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Temps de lecture estimé : 32 mn
15/10/24
Présentation:  Où l’on retrouve Cassandre, la braqueuse romantique découverte dans la série « Cavale », publiée ici il y a quelques mois. Il n’est pas indispensable d’avoir lu « Cavale », mais c’est mieux, j’y ferai quelques fois référence.
Résumé:  Décidément, Cassandre a le chic pour se mettre dans des situations compliquées. Ou bien, c’est elle qui attire les ennuis ?
Critères:  #policier
Auteur : Laetitia            Envoi mini-message

Série : Imbroglio

Chapitre 01 / 05
Imbroglio

L’Ardèche… J’y étais bien. J’y flemmardais depuis plus de six mois.


Entre lectures sous le platane et promenades avec le chien adopté à la SPA du coin, le temps s’écoulait lentement. Je retapais aussi la maison, qui avait besoin d’un petit coup de jeune, le gros œuvre par des artisans locaux, le reste par mes soins.


J’appréciais d’autant plus, que la majeure partie de ma vie a été menée, jusqu’à présent, tambour battant. Prendre le temps, c’est un luxe finalement. Luxe que je m’accordais.


Et puis il y avait Mathilde. Mathilde était libraire à Alès. C’est chez elle que je me fournissais en livres, détestant acheter ce genre de choses sur Internet. Il fallait que je touche, que je feuillète avant, que j’hésite et enfin que je fasse mon choix. Je détestais encore plus les liseuses numériques. Nous avons commencé par des discussions à bâtons rompus sur les auteurs ou sur les œuvres, généralement interrompues parce que Mathilde devait fermer sa boutique. Puis un soir, nous sommes allées dîner ensemble. Et ça s’est terminé dans le lit de Mathilde.


Mais là, je n’étais plus en Ardèche. Je remontais l’autoroute A1 depuis Paris, vers Lille. En cette fin septembre, la douceur persistait. Je roulais donc tranquillement à un peu plus de deux cent kilomètre /heure dans la Jaguar F-Type que je m’étais offerte. Une petite folie à plus de cent mille euros, mais comme le disait fort justement Oscar Wilde, les folies sont les seules choses qu’on ne regrette jamais. Je l’utilisais peu, préférant en Ardèche une vieille Land Rover, plus adaptée au terrain accidenté et aux routes parfois à peine goudronnées. Et surtout, elle était beaucoup moins voyante que la Jag. Je testais donc le répondant de la belle auto sur cette autoroute du Nord, pourrie de poids lourds.


Qu’est-ce que j’allais foutre à Lille, me direz-vous ? Eh bien, je traversais la France pour honorer un rendez-vous. Un rendez-vous que je trouvais ridicule, autant dans sa finalité que dans ses multiples complications. Un rendez-vous avec Samir !


Je me demandais si j’allais doubler la Porsche immatriculée en Belgique qui m’avait dépassée un moment plus tôt, puis trouvant ça ridicule, j’y renonçais et retombais à cent-soixante kilomètres heure.



Non, je ne comprenais pas. Ce que je comprenais bien par contre, c’est que je n’avais pas envie de bouger, mais alors vraiment pas. Il avait dit ensuite qu’il comprenait bien que je n’avais pas envie de bouger (tout était problème de compréhension et de non-compréhension entre Samir et moi), mais que par amitié pour lui, je pouvais peut-être me taper la route jusqu’à Lille.


Amitié pour lui ? Euh… non. Samir, je le payais pour me servir de boîte aux lettres et de contact. Samir était un charmant garçon, mais à mon avis, il a trop vu de films de gangsters. Je le payais suffisamment cher en plus. Donc de l’amitié pour Samir, je n’en étais pas vraiment certaine. Samir se faisait appeler Samir le Lillois dans le milieu. Tout ça, parce qu’il avait commencé sa carrière de délinquant, puis de criminel dans la région Lilloise. Samir le Lillois donc, même s’il était né et avait grandi à Seclin. Mais, certainement que « Le Lillois » sonnait mieux que le « Seclinois ».


Puis Samir, m’avait causé de son fils qui réussissait bien dans les études. J’avais pris un air passionné et ravi en essayant de me souvenir si je savais que Samir le Lillois avait un fils.



J’ajoutais :



J’avais en effet la ferme intention de passer voir Mathilde la libraire, de discuter de Montaigne ou la Boétie avec elle, ou bien encore de Zadig et Voltaire, peut-être. Et pourquoi pas que je lui prête mon corps et que j’emprunte le sien après un bon dîner.


Insistante comme je l’étais et menaçante de ne pas venir, il avait lâché le morceau. Enfin une partie du morceau. Comme il fait partie de ces types qui aiment faire traîner les choses en longueur, parce qu’ils croient que ça les rend intéressants, il prit un ton vexé, mais dit :



Je n’ai pas dit à Samir que j’avais entendu parler de Philippe Meier, citoyen Genevois (en Suisse pour ceux qui sont nuls en géographie), copinant activement dans l’espionnage industriel, entre autres, et magouillant du côté des banques de Zurich ou du Liechtenstein. Le tout sous couvert d’un cabinet d’expert-comptable. Je n’ajoutais pas que je savais qu’il avait la quarantaine bien tassée, une jeune épouse de dix-neuf ans (qui avait fait dans le porno avant). Je ne dis pas non plus que je n’avais aucune confiance en Philippe Meier, puisque le mal était fait et que ce con de Samir avait balancé mon nom à tout-va.



Je ne dis toujours pas à Samir, que ce qui l’intéressait le plus à mon sens, c’était la jolie commission qu’il escomptait empocher.


Bon, même si ça faisait de la route, j’aime bien Lille. Une ville fort sympathique. Alors, pourquoi pas me faire un bon resto de spécialités du Nord, écouter les propositions inintéressantes de Samir et de ses petits potes et rentrer. Peut-être draguer une fille, le genre snob et intellectuelle qui me taperait sur le système au bout d’une demi-heure. Et puis, j’avais des trucs à faire à Paris, comme récupérer un jeu d’identité neuf dans mon pavillon de Chaville 1 et un peu de liquide.


Je retrouvais donc Samir, qui comme convenu m’attendait dans une Peugeot 3008 noire, garée place de la Gare. Une place de la Gare qui n’était qu’un énorme chantier. On se serait cru à Paris.


Je me garais derrière lui. Il redémarra aussi sec et je me mis à le suivre. Sa Peugeot tourna dans Lille, repassa deux fois Place de la Gare, retourna Porte de Paris, puis devant la Cathédrale Notre Dame de la Treille et enfin commença à suivre les panneaux bleus indiquant l’autoroute vers Valenciennes.


Il commençait à me taper sur les nerfs avec son cirque. Manifestement, personne ne nous suivait. En plus, si sa Peugeot pouvait sembler passe-partout, ma Jag rouge, elle, ne passait pas inaperçue.


De nouveau, des travaux, puis nous sommes passés au milieu d’usines et d’une zone commerciale. Vint enfin l’autoroute. Samir se mit à rouler à cent-quatre-vingt, doublant les quelques rares voitures paisibles, repassait à cent, puis réaccélérait.

Puis vers Orchies, il mit son clignotant et ralentit pour entrer sur une aire d’autoroute déserte.


Il se gara derrière une berline Mercedes aux vitres teintées. À l’entrée du parking stationnait une BMW. Un Africain était assis derrière le volant de la deuxième voiture et fumait en nous observant. À l’autre bout du parking, il y avait une autre BMW. Les trois voitures étaient immatriculées en Belgique. Un autre africain, un géant de quasiment deux mètres, descendit de la seconde BMW et s’appuya sur le capot.


Je suis sortie sur le parking. Samir vint à ma rencontre.



Samir soupira. S’il était bien quelqu’un dont on aurait du mal à deviner les origines d’Afrique du Nord, c’était bien Samir. Comme les Berbères du Sud de la Tunisie, Samir était blond aux yeux bleu-vert translucides. Cela lui donnait un regard inquiétant pour certains, mais ça séduisait aussi incroyablement les dames, paraît-il.



Est-ce qu’il allait se payer ma tête longtemps ? Est-ce que j’étais venu d’Ardèche spécialement pour servir de tête de Turc à ce con de Samir ?



La vitre arrière de la Mercedes se baissa et quelqu’un dit :



Plutôt un accent germanique.


Un ton méprisant en plus. Je situais le bonhomme avant même de lui avoir parlé. Je me suis dirigée vers la voiture, regardant au passage le grand africain. Son regard était aussi méprisant. Apparemment, j’avais affaire à des gens qui méprisaient tout le monde.


Je fis le tour de la voiture et tentai d’ouvrir la portière arrière. Fermée…



Je hochais la tête en observant à travers la vitre un homme dans la soixantaine avec des cheveux blancs, des yeux trop rapprochés, enfin, bref une sale tête. Puis je fis demi-tour. J’avais envie de goûter à la Carbonade des Vieux de la Vieille, un des meilleurs estaminets de Lille, certainement excellente. Des Saint-Jacques à la crème avant peut-être.


Ensuite, je pourrais pousser la Jaguar jusqu’à Bruges, juste histoire de me donner des souvenirs tristes, avant de rentrer 1.



Peut-être même que je pourrais continuer mon pèlerinage jusqu’à Ostende et ce restaurant de poisson, où j’ai rencontré Juliette. Oui tiens ! Ostende aussi. Et lâcher les chevaux de la Jag sur l’autoroute Bruxelles-Anvers, le tout en écoutant du Jacques Brel.


L’Africain prit un air menaçant et le sourire de l’idiot qui croit tout possible, parce qu’il a un gros flingue et qu’il me braquait avec. Il agita le canon d’un Colt. 45 ACP et me fit signe de retourner vers la portière arrière. Qu’est-ce que c’était que cette bande de déjantés ?


Je fis demi-tour, n’ayant pas trop le choix. Samir allait me payer ça…


Cette fois, la portière était ouverte. Je ne fis aucun commentaire en m’asseyant sur la banquette. Le vieux avait décidé de me tester et j’avais décidé qu’il allait se tromper dans les résultats de ses tests.



Sur le plateau de fromages des Vieux de la Vieille, il y aurait forcément de la Boulette d’Avesnes et du Vieux Lille. Avec un verre de Sancerre blanc, ça allait être parfait…



Le vieux parlait parfaitement le français, mais il avait un accent allemand ou Suisse Alémanique très marqué qui m’insupportait.


Il alluma une cigarette blonde sans m’en offrir. Ça tombait parfaitement bien, je ne fume pas. J’ai juste baissé la vitre de la voiture en chassant la fumée d’un revers de la main. Dans quel merdier m’avait donc foutu ce con de Samir.



Je me surprenais moi-même. Je me demandais pendant combien de temps, j’allais supporter ce vieux con, encore ?



Je suis sortie de la Mercedes. J’avais un vieil air des Who dans la tête. Celui où le chanteur bégaye sur le refrain, en disant qu’il espérait mourir avant de vieillir.


Un des Africains était installé au volant de ma Jaguar et pointait vers moi un Smith & Wesson. L’autre, Bakary je crois, faisait de même derrière moi avec son Colt. Celui qui me braquait depuis ma voiture tenait négligemment et mollement son flingue à bout de bras à l’horizontale, comme dans les clips de rap américains ou les mauvais films.



Il me lança un air ahuri.



Je le plantais là. Il n’y avait rien d’autre à faire que de retourner vers la Mercedes. Ou comment faire passer une défaite pour une victoire.



Les tractations durèrent trois minutes. En gros, je devais aller en Allemagne, accompagnée d’un de leur porte-flingue. Là-bas, on m’expliquerait tout en détail.


Je suis passée devant Samir sans un mot pour lui, malgré son air de chien battu qui implorait que j’accepte ses excuses. L’Africain au Smith & Wesson me céda la place au volant, et un type blond se matérialisa devant moi.



Félix avait la quarantaine, un début de calvitie et un physique de prof de gym (sans le survêt, mais avec la fine moustache). Nous avons donc quitté l’aire et pris l’autoroute vers Lille.



Il ouvrit la boîte à gants pour s’assurer qu’aucune arme ne s’y trouvait.



Il arborait un rictus.



Félix essayait de me faire peur. Soyons bonne joueuse avec lui, essayons d’avoir l’air d’avoir peur.



Non, finalement, je n’avais pas trop envie de voyager avec Félix jusqu’en Allemagne. Parmi mes amours de pistolets, le Walther PPK reste l’équivalent d’une vieille maîtresse qu’on ne parvient pas à oublier et vers laquelle on revient régulièrement. Le mien était scotché sous le siège passager, si vous voyez où je voulais en venir, lui faire prendre ma place au volant et me retrouver sur le siège passager.

Comment manger avec la tronche de Félix en face ? Non, vraiment, nous n’allions pas déjeuner ensemble.



Il s’arrêta de parler pour me regarder avec un sourire niais.



Je hochais la tête.



Pauvre Félix… Mais je n’avais pas vraiment envie de déjeuner avec Félix.



Quel bavard ! Je n’allais vraiment pas supporter ça jusqu’à demain.



Quel bavard !! Il en devenait attendrissant presque…


Au moment où nous avions échangé nos places, la Mercedes du vieux con, suivie des deux voitures qui l’escortaient, passa sur la file de gauche. Félix leur fit signe de la main.



Il déboîta et passa de la bande d’arrêt d’urgence à la file de gauche au mépris d’une Citroën qui arrivait et qui lui fit des appels de phares. Il était déjà à cent-soixante-dix. Heureusement, en ce dimanche matin, l’autoroute était à peu près déserte.



Il était comme un gamin qui a un nouveau jouet. Nous roulions maintenant à deux-cent-vingt kilomètres heure, et ma main droite se mit au travail et descendit vers le dessous du siège passager.



Il rigola.



Il ralentit après avoir doublé un poids lourd et se rabattit sur la file de droite, pour prendre la bretelle vers Cambrai. Le con n’avait évidemment pas bouclé sa ceinture. Moi si. À cent-vingt kilomètre/heure, c’était jouable. Félix allait me coûter une Jaguar Type-F. C’était le prix à payer.


J’attrapais le volant au moment où il jetait un coup d’œil dans le rétroviseur.

Félix comprit tout de suite ce qui arrivait. Il cria. Il voulut freiner en même temps qu’il essayait de me reprendre le volant que je continuais à tirer vers la droite. Il se disait qu’il fallait qu’il sorte son flingue pour me descendre, mais qu’il devait aussi reprendre le contrôle de la Jaguar qui filait tout droit vers le pilier en métal supportant le panneau bleu qui disait que si on allait à gauche, on retournait vers Paris. Il se disait qu’il fallait freiner à tout prix, ou bien reprendre le contrôle du volant… Ou bien… Et que peut-être, la ceinture ça aurait été mieux de la mettre… Tout ça faisait beaucoup de choses en même temps. Trop pour le pauvre Félix.

De mon côté, je calais mes deux pieds sur le tableau de bord et je lâchais le volant. C’eut pour effet de faire partir la Jaguar sur la gauche, droit vers le pilier en béton qui soutenait un pont d’autoroute.

À mon avis, le moteur allait se plier et s’enfoncer dans l’habitacle. Je voyais bien Félix avoir les deux jambes brisées.


La Jaguar percuta le pilier à quatre-vingt kilomètres/heure, à peu près, Félix hurlant, moi les pieds calés et mes mains écrasées contre ma nuque. Dans un dernier réflexe, Félix donna un coup de volant sur la droite pour éviter le pilier. Une erreur de plus, la voiture percuta le dit pilier de son côté.

J’ôtais ma ceinture. J’étais un peu choquée, mais ça allait. Pas de blessure grave. J’avais juste mal aux reins. Rien de cassé en tout cas. Félix avait l’air très cassé en revanche. Sous l’effet du choc, il avait été projeté à travers le pare-brise, devançant l’airbag, qui au moment où il s’était ouvert, l’avait bloqué contre le volant au niveau du bassin. Son corps était donc en partie dedans et en partie dehors. Ça faisait un effet bizarre, ses bras ballants, dont un avait pris un angle assez particulier. Je ne fis pas l’inventaire de ses fractures et blessures, peu d’intérêt. J’ai tout de même constaté qu’il avait été tué sur le coup. Bon, la Jaguar était morte aussi, le capot plié.


Je me suis extraite de la voiture et après avoir récupéré mes affaires dans le coffre, je suis passée par-dessus la glissière et je me suis éloignée rapidement du lieu de l’accident et de l’autoroute à travers champs avant que quelqu’un ne s’arrête. La chance me souriait, aucun véhicule n’était passé encore. Ça n’allait pas durer. Une des quelques voitures qui passaient en contrebas sur l’autoroute allait bien finir par prendre la bretelle et tomber sur le regrettable accident. Même si cette bretelle donnait sur une zone industrielle désertée en ce dimanche matin. Les forces de l’ordre allaient trouver le cadavre d’un truand notoire, mort après avoir percuté le pilier d’un pont, au volant d’une Jaguar appartenant à une certaine Céline Gautier, résidant dans le Lot-et-Garonne. Après une rapide enquête, ils allaient vite s‘apercevoir que Céline Gautier n’existait pas. Constance Beaumanoir, alias moi, Cassandre, pouvait gentiment et sans problème continuer sa petite vie tranquille et ardéchoise.


Bon là, la priorité numéro un était de trouver un moyen de locomotion pour rejoindre Lille rapidement et prendre un TGV pour Paris. Le tout avant que le vieux con et sa bande ne s’aperçoivent de l’entourloupe. Tant pis pour Les Vieux de la Vieille et sa carbonade. Un sandwich SNCF en forme de triangle la remplacerait. Chienne de vie.


Je trouvais rapidement un arrêt de bus près de la zone industrielle. La ligne me ramenait vers le centre de Lille. Le dimanche, il y avait peu de bus en circulation, je pus néanmoins rejoindre facilement la gare.


Une fois à Paris, je pourrais passer une nuit dans mon petit pavillon à Chaville 1, le temps de me procurer un nouveau véhicule et ensuite retourner en Ardèche et oublier tout ce foutoir. Cet abruti de Samir n’avait pas pu donner mon adresse au vieux con, puisqu’il l’ignorait. Enfin, je l’espérais. En tout cas, je ne lui avais jamais communiqué.


Je lui envoyais tout de même un SMS, une fois à la Gare du Nord à Paris, « tu me dois une Jaguar Samir », avant de balancer la carte SIM de mon portable dans une bouche d’égout. Mais j’allais m’occuper de Samir plus tard… Un jour… À moins que le vieux con et ses sbires n’aient déjà réglé son cas, ce qui était dans le domaine du possible, finalement. Mais là, j’étais lasse, fatiguée de tout cela. Juste rentrer, récupérer le vieux chien que j’avais laissé en pension chez mes voisins les plus proches, un couple de retraités à un kilomètre de ma maison. Peut-être organiser une soirée avec Mathilde aussi.



oooOOOooo



Je n’étais pas revenue en région parisienne depuis quasiment un an, le jour où j’ai tué Tate et Zivanovic 1. Malgré ma fatigue et mon ras-le-bol, je n’ai pas résisté à l’envi de passer ma soirée parisienne au cercle de jeu, près de l’avenue Kléber, où j’avais naguère mes habitudes.


Oui, je sais, j’ai tous les vices : vols, meurtres, jeu, sexe… J’ai mon rond de serviette m’attend en enfer, à coup sûr.


En fait, c’était juste histoire de miser les deux mille euros en billets de cent que j’avais récupérés en fouillant les poches du blouson de ce pauvre Félix. Enfin, ça et un magnifique et très efficace Colt Python. 357, qui lui, avait rejoint ma planque dans le pavillon de Chaville. Il pourra sûrement être utile un jour. J’avais aussi récupéré mon Walther PPK que les gugusses du vieux con avaient mis dans le coffre de la Jaguar.


On ne se refait pas, au cercle, j’ai rejoint une table de poker.


J’ai pas mal perdu. Les bonnes cartes me fuyaient. Pas de jeu. Le poker est un jeu de bluff, mais le bluff a ses limites. Il faut avoir du jeu de temps à autre. Il me restait mille euros sur les deux mille que j’avais en arrivant. J’ai soulevé les cartes qui venaient de m’être données. Deux as, un sept, un quatre et une dame.

Je demandais trois cartes. Un autre as accompagné d’un roi et d’un huit me sont tombés.

Brelan d’as ! Je n’avais pas eu aussi bien depuis le début de la soirée. J’ouvrais de deux cent. À ma gauche, l’énorme dame qui était ma voisine ne suivit pas. À la place, elle vida son verre de Gin Tonic et en redemanda un autre. Il était une heure et quart du matin, et je reportais mon attention sur la jeune femme assise en face de moi à la table. Elle avait beaucoup de charme. Des cheveux blonds, une jolie bouche, des yeux bleus et un accent très certainement néerlandais. Elle parlait parfaitement le français. Elle posa deux cent euros de jetons au milieu de la table et en ajouta cent de plus. Le quatrième, un homme dans la trentaine, très certainement cadre dans une des tours de la Défense annonça :



Il se croyait malin, parce qu’il avait fait quelques coups au cours de la soirée, mais il bluffait mal. J’avais réussi à le déchiffrer très rapidement. Là, manifestement, il n’avait pas grand-chose en main. Son sourire crispé et sa jambe qui remuait sous la table l’avaient trahi tout de suite.


Je montais les mises en posant cinq cent euros de jetons. La Néerlandaise posa son jeu. Le petit cadre a mis cinq cent euros au pot.



Le con… Il montra, fier de lui, deux paires de valets et dix. Et se décomposa quand j’allongeais mon brelan.

Eh oui Ducon.


En un coup, je venais grosso modo de récupérer ma mise, et même un peu plus. J’ai posé mes cartes et me suis levée.



J’aurais pu tout rejouer et tout perdre à nouveau, mais j’étais un peu éteinte. Mes bâillements ont pris le dessus. J’ai donc décidé d’arrêter. Tant mieux, quand la passion du jeu me prend, j’ai du mal à m’arrêter et il m’arrive de parier, parier à nouveau et perdre gros. C’est un peu mon talon d’Achille, le jeu. Ça prend le dessus sur la raison. Et raison garder, je ne sais plus faire dans ces cas-là. J’y ai laissé de grosses sommes. Mais pour une joueuse, une vraie, ne pas payer ses dettes n’a pas de sens. Parce que c’est la notion même de jeu qui perdait son sens.



L’autre me regarda et n’eut pas l’air de savoir quoi penser, si je me foutais ouvertement de sa tête, ou quoi. La Néerlandaise sourit à notre échange.



La Néerlandaise était cette fois hilare. Je me suis levée, j’ai salué et je suis sortie du Cercle.


J’ai marché vers la petite rue où j’avais garé la Volkswagen louée dans l’après-midi. Il faisait sombre, l’éclairage de la rue était faible. Je vis deux ombres qui s’avançaient sur le trottoir vers moi.



Deux petits loubards me barraient le chemin. Et mon Walther PPK était resté dans la voiture. Qu’est-ce que j’allais faire de Mickey et Tonio ?



S’ils n’en voulaient qu’à mon sac, je m’en sortais bien, mais à l’évidence, ces pauvres types ne cherchaient même pas de l’argent, j’en étais persuadée. Ils ne cherchaient rien, à l’évidence. Plus rien depuis longtemps. Juste des rats des villes. Je décidais de prendre l’air terrorisé de la bourgeoise moyenne et d’essayer de frapper le premier qui s’approcherait. Ça ferait peut-être fuir l’autre. Sur un malentendu…


Mickey ! Voilà un surnom qui lui allait à ravir. Il avait un nez long et pointu, une petite bouche aux lèvres minces et déformées par un rictus en cul de poule, des incisives proéminentes, des petits yeux très rapprochés. Une vraie tête de rat quoi.


Tonio, quant à lui, était gros et gras, court sur pattes et les jambes arquées. Un visage bovin, plus que sur les bords, un regard vide et un nez énorme.


Nez de Bœuf et Face de Rat, le duo infernal. Mais j’étais mal. Comment j’allais me sortir de ce guêpier ?



J’entendis dans mon dos :



J’ai reconnu aussitôt la voix et l’accent de la Hollandaise joueuse de poker du cercle.



Mickey n’eut pas le temps de finir sa phrase. Il venait de prendre la botte de la Hollandaise en pleine tête (de rat). Il s’écroula sur une voiture en stationnement, les bras en croix. Avant de glisser inconscient, le long du capot vers le caniveau. Je ne sais pas si c’est mon imagination, mais il m’a semblé voir voler une dent, sous l’effet du coup de pied. Séché direct en tout cas, le Mickey. Le couteau atterrit aussi dans le caniveau.


De mon côté, je ne suis pas restée inactive. Le tranchant de ma main percuta la gorge de Tonio. Je venais de lui défoncer le larynx. Il se pencha en avant, se pliant en deux en ahanant comme un porc. Bizarre pour un bœuf. Mon genou sous le menton le fit se redresser. Un autre coup de genou dans les parties cette fois, le fit se plier en deux à nouveau, puis tituber en arrière vers le mur d’un immeuble. J’allais le frapper à nouveau, mais il me devança, se redressa et fila en courant, sans demander son reste, abandonnant son pote Mickey dans son caniveau, tout en se tenant les testicules.



Ça, je n’en étais pas certaine. Je plaisantais, mais j’ai eu une sacrée trouille sur le moment.



Elle me salua de la main, donna un coup de pied dans la tête de Mickey qui commençait à reprendre ses esprits et tentait de se redresser. C’eut l’effet de le recoucher dans le caniveau.


Vite, l’Ardèche !



oooOOOooo



J’étais rentrée chez moi depuis un peu plus d’une semaine. J’allais me préparer à dîner, quand on sonna à la porte.

Je n’attendais aucun visiteur. De plus, isolée comme l’était ma maison, personne ne venait là par hasard, d’autant plus qu’il fallait suivre un chemin sans issue et non goudronné sur une centaine de mètres depuis la route la plus proche.

Je me suis saisie de mon Walther PPK que je passais entre mon T-shirt et mon pantalon, dans mon dos.


J’allais ouvrir. Mon visiteur était en fait une visiteuse. Jeune, 25, 30 ans peut-être, plus petite que moi, un mètre soixante environ. Des cheveux noirs coupés courts, des yeux noirs. Une petite bouche, un menton bien dessiné, avec une légère fossette. Plutôt jolie, très jolie même. Elle portait un trench-coat noir fermé jusqu’au cou.



Je trouvais finalement son regard légèrement cruel, avec également une bonne dose de mépris. Ça n’allait pas être simple.



Quelle connasse ! Nos relations commençaient vraiment sur le mode amical.



Ça s’arrangeait de minute en minute.



Après cette tirade, nous nous sommes fusillées du regard réciproquement. Elle baissa les yeux la première. Petite victoire, mais victoire tout de même. J’allais me verser mon whisky en ajoutant :



Elle sortit de sa poche une photographie et me la tendit sans dire un mot. On m’y voyait avec Thierry Morand. Mon Cher Ami Thierry Morand, recherché par quatre ou cinq polices européennes pour une grande quantité de choses plutôt inavouables. La photo avait été prise dans une boite de nuit de Genève, plus d’un an avant. Sur la photo, il n’y avait aucun doute, nous étions les meilleurs amis du monde. Une bouteille de Dom Pérignon et deux coupes trônaient devant nous. Certainement, venais-je de sortir un bon mot, car Thierry riait à gorge déployée, et on voyait très bien que je riais aussi.



Elle parut interloquée de ma réponse, cette fois.



Elle cligna des yeux et je sortis le Walther PPK, tout en lui montrant du canon le téléphone fixe sur un meuble. Le tout avant de le reposer sur la table basse, à côté de mon verre de Whisky.



J’aurais bien aimé savoir qui avait pris cette photo. Mais Genève grouille d’indics prêts à vendre leur camelote aux plus offrants. Autrement dit, pas la police qui paye mal. Deuxième organisation par le nombre de ses membres, juste après l’ONU, Interpol regroupe cent-quatre-vingt-sept pays. Elle ne constitue pas une police à proprement parler, plutôt un service de renseignements consulté par les polices des pays membres, pour son expertise et ses bases de données, dont un fichier très complet de malfaiteurs, criminelles et fugitifs. Interpol met chaque année plusieurs milliers de mandats d’arrêt internationaux. Je n’y étais pas fichée et je n’avais aucune envie d’y être. En clair, ça craignait !


Le regard de la fille changea. Elle avait l’air aussi sincère qu’une pub pour des produits anti-rides.



Changement de cap ! Si elle croyait que j’étais suffisamment conne pour la croire… Il n’en restait pas moins qu’elle était très forte question changement à vue et nouvelle spontanéité. Je n’avais pas l’intention de faire partie du lot des pauvres malheureux qu’elle avait dû rouler dans la farine depuis sa naissance. Cette fille-là devait adorer mentir. Visage un peu inquiétant finalement, joli corps certainement et don spécial pour le mensonge.


Je lui versai un peu de whisky et remisai le Walter PPK. Dans son nouveau rôle, elle avait ouvert son trench-coat, exhibé ses jolies jambes sous une jupe remontée un tout petit peu trop haut. Jupe noire, bas noirs. Elle faisait également de jolis gestes avec ses doigts aux ongles longs et impeccablement manucurés. Elle réussissait tout ça parfaitement et je me méfiais encore plus de cette conne.



Son rouge à lèvres vif sur sa peau plutôt blanche, lui allait parfaitement. Mais tout lui allait parfaitement finalement.



Elle décroisa les jambes dans un feulement de nylon. Elle croisa à nouveau et décroisa encore. Ses bas noirs semblaient soyeux. J’écartais de moi cette pensée.



J’avais décidé de profiter du dîner et de mettre la petite conne dans mon lit après. Du reste, si après le vieux con, on m’avait envoyé cette fille, c’est probablement que les choses étaient programmées comme ça d’avance. À un moment donné, elle allait forcément essayer le charme avec moi, et je ne voyais aucune raison de ne pas profiter de cet amour de commande.


Débarrassée de son trench-coat, elle devenait tout à fait désirable et je me demandais ce qu’elle allait me servir comme salade.



Elle fit non de la tête.



Je calculais mentalement. Cinq cent mille francs suisses au taux actuel, ça nous faisait plus de cinq cent mille euros. Entre cinq cent quinze et cinq cent vingt. Quand les gens commencent à parler à coup de cinq cent mille euros, c’est généralement qu’il y a quelque chose de pourri dans le marché.



Elle hésita puis ajouta :



Je faisais la maligne, mais là, j’étais coincée. Cette photo, si elle atterrissait sur les bureaux d’Interpol, me mettrait plus que dans l’embarras. Elle le savait, je le savais, elle savait que je le savais. Inutile de continuer à fanfaronner avec ça. Ils me tenaient, je n’y pouvais rien.



Je vidai la bouteille d’Irouléguy.



Il y avait de quoi méditer. La situation était périlleuse. Il ne s’agissait pas d’une bande de petits gangsters qui montaient des coups foireux à qui j’avais affaire.



Confirmation du guêpier. Sous le nom de transfert de technologie, se cachait en fait espionnage industriel. Puant. Je m’en doutais depuis que ce con de Samir avait lâché le nom de Philippe Meier d’ailleurs. Elle reprit :



J’avais une grosse envie de lui coller une paire de gifles et de la foutre dehors. Mais les menaces à peine voilées de Karolina étaient d’une clarté absolue.


Je n’ai jamais eu l’habitude de sous-estimer l’ennemi. Des gens qui pouvaient mettre cinq-cent-mille francs suisses pour se débarrasser d’un gêneur devaient me considérer comme un vermisseau. Un vermisseau nécessaire, mais un vermisseau quand même. Tout cela ne présageait rien de bon sur ce qu’ils escomptaient faire de moi à l’issue de cette histoire. Il y avait peu de chances que je vois la couleur de leurs francs suisses. Pour l’instant, ma seule chance consistait à jouer les imbéciles.



Elle eut l’air surprise de sa victoire.



Volontairement, je l’avais bombardée Allemande, sachant que les Suisses ont horreur d’être appelés Allemands.



J’avais décidé d’être odieuse avec elle. Déjà, c’était une petite conne. Ensuite, ils m’avaient coincée et j’ai horreur de ça. J’ai donc décrété de me venger sur elle. Vu son air, je me demandais tout de même si je n’avais pas fait naître chez elle un début de sentiment, de la pudeur par exemple. Sait-on jamais ? Mais j’étais sans aucune illusion à ce sujet.


Je me suis levée de table et me suis assise dans mon fauteuil préféré.



Je me comportais de manière infâme. Les sentiments qui m’animaient n’étaient pas très reluisants. Mais elle l’avait bien méritée aussi cette conne.

Elle obtempéra. Je l’observais en finissant mon verre d’Irouléguy. Quand elle fut presque nue, je l’arrêtais dans son élan :



Je lui dis de se tourner et je la laissais un moment ainsi, au milieu de mon salon. J’avais le plaisir de sentir monter son ressentiment. De la haine peut-être même. Peu m’importait.



Et il est vrai, qu’elle avait de très beaux seins. Peut-être un peu lourd. Mais beaux tout de même. Je suis plus amatrice des petites poitrines généralement, mais là, j’étais bluffée.


Puis j’en eu assez de jouer ce rôle de salope, dans lequel je n’étais de toute façon pas convaincante.



Dans ses yeux brilla une courte seconde un sentiment de victoire. Mais elle se trompait. Je décidais de la laisser dans son erreur. Vu la situation, il était indispensable que tout le monde fasse à mon sujet un maximum d’erreurs et de sous-estimations. Question de survie.


Je me suis mise à l’embrasser à pleine bouche et manifestement, elle aimait ça. Il est certain que l’on ne saurait lui reprocher. Ou bien, elle jouait parfaitement la comédie.


Au final, Karolina Kürschner avait une très belle expérience des zones érogènes du corps féminin et poussait l’art jusqu’à murmurer à mon oreille ce qu’elle allait faire, une pornographie intellectuelle du dernier chic.


J’étais coincée, mais au moins, j’allais profiter de ce que j’avais sous la main.



À suivre



1. Voir Cavale