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n° 22320Fiche technique19124 caractères19124
Temps de lecture estimé : 14 mn
15/03/24
Résumé:  Discussion sur le regard entre un romancier et une conseillère littéraire
Critères:  fh exercice
Auteur : Samir Erwan            Envoi mini-message

Concours : Le refus
L'ironie de Mona Gaze

Mona a le regard concentré de la lectrice studieuse qu’elle est : ses yeux verts et lumineux parcourent les lignes des feuillets qu’elle tient dans ses mains raffinées aux doigts agiles. Quelques jolies bagues stylisées les enserrent. De précieux bracelets entourent ses poignets. Quelques fois, elle émet de petits bruits de bouches, comme si sa langue souple jouait dans les interstices de ses dents blanches. Ses lèvres finement dessinées le démontrent en se transformant en moue exquise, puis en relevant la commissure droite de sa bouche, creusant une fossette dans sa joue.


D’un geste leste, Mona déplace une mèche de ses cheveux noir de jais qui lui cache les yeux, elle continue sa lecture en inspirant une grande respiration, qui pourrait ressembler à un soupir, ou à ce que n’importe quel homme aimerait entendre après l’amour, lorsque les corps luisent de sueur, les cœurs emballés ensemble, qui reprennent leur constance tranquillement…


Mona poursuit la course des lettres, des mots, des phrases, des paragraphes. Quelques fois elle souligne de son stylo, d’autres fois elle entoure une partie, trace un point d’interrogation, commente de sa calligraphie en bulle. J’ai aussi un stylo et un carnet pour noter ce qu’elle me suggérera suite à sa lecture. Malencontreusement, en prenant ma tasse de thé, mon crayon roule et tombe par terre. Je me penche pour le ramasser et je remarque qu’il a feint de s’enfuir. Je tends le bras et lorgne Mona. Elle a de belles jambes, et la chance, elles ne sont pas croisées ! Des bas noirs, des talons noirs, mon œil s’immisce plus loin bien que j’aie déjà mon nécessaire d’écriture en main, est-ce bien une culotte rouge ? Elle recèle ça, Mona, cette conseillère littéraire dont mon éditrice m’a obligé à rencontrer ? Prude à l’extérieur, affriolante à l’intérieur ? Je me redresse tandis qu’elle bouge. Tout fier, je lui montre mon stylo qui avait glissé.


Mona repose les feuillets sur la table qui nous sépare :



La lumière de ses yeux verts accroche mon regard. Je me sens envahi, je ne sais quoi répondre, je fixe son nez retroussé qui lui donne un air espiègle, l’arc parfait de ses sourcils, je remarque le fin maquillage de ses cils, je ne sais comment m’y prendre avec cette fille : elle possède une prescience et une intelligence littéraire hors du commun.


Mais c’est moi l’écrivain. Pas elle.



Mona penche sa tête de côté comme pour mieux m’observer de ses yeux de jade, ses cheveux glissent sur son épaule dénudée. Seules de fines bretelles cachent son grain de peau et supportent une subtile blouse noire, avec une vaporeuse dentelle dans son col en V laissant entrevoir les arrondis de sa poitrine. Elle reprend les feuillets qu’elle avait laissés près de sa tasse d’expresso, jette son regard vert amande, comme la forme de ses yeux, sur le texte et survole une ligne de son doigt :




Je ne m’attendais pas à cette question. Je croyais plutôt que nous allions discuter du complot que les héros éventent, sur le deus ex machina qui ne doit pas être trop facile, sur les temps de verbe puisque nous sautons d’une époque à une autre… Je réponds :



Mona reproduit ce soupir, ce souffle, cette aspiration que nous, les hommes, aimerions tant entendre lorsque nous nous déshabillons devant une femme, dans une chambre d’hôtel aux lumières tamisées dans une ambiance romantique… mais cette fois-ci, la respiration de Mona semble être plus d’exaspération qu’autre chose.



Son œil me foudroie et je rétorque :



Et elle fait ce petit sourire si redoutable et ce regard en coin. De ses doigts cerclés de bagues, elle enroule une mèche qu’elle cache derrière son oreille d’où pend une boucle argentée représentant le signe de l’infini ou du serpent. Elle reprend les feuillets de mon récit et s’applique en reprenant le fil de mon histoire :



J’accepte. Mona me lit des extraits de mon dernier récit et raconte le synopsis initial :



Mona me sourit, soudainement complice :



Mona, à ce moment, applique sa main sur sa belle bouche qui forme un O d’exclamation, les yeux grands ouverts sur le texte et rajoute – oui, c’est bien du sarcasme :



Mona tourne les feuillets vers moi et me pointe le deuxième paragraphe :



Elle appuie ses coudes sur la table et me regarde profondément :



Mona semble vraiment se questionner, me questionner : « Que devrais-je voir ? La Conseillère est sublime et les lecteurs l’aimeront ! » Je dois bien réagir :



Nouveau soupir de Mona, j’aime bien lorsqu’elle agit de la sorte, ses seins se gonflent…



Mona rit, se redresse, hoche la tête de gauche à droite :



Le Romancier en effet est celui qui porte l’action dans mon histoire, c’est vrai. Il me fallait bien une narration ! La Conseillère porte son nom, elle conseille. Je n’ai pas le temps de répondre, Mona continue sur sa lancée, c’est son métier de détruire les auteurs pour améliorer leurs écrits :



Il n’y a aucune ironie, Mona répond du tac au tac et poursuit son laïus en levant le doigt et en regardant le ciel :




Je ne vois pas où Mona veut en venir, je la vois seulement se tracasser sur les mots, sur la subtilité du langage alors que nous pourrions simplement être complices, elle et moi, d’une bonne histoire.



Ma question l’ébranle, ses doigts agiles glissent sur son stylo à encre, ses fossettes se creusent avec son sourire, sa langue mouille ses lèvres :



Je me tais :



Je grogne, ne sais quoi répondre, je suis perdu et éperdu, et Mona me pointe de son stylo :



Je ne réponds pas. Je regarde le fond de ma tasse vide. Comment lui expliquer que ce désir, justement, est ce qui me pousse à écrire ? Elle me croirait pervers… Le désir d’écrire le désir : la littérature, c’est l’ordre du ressenti, rien n’est décidé à l’avance, le livre va se construire selon la mémoire, qui se transforme en futur, en vision, en imaginaire. Un objet sans cesse fuyant ; je cherche toujours l’Orbe. Mais elle a raison sur un point Mona : telle femme que je décris à la peau noire, par exemple. Si je ne précise pas cette qualité, le lecteur imaginera que cette femme est blanche. C’est ce que Mona veut m’expliquer. Le rapport de classe. Le rapport de domination. De la majorité. De la domination masculine. C’est tout le système alors qu’il faudrait changer ? Qui suis-je, moi, dans ce grand bordel ?


Mona rigole, elle déploie sa gorge, ouvre sa bouche en souriant :



Elle plante ses yeux sur moi, plus calme, posée :



Il faut que je me reprenne. C’est moi, ici, le héros narrateur de ce récit : il me faut reprendre les commandes. Mais Mona, avant même que j’aie pu en placer une, replace les feuillets en ordre, les tapote sur la table pour mieux les ranger en faisant clique-tiquer ses bijoux et m’affirme :



Mais reprends-toi, Romancier, cette femme est en train de faire ce qu’elle veut, je ne peux perdre mes bases, je ne peux tomber, tout cela est déstabilisant, je me mords les joues et réfléchis, mais pas assez rapidement. Mona insiste à prendre la parole :



Je n’en peux plus, j’explose :



Mais Mona, sûre d’elle-même, dodeline la tête de gauche à droite en signifiant :



J’aurais pu y répondre que c’est un autre que moi, mais de ne pas s’en faire, comme disait un ministre, car il y aurait du consentement, des rires, nous ne reproduirons pas une domination violente, seulement des jeux où chacun se plaît… j’aurais pu répondre aussi que : mais je n’en ai pas eu le temps.

Mona a conclu ce récit :



Et Mona se lève de sa chaise, replace ses cheveux derrière son oreille, me laisse en plan avec mes feuillets et je louche sur sa croupe, ses fesses en forme de cœur inversé, et je m’imagine y laisser une trace de ma main. Elle se retourne pour me lancer un coup d’œil derrière son épaule, un sourire présomptueux, et elle quitte la scène. Seul à table, des feuillets d’un mauvais thriller à la main, je me questionne soudainement sur mon regard…