne changeront plus jamais de couleur. Comment peut-on faire ça ?


J’ai trouvé des jerricans d’essence dans la grange. Une heure plus tard, la maison de Juliette brûlait, avec tous les corps que j’avais ramenés de l’extérieur. Tous sauf le sien que j’ai enterré dans un coin tranquille, face à la vallée et à Barcelonnette. Hors de question que ses cendres se mélangent avec celles des autres ordures.



oooOOooo



J’ai récupéré la Porsche Cayenne et je me suis rendu à Nice, pour prendre l’avion pour Paris. Il fallait que je sois chez Tate le plus rapidement possible, avant qu’il n’apprenne que je lui avais échappé. Avant qu’il ne réagisse.


J’ai trouvé un vol et deux heures plus tard, j’étais devant chez lui. Trouver son adresse avait été facile.


Tate avait pignon sur rue. Hôtel très particulier à Neuilly. Mais hôtel plongé dans le noir. Sauf une fenêtre allumée à l’étage. Il était 22 h et il crachouillait un peu de pluie tiède, après des semaines de canicule et de sécheresse. L’odeur de géosmine, caractéristique des pluies d’été, me montait au nez.


J’avais donc repéré l’endroit de la maison où il se trouvait, pas besoin de le chercher. J’ai cassé le plus discrètement possible un carreau au rez-de-chaussée, priant pour que si alarme il y avait, elle ne serait pas connectée. Elle ne l’était pas.


Tate était installé dans son bureau, sur un fauteuil de cuir noir. Il me tournait le dos. Il regardait les infos sur un écran plat accroché au mur. Il faut bien dire que comme on parlait de 100 kg de cocaïne récupérés par les carabiniers du côté de Naples suite à un appel anonyme, cela devait l’intéresser fortement :



Il a commencé à se lever et à s’approcher du secrétaire Louis XV contre le mur. Je n’ai jamais aimé le style Louis XV. Trop chargé, trop de chantournages, trop de motifs, trop de courbes, trop de trop.

Je l’attrapai par le col de sa veste. C’eut pour effet de le faire retourner le cul dans son fauteuil aussitôt.



J’extirpai un Colt Cobra cal 38 spécial du secrétaire. Je jetai au sol un fanion avec un svastika noir, une dague de SS qui s’y trouvait aussi. Bref, la quincaillerie habituelle de ce genre de dégénérés :



Une balle de 38 spécial en plein front, c’est assez radical. « Dans la tête de Tate » furent les mots qui me vinrent à l’esprit quand il est tombé en arrière sur son fauteuil.


Finalement, je n’avais pas eu le courage de le faire souffrir, lui faire subir juste un centième de ce qu’avait subi Juliette. J’étais plutôt fière de cette étincelle d’humanité qui avait pris le pas sur la haine au dernier moment. Même si ce type était une ordure finie, Juliette n’aurait pas approuvé ça. Et c’était bien ça qui comptait.



oooOOooo



Je roule sur l’autoroute.


J’ai finalement décidé de trouver cette maison en Ardèche. Ce soir, j’y serai, et demain je visiterai les agences immobilières. Je suis juste repassée à Nice récupérer la Porsche Cayenne, même si mon intention première était de l’abandonner sur le parking de l’aéroport.


Je viens d’entendre un flash d’info annonçant la mort, la nuit dernière, d’un caïd de la pègre parisienne, Milan Zivanovic, tué d’une balle dans le cœur, alors qu’il sortait d’une boîte de nuit. Il n’y a aucun témoin. Le garde du corps qui l’accompagnait est mort aussi.


En conduisant, j’ai un air triste en tête. Je n’arrive pas à me remémorer de quelle chanson il s’agit. Les paroles m’échappent aussi. Juste cet air qui a colonisé mon cerveau. Il est dans mon crâne sans vraiment que j’y prête attention, d’ailleurs. À vrai dire, je ne suis pas concentrée là-dessus. J’ai le visage de Juliette de Vernay à l’esprit.


Finalement, j’ai laissé les papiers trouvés chez Tate bien en évidence sur son bureau. Je les ai à peine parcourus. Il y avait tous les détails du réseau, les sommes, la provenance des fonds. Il y avait des noms aussi, surtout Allemands et Néerlandais. Quelques-uns Français, dont un ex-secrétaire d’État, quelques Belges, un député européen d’un parti démocrate, un citoyen monégasque, un capitaine d’industrie bien connu et un représentant de la Chambre des Lords en Angleterre. La petite organisation néonazie intéressera plus la police que moi quand on aura découvert le cadavre de Tate à son domicile.


Une larme coule sur ma joue. Je n’essaie pas de la retenir ni de l’essuyer. Il y a bien longtemps que je n’ai pas pleuré. Trop longtemps.

J’ai le visage de Juliette de Vernay qui danse devant mes yeux. Juliette qui sourit. Juliette qui rit, Juliette qui remet sa mèche derrière son oreille. Et les yeux de Juliette…

Je mesure à quel point je l’ai aimée. C’est venu comme ça… Sans que je m’en rende compte. Un amour court, mais d’une intensité folle, d’une profondeur que je n’ai pas mesurée quand Juliette était là.

S’il y a bien longtemps que je n’avais pas pleuré ainsi, il y a aussi bien longtemps que je n’avais pas aimé avec une telle passion.


On dit que pleurer fait du bien, que ça permet d’évacuer. Moi, j’ai pas mal de fantômes à exorciser.

Ça y est, je sais… l’air dans ma tête… Brel, bien sûr ! Une chanson pleine de tristesse. Les paroles me reviennent maintenant. Je chantonne. Les larmes coulent abondamment maintenant.

Les essuie-glaces balayent la pluie sur le pare-brise, j’ai le visage de Juliette de Vernay qui danse devant mes yeux, je chantonne et je pleure.