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Temps de lecture estimé : 16 mn
02/03/23
Résumé:  Habitée par une quête du sublime, Soliflore, artiste aveugle de naissance, rencontre son modèle pour la première fois et tombe irrémédiablement sous le charme de ce jeune homme un peu gauche.
Critères:  amour cérébral voir -rencontre
Auteur : Melle Mélina      Envoi mini-message

Série : La sculptrice aveugle

Chapitre 01 / 03
La sculptrice aveugle

Chapitre 1 :



Soliflore attendait son modèle depuis près d’une heure, non pas que ce dernier soit en retard, mais l’impatience de recevoir cet inconnu l’avait fait se lever bien plus tôt que prévu… Aujourd’hui, elle ferait connaissance avec Romuald, avec qui elle avait pris contact via une annonce directement à l’école des beaux-arts dans laquelle elle surprenait souvent son enseignante par la qualité de son travail.


Soliflore excellait dans la sculpture et notamment avec la stéatite, c’était avec des matériaux de taille qu’elle avait créé ses plus belles œuvres. Elle devait sa notoriété naissante à sa façon de déconstruire le corps humain et en faire des œuvres abstraites, subversives et interrogatives. Son homme-loup et sa femme-chienne avaient tous deux connu un succès d’estime et elle avait même eu le droit à son petit article dans la revue spécialisée « Beaux-Arts Magazines ».


Bien évidemment, les articles s’attardaient plus sur la particularité de cette sculptrice que son œuvre, le sensationnel faisant recette, le journaliste ne se priva pas de mettre en avant le handicap de Soliflore à savoir sa cécité de naissance.


Elle avait une idée bien précise et construite dans sa tête de ce qu’elle allait modeler. Elle emploierait, une fois n’est pas coutume, de la terre glaise, matériel qui nécessite son four, ce qu’elle n’aime pas manipuler.

Et une fois n’est pas coutume, elle allait sculpter non pas ce qu’elle voyait ou ressentait, mais ce qu’elle toucherait. Elle était nerveuse à cette idée, elle ne l’avait pas mentionné dans son annonce et elle avait peur de la réaction de son mannequin lorsque ce dernier comprendrait qu’elle le palperait.


Elle en était à son deuxième bol de chicorée lorsqu’il arriva enfin.


Elle ne faisait aucun effort de présentation, elle n’était pas coquette et c’est justement ce côté naturel qui lui donnait ce charme brut qui ne laissait pas indifférent les personnes qui la côtoyaient. Elle avait ses cheveux en bataille, un peu ébouriffée, cela faisait peut-être un ou deux jours qu’aucune brosse n’était passée dans cette tignasse brune. Elle portait une longue chemise blanche légèrement échancrée qui laissait deviner sa jolie poitrine menue.


Pour Romuald, c’était la première fois qu’il servait de modèle. C’était un homme très réservé, un peu trop timide et lors d’une consultation, le psy qui le suivait lui avait suggéré de faire du théâtre, de l’expression corporelle, de se lancer quelques petits défis. Ses amis lui disaient souvent qu’il était bel homme, un corps gravé dans l’albâtre, un corps d’athlète aguerri. Alors, lorsqu’il lut l’annonce, il ne réfléchit pas avant d’y répondre par la positive.

Il ne savait plus trop bien pourquoi il avait choisi ce challenge, peut-être était-il rassuré des compliments récurrents de ses amis quant à son physique, mais aujourd’hui, avec un pas de recul, il se morigéna d’avoir accepté ce défi. Il avait placé la barre un peu haut et était prêt à s’enfuir à toutes jambes.


Toutefois, il sonna et l’interphone l’invita à pénétrer les lieux. Il était dans une grande pièce lumineuse et des œuvres étaient exposées partout, au sol comme sur les murs, il y avait des tableaux, sur lesquels étaient représentés pour la plupart des morceaux de corps dans une pénombre. Il y avait également beaucoup de sculptures qui ne semblaient pas être terminées, des œuvres en devenir, certaines en pierre polie, d’autres en stéatites. Était-ce des corps humains ou des chimères ? Quels étaient donc ces visages où la bouche siégeait en lieu et place des yeux, ces derniers se trouvant parfois sur le nombril ?

Toutes les œuvres étaient des monstruosités, mais Romuald devait le reconnaître, ses pièces étaient fascinantes, dérangeantes, mais ô combien captivantes. Il ne pouvait détacher son regard de ses œuvres.


Puis, il la vit. Au bout de la pièce, Soliflore posait son bol de chicorée sur un gros bloc que Romuald prit pour du granit et alla à sa rencontre.

Elle s’approchait la main tendue vers lui qui restait interdit devant cette magnifique vision qui s’offrait à lui. Il fut tout simplement bouleversé par le charme brut de cette… de cette aveugle ! Il restait là, à ne pas savoir quoi dire, quoi faire. Il balbutia un timide bonjour lorsqu’elle se présenta. Il ne l’écoutait pas, il était parti dans sa rêverie. Il la dévisagea comme jamais il ne le fit avec une femme, sans aucune pudeur et ce n’était pas le handicap de madame qui lui donnait cette autorisation. Elle aurait été voyante que cela n’aurait probablement rien changé à l’effronterie de l’invité.


Une mouche passa. Elle lui avait sans doute posé une question à laquelle il n’avait rien entendu et elle attendait une réponse qui ne viendrait pas.



Soliflore s’en amusa, elle était aveugle, certes, mais seulement des yeux, elle avait tout de suite compris l’émoi dans lequel le pauvre jeune homme était tombé.



Soliflore prit les choses en main. Elle savait exactement ce qu’elle attendait de son mannequin et n’était pas fille difficile d’accès. Elle le rassura en lui expliquant le déroulé de l’opération. Elle aurait besoin de lui au moins trois jours consécutifs. Elle enchaînerait plusieurs moulures, différentes poses qui exigeaient à Romuald de les tenir plusieurs heures durant. Elle le prévint que ce n’était pas chose aussi aisée et que bien souvent, il était préférable d’avoir le rôle de l’artiste plutôt que celui de l’objet de l’œuvre.


Soliflore parlait, Romuald écoutait, mieux, il buvait littéralement les paroles de la jeune femme. Il était comme subjugué et dans un mélange de honte, il était soulagé qu’elle soit aveugle, car il se surprit à avoir la bouche grande ouverte, comme quelqu’un d’incapable de maîtriser ses pulsions, comme un chien affamé devant un os à ronger. Il s’en voulut presque instantanément.


S’il y avait bien un sens que Soliflore développa pour compenser sa vision défaillante, c’était bel et bien ce sixième sens qui échappe à tant d’hommes, cette perception féminine qui fait qu’une femme ressent l’implicite.

Le pauvre n’avait pas besoin de parler pour qu’elle perçût son émoi. Cela l’amusait et elle en jouait. Comme elle l’avait dit, elle le manipula comme une enfant le ferait de sa poupée, sans aucun ménagement, elle le plaça selon ses désirs dans une position hautement inconfortable, sûre que le pauvre ne pourrait tenir longtemps cette situation.


Au contact de ses doigts râpeux, la peau du mannequin émit un léger soubresaut qui fut pour l’Artiste une confirmation de ce qu’elle avait ressenti. Pourquoi avait-elle envie de s’amuser avec ce jeune homme comme un chat le ferait avec une souris ?


Il régnait dans cette vaste pièce blanche un silence plein de non-dits, et des sourires béats se dessinaient sur les lèvres des deux protagonistes. La maîtresse des lieux s’approcha de son cobaye et tout en fredonnant une mélopée que Romuald ne reconnut pas, elle entreprit une palpation minutieuse.

Ses mains se baladaient sur le torse musclé puis descendaient sur des abdominaux contractés.



Romuald reçut une bouffée de senteurs émanant de son parfum et sentit l’arôme de son rouge à lèvres : de la framboise. Elle sentait le fruit rouge et plus précisément la framboise. Le hasard voulut que ce soit une odeur qui lui rappelait son enfance joyeuse, il reçut cette senteur comme une réminiscence de son passé.


Comment se détendre ? Il était sous le charme et se faisait palper sans aucune retenue dans le geste. Il sentait une excitation le gagner, il se concentra pour mettre ses désirs en suspension, après tout, il se devait d’être professionnel.

Mais les mains qui avaient été jusqu’à présent assez rugueuses devenaient caressantes, et après avoir exploré la ceinture abdominale, elles descendirent jusqu’à la région sous-ombilicale.


Romuald tressaillit jusqu’à son bas-ventre et ne put contenir une érection. Il fixa Soliflore intensément, mais aucun trait du visage de la belle ne trahissait un quelconque émoi, un quelconque désir.

Évidemment, les mains expertes se frottèrent au niveau du boxer comme pour mesurer le sexe qui se durcissait.



Pubis ? Romuald fut amusé de l’emploi de ce terme et comprit qu’il avait été choisi judicieusement. Soliflore cloisonnait son travail et s’arrangeait pour qu’il n’y ait pas de confusion. Elle s’attarda à en faire le tour puis ajouta :





Chapitre 2 :



J’en restais comme deux ronds de flan : le naturel et l’autorité avec lesquels Soliflore m’avait demandé d’ôter mon boxer m’avaient complètement désarçonné.

Je la fixais et je remarquai que c’était le contraire. C’est Elle qui me dévisageait, elle qui me scrutait, elle qui me pourfendait de son regard vitreux. Ses yeux blancs teintés d’une infime couche bleutée me perçaient à jour, révélant mon moi-intérieur sans que je ne puisse me cacher.


Elle avait, à n’en pas douter, le don de lire le cœur des hommes et je devenais sous ce regard mort un livre ouvert.

C’était une situation plutôt ironique, je n’osais me dévoiler devant une personne non voyante et, de manière presque paradoxale, elle m’avait mis à nu comme jamais je ne m’étais senti découvert.


Doucement, timidement, je descendais le tissu de ma taille. Mon boxer n’était pas arrivé à mes genoux que déjà cette main râpeuse attrapait mon sexe semi-rigide.

Quelle sensation étrange ! J’étais partagé entre cet acte sexuel et le sentiment de n’être qu’un bout de viande.

Sa main était froide de polir la pierre, et ses doigts, rugueux d’utiliser ciseaux, marteaux et pointes, donnaient à cet attouchement le caractère le plus singulier que j’eus jamais connu en matière de sexe.


Sans un mot, Soliflore sondait, mesurait. Elle en faisait le tour comme une scientifique le ferait d’un élément à analyser. N’étais-je que ça pour elle ? De la bidoche ? Un objet ? Un sujet d’étude ?



Je n’avais pourtant rien dit, je restais coi, elle avait lu dans mes pensées ! Avant même que je ne dise le moindre mot, elle se contenta de me sourire avant de reprendre :



Soliflore faisait les questions et les réponses sûrement parce que j’étais bien incapable de prendre les perches qu’elle distillait pour commencer un véritable échange.


Elle en finit cependant avec mon sexe et descendit sur mes jambes. Je suis loin d’être un expert en ce qui concerne les femmes, mais je ne suis pas non plus innocent. Je sais lire entre les lignes. Je sais reconnaître les petits gestes, les sourires, tous les petits stimuli qui sont de l’ordre de la séduction.

Mais Soliflore me laissait pantois. Elle était d’une froideur presque mécanique qui suggérait qu’elle se désintéressait totalement de ma personne, mais dès lors, pourquoi, avant de descendre le long de mes cuisses, avait-elle amorcé un mouvement de va-et-vient sur mon pénis ?

J’étais complètement désorienté.


Il fallait que je vainque ma timidité et tente une sortie intelligente.



Mais bon sang de bonsoir ! Mais quelle truffe ! Mais quel con ! Tu parles d’une sortie « intelligente », j’avais à peine prononcé ces mots que je le regrettai amèrement ! Intelligent, plutôt gougnafier, oui !


Soliflore se redressa pour me faire face. Elle plaça tendrement sa main sur ma joue comme le ferait une maman voulant réconforter son fils, et me sourit de ce genre de sourire un peu amusé, un peu moqueur puis me dit :



Elle dit tout ça d’un ton badin qui me rassurait, elle ne l’avait visiblement pas mal pris. Elle approcha le visage à quelques centimètres du mien et tout comme elle l’avait déjà fait pour me demander de me décontracter, me murmura :



Cette phrase eut l’effet d’une bombe dans ma petite tête, je déglutis, avais-je bien compris ? Elle ne cessait de souffler le chaud et le froid, elle se jouait de moi, j’en étais bien conscient.

Je cherchais une répartie, mais les mots m’échappaient de nouveau.


Elle arriva aux pieds, mais, il sembla que cette partie de mon anatomie ne l’intéressait guère… c’est à peine si elle les toucha. Je remarquai une petite mine de dégoût, juste un signe presque imperceptible sur les lèvres et les sourcils légèrement froncés.

De nouveau, elle répondit à ma remarque silencieuse :



La balle venait de changer de camp, pour une fois, c’était elle qui se sentait mal à l’aise et moi qui devinais le fond de ses pensées. Je la rassurais maladroitement, ce qui lui rendit le sourire qui s’était furtivement effacé.

Elle alla vers un carton dans le fond de la pièce en commentant :



Lorsqu’elle se déplaça, je la regardais encore, je n’arrivais pas à détourner les yeux de cette silhouette dont il émanait tant de dualité : la froideur de son toucher et la chaleur des mots susurrés, l’âpreté de ses mains et la douceur de ses caresses, l’austérité de ses demandes et la bienveillance à mon égard.

Soliflore me sourit, resplendissante dans la lumière blanche du jour. Je remarquai presque un halo l’envelopper. À mes yeux, elle était une émanation de la vie, elle était une incarnation d’un ange et je trouvais ironique que cette divinité semblât vouloir peindre les personnes normales. C’était comme si une étoile s’intéressait au vermisseau.


Sans m’en rendre compte, je venais de penser tout haut. Qu’avais-je dit ? Qu’avais-je fait ? Je n’en sais rien, mais ce dont je suis sûr, c’est qu’elle me répondit par un petit rire gêné.



J’osais répondre :



Elle était proche d’une table sur tréteaux sur laquelle étaient posés divers outils, ciseaux, manettes, burins, marteaux, pinceaux et gants. Soliflore vêtit ses mains de protections, puis retira le carton qui recouvrait un amas de terre glaise. Ce faisant, elle m’expliqua qu’elle comptait me sculpter tel que j’étais et non tel qu’elle me voyait dans son monde de blanc et de tâches. Puis elle ajouta :



Je déglutis à ce que je venais d’entendre. De nouveau, elle se jouait de moi. Allais-je me laisser bringuebaler à droite, à gauche sans émettre la moindre résistance ? Je pris mon courage à deux mains et m’approchai de la table.



Lorsque je lui fis face, je lui attrapai les mains. Elle se laissa faire.

Je l’approchai de moi, elle se laissa faire.

Je la ceignis, elle se laissa faire.

Je déposais mes lèvres sur les siennes, elle se laissa faire. Un baiser doucereux, juste un effleurement, une caresse des lèvres.


Elle me repoussa gentiment, sans aucune trace de contrariété ou de déplaisir sur le visage.





Chapitre 3 :



Romuald était au centre de toutes mes pensées, je n’arrivais pas à me concentrer sur ce que je faisais. C’en était agaçant. Je voulais reproduire à l’identique son corps, mais comment le faire lorsque toute mon attention restait focus sur les sensations que j’avais ressenties ? Mes mains avaient parcouru son corps comme l’aurait fait un lézard, je l’avais touché du bout des doigts, puis je l’avais palpé pour le graver dans ma mémoire.

Ce n’était pas le premier « beau » corps que j’auscultais alors, pourquoi cet émoi ? De petits frissons inexplicables parcouraient mon corps, c’étaient sans doute les prémices d’une excitation idiote. Je me devais de rester professionnelle. Si je me laisse aller à chaque corps que je tâte, mieux vaut que je change de métier.

J’avais apprécié, dès son entrée un peu gauche, la fragrance de son parfum, épicé, fort, sauvage, mais paradoxalement, assez aérien et surtout discret. Des phéromones sexuelles n’auraient pas eu un tel impact.

Il est vrai que j’ai l’odorat plutôt aiguisé et que j’en suis véritablement sujette.

Sa voix m’avait envoûtée. Elle n’a pourtant rien d’extraordinaire, je dirais même qu’elle est commune, j’en ai déjà entendu plus d’une comme la sienne, mais il y avait un ton que je ne saurai définir qui me détendit.

Je remarquai qu’en sa présence je m’étais remise à fredonner. Cela faisait plusieurs éons que je n’avais pas travaillé de la sorte ! Je commençais par dégrossir l’amas de glaise devant moi, et lui donnais juste quelques courbes, rien de distinct. Je pétrissais l’argile et tentais de lui donner des formes arrondies, mais j’étais si impatiente de donner une ressemblance à mon sujet que déjà je m’éloignais de mon objectif. Une nouvelle fois, l’œuvre que je dessinais devenait absconse.


Cela faisait maintenant deux heures que je malaxais l’argile soyeuse et se présentait devant moi un corps informe ou plutôt difforme voire dix formes. Je me mettais une pression à réussir mon projet pour plaire à mon invité. Oh, je voulais tellement bien faire que j’en étais devenue crispée. J’avais perdu mon sourire, je ne fredonnais plus et m’appliquais davantage à ce que je faisais, mais paradoxalement plus je me concentrais, plus l’angoisse de malfaire me cisaillait.

Pendant ce temps, j’entendais Romuald parcourir les lieux. Il s’arrêtait souvent devant mes peintures, devant mon époque « Noire ». Il restait bien deux à trois minutes avant de briser le silence gênant, il tentait d’intellectualiser mes tableaux.

Il n’y avait cependant pas à réfléchir, c’était une forme d’art brut, je dessinais à l’époque des morceaux de corps. Point. Il ne fallait pas chercher plus loin. Je répondais laconiquement, ne laissant aucune ouverture au dialogue, mais toujours focus sur mes mains qui glissaient, qui caressaient cette bouillie de terre.


« Oh ! J’aurais bien voulu caresser autre chose moi… »


Il était temps pour moi de faire une pause. Je constatais que mon trouble ne m’avait pas lâché ! Décidément, mon modèle me faisait m’égarer. Il me paraissait normal de rassurer Romuald de la tournure que prenait l’œuvre. Non, je n’étais pas en train de sculpter une chimère, un monstre hybride mi-homme mi-vache.



Romuald n’était pas dépourvu d’humour et sa réponse dérida un peu la tension inutile de cette séance, il m’arracha un sourire qui avait disparu.



Je ne suis pas dans une nuit complète, monochrome, absolue. Nonobstant de voir avec mes oreilles, je distingue des nuances de gris. Je le vis s’approcher de moi puis s’arrêter, je pouvais presque entendre son cœur battre.

Il posa ses lèvres contre les miennes, sans chercher à forcer un passage afin que nos langues s’apprivoisent. De nouveau, j’appréciai le goût de ses lèvres relativement humides, un goût âpre, un peu acidulé que je savourais comme je l’aurai fait d’un bonbon.

Je m’éloignai, retrouvai mon aplomb et m’amusai :



Il se contenta d’un :



Il avait tout dit dans l’emploi de mon prénom. J’entendais tous les non-dits, quelques reproches teintés de tendresse, de douceur, un peu d’impatience, et surtout les mots importants : mon envie, l’envie de lui.



Pas très subtile pour éviter de parler sérieusement. Mais merde, quoi ! J’ai un boulot à faire ! Ce gars-là, je le connais depuis quoi ? Deux heures, à tout casser ? Il croit quoi, lui ? Hein ? Qu’il va me séduire et me placer sur son tableau de chasse ? C’est quoi, son trip ? S’envoyer en l’air avec une aveugle ?

Honnêtement, j’étais complètement injuste envers Romuald. Je voyais bien que je n’avais pas à faire un macho qui ne pense qu’à une chose : « Jouer au docteur non conventionné ». Je savais en mon for intérieur que j’étais complètement sous le charme même s’il n’avait rien fait pour.

L’idée de me laisser aller à la griserie m’enivrait de plus en plus et j’étais à deux doigts de succomber à mes désirs. Toutefois, un dernier rempart ne cédait pas à l’invasion de ses pensées : mon œuvre, mon travail.



Je repris le contrôle et revêtis de nouveau ma casquette d’artiste en plein moment de création. Je retournai donc à mon ébauche de sculpture. J’oubliais de mettre mes gants de sécurité, et lorsque je façonnais la terre meuble, humide, glissante, douce, je me rendis compte que j’attaquais la réalisation du pénis.

Mon cœur accéléra, mes mains se mirent à trembler, et je pétrissais abruptement le moule de ce sexe qui siégeait dans ma mémoire.


« Il faut que je me calme, il faut que je me calme… ».


Romuald, non plus, ne tenait plus en place, je l’entendais remuer vivement comme s’il avait des vers.



Soli ? Ah, bon ? Nous étions intimes, suffisamment pour qu’il me nomme Soli ? Décidément, je m’attachais à toutes les lianes possibles pour ne pas me balancer dans le bois de l’extase. J’en avais presque oublié le plus important de son intervention : la taille du sexe que je caressais à présent.

J’avais effectivement exagéré l’appendice de mon œuvre de terre, il aurait pu faire concurrence avec celui de Pygmalion, qui sculpta la femme idéale dans l’ivoire. Il tomba amoureux de son œuvre et Aphrodite lui donna vie sous le nom de Galatée.