n° 21586 | Fiche technique | 16370 caractères | 16370Temps de lecture estimé : 11 mn | 05/03/23 |
Résumé: Soliflore et Romuald se désirent dans un jeu de la séduction où tour à tour ils seront chat puis souris | ||||
Critères: fh handicap complexe amour fdomine pénétratio -initiatiq | ||||
Auteur : Melle Mélina Envoi mini-message |
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Résumé de l’épisode précédent :
Soliflore, artiste aveugle, a pour objectif de sculpter une œuvre magistrale. Mais son mannequin la détourne de son but. Dans un atelier où règnent les non-dits, la chaleur devient fournaise.
Romuald en avait assez de ce jeu, mais ne souhaitait pas paraître grossier. C’est un jeu d’équilibriste qu’il devait mener, montrer son désir et son impatience, être entreprenant sans précipiter ce qui fatalement arriverait, se faire violence pour dépasser sa timidité tout en restant lui-même comme l’avait suggéré la belle.
Soliflore était loin de ce conflit intérieur, elle écoutait ses désirs sans aucune autre forme de procès. De manière inconsciente, elle avait trouvé l’excuse idéale pour pouvoir se satisfaire, elle voulait de nouveau caresser ce chibre. Son modèle lui avait tourné la tête. Il était nu, à sa portée dans son atelier et visiblement sous le charme. Aucune raison ne justifiait de ne pas franchir le Rubicon. À l’écoute de ses envies, Soliflore cédait volontiers aux tentations pour mieux s’en délivrer.
Elle aurait pu être sensuelle, féline, elle aurait pu y mettre les formes, elle aurait pu minauder, jouer de séduction, mais telle n’était pas Soliflore. Elle avait décidé de se donner telle quelle, brute de décoffrage. Sa décision ayant été prise, il n’était plus temps de tergiverser quant aux formes. Elle empoigna le sexe de sa main couverte de terre et commença un mouvement de va-et-vient.
La terre froide et liquide fit tressaillir le corps du mannequin. Les mains rugueuses de l’artiste devenues douces glissaient à présent comme sous l’action de savon.
Romuald gémit de félicité. Il ferma les yeux comme pour ressentir encore plus la sensation de cette crème enduite sur son sexe. Soliflore ne le lâchait pas du regard tandis qu’elle le masturbait paisiblement, presque tendrement.
Elle posa son autre main sur son torse et commença à l’enduire. Elle descendit des épaules carrées, s’attarda sur les pectoraux développés du garçon puis fit le tour pour lover son futur amant. Son visage à quelques centimètres du sien, elle souffla doucement, mais profondément sur les lèvres entrouvertes puis descendit sur le cou.
Romuald ouvrit enfin les yeux, Soliflore les ferma.
À son tour, il enlaça sa partenaire et leurs corps se blottirent. Le tissu de la chemise souillée de la boue se colla à celui de la belle. La sensation dérangeant sa propriétaire, elle se dégagea pour l’ôter prestement.
Les yeux grands ouverts, Romuald ne perdit pas une miette du spectacle qui s’offrait à lui. Il avait entraperçu une poitrine ferme, une poitrine ronde et musclée, il en avait maintenant confirmation.
Soliflore, pour qui le don de prescience n’était pas un mystère, anticipa les pensées de son modèle :
Les pensées de Romuald convergeaient vers son unique désir du corps de l’autre. S’il en avait été maître, il aurait pu trouver ironique que cette femme attachât autant d’importance à la plastique. C’était complètement contradictoire, mais n’est-ce pas nos contradictions qui nous rendent uniques ?
Elle fit un chignon de ses cheveux en broussailles qu’elle attacha d’un simple crayon. Un tanga rouge en dentelle qui lui sublimait les fesses pour simple vêtement, elle devenait presque irréelle pour le garçon. Il n’arrivait pas à réaliser la chance de pouvoir profiter d’un tel bijou.
Ce don d’anticipation était terrifiant pour Romuald qui ne savait s’il pouvait garder secrètes ses pensées les plus intimes, ses pensées les plus rétrogrades, les plus perverses, celles dont il n’était pas fier, mais qui le possédaient toutefois lorsqu’il était excité.
Elle vint se lover dans ses bras qui très vite descendirent le long du dos pour atteindre ses hanches. Nez contre nez, boue contre boue, sexe contre culotte, ils se regardèrent avant de céder à leur désir de leur bouche, à l’envie de se goûter l’un l’autre.
Les lèvres entrouvertes, dans une invitation au partage, ils s’affleurèrent une dernière fois avant de laisser leur faim s’exprimer. Leurs langues s’apprivoisèrent très vite et dansèrent de sensualité avant de s’enflammer.
Soliflore enroula une jambe autour de son partenaire. Romuald la découvrit, légère comme une plume, et cette étrange sensation exacerba son sentiment qu’elle fût un ange.
Elle, tigresse, lui lacérait le dos de ses ongles. Lui, proie, subissait les assauts furieux et désordonnés. Les corps criaient famine, ils réclamaient leurs dus, cela devenait un impératif à combler. C’est sans plus attendre que Soliflore ôta sa culotte et plaça le sexe turgescent de Romuald à l’entrée de son intimité, ordonnant implicitement d’être prise.
Sans préambule, sans préliminaires.
Romuald était quelque peu déconcerté de l’attitude dominante de la belle. C’était une première : l’amour sans préliminaires, les mots crus et la domination quasi animale. Mais il n’eut pas le temps de se remettre la tête à l’endroit que déjà Soli le grimpait.
Cette femme, cette artiste n’était pas une abeille ouvrière à la solde d’idées d’un autre, elle n’avait besoin d’aucune partition pour écrire sa propre musique. Elle n’était pas un simple artisan, elle n’avait besoin d’aucun patron à suivre pour construire son cocon.
Elle était un esprit, une incarnation de la liberté, une maîtresse en anatomie, en philosophie, elle avait une perception hors norme, une vision profonde, capable de pénétrer l’essence même des choses. Elle avait travaillé son corps et son esprit comme une œuvre d’art, sa pièce ultime, elle se voulait une œuvre.
Elle avait tant et si bien travaillé sur elle, sur son moi, son surmoi, son for intérieur qu’elle se connaissait par cœur. Elle avait pénétré son âme pour en connaître tous les arcanes, les moindres recoins et même ceux qu’on espère garder à jamais secrets.
Elle savait exactement ce dont son corps avait besoin.
Une frénésie dionysiaque s’était emparée des deux amants. Le grand atelier résonnait des respirations haletantes et fortes, de quelques gémissements des deux corps en fusion. Soli était ailleurs, dans un endroit où l’esprit n’a plus lieu, probablement au bord d’un précipice, un gouffre abyssal dans lequel plonger pourrait vous faire perdre la tête à jamais !
Romuald, tout à son plaisir, l’entendit crier. La sculptrice venait de chuter – au risque de se noyer dans cet océan de délice… Il eut peur de la perdre à jamais, peur de l’avoir perdu !
Elle a les yeux fermés, la bouche ouverte à chercher de l’air.
Ébahi devant son visage si pur, c’est comme s’il l’admirait pour la première fois. Chaque détail s’inscrivait dans sa tête, Romuald devenait, l’espace d’un instant, un artiste capable de dessiner les lèvres entrouvertes, les fossettes et les magnifiques yeux marron dans lesquels se cachait tout un univers !
Les positions changeaient et l’exaltation continuait au sol. Un sol froid, un sol qui devint très vite glissant par la terre qui s’échappait des corps…
La dominatrice se laissait maintenant dominer. Romuald releva les jambes de sa partenaire et attrapa les pieds.
Décidément. Il y avait un mystère autour de cette question de pieds qui intriguait. Romuald se promit de s’y intéresser ultérieurement. Il la pénétra plus brutalement. À chaque coup de reins, de plus en plus puissant, le corps bringuebalant, Soliflore laissait s’échapper de petits cris de jouissance.
Elle se métamorphosait comme une fleur qui ouvre sa corolle. Comme emportée dans un océan de jouissance, loin de notre monde, elle ne cessait de jouir des mots sans pudeur :
Au bord de l’agonie, Romuald trouva en lui les derniers ressorts d’énergie et accéléra une ultime fois sa danse avant de sombrer dans un puits sans fond. Il s’écrasa de tout son poids sur le corps de sa partenaire, exsangue, amorphe, exténué.
Pour la première fois, les deux amants fermèrent les yeux, pour la première fois, les deux amants ne se regardèrent plus.
Comme en suspension, en dehors de son corps, Soliflore voyait la scène, la photographiait dans sa mémoire, et elle voyait les deux corps avachis comme un monticule, un amas de chair. Elle laissa ce tableau pour se focaliser sur l’œuvre qu’elle avait commencée.
C’est elle qui, la première, se redressa, et c’est elle qui la première s’excusa :
Elle n’avait pas les mots, elle pesait tous les termes pour ne pas froisser son amant, car elle n’avait plus qu’une seule envie, reprendre son travail. Là aussi, il s’agissait d’un impératif.
Elle n’avait pas l’habitude de prendre des gants, aussi se décida-t-elle à le lui dire sans détour :
Romuald sourit devant tant d’impétuosité et lui demanda juste où se trouvait la douche.
Sans le moindre regard vers son amant encore au sol, elle s’en retourna vers son œuvre.
Que venait-il de se passer ?
Soliflore s’était tout simplement servie tandis que Romuald, lui, avait espéré. L’une avait répondu à un besoin, l’autre à une envie. Elle avait consommé, il avait savouré.
Romuald était encore au sol, à la recherche de son souffle, dans un état de béatitude consommé. Il regardait cette femme, qui lui avait tant donné, se comporter comme une étrangère… Pire, comme s’il n’existait pas.
Il avait envie de s’exprimer, lui rappeler sa présence et surtout de lui dire à quel point il avait aimé cette communion, mais il resta coi. Il se contenta de se dire pour lui-même :
Sans doute voulait-il se dire : « t’es qu’une carpette ».
Tout à son œuvre, l’artiste était déjà ailleurs, tel un livre que l’on ferme, elle avait tourné la page de cette agréable incartade. Son travail était de nouveau au centre de ses pensées, de ses envies. Le plus important à ses yeux était de reprendre sa sculpture. Rien ne comptait plus maintenant que de compulser dans la création.
L’univers créé était comme un prolongement d’elle-même, un monde intérieur révélé, un monde plus beau, un monde où la laideur et la beauté s’accouplaient pour s’affranchir de la réalité et du jugement de l’autre.
Son œuvre, l’œuvre de sa vie de créatrice était une critique acerbe du « Paraître » auquel la société s’attachait et plaçait en si haute estime sur un piédestal. Nous attachions plus d’importance au regard, au visuel qu’à l’intellect.
Nous n’écoutions plus les voix des chanteurs, mais regardions leurs plastiques, une paire de belles fesses faisaient vendre la dernière des conneries à la mode. Les artistes adoptaient une gestuelle, un rythme dans la voix, se balançaient pour montrer à quel point « ils sont cooooollls, mec ! La coolattitude, mec ! »
On félicitait les belles femmes en leur accordant des prix, « bravo, vous êtes belle ! ». Et pourtant, cette miss France de pacotille, cette belle de façade était faite du même bois, constituée exactement des mêmes atomes, du même caryotype, des mêmes brins d’ADN que cette pauvre miséreuse qui vit dans la rue et que les gens ne regardent même pas. Personne ne loue la laideur « Bravo, vous êtes moche ! ».
De la surface. Rien que ça. Grattez un tant soit peu le vernis et vous entriez dans un vide intersidéral, un trou noir insondable.
Soliflore en était intimement persuadée, son œuvre devenait un impératif. Et la question qu’elle ne se posait plus « à quoi sert l’art ? » était depuis longtemps résolue. L’art est une revendication, une critique et une solution.
« Un chef-d’œuvre n’est pas le résultat d’une inspiration soudaine, mais le produit d’une vie de réflexions », écrivait Virginia Woolf.
Après avoir tant analysé, tant étudié, tant vécu, Soliflore le ressentait, elle était proche de son but, elle était à deux doigts de produire une œuvre comme jamais elle n’en avait conçue, elle était à l’orée d’une création qui la dépasserait, une œuvre qui aurait sa propre vie et qui échapperait au contrôle de celle qui l’avait créée.
Mais, pour atteindre ce sommet auquel elle aspirait, elle devait se focaliser uniquement sur son travail et ne pas se laisser distraire. La fièvre s’empara d’elle, laissant Romuald de côté, loin des pensées, intrus dans la pièce.
Comment aurait-il pu comprendre l’attitude de cette femme si étrange ? Il n’avait pas les codes lui permettant d’avoir ne fut-ce que des indices. Romuald n’avait pas de passé, il n’avait pas d’histoire. Enfant d’un couple uni, parents exemplaires, vivant sans connaître le besoin et ayant reçu une bonne éducation dans une école privée, ses seules pérégrinations étaient une bagarre à l’école, une mauvaise cuite au pastis à l’âge de quinze ans et un procès-verbal pour excès de vitesse.
Waouh, folie !
Rien dans sa vie ne l’avait préparé à comprendre les méandres de l’âme humaine, alors, comment pourrait-il sonder les bouleversements qui s’opéraient dans l’esprit excité d’une artiste en pleine frénésie créative ?
Après quelques ablutions, Romuald s’en retourna vers Soliflore, mais il ne vit qu’une femme qui se contrefichait de sa présence. Une femme avec qui il venait de faire l’amour ! Dans sa tête, c’était un branle-bas de combat, les idées, les réflexions se succédaient chacune à leur tour, se bousculaient afin d’avoir un début d’explication. Il se sentit délaissé, il se sentit utilisé, il se sentit sale. Cette femme s’était servie de lui et… rien ! Ils avaient fait l’amour, puis plus rien ?
Rien ?
De nouveau, la sensation de n’être qu’un amas de viande lui revint en tête et dans le cœur. Il la regarda stupéfait, décidé à laisser cette… femme (sorcière ? Succube ?) nue, pleine de boue, s’acharner sur le tas de glaise qui prenait des allures de corps humain sous l’effet de ses mains.
Il avait eu le droit à ses caresses, mais il en voulait encore et à cet instant précis, il jalousait la sculpture en devenir. Il aurait tant voulu que les mains boueuses lui parcourent de nouveau le torse. Une partie de lui lui dictait de sortir de l’antre de cette Nymphe, une autre lui conjurait de rester, prisonnier de l’envoûtement de cette Calypso.
Il prit son courage à deux mains et s’approcha de l’aveugle. Il la saisit, dans les deux sens du terme. Surprise d’être agrippée, elle eut du mal à revenir à la surface. Elle ne se débattit pas, mais s’en extrait aussi vite qu’elle fut retenue.
Romuald la questionna :
Il n’arrivait pas à finir sa phrase… Comment lui demander si cette distance créée était le résultat de leur partie de jambes en l’air ? Elle n’avait pas apprécié et elle ne savait pas comment le lui faire comprendre ?
Soliflore le dévisagea et Romuald vit de l’aveuglement dans les yeux de l’Artiste. Elle le dévisageait, mais ne le regardait pas.
Elle l’entendait, mais ne l’écoutait pas.
Il parlait, mais elle restait muette.
Aveugle, sourde, muette et absente.
« Je vais y aller », ces mots arrivèrent enfin à être entendus et il lui fallut encore quelques microsecondes pour qu’elle réalise que Romuald la laisserait seule. Elle s’arracha de sa rêverie avec hébétude.
Elle ne voulait pas se trouver seule, mais surtout, elle ne voulait pas qu’il s’éloigne d’elle. Elle avait conscience de leur attirance, elle avait conscience que cet attachement était différent de tout ce qu’elle avait connu. Son cœur battait différemment et elle percevait que c’était réciproque. Et malgré tout, elle se rendait bien compte qu’elle était en train de tout gâcher.
Et pourquoi ?
Pour quelque chose qui la dépassait, pour quelque chose de plus grand ? Son œuvre ?
Foutaises ! Le bonheur, que la main n’atteint pas, est un leurre !
Le cœur en cendre, Romuald était la main sur la clinche. Il ne restait que quelques fractions de seconde pour trouver le mot qui le retiendrait.
Ce nom commun, qui définit une personne amoureuse et qui la conseille et guide son amour, eut l’effet attendu : il stoppa net la progression de Romuald.
Elle serait son Pygmalion, il serait son égérie.