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Temps de lecture estimé : 23 mn
02/01/24
corrigé 11/01/24
Présentation:  Le retour de l’aventurière Maya.
Résumé:  La journaliste aventurière est de retour pour un reportage sur les routiers. En parlant de routes, celle qu’elle empruntera l’emmènera un p’tit peu loin...
Critères:  #nonérotique #historique #aventure #fantastique religion bizarre revede nopéné
Auteur : Melle Mélina      Envoi mini-message

Collection : Terra Incognita
A la recherche du Pénis Divin - 1

Introduction : Tout en Camion



J’ai beau me défendre et lui faire entendre que j’ai des témoins, mon chef me rétorque que Ganja a encore trop fumé les cigarettes qui font rire et que Célimène a juste flippé pour une porte qui claque. Il refuse de m’entendre et me balance au visage, dans une de ses colères légendaires, mon reportage qu’il a transformé en boulette.


Je suis sur la sellette, il serait de bon ton que je pense à faire comme ma sœur, me mettre à mon compte et exercer en free-lance. Comme souvent, lorsqu’il est de cette humeur, il m’envoie faire les reportages dont personne ne veut, même les pigistes ne se battent pas pour les couvrir. C’est ce qu’on appelle une punition.


Me voilà donc en charge de traiter la manifestation des routiers. À l’origine de cette grève, il y a l’Europe et sa politique qui échappe au commun des mortels, les conditions de travail qui diffèrent selon que vous soyez polonais, belge ou français, une vague histoire de concurrence déloyale. Je sens bien que je vais prendre mon pied.


Sur une aire d’autoroute où stationne une bonne centaine de camions, j’interviewe consciencieusement les mécontents, mon reportage est bien construit dans mon esprit, je le visualise et me promet d’écrire, d’un sujet chiant à mourir, un texte qui emportera mon lecteur dans une grande aventure de laquelle suinteront les odeurs du goudron, la chaleur de la gomme et la sueur des muscles sous des effluves de tabac. Les kilomètres parcourus seront des voyages à la découverte des plus belles routes de France, on sentira la fatigue nous étreindre, on plissera des yeux à chaque fois que l’on croisera une voiture en pleins phares, on sentira le café chaud des stations-service pour rester éveillé la nuit, ce fameux café qui nous coûte les yeux de la tête. Au travers de mes mots, on entendra les mouettes crier dans les ports, les avions décoller au-dessus de nos têtes en passant Charles de Gaulle, les cathédrales tintinnabuler, les montagnes se dresser au soleil levant, les cigales chanter lorsque nous approcherons de l’autoroute du soleil. Et arrivés à destination, perclus de fatigue, le temps de débarquer le fret et nous voilà de nouveau sur les routes.


Je trouve une place à bord d’un trente-huit tonnes, un Peterbilt 359, me précise Miguel, le chauffeur avec fierté. Il me prévient que les routiers n’ayant pas le droit de conduire la nuit, nous ferons halte sur une aire d’autoroute dans quelque deux cents kilomètres.


Il est drôlement beau ce Miguel, il me fait penser à cet acteur si cher à Pedro Alomodovar, Gael Garcia Bernal. Son petit accent catalan me fait fondre, j’en ai des vapeurs. Il est impossible qu’il ne l’ait pas remarqué.


Nonobstant d’être beau comme un cœur, mon routier vachement sympa a de la conversation à revendre et tout y passe, depuis les potins des dernières relations de stars jusqu’à la politique internationale, depuis l’Histoire avec un grand H jusqu’à la géographie, les enjeux du changement climatique, les devoirs des sociétés modernes et démocratiques, la recherche du mouvement perpétuel, la quadrature du cercle, que sais-je. Il parle sans discontinuer, on voit bien qu’il souffre de solitude et que ma présence est une aubaine. Cependant, il y a un sujet pour lequel il ne tarit pas de connaissances : l’Égypte antique. C’est son dada, et sur le tableau de bord de son camion américain que tout le monde jalouse (d’après ce qu’il m’en dit) se trouve un sphinx qui dodeline de la tête. C’est mignon, c’est kitch, ça me fait sourire.


Le ciel s’assombrit, il se fait tard, il me propose la prochaine aire d’autoroute située à cinquante kilomètres pour nous arrêter et dormir. Je lui demande avec un brin d’amusement et d’espièglerie où sera ma couche, un peu gêné, il cherche ses mots pour me dire que nous dormirons à deux dans la banquette prévue à cet effet.


Il est craquant lorsqu’il rougit. Je mets fin à cette petite torture en lui montrant que je ne suis pas farouche. Et quoi de mieux que de poser ma main sur son entrejambe pour lui montrer que je suis open ?


Ça lui fait un effet bœuf ! Bon, inutile de s’attarder dans des discussions vaseuses ni de faire de dessins. J’ouvre sa braguette et m’occupe de ce qui ne tarde pas à se dresser tel un mât. Oh ! J’y mets du mien, je mets du cœur à l’ouvrage et je m’applique comme une ampoule.


Il gémit fort ce bougre ! Il jure en catalan :



Soudain, le véhicule fait une violente embardée. En l’espace d’une micro-seconde, je suis éjectée comme un boulet hors du camion, je ne sens même pas mon corps être projeté à une bonne dizaine de mètres pour finir sa course dans l’herbe.


Finito ! Kaput la Maya !



Chapitre 1 : Ce qu’il reste d’Osiris


Ouhhh ! Je me réveille avec un de ces mal de crâne, à la limite du supportable. J’ai l’impression qu’un étau me serre les tempes, j’ai l’impression que mes cervicales sont désincarcérées. J’ai besoin de quelques minutes pour retrouver un peu forme humaine…


Vindjiou ! C’est comme si un camion m’avait roulé dessus…


Un camion ? Ça me rappelle quelque chose. Soudain, des images me reviennent en tête, des réminiscences, puis tout s’emboîte et je peux refaire, sans difficulté aucune, le film de ce qui m’est arrivé : l’accident, le camion qui part sur la droite, qui perd le contact d’avec le goudron, la chute de l’engin sur le bas-côté de l’autoroute, le beau routier Gaël Bernal qui est projeté sur moi, m’écrasant de tout son poids inerte sur la portière elle-même écrasée contre le sol.


Punaise, un miracle que je sois encore en vie !


Je regarde autour de moi, c’est étrange, il n’y a aucune trace du camion, je ne suis pas sur un brancard dans un VSAB. Je suis complètement déstabilisée, le bas-côté depuis lequel nous sommes tombés était un écrin de verdure et je suis présentement allongée sur un sol sableux.


Il fait jour, le soleil est éclatant, j’ai besoin de quelques secondes pour m’habituer à la clarté qui intensifie encore la douleur dont je suis percluse.


Je suis fracassée comme une piñata que des gosses ont déglinguée pour récupérer les bonbons.



Je me frotte le crâne, j’ai une bosse digne du chapeau du Grand Schtroumpf. Je m’allonge sur le dos afin de faciliter une profonde inspiration. C’est avec difficulté que j’arrive à me redresser et à m’asseoir. Lentement mais sûrement, le monde des rêves s’estompe devant une nouvelle réalité. Je suis au centre d’un attroupement de personnes orientales, certaines noires et d’autres aux traits plutôt asiatiques. Je les entends parler le copte entre eux et je les comprends.

Quoi de plus naturel ? Je ne l’ai jamais appris, je ne savais même pas que cette langue se nommât « Le Copte ».


Tous se dirigent à présent vers un homme plus âgé, arrivant depuis les portes de la ville située à une vingtaine de mètres et le mènent vers moi. Il avance avec précaution, comme s’il s’approchait d’un animal sauvage, tout en continuant de me dévisager tandis que les personnes autour le pressent d’intervenir.


Arrivé à portée de voix, il se présente pour être Ahmed Ibn Fahdlan, le médecin du quartier de l’Uast de la ville de Ouaset.


L’Ouaset, la puissante, aujourd’hui connue sous le nom de Louxor. Ça carbure très vite dans ma tête « Aujourd’hui Louxor », mais ça veut dire quoi « Aujourd’hui » ? Si ma mémoire est bonne, le nom d’Ouaset place le décor en Égypte Antique !

Houlà ! le coup porté a fait plus de dégâts que je ne le pensais !


Le médecin me demande si je suis une déesse. Une déesse ? Quelle étrange question ! Puis, il continue en m’expliquant son chemin de pensée. D’après les témoins, là où je me trouve, il n’y avait rien ni personne et zou, je suis apparue.


Effectivement, expliquée comme ça, la question n’est pas dépourvue d’intérêt.


Je lui réponds dans un copte parfait, ce qui étrangement ne me fait pas frémir. Bin oui quoi ! Quoi de plus normal que de parler un langage étranger vieux de plusieurs milliers d’années ? La normalité est relative, non ?



Ce que le médecin m’explique confirme mes doutes, j’évolue en pleine Égypte antique en 1335 avant Jésus (ça, c’est moi qui le suppute) en plein règne de Toutankhamon. Si les souvenirs que j’ai de mes cours sur l’antiquité sont exacts, le pharaon Toutankhamon succède à Akénathon. Ce dernier avait rasé la plupart des temples pour que son peuple ne vénère qu’un seul Dieu : Amon Ra, le soleil. Le pouvoir des Dieux égyptiens est proportionnel à l’admiration des hommes. De cette volonté monothéiste en a résulté de nombreuses guerres et de combats âpres durant le règne d’Akénathon, les admirateurs d’Osiris ne l’entendant pas de cette oreille.



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La rumeur se propage plus vite que la vitesse du son et plus loin dans un temple en pleine rénovation, Isis au côté de son fils Horus ont vent de l’arrivée d’une nouvelle déesse aux portes de la ville.



La « Clairvoyante » est un globe de verre dans lequel des volutes bleutées flottent, emprisonnées à jamais. Pour qui sait lire les courbes et les arches que ces fumées dessinent dans leur déplacement incessant, se révèlent les réponses célestes. Ainsi Isis, la Grande Mère divine apprend l’existence de Maya.



Restée concentrée à lire les lignes essentielles des destinées depuis la « Clairvoyante », Isis se vide de son énergie vitale – tisser les fils du destin requiert une force mentale hors norme qui coûte en vigueur – et dans un dernier effort débusque une dernière révélation à propos de l’arrivante. La grande déesse garde cette information dans un coin de sa tête avant de s’effondrer, exsangue au sol. Très prévenant le Dieu à tête de faucon, porte précautionneusement sa mère jusqu’à sa couche où se trouve déjà Osiris.


Le cœur empli d’espoir, Horus voit en Maya une opportunité qu’il ne raterait pour rien au monde. Aussi décide-t-il de la convoquer et envoie se mêler à la foule ses propres gardes, les Chiltoris pour la ramener illico presto.


La foule est à présent devenue multitude et grossit encore à chaque pas que fait cette femme étrange qui est apparue comme dans un souffle. C’est avec difficulté et en jouant des coudes que les Chiltoris arrivent enfin à distance de voix de Maya.

C’est Ahmed Ibn Fahdlan qui les présente :



Maya est comme elle est, toujours un peu brute de décoffrage, aussi avec un aplomb inhabituel pour les autochtones, balance-t-elle :



Après avoir accusé le coup, Ahmed s’adresse directement aux Chiltoris en leur demandant au nom de l’invitée ses sincères excuses. Enfin, il explique que les Chiltoris sont muets, leur langue a été arrachée. Ils sont dans le secret des Dieux, ils sont condamnés à se taire.


Je comprends, mais ils peuvent encore écrire ; ce serait moi, je leur couperais également les mains…


Les Clitos, ou plutôt les Chiltoris, les gardes de Horus ressemblent à de grands hommes d’ébène sortis tout droit d’une salle de musculation du 21ᵉ siècle. Il est impossible de voir leur visage, casqué d’un heaume à bec crochu leur recouvrant complètement la face. Ils sont armés de lances et de sabres courts appelés Kopesh (ou Khépesh). Sur leur peau d’un noir de jais, au niveau de leur plexus, on distingue le tatouage d’un grand faucon, les ailes déployées, la marque de Horus.



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Sur les conseils du médecin, je suis aveuglément les clitos en m’amusant à les provoquer. Pourquoi je fais ça ? Je n’en sais rien, probablement s’agit-il pour moi d’un moyen de défense, un moyen de me rassurer ? Être projetée dans l’espace-temps, rencontrer des divinités ne sont pas choses faciles à appréhender.



C’est toujours comme ça, je joue les bravaches quand je pisse de trouille et je n’y vais pas avec le dos de la cuillère.


Les clitos me mènent au centre de la ville sous le regard médusé de pauvres hères. Hollywood ne s’est finalement pas trop planté, les rues ressemblent à celles que j’ai vues dans les films. Les maisons brunes de sable compressé, de briques d’argile et de terre glaise au toit carré, les commerces à ciel ouvert, les soies et les broderies en vente au côté de rôtisseries qui embaument l’atmosphère pesante, de placides chameaux attendant leurs maîtres, des carrioles tirées par des bœufs à longues cornes, et des gardes en arme à chaque coin : tout l’imagier, tout le pittoresque est là devant moi, devant mes yeux.


Nous arrivons sur une grande place où siège en son milieu un temple que plusieurs bâtisseurs rénovent. Plus d’un égyptologue ou archéologue donnerait cher pour être à ma place. Il pourrait ainsi enfin percer les mystères et le génie qui entourent les techniques de construction de l’Égypte antique.


Le médecin m’explique que nous sommes devant le temple d’Osiris que Akhénaton avait scellé pour qu’on ne puisse prier et vénérer le protecteur de la végétation et découvreur des céréales nourricières.


J’imagine volontiers la grandeur de ce temple lorsque les mortels lui vouaient un culte, maintenant, je constate qu’il est en ruine et qu’il faudra beaucoup d’ingéniosité et d’abnégation pour lui faire recouvrer toute sa gloire.


Arrivé sur le seuil du sanctuaire, Ahmed Ibn Fahdlan, qui n’a pas le droit de pénétrer les lieux, me souhaite bonne chance et me dit qu’il va prier pour moi.


Rassurant ce garçon !


Si l’extérieur paraissait en mauvais état, il n’en est rien dans le ventre de l’édifice. Je suis les Clitos en étant ébahie par la richesse et le luxe des différentes pièces que nous traversons. J’ai une pensée pour ma sœur Mélina, chasseuse de trésors. Que ne donnerait-elle pas pour posséder un ou deux joyaux qui foisonnent dans des jarres le long des couloirs ?


Me voilà convoquée dans une grande salle où l’or rivalise avec les sculptures en jaspe, en obsidienne, en cornaline et en turquoise. Entre les tentures, et entouré de miroirs, j’entrevois face à moi, m’attendant sur un trône un être de plus de quatre mètres à la chair verte, coiffé d’une couronne Atef, une mitre à rayures, tenant dans ses mains un fouet et un sceptre. Je reconnais le Grand Osiris, mais il me paraît complètement amorphe, incapable de se lever, ni même de lever une main. À ses côtés, à sa droite, je reconnais la belle et fidèle Isis, la sœur et femme de ce truc assis. Elle porte une coiffe surmontée d’un disque solaire autour de deux cornes de vache, toutes ailes déployées, dans un apparat de guerrière, le visage dur et les yeux me scrutant dans un défi.


De l’autre côté, fier et droit comme un i, se tient leur fils Horus, le dieu anthropomorphe à tête de faucon, protecteur des pharaons, la double-couronne Atef, torse nu drapé d’une toge qui me fait penser à une jupe, un Anhk dans les mains.


Les quatre clitoris qui m’avaient accompagnée sont congédiés d’un simple petit mouvement de main. C’est d’une voix très forte en termes de volume sonore et assez grave que Isis s’adresse à moi.



J’ai envie de lui couper la parole et lui dire que je ne comprends pas moi-même par quel prodige je me trouve face à une divinité égyptienne en pleine antiquité – je me sens si perdue.


Elle continue :



Les portes de l’entre-mondes, mission ? Je ne comprends rien de rien. Et pourquoi devrais-je m’acquitter de quoi que ce soit ? Néanmoins Isis, ne me laisse pas le temps d’y réfléchir qu’elle continue son explication.



Un silence s’installe comme si la grande Isis cherchait ses mots. C’est alors que Horus prend à son tour la parole :



Horus me laisse une petite pause pour que je digère ses révélations ; je me souviens vaguement de mes cours sur l’Égypte antique : Seth avait surpris son frère avec Nephtys, leur sœur commune et accessoirement sa femme. Suite à ce fâcheux épisode, Seth avait tué Osiris puis en avait fait du ragoût. C’en était trop pour Horus qui, pour venger son père, était parti en guerre contre son oncle.


Puis, l’anthropomorphe reprend le cours de la discussion :



Je regarde le légume assis sur le trône, le géant vert amorphe, et ne vois pas quelle partie peut lui manquer. Il a ses deux bras, ses deux jambes, un tronc, une tête… Oh ! Oooooh nooooonn…


Comme si elle avait lu dans mes pensées, Isis confirme mes doutes.



Elle m’explique alors qu’ils ont cherché dans les divers royaumes, qu’ils ont tout retourné, les sols, la mer, qu’ils ont cherché en dessous des montagnes, qu’ils ont déplacé le sable des déserts, qu’ils ont vidé le Nil, qu’ils ont détruit des temples à la recherche du sexe d’Osiris, mais en vain. Forcément, dans le royaume des morts, Osiris aura du travail pour être un tant soit peu crédible. Dans un coin de ma tête, je me dis qu’il n’y a pas que pour l’honneur d’Osiris que l’attribut sacré doit être retrouvé, j’ai une pensée pour Isis.


Je comprends enfin ma présence et surtout cette mission dont la grande Déesse m’avait parlé en guise d’introduction : trouver le pénis d’Osiris. Étant soi-disant capable d’ouvrir les portes de l’entre-monde, je peux accéder à des endroits dont je suis la seule à avoir accès.


Je comprends la logique, mais il y a un mais. Je ne sais pas comment j’ai ouvert la porte de l’entre-monde qui m’a fait voyager depuis le vingt-et-unième siècle jusqu’à l’antiquité égyptienne.



Chapitre 2 : En route



Visiblement, je n’ai pas le choix, si je ne réponds pas aux attentes que la mère et le fils ont placées en moi, une malédiction me hantera jusqu’à la fin de mes jours. Ainsi s’était clos l’entretien que j’avais eu avec ces deux divinités.


Au vu de ce qui m’arrive et de ce que je vis, je ne prends pas à la légère cette menace de malédiction. Mon réflexe aurait été d’en rire, mais être projetée dans un monde antique et faire face à des êtres supérieurs n’a rien de cartésien, aussi il me faut accepter le mysticisme comme une possibilité bien réelle.


Je ne pars cependant pas à l’aveugle, Horus m’a expliqué en long, en large et en travers ses différentes investigations, et de là en a déduit quelques possibilités parmi lesquelles une paraît plus logique que les autres : Seth.


Seth a probablement gardé le membre viril près de lui, comme ultime outrage. Les Dieux égyptiens ont un pouvoir de création limité, ils sont capables de créer des « Cocons Penetralia », des abris où ils sont invulnérables. On trouve les passages vers ces endroits intérieurs dans les temples consacrés à leur culte.


Dans cette ville, je ne trouverais pas un temple dédié au Dieu de la guerre, du chaos et des tempêtes et donc ne dénicherais aucune porte menant à son royaume. Il a hérité des terres stériles, c’est donc vers le désert de Nubie que les indices me mènent.


On me fournit un chameau, direction le sud, direction Kom Ombo. Deux jours de périple le long du Nil, j’aurais préféré une barque, mais bon, il semblerait que Sobek, le Dieu-crocodile ne porte pas Osiris dans son cœur, il me mettrait des bâtons dans les roues. Pour m’accompagner, on m’a adjoint un esclave, un Nubien qui ne porte pas de nom, je l’appelle « Hey Chose ».


Je m’attendais à parcourir des paysages arides de sable brûlant, il n’en est rien. Nous traversons des lieux luxuriants où la végétation faite de roseaux, de papyrus et de palmiers domine les premières marches du désert. Par-là, je vois les terres fertiles et humides cultivées avec soin.

Voilà bien trois heures que nous avançons sous une chaleur écrasante. Le soleil est bas, il est temps d’installer notre bivouac. Hey Chose ne se plaint pas, se contente de répondre aux questions que je lui pose, mais ne fait aucun effort pour entretenir la discussion. Nous sommes proches des berges du Nil et je sens mon compagnon sur ses gardes, à l’affût. Je prends le temps d’observer pour la première fois mon p’tit Nubien.


C’est un homme d’une trentaine d’années avec deux traces de coups de fouet qui forment un X sur le visage. Sur sa peau noire, se dessine un tatouage, la marque d’Isis, j’en conclus qu’il est un Eunuque. Son dos est constellé de cicatrices, être esclave ne doit pas être marrant tous les jours. La moindre erreur se paye cher. Je ne sais pas s’il est conditionné ou s’il est intrinsèquement serviable, mais il est aux petits soins pour moi. Il s’occupe du feu, de ma monture, et s’affaire au repas.


Je profite de ce que je n’ai rien à faire pour aller mettre les pieds dans l’eau. J’enlève mes Pataugas, manque défaillir par l’odeur. Crévindiou ! Ça sent pas la savonnette ! Tandis que je me masse les pieds au bord du fleuve sacré, je ne vois pas arriver un tronc d’arbre.


Soudain, un monstre vert de plusieurs tonnes surgit de l’eau, la gueule grande ouverte pour me croquer. J’ai un bol comme c’est pas permis, il n’aurait sans aucun doute pas raté sa proie si au même moment Hey Chose ne m’avait interpellé derrière moi. Me retournant, je me suis déplacée d’une petite dizaine de centimètres, suffisant pour que le crocodile me rate.


Hors de l’eau, je le vois dans son entièreté, un reptile de bien neuf mètres, véloce pour sa taille, il en faut de peu pour qu’il me croque dans un jambon. J’entends encore ses dents claquer en un fracas assourdissant. Je n’en ai jamais vu d’aussi énorme. Je me suis débinée à une vitesse carabinée, toutefois il me poursuit. Je cours en direction de mon Kopesh au sol près du bivouac, je sens le monstre à mes trousses, rapide le bougre !


Il est à deux doigts de me croquer les fesses !


Soudain, j’entends le son strident d’un sifflet, comme l’appel d’un maître à son chien. Je me retourne et vois le crocodile rebrousser chemin en direction de la berge toute proche. Au beau milieu du Nil, s’érige doucement telle une statue, Sobek.

Il marche sur l’eau tandis que son croco s’y enfonce pour ne plus réapparaître. Assez lentement, le Dieu de quatre mètres vient dans ma direction, Hey Chose s’agenouille, le visage dans l’herbe, le cul à l’air. Je fais face au Dieu du Nil, mon arme en main, les pieds nus qui puent (comme arme ultime).



Je ne lui réponds pas, je reste sur la défensive et me demande : comment diable a-t-il eu connaissance de mon arrivée ? Décidément, les cancans ont toujours voyagé plus vite que le son.


Ce géant n’est plus qu’à quelques mètres de moi, il ne prête même pas un regard en direction de mon compagnon qui tremble comme un marteau-piqueur.



Je lui explique que je dois joindre Seth et négocier un accord de paix.



Il me demande plus de détails sans quoi, il ne me garantit plus ma sécurité, ses petits chéris (je comprends qu’il parle de son crocodile et d’autres semblables) ont très faim. Que peut faire une Abeille contre de telles créatures ? Si j’avais une Winchester ou un FA-MAS, il pourrait goûter aux piqûres d’une abeille, mais, là, mes derniers vestiges du 21ᵉ siècle sont mes fringues et mon briquet. Je n’ai même plus ma montre.


Je ne peux pas lui dire la vérité, qu’il n’est pas question de contrat de paix ou d’une quelconque négociation, je ne peux pas lui révéler que je suis à la recherche du Pénis Divin alors, j’improvise. Je balance que Horus est prêt à céder des terres fertiles du Delta à son oncle.


Cette information fait mouche, Sobek mord à l’hameçon. Le Dieu-Crocodile est en froid avec Horus, que quelques terres du Delta soient données à Seth, le Dieu du tonnerre et du Chaos est une très bonne nouvelle pour le croco.

Enthousiasmé, il me promet un droit de passage immédiat et sans compromis.


Avant de prendre congé de ma personne, il m’adresse une nouvelle fois la parole :



Après m’être baignée sereinement, c’est autour d’un feu que je déguste le repas préparé par Hey Chose. Quoique taiseux, mon nubien est de bonne compagnie.


Loin de toute modernité, de ses ondes électriques, de ses faisceaux lumineux et de ses odeurs de goudron, je m’émerveille de cette nuit paisible où tout est silence sinon le bruit authentique de la nature, où tout est noir sinon la voûte stellaire qui m’offre un décor d’une pureté insolite. Avec la tombée de la nuit, la température est sacrément descendue et je caille comme un poulet. Cependant, je trouve facilement le sommeil et je garde l’espoir de me réveiller dans mon siècle (peut-être avec le membre de mon routier en bouche, après tout, n’étais-je pas occupée à lui faire une turlute avant ce fâcheux accident ?).


Bès, le Dieu du sommeil qui garantit à ceux qui sont sous sa protection nuits calmes et sommeil paisible a dû se pencher sur ma personne, j’ai dormi comme un loir. Qu’il est bon de se réveiller au grand jour avec des odeurs alléchantes d’un petit déjeuner déjà préparé ! Évidemment, je n’ai pas de bol de chicorée, mais ce que m’a préparé Hey Chose me convient parfaitement. Le lait de brebis, les dattes et les figues en quantité me donnent l’énergie nécessaire pour bien commencer cette journée.


Nous reprenons notre route, le soleil est déjà haut dans le ciel, Amon Ra nous sourit. Cette expédition est pour l’instant une promenade bucolique. Aucun danger ne pointe à l’horizon. Les crocodiles qui se dorent sur les berges, la gueule grande ouverte n’ont pas la moindre once d’agressivité à notre égard, ils ont probablement eu pour ordre de ne pas nous attaquer. Des ibis rouges picorent le sol, et haut dans le ciel, des balbuzards surveillent les remous du Nil.


Au beau milieu de l’après-midi, lors d’une pause, alors que nous nous sommes un peu éloignés des berges tant le chemin était impraticable, sur un sable brûlant et sous une fournaise extrême, je vois soudain une vague de dunes progresser vers notre compagnie. Elle se déplace très vite, mon chameau ne pourra la distancer et je n’oublie pas Hey Chose qui n’a pas de monture.


La vague est à présent à une vingtaine de mètres lorsqu’elle stoppe subitement sa course. Posée sur mes deux jambes, en alerte, armée de mon Kopesh, je suis prête pour l’affrontement. Du mont de sable sortent deux énormes pinces d’un noir de jais suivies bientôt du reste de l’animal.

Alors me fait face un scorpion d’au moins quatre mètres avec, au bout de la queue, un dard dur aussi gros et aiguisé qu’une dent de grand blanc.


Sa queue fouette l’air et ses pinces claquent puissamment, il est rapide pour sa taille imposante. Cependant, je suis bien plus véloce que lui et je frappe de mon arme le côté de son corps. Sa carapace est si blindée que je n’arrive même pas à l’écorcher. Si je reste juste à ses côtés, je suis inatteignable de ses pinces ou de son aiguillon de venin. Je me déplace avec lui et continue de le marteler en vain. Une bouteille n’a jamais brisé la coque d’un navire, mon Kopesh ne l’entaillera pas, c’est une certitude.


Le grand scorpion semble doué d’intelligence, comprenant que je suis à l’abri de ses attaques en restant à ses côtés, de ses huit pattes, il creuse dans le sable pour s’y enfouir et m’attaquer par-dessous. Sale bête !


Mais c’est pas bête ! Tout comme les tortues, le dos est cuirassé, mais pas le ventre ! Aussi, avant même qu’il ne pénètre dans le sable, je me jette en dessous de lui et lui enfonce ma lame dans le corps (et plus précisément dans son opercule génital) comme le ferait un couteau dans du beurre.

Le hurlement qu’émet l’immonde créature avant de passer à trépas est une obscénité dans le calme du désert. Ses viscères et son appareil à faire des bébés giclent sur mon visage, c’est dégueu, c’est à vomir. Néanmoins, je n’ai pas le temps d’avoir des haut-le-cœur que l’arachnide tombe de tout son poids, amorphe, inerte.


C’est trop con, mourir écrasée par un scorpion !


Finalement, au prix d’importants efforts, je me dégage un passage entre le sable et la bête, aidée par Hey Chose !

Libérée, délivrée, c’est décidé, je m’en vais !


Je suis dégoulinante d’hémolymphe, sorte de sang bleuté des arachnides et de sécrétions viscérales.



… Tu parles d’une expédition bucolique !


Je maugrée pour moi-même tout en me frayant un chemin vers les berges, j’avance péniblement à travers les feuillages. Je vois enfin le fleuve et lorsque je sors des arbustes, une bonne quinzaine de crocos se reposent sur un banc de sable. Pas vraiment l’idéal pour se baigner.


J’espère que la consigne donnée par Sobek de ne pas m’attaquer sera scrupuleusement suivie. Je ronchonne :



J’enjambe les monstres verts et constate qu’ils ne bougeront pas d’une écaille. Sur l’autre rive, j’aperçois de gigantesques hippopotames. Je me méfie de ces bestioles, elles sont à l’origine de bien plus d’accidents mortels que nos braves reptiles verts, c’est donc avec beaucoup de précautions que j’entre dans les eaux sacrées.


Débarrassés des immondices, nous pouvons enfin reprendre la route. Cette histoire de scorpion nous a retardés grave, nous n’arriverons pas à Kom Ombo avant la fin de la journée. Je ne suis pas pressée d’investir l’antre de Seth, mais paradoxalement, plus vite j’en aurai fini avec cette histoire de pénis, plus vite, je pourrai rejoindre mon siècle.


Rejoindre mon siècle.


Telle une claque violente en pleine gueule, je réalise avec effroi que je n’ai pas la moindre petite idée de comment cela se passera. Toutefois, je garde espoir, si je suis arrivée ici, il y a donc forcément un chemin de retour.

La nuit se passe comme la première : froide, mais paisible ; le p’tit déj : dénué de chicorée, mais goûteux.




1. Lire « Les sorcières de Lancosme »


2. Lire « Maya vs Optus » et « Maya à Kali Puri »