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n° 22425Fiche technique13402 caractères13402
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Temps de lecture estimé : 9 mn
18/05/24
Résumé:  Elle était innocente, joviale et souriante.
Critères:  contrainte confession
Auteur : L'artiste  (L’artiste)      Envoi mini-message
Nous n’irons pas au bois !

Cette histoire n’est pas une fiction, en plus d’être la nôtre, nous la partageons avec un grand nombre de personnes qui restent malheureusement bien trop souvent silencieuses.

Le nom des protagonistes a bien entendu été modifié pour des raisons évidentes que vous comprendrez aisément.



Papa,

Maman,


Assis à mon bureau, j’essaie de trouver les mots justes pour vous dire adieu. Il n’y a pas de façons simples pour exprimer mon ressenti, j’ai tout de même besoin de tenter de vous expliquer, de vous laisser un fragment de mes pensées. J’ai passé de merveilleux moments avec vous, des souvenirs heureux sont restés gravés en moi… Qu’est-ce que j’aurais aimé que l’existence soit uniquement faite de ces instants si précieux !


Je ne doute pas que d’autres belles heures nous attendraient, que des chapitres inédits continueraient d’enrichir notre histoire. Cependant, la souffrance à endurer pour les vivre est bien trop lourde et atteint aujourd’hui un degré insupportable.


Je ne veux pas que vous soyez tristes. S’il vous plaît, ne pleurez pas, au contraire… souriez ! Soyez heureux pour moi, car en mettant fin à ce fardeau qui me pèse, je serai enfin libre et serein.


Je vous aime tellement,


Sébastien



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Vendredi 19 juin 2020, 18 h


Sébastien, 18 ans, et Emma, 14, sont seuls à la maison, ma femme et moi, leurs parents, étant encore au travail. L’horloge murale annonce implacablement l’heure qui s’écoule, indiquant que le week-end approche. Sébastien est plongé dans le monde virtuel que lui offre sa PlayStation, la manette entre ses mains, ses yeux fixés sur l’écran. Le son des tirs et des explosions résonne dans la pièce, créant une atmosphère intense et captivante.

À l’autre bout du salon, avec une patience qui commence à s’amenuiser, Emma observe son frère immergé dans son jeu. Elle se tient debout, son chien trépigne d’excitation à ses côtés, réclamant sa balade. L’envie pressante de son compagnon à quatre pattes la pousse à s’approcher.



Le frangin sur son jeu émet un vague murmure, signifiant d’attendre. Emma, prenant une inspiration, s’éloigne en retenant sa frustration.


Cinq minutes s’écoulent, puis dix… La jeune adolescente réalise que la patience a des limites, même pour un Beauceron. Elle revient vers son frère, tentant une approche plus insistante.



Toujours absorbé par sa partie, Sébastien réagit à peine.



Sans attendre une seconde de plus, Emma décide d’y aller… seule. Sébastien ne s’aperçoit pas de son absence.



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La toute jeune femme se met en marche, suivie de près par son animal de compagnie. Ils se dirigent tous deux vers les champs qui entourent le hameau, une routine bien ancrée. Le soleil commence à baisser à l’horizon, peignant le ciel d’une palette de couleurs chaudes et chatoyantes, annonçant le début de la soirée.

S’aventurant dans les sentiers familiers, elle croise le regard d’un homme d’une vingtaine d’années. Il n’est pas du village, mais il ne lui est pas totalement étranger, elle l’a déjà aperçu alors qu’il rendait visite à un de ses oncles. Intrigué par la présence d’Emma, il s’approche amicalement.



Un sourire sincère s’épanouit sur le visage de la tout juste adolescente.



Emma, sociable, accueille l’idée avec enthousiasme.



David et la jeune fille continuent leur trajet ensemble, partageant des anecdotes sur leur journée et échangeant des rires. Cadillac galope, renifle dans les buissons, puis repart, profitant de ce moment de liberté pour se dépenser.



Emma s’installe à même le sol, il fait de même, tout proche. Elle éprouve une drôle de sensation, elle ne saurait définir de quoi il s’agit, mais elle se sent mal à l’aise… « Très » mal à l’aise.

La promiscuité s’accentue entre les deux corps, David se montre de plus en plus pressant. Il souhaite l’embrasser, elle tourne la tête. Son stress monte. Pourquoi fait-il ça ?



Paniquée, Emma essaie de se lever, mais les bras de son voisin l’enserrent maintenant, contrariant toute fuite potentielle. Alors qu’elle tente à nouveau de se dégager, l’étau qui l’immobilise se raffermit. Elle supplie :



Ce qui suit est innommable…


Emma, pétrifiée, ne trouvera plus le courage ni l’énergie pour se défendre. Inerte et sans force, elle subira en silence, comme paralysée, la plus odieuse des agressions.


Elle était innocente, joviale et souriante.



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Emma rentre à la maison peu de temps avant nous, ses parents. Son retour passe inaperçu, son frère, inconscient du calvaire qu’elle a vécu, est encore plongé dans son univers virtuel, les yeux rivés sur l’écran. Elle se réfugie dans sa chambre, souillée, meurtrie et honteuse.


La soirée s’étire dans un silence pesant, seul le bruit des couverts sur les assiettes brise l’atmosphère. Les regards inquiets que j’échange avec ma femme se croisent, cherchant des réponses au comportement anormalement calme de notre fille. Malgré nos interrogations, la jeune adolescente reste murée dans son mutisme et s’empresse de regagner son repère dès la fin du repas.


Je sens un mélange d’angoisse et de colère monter en moi. Je me demande ce qui a bien pu arriver pour qu’elle se replie ainsi sur elle-même, mais jamais je n’imagine la gravité de la situation. « Certainement une peine de cœur, me dis-je, ça lui passera bientôt ! »


Une fois dans sa chambre, Emma se laisse tomber sur son lit, des larmes coulant silencieusement sur ses joues. Son esprit envahi par des pensées confuses et sombres cherche désespérément une issue à son tourment.


Une innocence volée, une âme meurtrie, une adolescence bafouée…



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Le lendemain, en début d’après-midi, une journée banale au travail est interrompue par un appel inattendu, un numéro masqué clignotant sur l’écran de mon téléphone. Intrigué, je décroche avec une pointe d’agacement.



Sa voix, empreinte d’anxiété, fait naître en moi un mauvais pressentiment. La mienne tremble légèrement en lui répondant…



La colère monte. Agacé et inquiet, je hausse le ton :



Le monde semble s’effondrer autour de moi. L’air se raréfie dans mes poumons, la réalité me frappant de plein fouet. Mes pensées sont confuses… des sentiments tous plus contradictoires les uns que les autres se bousculent. Ma voix s’étrangle dans ma gorge, serrée par l’angoisse.



Quand la conversation prend fin, le silence autour de moi semble assourdissant. Mes mains tremblent, mes pensées se bousculent, cherchant un sens à toute cette histoire. Mon esprit vacille entre incrédulité et espoir. Est-ce possible ? Une erreur ? Une méprise ? Une part de moi s’accroche à cette mince lueur d’optimisme, priant pour que ce ne soit qu’une horrible confusion.


Je compose alors frénétiquement le numéro de ma femme, mes doigts martelant nerveusement les touches du téléphone.



Le ton, pressant et fébrile, trahit mon inquiétude. Un instant de silence s’installe, puis un souffle retenu.



Un soupir de soulagement m’échappe involontairement. Peut-être… peut-être que ce n’est qu’un horrible malentendu ?


Je lui explique rapidement la conversation passée avec la mère de la copine d’Emma. En un murmure chargé d’angoisse, elle me répond :



Le temps paraît suspendu, figé dans un silence glacial. Puis, enfin, le bruit de sa respiration me parvient à travers le combiné. Elle semble brisée, désemparée.



Le monde s’écroule autour de moi. Ma gorge se noue. Je m’affale sans force sur mon siège.



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Dès les premiers instants, nous avons pris les mesures nécessaires en portant plainte et en honorant le soir même le rendez-vous médical imposé par la gendarmerie pour collecter les preuves. Ces démarches indispensables ont aussi été compliquées à endurer, en particulier pour Emma, qui a dû revivre l’horreur de son agression lors de l’examen.


Le processus judiciaire s’est enclenché avec les auditions, mais même si l’enquête a progressé relativement vite, la lenteur de la justice, exacerbée par la pandémie de COVID-19, a prolongé notre calvaire. Voir le violeur présumé être libéré après un an de détention préventive a été un coup dur, surtout lorsque de nouvelles victimes, de jeunes filles vulnérables telles qu’Emma, sont venues ajouter leurs voix à la sienne qui dénonçait cet homme.

À l’heure où j’écris ces lignes, la procédure est encore en cours, plus de quatre ans après les faits. Certes, l’agresseur est de nouveau incarcéré pour une tout autre affaire, mais attend toujours d’être jugé pour celle qui nous concerne… À croire qu’il est plus grave de revendre du cannabis que d’abuser sexuellement d’enfants !


Emma, dans ce tourbillon d’événements traumatisants, a dû faire face à des obstacles supplémentaires. Ses résultats scolaires ont chuté, remettant en question ses rêves d’avenir. Heureusement, ses professeurs ont été d’un grand soutien, comprenant les défis auxquels elle était confrontée et faisant leur possible pour l’aider à traverser cette période difficile. Elle a trouvé le courage de persévérer malgré ses moments de détresse intense et ses crises d’angoisse quotidiennes, alternant entre des phases de vulnérabilité et de bravoure.


Pour conclure, ma fille s’est mise à fréquenter de plus en plus régulièrement notre voisin, un jeune agriculteur, de cinq ans son aîné. Bien entendu, j’ai dans un premier temps vu d’un assez mauvais œil cette relation, surtout en raison de la différence d’âge qui les séparait. Il s’est pourtant montré d’une patience et d’une bienveillance à toute épreuve, et Emma, semblant reprendre peu à peu goût à la vie en le côtoyant, m’a rassuré progressivement.

Bien qu’elle n’ait aujourd’hui qu’à peine 18 ans, elle a emménagé chez lui depuis quelques mois. Ses résultats scolaires se sont aussi améliorés et elle est sur le point de décrocher son Bac avec mention. Elle souhaitait jadis faire médecine, elle espère maintenant poursuivre ses études pour devenir vétérinaire. « Les animaux méritent bien plus d’être soignés que les hommes », dit-elle souvent, très ironiquement.


Les blessures semblaient donc cicatriser, jusqu’à la découverte de ce courrier, posé bien en évidence sur le bureau de mon fils.


Par bonheur, il n’a pas mis ses intentions à exécution. À défaut de dévaler une falaise en voiture ou de foncer droit sur un platane, il s’est résolu à rejoindre l’hôpital le plus proche pour demander de l’aide. Il s’en voulait, m’a-t-il dit, d’avoir laissé sa sœur sortir seule ce jour-là, et culpabilisait depuis en silence. Il se sentait responsable de l’agression dont elle avait été victime… le faisant souffrir atrocement.


Comment ai-je pu passer ainsi tant de temps à côté de son mal-être ? J’aurais dû m’en apercevoir, j’aurais dû le soutenir, lui qui se flagellait à tort durant toutes ces années.


Nous avons renoué le dialogue, mais il a développé une sévère dépression qui, elle non plus, ne guérira pas si vite.



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Cette histoire, bien qu’affreuse et déchirante, est également empreinte d’une lueur d’optimisme. Elle témoigne de notre capacité à voir la lumière même dans les moments les plus sombres de nos vies. À travers les larmes, les cris et la souffrance, nous avons trouvé une énergie insoupçonnée pour nous relever. Dans l’épreuve, nous avons trouvé la force. Dans la douleur, nous avons trouvé l’espoir. Et dans l’amour, nous avons trouvé la guérison.


À tous ceux qui me lisent, je vous exhorte à écouter, à comprendre et à agir. Les violences sexuelles ne doivent pas être tolérées ni minimisées. Elles détruisent des êtres, brisent des familles et laissent des cicatrices indélébiles dans l’âme des victimes. Soyons la voix de ceux qui ont été réduits au silence.



À mes enfants, mon fils et ma fille, ils sont mon cœur, mon sang, mes trésors, mes amours.