Résumé des épisodes précédents :
Chapitre I – La Genèse : une tranche de vie… quelques souvenirs aussi ! Le passé qui refait surface.
Chapitre II – Le Retour : tout revient à la surface. Les rancœurs, et les souvenirs… jamais rien ne s’efface.
Chapitre III – Les retrouvailles : le poids des mots, moments intenses et pour finir… la flamme qui naît ou renaît ?
Le décrassage rapide est entaché de baisers que chacun s’efforce de dispenser à son complice. Une manière particulière de garder vive la flamme qui les consume. Ensuite, il est temps de regagner le village et le domicile du couple qui héberge Agnès. Sont-ils attendus ? Vraisemblablement, puisque la porte s’entrouvre sur un Alain souriant. Les deux hommes se serrent la pogne et une réconciliation surprenante se fait jour. Yolande et son fils sont des observateurs privilégiés de cette paix qui se déroule sous les yeux d’une brune dont tous devinent qu’elle n’est pas étrangère à cette réunification. Les mecs s’expliquent dans le salon pendant que les dames préparent un repas « à la bonne franquette ». Quant à Clément, prudemment, il s’est retiré dans sa chambre. Pas question qu’il s’implique dans des histoires de « vieux ».
Dans la cuisine où Yolande et son invitée tambouillent, les oreilles tentent de capter la moindre parcelle de ce que se racontent les deux bonshommes. Curieuse tout de même, l’épouse d’Alain s’enquiert de l’occupation du temps par ceux qu’elle a laissés en tête à tête là-haut, sur la montagne.
- — Vous vous êtes parlés toi et Michel, au moins ? Tu sais Agnès, je suis si contente que nos deux gaillards fassent la paix. Alors… raconte ! Comment tu as décidé ce grand dadais de descendre nous voir ?
- — Oh… il est assez grand pour décider tout seul. Nous n’avons rien fait de spécial…
- — Ouais ? Tu as une mine plutôt réjouie… allez ! Dis-moi… c’était bien au moins ?
- — Mais quoi donc ? Enfin Yolande… si je te dis qu’il ne s’est rien passé…
- — Tsst ! Tsst ! Ne me raconte pas de fadaises. Je vois bien que tu respires le bonheur depuis que tu es revenue ici… il t’a fait du bien ? C’était bon ?
- — Pourquoi veux-tu savoir de tels détails ? Je n’ai rien à raconter… tu veux que j’épluche les oignons ?
- — Oui… ça va m’éviter de pleurer sur mon sort. Tu sais, j’ai tout de même le cœur un peu serré. Je l’ai aimé aussi ce grand escogriffe. Mais je n’ai jamais fait le poids face à toi… Je suis certaine que de son côté, Alain va aussi avoir des regrets.
- — Tu dérailles là ! Tout de suite les grands couplets sur l’amour et tout le toutim… je me contente de vivre le présent, sans jamais songer à des demains qui ne seront sûrement pas aussi enchanteurs que tu l’imagines.
- — Pourquoi ma belle ? Tu as l’intention de le laisser à nouveau se morfondre tout seul dans sa bicoque ? Je devine que tout ce qu’il a refait, réparé, chez sa mère n’avait qu’un seul but…
- — Quoi ?
- — Te recevoir le jour où… lui savait bien que tu reviendrais… et il t’a attendu durant des années. Ne nous le détruis pas une seconde fois. Il a durement payé ton long silence. C’est un type droit et brave.
- — … ? Tu me prends pour qui ? Pour quoi ? Je ne joue pas avec le cœur des hommes… Et si je lui dis… un jour, que je l’aime, c’est que j’aurai bien pesé le pour et le contre. Tu peux me faire confiance.
- — Parce que vous avez passé tout l’après-midi à parler ? Du bon temps qui n’est plus et qui ne reviendra plus ? Tu me prends vraiment pour une godiche ? Allons, ces cernes sous tes yeux… c’est juste la fatigue de la grimpette sûrement, pas vrai ?
- — Yolande… écoute, je n’ai rien à en dire.
- — Comme tu veux. Mais c’est pas chic de me laisser dans l’ignorance… et je garde ma petite idée sur la façon dont vous vous êtes occupés toi et lui…
- — … ?
Agnès détourne le regard de celle qui la bombarde de questions. Prêcher le faux pour savoir le vrai, une tactique qui la met dans tous ses états. Pas question d’avouer quoi que ce soit à celle qui potentiellement demeure une concurrente sérieuse pour la place auprès de Michel. De plus, de quoi aurait-elle l’air si elle racontait qu’avant cet après-midi, personne n’avait couché avec elle ? Ça n’existe que dans les romans ou les films à l’eau de rose, une héroïne vierge à plus de cinquante piges. De quoi avoir pour de bon, l’air d’une grenouille de bénitier. Et puis, ce qui est arrivé chez Michel, ça fait partie de son secret… elle ne va pas déballer ce qu’elle a appris dans la maison de la montagne. Oui ! C’est entre elle et celui qui est désormais son amant… nul ne doit mettre son nez dans leurs affaires.
Le repas se déroule dans une ambiance feutrée, sous le sceau d’une camaraderie retrouvée et les cinq qui partagent ce moment sympathique avalent autant de liquide qu’ils ne dégustent les aliments préparés avec bonheur par les nanas. La nuit est partout lorsque Michel décide qu’il doit réintégrer sa montagne. Un peu ivre, il chancelle méchamment et les convives qui sont là font tout pour le retenir.
- — Tu ne peux pas remonter dans cet état… Reste Michel, couche à la maison ! Tu rentreras chez toi demain. Voyons, ne sois pas idiot, tu vois bien que tu as du mal de mettre un pied devant l’autre. Yolande va te préparer la chambre d’ami…
- — Et Agnès… elle va coucher où ?
- — Il y a aussi le salon et notre canapé… bon sang ! Ne fais pas ta mauvaise tête ! Tu ne peux pas traverser la forêt au milieu de la nuit, bourré comme un petit lu… dis-lui toi, Agnès qu’il doit suivre nos conseils. Peut-être qu’il t’écoutera toi !
- — Yolande à raison Michel… tu peux dormir chez eux pour cette nuit ! Tu vois bien que nous avons tous trop picolé. C’est pas la peine de prendre des risques.
- — Vous vous liguez tous contre moi donc ?
- — Mais non, mon vieux… je suis dans le même état et on ne va pas te laisser filer dans la nuit avec ce que tu tiens…
- — Bon… mais c’est contraint et forcé que je me range à vos arguments… je peux aussi me contenter de votre canapé… il fait bon chez vous Yolande… et puis mon cœur est en joie…
- — Je vois ça ! Tu peux partager aussi la chambre d’ami avec ta chérie retrouvée…
- — Hein !
- — Dis donc toi, tu dis n’importe quoi… Yolande…
Agnès s’insurge contre ce coup bas de l’épouse d’Alain. Michel ne relève pas l’allusion directe et son mari non plus, l’alcool noircit leur cerveau. Clément de son côté rigole, et se tasse dans son fauteuil. Il pose sa patte sur le bras de sa mère, lui conseillant par ce simple geste de se taire. La maîtresse de maison quitte la salle à manger avec un rictus sur les lèvres. Lorsqu’elle revient, elle porte une paire de draps et une couverture, pour préparer le sofa. Le fils du couple dessert la table en compagnie de leur invitée. Quant aux hommes, ils sifflent un dernier digestif, pour faire bonne mesure.
- — Je crois que Michel et papa vont avoir mal aux cheveux demain s’ils insistent trop sur la bouteille de mirabelle. En tout cas… merci d’avoir rabiboché ces deux couillons qui se faisaient la gueule depuis des années.
- — Tu en connais la raison, Clément ?
- — Non… mais à mon avis… tu n’es pas si étrangère à ça… les rares fois où j’ai vu mon paternel ivre, ton prénom flottait dans la maison…
- — … je te promets que je n’y suis pour rien…
- — C’est dans leurs caboches sans doute… une rivalité de mâles. D’un autre côté… je peux comprendre, en te regardant… on peut imaginer…
- — Pas très gentil pour ta maman ce que tu racontes là.
- — Je ne sais rien de vos histoires passées… mais je ne suis pas aveugle. Maman a toujours eu un faible aussi pour Michel… mais lui… enfin ce sont vos affaires. Je n’ai rien à en dire. Je sais juste que je suis content de voir que notre famille reste soudée. Et que papa est heureux de revoir son pote…
- — Oui ? Tant mieux donc…
- — À qui le dis-tu !
- — Je ne sais pas ce qui va se passer, mais ce soir, c’est un renouveau pour moi aussi, Clément.
- — Michel est un bon gars… il mérite un peu de bonheur.
- — …
Le jeune garçon se plonge dans le rangement de la vaisselle que la brune termine d’essuyer et les deux restent silencieux. Agnès revit avec une certaine appréhension, les moments tendres de cette drôle de journée. Et l’irruption de Yolande dans la cuisine la sort de sa rêverie.
- — Ça va vous deux ? Vous avez besoin d’un coup de main ?
- — Non ! Non, maman ! Nous avons terminé la vaisselle et le débarras de la salle à manger. De ton côté… tu t’en es sortie avec le divan ?
- — Oui… Michel est déjà couché au salon. Avec ce que nos deux loustics trimballent, ils vont dormir comme des bûches… Pour toi Agnès… tu as besoin d’aide pour préparer ta couche ? Il y a des draps dans le dressing de la chambre où tu vas dormir…
- — Merci ! C’est gentil, mais je peux me débrouiller toute seule… je vous dis bonsoir à tous les deux. Je suppose que ton Alain ronfle déjà ?
- — Oui… pas de souci, alors ma belle. Fais de beaux rêves… et puis… si tu passes par le salon… ne faites pas trop de bruit…
Yolande et son gamin rigolent de la blague lancée sur un sujet brûlant. Pourquoi se battre puisque de toute manière, elle a bien compris qu’elle est dans le vrai ? Alors la brune gagne la pièce qui lui est dévolue pour la nuit et il lui faut un bout de temps sacrément long pour s’endormir. Les évènements de la journée, les images aussi d’un passé lointain sont là qui flottent, bouleversant sans cesse les sens de la femme qui ne sait plus trop quoi faire. Le toboggan dans lequel elle laisse finalement son esprit couler l’entraîne vers un puits sans fond. Plus de conscience, plus de son, plus d’images, une délivrance pour le coup.
Alors ? Qu’est-ce qui peut bien la perturber soudainement ? La ramener dans le monde des vivants sans crier gare ? Un bruit ? Un chuchotement que lui distille son cerveau enfiévré ? Dans ce plumard inconnu, elle relève les paupières dans une noirceur absolue. Ses oreilles, elles sont grandes ouvertes. Et ce sont bel et bien des gémissements suspects qui l’interpellent. Mince ! Ça provient de la chambre de l’autre côté de la cloison, là où… Alain et Yolande sont censés roupiller. Pas de doute, le remue-ménage sourd se passe derrière la tête de son lit. Au bout de quelques secondes, les esgourdes de la brune s’habituent aux grognements, aux grincements bizarres et elle colle sur les sons des images.
Quelle santé ! Alain et Yolande, à n’en plus douter, s’envoient en l’air ! Un rictus naît sur les lèvres de la femme réveillée en sursaut. Pff ! Quelle idée de faire ça au tréfonds de la nuit, alors que leur invitée dort dans la chambre contiguë ! Mais un autre craquement singulier est intercepté par Agnès. Celui-là ne peut en aucun cas se situer dans la piaule où le sommier grince en cadence. Non ! C’est du corridor que le son distinct lui parvient. Comment est-ce possible ? Sauf si… Michel se serait-il aussi relevé et écouterait-il aux portes ? Pour en avoir le cœur net, en silence, pour ne pas déranger les ébats conjugaux du couple, elle quitte la tiédeur de sa couche. La porte… droit devant elle est atteinte sans que les gloussements amoureux ne cessent.
La clenche qui tourne sans bruit et les yeux de la brune devinent dans l’obscurité ambiante le rai de lumière qui se glisse par l’interstice sous le huis clos. Trait coupé par la présence à genou d’une forme qui visiblement suit aussi l’évolution charnelle des deux complices. Lentement, pieds nus et juste couverte d’une nuisette aérienne, Agnès s’approche de celui qui épie a priori par le trou de la serrure. Sa main se pose doucement sur l’épaule qu’elle croit appartenir à Michel. Et la silhouette a un véritable sursaut suite à ce frôlement. Prestement, l’homme se remet debout, sans rien dire. Et la patte qui est sur lui le guide vers la chambre d’où la femme vient de surgir…
- — Michel, bon sang ! Qu’est-ce qui te prend au milieu de la nuit d’aller espionner tes amis…
- — Michel ? Mais… je ne suis pas… Michel.
- — Hein ? Clément ? C’est pas vrai, c’est toi qui guignes tes parents ? C’est minable, tu ne trouves pas ?
- — Je t’en supplie… Agnès n’ameute pas toute la baraque… j’ai seulement cru que mon père était malade, ou maman… j’ai entendu des bruits étranges, alors, je ne sais pas ce qui m’a pris.
- — Ouais… pas joli joli tout ça ! Pas la peine de chercher midi à quatorze heures… tu épies tes parents quand ils font l’amour, j’ai bien saisi… S’ils l’apprennent, ils ne vont sans doute pas être très heureux.
- — Tu… tu ne vas pas cafter tout de même ? S’il te plaît… ce serait pas sympa pour moi. Tu sais, je ne sors jamais, je trime toute la sainte journée et je n’ai pas vraiment l’occasion de rencontrer des filles… je reconnais qu’une présence féminine comme la tienne, chez nous, ça m’a embrumé le ciboulot. Je… c’est une connerie, je sais bien ! Mais un moment j’ai cru aussi que Michel et toi… enfin avant de comprendre que c’était mes parents, quoi !
- — Tu es un fichu saligaud quand même. Que tu t’inquiètes, je peux le comprendre, mais que tu guettes par le trou de la serrure, c’est inadmissible… surtout qu’il s’agit, et tu le sais parfaitement, de ta mère et de ton père… je n’en reviens pas.
- — S’il te plaît, Agnès, pas si fort… ils vont nous entendre.
- — Ouais… file te recoucher… je verrai demain s’il y a lieu d’avertir ta mère…
- — Je… tu ne veux pas me garder cette nuit ?
- — Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ?
- — Oh, s’il te plaît, juste me laisser dormir à côté de toi… je te jure que je ne te toucherai pas ! Tu es…
- — Fiche moi le camp dans ta chambre, bougre de saligaud… je ne vais sûrement pas t’autoriser à t’allonger dans mes draps. Allez, file ! Avant que je ne me mette à hurler…
- — … T’es belle, mais pas sympa… tu me promets de ne pas me balancer ?
- — Tu me jures de ne jamais recommencer ?
- — …
- — C’est donnant-donnant. Tu promets et moi également… allez dégage, vilain voyeur… va te tripoter ailleurs…
- — …
Il détale, aussi à l’aise dans le noir que dans la lumière du jour. Dans la chambre, la partie de jambes en l’air est toujours en cours et Agnès se rend à la porte, tâtonne un moment et finit par tourner la clé dans la serrure. Un besoin d’être à l’abri et elle prend soin de laisser le sésame placé de manière à ce qu’il obstrue totalement le trou, rendant impossible une vision même partielle de sa piaule. Ouf ! Incroyable ce gosse ! Aller reluquer ses parents qui forniquent, c’est de la perversité précoce… sans aucun doute. Mais de là à le dénoncer, il y a tout un chemin qu’elle se refuse à emprunter. Demain, elle quittera cette maison et chacun pourra vivre comme il l’entend. Dire qu’un moment elle a espéré que ce soit Michel qui, encore à demi bourré, se trompait de chambre… Quelle déception, assurément !
Parce que sans qu’elle veuille bien se l’avouer, les murmures et autres gémissements qui continuent derrière la cloison lui mettent le feu… au derrière. Et ce gamin qui joue les voyeurs n’a fait que renforcer son sentiment d’envie et de besoin. Comment évacuer ce qui lui serre les tripes d’une manière si tenace et violente ? Elle a recours au seul moyen qui lui vient à l’esprit. Et du coup, le couple n’est plus tout à fait aussi seul à se donner du plaisir. Sûrement que leur fils s’astique également dans sa chambre et que la main d’Agnès vient soulager la pression et calmer sa faim de sexe. Elle est sans doute la première à jouir en se pinçant les lèvres, alors que Yolande lâche de plus en plus de soupirs. La brune se sent-elle mieux après avoir pris un plaisir solitaire ? Pas sûr… Elle est soulagée cependant de ne plus percevoir les cris tout juste contenus de celle qui baise à côté.
– xXx –
Au petit déjeuner, les bouilles restent hermétiquement fermées. Le cirque de la nuit a laissé des traces sous forme de cernes ombrés sous les yeux de Yolande. Elle pose le pot de café frais sur la table, et chacun se sert. Michel se gratte le menton, sa barbe naissante n’arrive pas à le rendre moins beau. Clément, quant à lui, se tient coi. Agnès tartine lentement deux tranches de pain grillées, et personne ne brise le silence qui entoure la tablée matinale. Enfin la maîtresse de maison se décide à ouvrir la bouche.
- — Le programme de la matinée ? Vous passez la journée avec nous ?
- — …
Évidemment, ces propos sont destinés à Agnès et Michel. La brune arrête le geste qui fait monter sa main vers son visage. Elle paraît réfléchir un court instant.
- — Ben… j’aurais voulu aller saluer… Marc ! Vous savez si je peux trouver des fleurs dans le coin… chez un fleuriste quoi !
- — Oui… sur la place du marché… Bénédicte Précine… tu t’en souviens ? Elle était le souffre-douleur de « Touche-Prose »…
- — Bénédicte ? Une petite rouquine au fond de la classe ?
- — Oui ! Elle tient la boutique de fleurs sur la place… je pense qu’elle est ouverte le dimanche matin.
- — Mais tu te rappelles la fleur préférée de Marc, toi Alain ?
- — Ouais… je veux bien t’accompagner moi, Agnès si tu vas au cimetière… mes parents sont là aussi ! C’est une bonne occasion pour que j’aille y faire un saut.
- — D’accord Michel ! On peut tous y aller ensemble, qu’en dites-vous ? Clément s’occupera de surveiller le repas. Tu nous accompagnes, Alain ?
- — Des roses blanches… je crois que c’est ça… oui ! Il en volait parfois à Mathilde… là, au fond du jardin… près de la mare aux grenouilles !
- — Tu te souviens de détails pareils, Agnès ? Tu as une bonne mémoire… enfin, j’ai un train à vapeur lancé à toute allure sous les tifs… je ne suis pas trop en mesure de penser normalement… personne n’a d’aspirine ?
La trogne grise d’Alain s’éclaire d’un rictus se voulant risette.
- — Le bon vin rappelle l’eau et mon vieux, si ça peut te rassurer, moi aussi, Michel j’ai un char d’assaut dans le crâne.
- — Bon, les gars, pas la peine de venir vous plaindre… quand on picole trop, eh bien on souffre en sourdine. Tu savais toi, Alain depuis tout ce temps que Marc aimait les roses blanches et tu ne m’en as pas seulement touché un mot… pff ! Tu peux y aller, pour lui arracher un détail à mon homme, c’est la croix et la bannière. Un taiseux, voilà ce que j’ai épousé…
- — Alors, si on est tous d’accord… je vais prendre une douche et préparer mes affaires. Je vous quitte après le déjeuner… je rentre chez moi.
- — Ah ! Et c’est vrai ça, tu habites où maintenant Agnès ? Tu ne nous as pas parlé de toi, de ce que tu fais… et nous trop heureux de t’avoir retrouvé, nous n’avons pas seulement eu l’idée de poser des questions.
- — À Paris… Yolande, je vis à Paris, dans un petit appartement à Montmartre. Mes congés touchent à leur fin… je reprends le boulot après-demain… chez un assureur…
- — Tu… tu vas revenir nous voir ?
Michel est de plus en plus gris. Le comprimé et le verre d’eau que pousse devant lui un Clément embarrassé sont ingurgités prestement. Ses grands yeux sont rivés sur Agnès et les trois autres sont suspendus aux lèvres de celle-ci. Eux aussi attendent une réponse de l’interpellée. L’intéressée cherche de l’air, puis crache enfin quelques mots chevrotants.
- — Peut-être… il y a tant de paramètres… je… oui, sûrement que je vais revenir plus souvent.
Le visage de Michel retrouve par miracle un peu de couleurs. Une sorte de soupir de soulagement, sa poitrine semble décompresser, ce qui n’échappe pas à Yolande. Son sourire à elle est plus franc, moins crispé.
- — Allons, détends-toi Michel… tu peux imaginer qu’elle a une bonne raison pour passer plus souvent dans notre bled…
- — … ? Ça veut dire quoi ça ?
- — Allons Alain… tu as de la merde dans les yeux ? Notre amie Agnès est amoureuse de ce gaillard qui est trop bête pour faire un pas pour la retenir… N’est-ce pas, grand nigaud ? Dis-lui à cette femme que ça fait des années que tu vis comme un curé dans l’espoir qu’elle réapparaisse dans ta vie. Il faut avoir un peu de courage et oser. C’est pour toi qu’elle est encore là… j’en jurerais.
- — Mais… tu veux jouer les entremetteuses, Yolande ? Comment peux-tu parler comme ça à… ces deux-là ?
- — Tais-toi Alain ! Toi aussi, secrètement, tu l’attendais. Tout comme on ne va pas se le cacher, j’ai toujours espéré que Michel s’intéresse à moi… je suis bonne perdante, non ?
- — Mais… tu voudrais foutre le bordel que tu ne t’y prendrais pas autrement… ma chérie.
- — Autant faire le ménage une bonne fois pour toutes. Marre de ces « non-dits », de vos silences qui me dépriment. Et puis… Agnès sait tout ceci aussi bien que moi et son pèlerinage en est une preuve irréfutable. Sa solitude également…
- — Yolande…
Les yeux humides, la brune regarde un à un tous les participants de ce petit déjeuner du premier matin de son retour. La femme d’Alain lui assène une vérité. Des années à se morfondre, à rêver d’un amour qui en un unique après-midi s’est révélé prometteur. Alors, pourquoi se taire ? Pourquoi ne pas forcer le destin ? Sûrement parce que c’est une affaire entre deux adultes désormais. Et puis… Michel est toujours aussi silencieux. Si seulement il laissait filtrer ses sentiments, sans doute que ça la rassurerait. Elle se racle la gorge, tente de s’éclaircir la voix et… laisse tomber des propos qui vont sûrement l’engager pour longtemps.
- — Je… oui, je suis revenue pour Michel. Et si lui pouvait m’aimer autant que j’en suis amoureuse, nous pourrions traverser ce qui nous reste à vivre. J’ai toujours eu peur de ce moment de face-à-face. Tu as si bien compris Yolande, et je suis certaine que ton incitation à la promenade hier après-midi était préméditée. Bien peu de femmes sont capables d’abandonner leurs rêves pour que l’homme qu’elles chérissent soit heureux. Je t’en remercie… mais c’est à Michel de décider… et si ça paraît simple, je suppose que son choix est cornélien. M’aimer… ou me renvoyer dans l’ombre d’une existence qui n’a de sens que grâce à lui…
- — Agnès… je…
- — Non ! Ne dis rien… laisse-toi le temps de la réflexion. Je reviendrai rapidement… pour l’heure, je veux aller me recueillir sur la tombe de Marc, de tes parents, de ceux d’Alain et même faire un clin d’œil au garde champêtre… c’est toute ma jeunesse qui dort dans ce jardin silencieux… Prends ton temps, mon amour ! Pèse le pour, le contre et vois en ton âme et conscience si tu es prêt à faire le chemin avec ma patte dans la tienne…
- — Je…
- — Chut… je vais prendre une douche !
Agnès quitte la cuisine sous le regard de tous. Il n’y a plus que le silence qui règne en maître dans la maison. Personne ne peut dire de quoi demain sera fait. Les explications viennent de mettre en exergue ce qui chatouille tous ces braves gens… une histoire somme toute banale, comme des millions d’êtres humains, chacun a sa petite part de bonheur ancrée en lui… et il est de bon ton de la faire ressortir au moment propice… Sous la douche, Agnès murmure une chanson…
Quand il me prend dans ses bras
Qu’il me parle tout bas
Je vois la vie en rose
Il me dit des mots d’amour
Des mots de tous les jours
Mais moi, ça me fait quelque chose
– Fin –