n° 22555 | Fiche technique | 70359 caractères | 70359 11672 Temps de lecture estimé : 47 mn |
02/08/24 |
Résumé: Jules avait pensé toucher au bonheur absolu mais "l’Évènement" l’a fait brutalement plonger dans les affres de la culpabilité. | ||||
Critères: fh fffh | ||||
Auteur : Claude Pessac Envoi mini-message |
Épisode précédent | Série : L’évènement Chapitre 02 / 02 | FIN de la série |
Résumé de l’épisode précédent :
Jules a rencontré Lina, magnifique jeune femme esseulée suite à un accident dont elle garde les marques. Mais Jules ne voit que la lumière qu’elle dégage.
L’évènement : De charybde en Chti là !
La marche sur le plateau est laborieuse. Le terme plateau est un peu abusif pour désigner cet espace : des collines moutonnent le paysage et rapprochent l’horizon, bouchent la perspective des lieux dont on ne commence à appréhender l’immensité qu’en gravissant un tertre plus haut que les autres. Des blocs de basalte noir, bombes volcaniques éparpillées, hérissent leurs arêtes tranchantes, des failles sinueuses lacèrent le sol, certaines larges mais trop profondes pour qu’on en distingue le fond, d’autres, étroites où coulent parfois un ruisseau qui disparaît soudainement dans les entrailles de la Terre. Un paysage stérile, sans arbre, sans buisson, terre désolée et pourtant grandiose avec au loin, le cône fendu d’un volcan. Les herbes couchées, les lichens, les mousses, seuls végétaux résistant aux ballets incessants du vent, cachent le sol noir. Autant de creux et de bosses, traîtrises indétectables, qui vous font trébucher régulièrement. J’aurais dû emporter un bâton de marche… Le ciel est toujours dégagé mais un petit vent aigrelet me transperce malgré la doudoune que j’ai tirée de mon sac en arrivant au terme de mon ascension. Ce vent désagréable me fait presser le pas, non que j’ai hâte d’atteindre mon but mais juste pour échapper à cette bise chargée par moments de grésil picotant. Car non, je ne suis pas pressé, de moins en moins pressé, de plus en plus étreint que je suis par mes doutes, par le bien-fondé de ma visite. Il faudra que je fasse attention à ce que je vais dire, demander. Que j’arrête mes questions si je comprends que la pauvre femme n’a rien à m’apprendre, qu’elle ne détient pas LA réponse que j’espère. Non, décidément, je ne veux pas faire de la peine à une grand-mère de soixante-dix ans bien sonnés.
Je trébuche, coince mon pied dans une des indétectables brèches du sol. Je tombe. Ma cheville me fait mal. Je reste assis. Je me recroqueville, me pelotonne dans ma parka, resserre la capuche. Allez, cinq minutes de pause et ça ira mieux.
Je repense à Lina, à notre rencontre, il y a trois ans déjà…
ooo000ooo
Lina me rejoint sur le parking du Club Rubis et je suis scié ! Je ne m’attendais pas à ça : chemisier en soie lie de vin, veste et jupe crayon gris souris. Sac Hermès en bandoulière, escarpins Louboutin ou Styletto (enfin je crois, je ne suis pas un expert…) et sur le nez, des grandes lunettes rondes (j’adôôôre les femmes à lunettes !). Bref, elle a tout de la jeune cadre dynamique… ou plutôt… dynamite, en l’occurrence !
Voyant mes yeux écarquillés, elle fait mine de s’inquiéter :
Elle termine sa phrase en riant aux éclats : tu parles Charles, on ne risque pas d’apercevoir quoi que ce soit, la jupe de son tailleur lui descend presque aux genoux !
Jupe qu’elle trousse résolument en s’asseyant au volant :
Heureusement que le chemin est court car je n’aurais pas pu résister longtemps à la tentation d’insinuer ma main entre ses cuisses dorées !
En entrant chez moi, dans le couloir, puis le salon, Lina fronce les sourcils. En effet, ni les tapisseries ni les mobiliers n’ont changé depuis le décès de Mamoune : tout est bien vieillot, lourd, sombre, fané.
La chambre ! C’est bien ce qui l’intéresse justement. Je l’y mène et elle marque un temps d’arrêt en découvrant la pièce : murs clairs, parquet en peuplier cérusé, large lit moderne, grande armoire portes coulissantes à miroirs légèrement fumés, bureau design. La pièce sent le neuf : j’ai tout refait il y a une quinzaine à peine, juste après la cuisine d’ailleurs.
Lina m’offre sa bouche, se presse contre moi. Nous nous étourdissons dans une série de patins mouillés ! Sans perdre le nord toutefois : je la débarrasse précautionneusement de ses lunettes, de sa veste que j’arrive à déposer à peu près correctement sur le dossier de la chaise du bureau. Je dézippe sa jupe qui tombe sur le tapis et déboutonne son chemisier qui rejoint la veste, tout ça sans perdre une seconde le contact de ses lèvres. C’est elle qui rompt l’union de nos bouches pour tomber mon pantalon (opération express, comme de bien entendu !) alors que je quitte mon t-shirt qui vole à travers la pièce. Nous nous séparons pour que je puisse achever de me dévêtir, opération nécessaire vite expédiée : finir d’enlever son fut’ et quitter ses chaussettes vous met en effet dans des postures plus ridicules qu’érotiques.
Nus, à deux pas l’un de l’autre, nous nous détaillons mutuellement en silence. Je suis totalement bouleversé par la grâce de son corps parfait ; elle, à l’air satisfaite aussi de ce qu’elle voit et sourit largement quand son regard descend jusqu’une certaine latitude où un inconvenant relief horizontal rompt la belle harmonie longitudinale de mon corps. Une incongruité qui ne paraît pas la choquer outre mesure ! Bien au contraire !
Nous basculons sur le lit où nous nous allongeons, tournés l’un vers l’autre. Si nos bouches, éternelles affamées, se fondent à nouveau, nos mains impatientes partent cette fois immédiatement vers des zones particulièrement réceptives de nos anatomies respectives. Toutes nos zones érogènes annexes sont parcourues, fouillées, éveillées. Je découvre au passage l’hyper-sensibilité de mes mamelons, périmètres que mes voraces habituelles ont toujours négligés tant ces gloutonnes n’ont qu’une hâte : en venir au plus vite à l’unique objet de leur… concupiscence. Lina, elle, s’y attarde et y promène une langue dardée, des doigts légers, pour mon plus grand plaisir. Quant à moi, je la fais frémir délicieusement en titillant un lobe d’oreille, rire en glissant ma baveuse au creux d’une aisselle, s’émouvoir quand je pianote dans son dos jusqu’à ses salières. Nous nous câlinons patiemment et nous nous engloutissons régulièrement dans les profondeurs claires de nos regards enamourés.
Nos désirs s’exacerbent, nos mains s’affolent, avides de découvrir nos zones érogènes centrales et essentielles. Des doigts s’accrochent fermement à ma queue, entame des va-et-vient affolants ; mes doigts quant à eux fouillent la vallée ondoyante. Deux irrésistibles coquins pénètrent le chaudron bouillant, fouillent l’antre secret à la recherche sans doute de l’origine de la source incendiaire qui les noie. Des fourmillements chatoyants hérissent nos épidermes, des ondes agressives nous secouent l’échine, des petits bonheurs scintillants chavirent nos âmes. Chacune de nos postures, chacun de nos gestes, même les plus impudiques, les plus intrusifs, qui seraient parfaitement laids, vulgaires et obscènes sur un écran télé, sont pour nous nimbés de beauté, par le partage et le don de soi, la ferme volonté mutuelle de donner, qui les initient. Et sa main qui s’accroche à ma bite, et sa bouche qui engloutit mon gland, et le ciseau de ses cuisses écartelées, et mes doigts qui fourragent au plus profond de son intimité ou frôlent un certain promontoire dans le haut de la combe trempée, tout est beau, naturel, tout est offrande, cadeau ! Tout est doux et gracieux même lorsque certains gestes en viennent à être presque brutaux. Nous flottons dans une apesanteur radieuse, un océan de parfums délicats, un monde sans nuage.
Je me redresse, plonge mon regard dans le sien et lui demande doucement :
Je me glisse entre ses cuisses ouvertes, pose mon membre sur sa fente ennoyée, fais coulisser ma gaule sur la délicate corolle papillon de ses nymphes pour parachever le travail entamé par mes doigts et porter définitivement son bouton au point de rupture. Lina, je le vois bien, s’oblige à garder les yeux grands ouverts mais se mord la lèvre inférieure chaque fois que mon braquemart bouscule tant soit peu son bourgeon. Ses inspirations s’amplifient, ses expirations sont brutales et je lis dans ses yeux l’attente presque désespérée du moment où…
Elle ferme brièvement les yeux, je comprends le message.
Mon dard se présente à l’entrée dilatée du passage des secrets, y fait une timide incursion, se retire, revient plus gaillard, s’enfonce pour mieux reculer. Chacun de ces va-et-vient fait délicieusement souffrir la belle impatiente, déclenche soupirs et tremblements. À l’instant fatidique où mon pieu vient définitivement forer son passage, un spasme violent chahute son corps tout entier, corps qui se tend autant qu’il s’arque. Ses reins se creusent alors que ses seins pointent vers le ciel. Mes mouvements en elle s’accélèrent, elle gémit, souffre, ahane chaque fois que le mandrin bute au fond de la cheminée strombolienne.
Comme plus tôt dans la soirée, je la vois plaquer son poing contre sa bouche : elle crie ! Crie sans retenue aucune. Hurle son plaisir, rit, pleure presque, gémit, tremble, traversée qu’elle est par un ouragan salvateur.
Je la rejoins alors : je me lâche, j’inonde la taupinière par une succession de jets brûlants, presque douloureux mais si fabuleusement libérateurs ; mon foutre se noie dans sa mouille, ma verge palpite à l’unisson des contractions spasmodiques de son vagin. Nos plaisirs se confondent, nos orgasmes s’additionnent, notre bonheur partagé nous expulse dans une réalité parallèle où nos âmes extasiées se rejoignent. Unicité transcendante, fusion temporairement absolue…
…
Le jour était à peine levé quand je m’étais réveillé le lendemain matin. Je me souviens que j’avais été presque surpris de tenir une flamboyante érection matinale : après toutes les folies accumulées dans la nuit, j’aurais en effet compris de ne pouvoir hisser haut les couleurs ce matin-là. Mais il faut croire que, dans cette courte nuit-là, je n’avais pas rêvé d’Urssaf, de RSI ou de TVA… Enfin, sûrement pas que !
Ma belle était déjà réveillée. Appuyée sur son coude, elle constatait ledit phénomène avec un petit sourire en coin.
Lina avait lancé ses jambes en l’air, en semi-éolienne, basculé son bassin, écarté son joufflu avec ses mains, me dévoilant sa rosette fripée.
Moi, par contre, j’avais éclaté de rire !
Fini les fanfaronnades et la gouaille. C’est d’une toute petite voix enamourée qu’elle me souffla timidement :
ooo000ooo
Mais voilà, l’évènement a bouleversé mon existence.
Du jour au lendemain. En quelques secondes.
Jusque-là, tout allait merveilleusement bien. Mon boulot, Lina, je nageais dans le bonheur. Sans compter que j’étais devenu une célébrité locale : un matin, pendant ma tournée, j’avais extirpé trois gosses et leur mère de leur maison en flammes. Les journalistes ne devaient pas avoir grand-chose à se mettre sous la dent et du coup, j’avais fait la une des quotidiens régionaux et même de citations dans les journaux télévisés nationaux. Mon acte héroïque (sic) m’avait valu une médaille, remise en grande pompe, par Monsieur le Préfet de la Région Aquitaine !
Le sauvetage m’avait valu une chevelure assez largement roussie et quelques brûlures, dont une à l’avant-bras gauche dont je garde la cicatrice. Mais bon, une ridicule broutille à côté du dos ravagé de Lina.
Le dos de Lina. Elle m’avait raconté les circonstances de son accident : au cours d’une soirée étudiante, elle se trouvait juste à côté d’un barbecue quand le cuistot de service avait voulu raviver les braises en balançant des jets de l’alcool à brûler. WWAOUFF – énorme flamme qui avait embrasé son chemisier acrylique, d’autant que l’imbécile effrayé l’avait aspergé d’alcool en reculant. Torche humaine, Lina avait roulé au sol en hurlant. C’est Elaïa, la petite Elaïa, la minuscule Elaïa, pas les grands échalas qui se trouvaient autour d’elle, non, Elaïa, qu’elle ne connaissait pratiquement pas, qui avait réagi, l’avait relevée, chargée sur son dos pour courir en zigzaguant entre les tables, les chaises, les transats, les parasols, et des couillons, statufiés, qu’elle devait quasiment bousculer. Elaïa qui avait continué à courir alors que sa chevelure frisée s’était embrasée, courir pour atteindre enfin la piscine où elle avait sauté avec elle. Elaïa, l’héroïque Elaïa, dont le cuir chevelu avait été si profondément brûlé que jamais ses cheveux ne repousseraient. Elaïa, qui depuis portait perruque. Des perruques de diverses teintes, jusqu’aux plus surprenantes, qu’elle variait quasi chaque jour ! Elaïa, l’éternelle optimiste, qui avait après la réa et l’isolement, partagé avec elle pendant des semaines la même chambre d’hosto, les mêmes douleurs, les mêmes affres. La fidèle Elaïa qui avait continué à venir la voir après qu’elle était sortie de l’hosto, revenue chaque jour pour soutenir sa nouvelle meilleure amie au monde à chaque opération, chaque greffe, et ce, jusqu’au jour où Lina avait dit « Stop, ça suffit, plus de greffe, je rentre chez moi ! Je ferai avec ! ». Alors, avec un petit soutien financier de leurs familles respectives et des petits boulots, les deux étudiantes s’étaient trouvé une coloc et avaient repris la fac. Elles avaient travaillé d’arrache-pied pour finir brillamment leurs cursus. Les deux filles ne s’étaient plus quittées.
Quand peu de temps après, Lina m’avait demandé – éventuellement, je ne veux pas t’obliger –, si j’acceptais de louer l’autre moitié de la maison à son amie, je m’étais fâché tout rouge :
Oui, la vie était belle !
Jusqu’à l’évènement.
Il n’y a que moi pour nommer ça de cette façon. Les autres, tous les autres, parlent de l’accident. Pas moi, je n’y arrive pas. L’évènement. Trop de questions, d’interrogations qui me hantent, d’incompréhensions, m’empêchent de vivre pleinement. D’aimer pleinement ma vie.
Dans un premier temps, j’ai perdu tout souvenir de ce moment. Le traumatisme. Lorsque les gendarmes sont arrivés, que l’un d’eux s’est avancé vers moi, l’adrénaline qui me maintenait debout jusque-là, l’adrénaline s’est dissipée d’un coup. Je suis tombé. Dans les pommes. À la renverse. La tête dans l’accotement herbeux. Pas de bol, alors qu’il n’y a déjà pratiquement plus de bornes kilométriques le long de nos routes, il a fallu que je tape direct sur un des derniers pavés hectométriques de cette départementale. Évanouissement, traumatisme crânien. Sédation profonde.
Au lendemain de mon réveil, le gendarme Maroud est venu m’interroger mais je n’ai été capable de répondre à aucune de ses questions. Le trou noir, l’absence totale. Il a bien essayé de réveiller mes souvenirs, mais rien n’y a fait : quelques petites secondes de ma vie avaient disparu. Un tout petit trou dans le film de ma vie mais qui m’a paru être un abîme sans fond, comme si on m’avait amputé d’une partie de mon cerveau.
Qui, quoi ? Menacé ? Pourquoi menacé ? Je n’avais aucune réponse à lui donner et les hypothèses qu’il échafaudait ne faisaient que m’égarer davantage.
Bienveillant le gendarme ! Prêt à trouver les raisons qui me dédouaneraient de toutes responsabilités ? Je crois bien que ma récente célébrité, ma médaille du courage et du dévouement m’a aidé dans cette affaire : je n’ai même pas été poursuivi pour non-maîtrise de mon véhicule. J’avais freiné, les traces sur la route en attestaient, le camion avait fait une embardée quand j’avais tiré aussi le frein à main et le moteur avait calé, petite quatrième engagée dans la boîte.
L’enquête, dont on ne m’avait pas tenu au courant, avait connu une conclusion officielle aussi inattendue que surprenante : meurtre prémédité, la victime ayant été poussée volontairement sous mes roues par une tierce personne !
J’avais beau n’avoir aucun souvenir de l’évènement, je n’ai pas cru une seconde à cela. Lina avait émis alors l’idée que cette conclusion permettait l’organisation à la hâte d’une cérémonie protocolaire, Marseillaise, remise de médaille et attribution d’une pension à la veuve. « C’est toujours ça pour la pauvre femme ! ». Et quand bien même des souvenirs me revenaient à un moment ou un autre et infirmeraient la thèse officielle, il serait trop tard : mes propos seraient gentiment étouffés… En bref, mon amnésie arrangeait bien les autorités.
J’avais beau être dans le vide totale, j’avais tout même une image en tête dont je ne savais si elle était un souvenir ou si elle ne résultait simplement du corps vu sur le macadam ? La silhouette d’un homme, tout de noir vêtu, des pieds à la tête jusqu’à son bonnet noir.
Ce bonnet avait été retrouvé par les gendarmes.
Mais pas la tête de la victime. Son corps oui, presque entier, à peine quelques fractures aux épaules repérées à l’autopsie. Mais pas la tête, pas son cerveau du moins. La voûte crânienne avait littéralement explosé dans le choc. Des morceaux d’os avaient été recueillis çà et là, la partie basse de son visage était restée presque intacte, mais pas son cerveau, quasiment pas de matières… molles. Vaporisées. Introuvables. D’autant que le déluge qui s’était abattu sur les lieux, juste avant l’arrivée des premiers gendarmes, avait nettoyé la scène, évacué ces parcelles dans le ru qui s’était spontanément formé dans le bas-côté. Sans papiers sur lui, l’identification de la victime aurait sans doute pu prendre un peu de temps. Le holster ouvert et vide qu’il portait avait intrigué les fonctionnaires, mais le numéro de série de son arme retrouvée dans le bas-côté avait donné la clé : l’homme était policier ! Un policier en mission d’infiltration !
Mais que faisait-il là, ce flic, dans le noir, à trente kilomètres de Pau ? Et pourquoi m’aurait-il menacé d’une arme ? Moi, qui ne le connaissais pas ! Lui qui ne me connaissait sûrement pas plus !
Quinze jours après l’évènement, j’avais fait un premier cauchemar dont je n’avais gardé en mémoire que quelques bribes à mon réveil. Quelques flashes qui m’avaient secoué, d’autant que je n’allais déjà pas très fort : tuer un de ses contemporains, que vous soyez responsable ou non, ça vous secoue un homme ! Un traumatisme abominable qu’on ne peut souhaiter à personne.
Puis, plusieurs fois par semaine, ce mauvais rêve s’était répété, dévoilant un peu plus d’images, disparates, incompréhensibles. Insensées. Puis, les éléments de la scène s’étaient précisés, mis en ordre jusqu’à former un film, au déroulé haché et précipité comme les films noirs et blancs cahotants du début du cinématographe. Cependant, il manquait toujours une séquence. Centrale. Une, peut-être deux ou trois, cinq secondes seulement mais dont je pressentais qu’elles étaient essentielles.
Puis, un dimanche matin, quelque trois mois plus tard, je m’étais réveillé, en sursaut, une fois de plus. Le cauchemar. Mais cette fois, le film était complet. La fameuse séquence absente était parfaitement claire, comme inscrite sur la rétine de mes yeux. Une image choquante, incompréhensible, qui apportait une réponse inattendue et posait immédiatement une nouvelle question : pourquoi ?
Lorsque vers 8 h 30, Lina, tout ensommeillée, était sortie de notre chambre, elle m’avait trouvé, debout, immobile devant la fenêtre, les yeux dans le vague. Elle était venue ronronner dans mon dos.
Sans me retourner, je lui avais raconté le film, image par image, scène par scène. Lina avait réagi au quart de tour.
Mon gendarme : Baroud, le brave gengen qui m’avait aidé, soutenu pendant l’affaire. Baroud, qui depuis avait pris une retraite anticipée à cause de très sérieux problèmes de vision, mais qui était venu me voir plusieurs fois depuis. Les conclusions de l’enquête, dont sa brigade avait été dessaisie pour passer dans les mains de la S.R. de Bordeaux, ne le satisfaisaient pas plus que moi et il venait chez nous régulièrement pour recueillir les nouvelles bribes de souvenirs qui me revenaient peu à peu, pour les disséquer avec moi.
Bien qu’il soit encore tôt, j’étais allé chercher Baroud qui habitait à deux pas de chez nous. Je lui avais pris le bras, lui, sa canne et arrivés à la maison, je lui avais raconté le film en détail.
Comme Lina avait demandé laquelle, il avait embrayé :
Lina était tout ouïe. Sagement assise sur le canapé, pile en face de moi, elle suivait du regard le bonhomme qui arpentait la pièce de long en… long. Elle avait passé une adorable robe rouge (le rouge rehausse son teint caramel), assez scandaleusement courte et je me doutais bien qu’elle ne portait strictement rien dessous, comme c’était son habitude à la maison. Ma Lina devait être excitée par la situation et je voyais pointer ses tétons sous la fine étoffe moulante. Spectacle toujours agréable et somme toute bien innocent mais, la connaissant, je redoutais, qu’à un moment ou un autre, adoptant une position différente, elle ne finisse par dévoiler un peu trop sa nana… tomie ! Non que j’ai craint que le gendarme miro voie quoi que ce soit alors mais parce que moi, je voulais rester concentré !
Baroud s’était interrompu quelques instants, se plantant devant Lina. Le bigleux, en quelques semaines seulement, avait déjà pris l’attitude des aveugles : menton en avant, regard vide levé vers le haut. Il y avait donc peu de chances qu’il aperçoive la figoulette de Lina : l’indécente tentatrice qui s’était d’abord assise en tailleur, avait en effet libéré sa jambe gauche pour la plier à la verticale, calé son pied sur l’assise afin, penchée en avant, de poser son menton sur son genou que retenait ses deux mains croisées sur son ménisque. Une posture genre étudiante hyper attentive, qui pouvait témoigner de sa concentration extrême sur le discours du gendarme, d’autant qu’à cet instant, jambe gauche penchée à droite, sa robe et ses cuisses serrées masquaient grosso modo son entrejambe. Mais, et je n’en avais pas été étonné, dès que le bonhomme avait repris sa déambulation, mon infernale exhibitionniste avait basculé sa jambe de l’autre côté : du coup, j’avais plein phare sur sa combe enchantée ! Et dès lors, c’était parti : selon la position de Baroud, droite gauche, gauche droite, un coup j’te vois, un coup j’te vois pas, mouvements accompagnés des mimiques assorties, sainte-nitouche super attentive ou démone lubrique glissant une langue affolante sur sa lèvre supérieure. Le coup de l’essuie-glace ! In-fer-nal !
J’exposais alors la théorie qui m’était venue à l’esprit. Marcelin Baroud acquiesça, dodelinant du chef tout le temps de mon exposé.
Lina, qui me fixait, était rayonnante, fière de son bonhomme futé. Pour me féliciter (?), la petite rouée glissa une main entre ses cuisses, index tendu, pour déplier ses nymphes rosées et luisantes. Oh non, Lina, stop, tu vas me rendre dingue ! lui hurla mon regard.
Récupérant sur la table de salon le dossier qu’il avait apporté, il en extirpa un plan de cette ville et nous désigna la zone.
Je restais un moment à réfléchir.
Lina opina vigoureusement du chef tout en tirant une langue haletante ! Saleté d’obsédée !
Nous avions continué à discuter une bonne partie de la matinée : une idée saugrenue en entraînant une autre, plus sensée, nous avions entériné le fait que je me lancerai bien dans l’apprentissage de l’islandais, avec une bonne méthode et même une prof. Baroud connaissait l’existence d’une Islandaise mariée à un gars de coin et habitant à douze kilomètres de chez nous. Il me donnait un an et demi, deux ans grand maximum pour me débrouiller correctement dans cette langue et si ça ne marchait pas, on envisagerait une autre solution. L’essentiel était que nous étions d’accord sur un point : Halte au feu – on se calme – y a pas le feu au lac ! Même si mamie Nova n’était plus de première jeunesse…
Baroud avait pris congé peu après dix heures. Il était temps, avec toutes les provocations perpétrées par ma coquine, je n’en pouvais plus ! Comme je me préparais à raccompagner l’ex-gendarme chez lui, il avait protesté :
Se tournant vers nous au moment de franchir le seuil, il ajouta en levant sa main droite, index tendu, comme s’il allait nous énoncer une maxime définitive :
Là-dessus, il tourna les talons et partit en rigolant franchement.
Lina referma la porte très vite et s’appuya contre elle, yeux écarquillés, bouche ouverte. Elle était toute rouge.
Elle afficha un air penaud.
Elle, évidemment, fit sauter le bouton de mon futal
Léna me plaqua ses lèvres en guise de réponse : un furieux patin asphyxiant !
Lena plaqua résolument ses épaules contre la porte mais avança ses pieds, ouvrit ses cuisses en basculant son bassin vers l’avant et appuya fortement sur mes épaules pour que je tombe à genoux :
Ben voilà, suffisait de commencer par ça ! J’avais noté la liste des dix commandements, au cas où, et m’exécutais avec grand plaisir et célérité. Vite, car j’avais bien compris que l’intermède serait bref. Il y avait urgence ! En fait, sitôt que j’avais eu l’idée sotte et grenue de glisser trois phalanges à l’entrée de sa bonbonnière, la belle affamée m’attrapa sous les aisselles, pour me faire remonter cette fois.
M’introduire en elle ne fut pas une difficulté, tant sa chatière était dilatée et trempée. À chaque coup de boutoir, sa tête faisait résonner notre porte d’entrée mais visiblement, elle n’en avait cure. Elle précipitait brutalement son bassin vers l’avant chaque fois que ma queue reculait pour prendre un nouvel élan ravageur ! Très vite, je la sentis traversée par les courants électro-sismiques annonciateurs de la transe ultime. Transe qui arriva très très… trop vite ! Ses yeux écarquillés se fermèrent, son corps, totalement arqué se figeât un instant avant qu’un cataclysme ne la fasse vaciller et lui coupe les jambes. Je la rattrapais avant qu’elle ne s’effondre, pour lui conserver encore notre connexion intime.
Bien que largement excité par ses inconvenantes provocations de la matinée, je ne réussis pas à l’accompagner, ce qui somme toute, me réjouissait plutôt : j’imaginais, sottement sans doute, que lui conserver ma quille bien raide et palpitante dans son conduit pouvait lui apporter quelques satisfactions supplémentaires. On est un peu con, nous les hommes, au sujet des soi-disant « pouvoirs » de notre « magic twirling baton » (in english dans le con-test) ! Plaquée contre mon corps, Lina avait joui silencieusement, sans cri, sans gémissement, pétrifiée dans une apnée interminable : un épisode du Grand Bleu ?
Quand elle reprit sa respiration, que les brumes ouatées de son extase se furent dissipées, elle m’étourdit de baisers amoureux. Je la voyais prête à parler mais l’en empêchait en m’écartait un peu d’elle et affichait un air contrarié. Faisant semblant de consulter un certain chronomètre dans ma main, je raillai :
Elle rit, rire cristallin qui illumina jusque son regard mutin. J’étais, comme toujours, subjugué par l’harmonie de ses traits encore enluminés par l’extase, ému par sa beauté parfaite et pourtant si simple, nature. Désarmante.
Je plantai mon regard dans le sien avant de me jeter dans le vide.
La belle se figea, écarquilla ses grands yeux pour finalement me balancer :
Son ton était à la fois ahuri et quasi agressif. Elle avait détaché les dernières syllabes avec force.
Ce n’était pas exactement la réponse que j’espérais ! Quel imbécile j’étais ! M’enfin, j’aurais dû enfermer ses mains dans les miennes et mettre un genou à terre ! Respecter le protocole, quoi ! Tremblant comme un gamin, je réitérais ma demande, en y mettant plus de formes, de conviction et toute ma sincérité.
Ma compagne resta figée quelques instants encore, puis je vis ses yeux s’embuer, son corps se détendre. Juste avant de me sauter au cou pour m’embrasser fougueusement. Ce baiser aurait pu m’asphyxier mais la formidable goulée d’air que j’avais avalée juste avant qu’elle ne me bâillonne m’aurait sans nul doute permis de tenir des… heures en apnée ! Re-Grand Bleu ! Puis, le baiser torride s’effaça, laissant place à un autre, tendre, délicat, délicieux chamallows, puis d’autres encore, légers, appuyés, furtifs, simples bécots, patins, papillons… Le plus important pour moi, le plus grisant, le plus étourdissant, était que tous ces baisers étaient entrecoupés par des « oui », timides d’abord, puis montant crescendo jusqu’au bouquet final, presque hurlé : « OUI – OUI – OUI, JE LE VEUX ! »
À travers l’imposte de la porte d’entrée, un soleil vainqueur nous nimbait d’une aura magique, les fines poussières en suspension dans l’air scintillaient comme de minuscules étoiles. Le sombre couloir vieillot s’en trouvait métamorphosé en une scène féérique où deux danseurs ivres tanguaient tendrement et heureux.
J’avais réalisé, plus tard, que j’aurais franchement pu choisir un décor plus approprié, à la hauteur de l’évènement mais que je m’en étais finalement bien sorti : où donc notre nudité biblique aurait-elle pu mieux exprimer l’immensité de notre simple et évident bonheur ?
Nous nous étions bercés longtemps dans cette faille temporelle, soulés de je t’aime enamourés. Longtemps. Jusqu’à ce que nos corps, affamés par nos mains indiscrètes, que nos peaux confondues n’en viennent à hurler notre désir. Je finis par rompre notre harmonie extatique par une question volontairement in-con-ve-nable.
Elle ne me laissa pas finir, attrapa en riant son bon diable par la queue (houlà, doucement !) et m’entraîna vers la chambre.
ooo000ooo
J’approche de mon but. La maison, contrairement à celles blotties les unes contre les autres, en bas, dans le fjord, ne comporte pas d’étage mais est beaucoup plus large. Ou longue, comme on voudra. En bois, elle est d’un rouge rubis très flashy, d’autant que les planches de rives du toit engazonné, les poutres d’angles, d’encadrement de portes et de fenêtres et toutes ses huisseries sont blanches. La dépendance qui la jouxte est assortie à l’habitation principale. Ma logeuse m’a prévenue : pendant des décennies, cette maison isolée sur la lande haute était une ferme auberge où les promeneurs dominicaux se pressaient pour déguster dans une joyeuse ambiance des spécialités typiques (dont l’énumération ne m’avait pas du tout fait saliver !). Mais à la mort de son époux, Ingunn avait cessé cette activité, vendu ses bêtes et loué ses terres d’en bas. Rien n’avait changé toutefois dans l’aménagement de l’ex-auberge et la brave femme continuait d’accueillir avec plaisir les randonneurs assoiffés, offrant café, thé ou eau fraîche, voire une tranche de Flatkaka (rien que le nom m’amuse…), un gâteau genre pain de seigle. Du léger, du moelleux quoi !
Je tire vers moi la première porte, pousse la seconde qui fait tintinnabuler une clochette très sonore. Un instant plus tard, la porte au fond de la salle s’ouvre, livrant le passage à… une souriante jeune femme, mignonne, blonde, coupe au carré avec une large mèche rouge qui masque en partie son œil droit. Entre vingt et trente ans ? D’accord, je ne suis pas très doué pour évaluer l’âge des gens mais il est évident que la donzelle ne titre pas dans les soixante-quinze ans. C’est clair, il ne peut s’agir d’Ingunn.
Je réponds à son bonjour :
La jeune femme, souriante de prime abord, fronce résolument les sourcils et pince ses lèvres en s’approchant. Bon, d’accord, mon accent n’est parfait mais justifie-t-il l’air chiffonné qu’elle affiche ? Et cette façon qu’elle a de me dévisager…
Décontenancé par son attitude, je lui demande presque en m’excusant si je pouvais avoir un café :
Trop contente sans doute de m’avoir surpris, elle me répond avec un large sourire cette fois :
Et moi, je suis… scotché !
Hein ? Quoi ? Comment ? Pardon ! Keske ?
Quand elle revient avec sa cafetière et deux tasses, je suis encore et toujours dans le même état d’hébétude !
Tout sourire, elle s’amuse de mon trouble. À moins qu’elle ne se foute ouvertement de ma tronche ?
Un double-decker bus, précipité d’un 46e étage d’un building (et qu’on ne me demande surtout ce qu’il foutait là-haut le british red autobus), me tomberait sur le haut du crâne à cet instant que je ne serais pas plus assommé !
Bon sang, mais c’est bien sûr - c’est évident – il y a quinze jours… à Pau ! Normal, une ch’timi qui me croise, régulièrement… à Pau. Houlà, c’est que j’ai sérieusement besoin de me détendre le burnous, mollah… euh… moi – là !
Mon évocation saugrenue du sketch de Muriel Robin la fait éclater de rire ! Moi, je souffle un peu. Temps mort : je remets mon cerveau dans le bon sens !
Elle hausse les épaules, me sert une moue consternée. Un frisson me parcourt l’échine : elle veut se venger ! C’est ça, elle est venue s’installer à Pau pour se venger, m’éliminer ! Je désigne mon café que je n’ai pas encore touché :
Elle rit, plus fort encore que précédemment.
C’est alors que son sourire disparaît :
Je ferme les yeux, dans l’attente de l’uppercut qui va m’expédier au tapis : Lina, viens me rejoindre ! Tou’suite, comme tu dis !
Je suis sur des charbons ardents, priant pour que le barbecue infernal qui m’incendie les joues et les oreilles ne m’explose pas à la gueule. Lina, surtout Lina, Lina ne voudrait pas ça !
J’acquiesce en soupirant, déconfit : elle aurait quand même pu me le dire, cette satanée Audur !
Gwen prend une profonde respiration. Son visage est grave.
Je n’ai pas le temps de réaliser qu’elle a déjà enfilé une parka pendue au porte-manteaux de l’entrée et que les deux portes claquent. Quelle énergie !
Je suis dans le gaz, dans le coaltar. Je sens que quelque chose va se passer qui pourrait bien dénouer l’affaire et s’il y a peu, j’étais sur des charbons ardents, maintenant, je crois bien que j’ai le cul carrément sur le barbecue ! Insupportable ! Non vraiment, ce suspens est une torture ! Je dois absolument penser à autre chose pour ne pas devenir dingue !
Pense à ta volcanique épouse, ça te rendra le sourire » m’avait glissé Gwen avec un clin d’œil appuyé.
Volcanique épouse ? Parce qu’elle sait ça aussi ? Et elle affirme qu’elle ne nous a pas épiés ? Tiens donc ! Bon d’accord, il suffit de croiser Lina en ville un samedi ensoleillé, haut perchée sur des talons ahurissants qui lui font joyeusement remuer du popotin, mini-jupe ras-le-bonbon fluo (la jupe, fluo, pas le bonbon !) et seins nus sous un chemisier presque diaphane, pour comprendre que cette insolente provocatrice n’a pas froid aux yeux. Plutôt le feu au pétard ! Sacrée minette ma Lina, ma femme adorée, épousée cinq mois après ma demande pour le moins singulière dans le décor nullissime d’un vieux couloir poussiéreux.
Si je n’oublierai jamais notre rencontre au soir de mon vingt et unième anniversaire, je ne perdrai pas davantage le souvenir de nos élans, de nos tendresses, de notre liberté naturelle dans ce matin-là. Non plus que les aveux et confidences que Lina m’avait glissés à l’oreille, voire assenées, après m’avoir « traîné » jusqu’à notre lit…
…
Je lui sais gré d’utiliser ma formulation mais je la reprends aussitôt :
Lina laisse échapper un immense soupir de soulagement qu’elle parachève par un doux baiser. Elle est soulagée, autant que moi. Elle a compris que notre discussion de ce matin, la nouvelle hypothèse, m’a libéré d’un énorme poids, a balayé mes malaises.
Comme je ne réponds rien, elle poursuit :
Comme je la regarde complètement ahuri, elle poursuit :
Rigolard, je la coupe :
(Note : Belbèse ou Belbèze-en-Lomagne : petite commune du Tarn-et-Garonne habitée par les belbèsiens et les belbèseuses, euh non pardon, les belbésiennes !)
ooo000ooo
Doucement, la jeune femme prend mes mains dans les siennes au travers de la table. Elle m’explique, la mission. Je lui dis que je suis au courant.
Gwen marque un temps d’arrêt, prend une profonde respiration. Ses doigts se crispent sur les miens.
Des larmes silencieuses coulent sans discontinuer sur ses joues.
Gwen lâche finalement mes mains, s’excuse de m’avoir broyé les phalanges et m’adresse un timide sourire. Cette pauvre risette a moins le mérite de tarir ses larmes.
Elle en a fini, elle a vidé son cœur.
Rien de ce qu’elle m’a dit ne m’a réellement surpris. J’en reste pourtant étourdi. Et partagé. Dois-je lui raconter mon rêve, mes souvenirs. Cela ne raviverait-il sa peine, l’amplifierait ? D’un autre côté, n’a-t-elle pas droit à l’entière vérité ?
La jeune femme décèle mon trouble, ressent les interrogations qui me chamboulent.
Le mouvement d’épaules et la moue que je lui sers lui font comprendre que non. Avant qu’elle ne parle, je lui fais signe de m’accorder quelques secondes de réflexion.
Je prends mon élan :
Gwen s’est remis à pleurer, silencieusement, mais un sourire rayonnant illumine ses traits apaisés. Elle se lève doucement, chancelle un peu. Je me lève vivement pour la serrer contre moi.
ooo000ooo
Ce soir-là, Gwen m’a demandé de rester avec elle, de ne pas la laisser seule. Le lendemain, avec son voisin, nous sommes redescendus dans le fjord. J’ai réglé mon séjour à ma logeuse, puis le voisin nous a conduits à un aérodrome où un avion régional nous a ramenés à Reykjavik. Vol Icelandair jusqu’à Paris, puis un low cost jusqu’à Bordeaux-Mérignac où Lina nous attendait. Émotion, larmes et tendresses rapidement suivies de sourires et rires pendant le trajet en voiture. Nous avions ramené notre invitée chez nous, Lina l’avait prévenu qu’elle dormirait dans notre chambre d’amis ou chez Elaïa.
Non mais Lina, franchement, déjà que la question de Gwen laissait supposer qu’elle avait flairé quelque chose, tu aurais pu éviter « petite rouée » et la suite ! Si lui restait un doute, elle est fixée maintenant !
Ma tête, suite à cette information, l’avait fait bien rire ! De même que Gwen !
Non mais, déjà complices, ces deux-là ? Ça promet !
Notre Elaïa finalement avait su se tenir ce soir-là et sa tenue de serveuse n’était juste que gentiment sexy : sous son tablier blanc en dentelles, elle portait une simple robe noire, largement plus courte que le tablier certes, mais décente. La soirée s’était déroulée dans une ambiance détendue sans (presqu’) aucune allusion, blague ou invite grivoise.
Dans les temps qui ont suivi, Gwendoline est devenue une habituée des lieux. Notre amitié s’est rapidement muée en une complicité décomplexée. J’ai observé au fil de ses visites que la blonde solitaire se mettait rapidement au diapason de mes deux complices de jeux : jupes raccourcies, chemisiers de plus en plus diaphanes…
…
Un dimanche, pluvieux, nous l’avions invitée pour midi. Avant qu’elle ne débarque, Lina et Elaïa ont déboulé dans la cuisine où je surveillais la cuisson d’une canette à l’orange. Les coquines avaient revêtu des tenues strictement identiques, totalement rouges : depuis leurs chaussures à talons jusqu’à leurs chemisettes, non boutonnées, simplement nouées au-dessus du nombril, en passant par leurs affolantes extra-mini jupettes moulantes. Chacune arborait en outre sur la cuisse droite une jarretière ornée d’un cœur rouge et dans leurs perruques de bouclettes noires, un nœud, évidemment aussi rouge que leurs bouches en cœur.
Découvrant le tableau, je me mets évidemment à hurler comme le loup de Tex Avery, langue pendante, yeux exorbités et tambourinant de mes poings sur la table de la cuisine !
Les adorables duettistes secouent la tête en agitant sous mon nez leurs index moqueurs !
En chœur les deux fofolles se mettent à chanter :
Je secoue la tête, désespéré : mais qu’est-ce qu’elles chantent faux ! C’est insupportable !
Puis, reprenant un semblant de sérieux, je les interroge :
Elles me refont le coup des index agités sous mon nez tout en échangeant des œillades complices.
La sonnette retentit, mes deux fofolles filent en riant vers le salon où, allant vers l’entrée, je les vois sauter dans notre tout nouveau canapé Pullman ! J’ouvre la porte et me retrouve face… à un petit Chaperon Rouge qui vient donc tout juste de tirer la fameuse bobinette : c’est Gwen évidemment, enfouie jusqu’aux yeux sous la capuche d’un ciré rouge.
Heureusement ? Bof, j’ai dû mal comprendre…
Là-dessus, elle me colle une bise… sur les lèvres (!) et passe au salon sans enlever son vêtement mouillé. Face à moi et aux deux Betty, sagement assises, elle déboutonne lentement les quatre boutons du ciré, avant brusquement d’en écarter les pans et de le laisser tomber au sol.
Elle est exactement vêtue comme ses sosies ! À un détail près :
Gwen a donc traversé la ville en bus… craquotte à l’air sous son très court ciré ! Tu m’étonnes qu’elle ait préféré rester debout dans le bus !
Alors qu’elle embrasse voracement ses compagnes, je réalise que, oui, j’ai vraiment bien fait d’éteindre le four ! Et je n’essaye même pas de comprendre comment on en est arrivé là. Si vite ? Vite, car c’était inéluctable connaissant ma Lina ! Je l’avais laissée seule avec Gwen et Elaïa vendredi soir à cause d’une réunion barbante, j’imagine bien que ç’a été plotting party, dans tous les sens dessus-dessous sans dessous et traductions du verbe Grand-Breton… Ah, les adorables garces !
…
Nous n’avons pas réussi à migrer dans la chambre, du moins pas pendant les premiers rounds. Quand, après les simples mixtes, notre canapé s’est finalement trouvé trop exigu pour nos ébats, la table basse a été exilée vers le couloir, libérant ainsi sur notre épais tapis l’espace nécessaire et suffisant à la pleine expression de la liberté très inventive de notre quatuor.
Ce jour-là, j’ai soigneusement évité les pièges décrits par ma douce quelque temps plus tôt. J’ai su gérer au poil près les préliminaires, accélérer le mouvement quand il le fallait, ralentir et surtout, marquer les pauses nécessaires ! Pauses extrêmement revigorantes dans lesquelles mes trois poulettes déchaînées, se passant bien de moi alors, expérimentaient des enchaînements acrobatiques des plus originaux !
Un à un, deux à deux, trois partout, quatre à quatre… pattes, cinq à… je ne sais plus trop. On dit souvent que quand on aime, on ne compte pas… et j’ai vachement aimé ! Mais alors… vachement ! Ce que je sais aussi, c’est que j’ai bel et bien prouvé ce jour-là que je n’étais ni un nullard ni une p’tite bite !
NoooON MAIS !