n° 22731 | Fiche technique | 43255 caractères | 43255 7664 Temps de lecture estimé : 31 mn |
02/11/24 |
Présentation: Où l’on retrouve Cassandre, la braqueuse romantique découverte dans la série « Cavale », publiée ici il y a quelques mois. Il n’est pas indispensable d’avoir lu « Cavale », mais c’est mieux, j’y ferai quelques fois référence. | ||||
Résumé: Décidément, Cassandre a le chic pour se mettre dans des situations compliquées. Ou bien, c’est elle qui attire les ennuis ? | ||||
Critères: #policier | ||||
Auteur : Laetitia Envoi mini-message |
Épisode précédent | Série : Imbroglio Chapitre 05 / 05 | FIN de la série |
Résumé des épisodes précédents :
Décidément, Cassandre a le chic pour se mettre dans des situations compliquées. Ou bien, c’est elle qui attire les ennuis ?
Nous attendions le père de Renata à la gare d’Honfleur. Renata allumait cigarette sur cigarette. Depuis quelques jours, elle s’était mise à fumer. La pression sûrement.
Nelle était assise sur un banc et lisait un journal qui traînait là. Je suis allée aux toilettes pour faire passer le pistolet dans la poche de mon blouson. Quand je suis ressortie, la gare était un peu plus remplie. Le train allait arriver. J’espérais que Von Hasselbach n’avait pas été suivi. Renata alluma une cigarette de plus avec son briquet Cartier. Un petit muscle sur le côté de sa mâchoire était bien trop contracté. Je lui adressais un sourire rassurant.
D’un seul coup, j’ai trouvé la situation extrêmement angoissante. Sous mon pouce, dans ma poche, le chien parfaitement graissé du Walther PPK remonta. Le pistolet était armé et prêt à être utilisé. Nelle acquiesça d'un mouvement de tête en devinant mon geste et reposa son journal sur le banc. Amusante cette façon que nous avions de penser la même chose au même moment, elle et moi. Une belle osmose.
Le train arriva. S’agissant du terminus, il y eut très peu de monde qui descendit, ça ne devait pas être une ligne très rentable en cette saison. Le quai fut rapidement vide et Von Hasselbach n’était pas là. Nelle se mit à remonter le quai. Je grimpais dans le premier wagon, mon arme à la main. Où était-il ? L’aristocrate allemand n’avait sans doute jamais raté un train de sa vie, ce n’était vraiment pas son genre. Je passais de wagon en wagon. Il se trouvait dans la dernière voiture, mais il n’était pas seul. Nelle, qui progressait sur le quai en même temps que moi, comprit et se cacha aussitôt.
Avec l’Allemand, il y avait deux types. Un petit et un gros. Le petit tenait Von Hasselbach en joue. Il était plutôt jeune. Le gros avait des yeux glauques et pointait sur mon ventre son arme. Il avait l’air de baver de joie.
Il avait l’accent du canton de Vaud.
Il eut un ricanement aigu.
A mon avis, il était trop sûr de lui, il ne devait pas avoir beaucoup de réflexes ni tirer vite. De plus, son esprit était occupé à fanfaronner. Il était à deux mètres de moi. Le second type de son côté braquant Von Hasselbach, ne pouvait pas me tirer dessus à l’instant, à la seconde, au centième de seconde. Je pensais tout ça en un éclair. Était-ce même penser ? La fin de la phrase prononcée dans mon crâne, j’avais sorti mon pistolet de ma poche et je sentais le recul du coup dans mon poignet. Le bruit de la détonation dans un espace aussi restreint et fermé que le wagon me réveilla. Je vis le gros partir en arrière, une tache de sang qui s’agrandissait sur sa chemise blanche.
Je me jetais sur l’autre gars dans le même mouvement. Lui, de son côté, avait eu une ou deux secondes d’effarement tout d’abord, puis autant d’hésitation. Beaucoup trop. Le canon du Walther PPK venait à l’instant même de lui écraser les cartilages du nez. Je répétais le même mouvement sur le poignet qui tenait son arme. Il hurla, le poignet cassé et le nez en sang.
Je le saisis par le col et écartais du pied son revolver tombé au sol. Ma balle avait touché le gros en plein cœur et il y avait du sang partout.
Nelle se matérialisa et dit d’un ton guilleret :
Vu le peu de réactions dehors, avec le vent marin qui soufflait plutôt fort, les gens de la SNCF n’avaient pas dû entendre le bruit de la détonation. Nous avons regardé Von Hasselbach s’éloigner et, de notre côté, nous avons suivi la voie en sens inverse, vers un terrain vague où rouillaient quelques wagons de marchandises réformés. La pluie avait commencé à tomber et le vent accentué par les grandes marées, faisait un barouf du diable. Je remerciais intérieurement les éléments qui étaient de notre côté et nous arrangeaient bien, pendant que Nelle poussait le jeune gars derrière un bâtiment désaffecté. Elle se retourna pour me dire :
Le pauvre gars avec le nez et le poignet cassés écoutait notre petite conversation, complètement hébété. Il avait l’air de se demander qui était les deux foldingues en face de lui. La pluie qui trempait son costume et diluait le sang sur son visage lui donnait un air de bête traquée qui m’aurait presque fait de la peine.
Il nous regardait avec des yeux effarés. La pluie se calma un peu.
Délicieux usage de la grammaire. Tant pis…
Et elle disparut instantanément sans faire de bruit.
Il avait l’air de ne rien comprendre. C’était juste un sous-fifre, qui pour Meier et Honegger, n’était que de la chair à canon.
Nelle revint.
Le pauvre type se mit à courir vers les lueurs de la gare. Avec Nelle, nous partîmes de l’autre côté, pour rejoindre l’hôtel à pied.
oooOOOooo
Nous étions installés tous les quatre dans la chambre louée pour Von Hasselbach. Nous analysions le contenu des poches du gros. Et c’était plutôt passionnant. Le truand, dont le corps attendait toujours au fond du wagon SNCF s’appelait Gérard Rufner, de Lausanne. C’étaient des faux papiers, mais ils étaient parfaits.
Nous avons trouvé aussi mille francs suisses, ainsi que mille euros en billets de 100. Rien d’autre, sauf une feuille de papier pliée en quatre. Et c’était elle qui était passionnante, le plan des docks du Havre et le nom du cargo qui devait y accoster prochainement, le Santa Angela, ainsi qu’un itinéraire.
L’aristocrate allemand marchait de long en large dans la chambre et commençait à me donner le tournis.
Ce type m’énervait. Nous venions de le sortir de la merde et il retrouvait aussitôt sa morgue.
Il se trompait tellement, depuis le début, que je n’avais même plus le courage de lui expliquer qu’il était grillé de partout, qu’il le savait sans se l’avouer, et que sa fille, qu’il aimait tant, était blême parce qu’elle savait qu’il se trompait. Mais non, il continuait.
Je répétais mot pour mot ce que Nelle lui avait dit 30 secondes avant.
Voilà, le type était gâteux. Et c’est son gâtisme qui avait provoqué toutes les erreurs qu’ils avaient faites depuis le début et qui avaient tué tant de personnes. Le type était tuant !
On n’avait jamais dit ça au Comte Magnus Von Hasselbach. Renata regardait son père sans rien dire.
Lui restait silencieux. A priori, il se passait des trucs dans sa tête. J’enfonçais le clou :
Renata avait dû vivre ça depuis son enfance. Il me revenait la gifle qu’il lui avait collée en ma présence.
Comme ceux qui utilisaient rarement des mots grossiers, c’eut un joli petit effet. Mais Von Hasselbach insista une fois de plus :
Von Hasselbach regarda Nelle, puis moi, puis Renata. Sa fille ajouta :
Il quitta la chambre en claquant la porte.
oooOOOooo
Nous étions revenues dans notre chambre. Nelle et elle sur le lit, moi dans le fauteuil en face.
Renata avait entrepris de dénuder le torse de Nelle et se mit à caresser son ventre à côté d’elle.
La caresse que prodiguait Renata à Nelle, n’était pas seulement précise, elle était efficace. La chair de poule envahit le corps de Nelle. Je vis la pointe de ses seins distinctement s’ériger et se durcir. J’observais ça depuis mon fauteuil, et la main que Renata promenait sur le corps de Nelle devenait plus précise, se glissant dans son jean.
Puis je me suis levée de mon fauteuil pour les rejoindre sur le lit, afin d’embrasser un des seins de Nelle et caresser un de ceux de Renata. Leurs corps étaient parfaits. Des corps décidés à jouir toute la nuit dans la sueur. Il n’y avait pas la moindre trace de défauts sur leurs peaux magnifiques.
oooOOOooo
Le lendemain matin, nous nous sommes aperçues que Von Hasselbach avait quitté sa chambre. Envolé. Ses affaires étaient toujours là, mais plus le bonhomme.
Apparemment, oui. Il devait être en train de monter un plan pour s’approprier la marchandise. Encore une nouvelle couche de trahison sur le mille-feuille déjà bien écœurant. Trahison particulièrement odieuse à mon sens. Trahir sa propre fille pour du fric, incompréhensible. Malgré tout ce qu’elle avait fait pour lui. On parlait d’une montagne de fric, d’accord, mais qu’est-ce que ça pouvait bien représenter, quand on a l’équivalent d’une dizaine d’autres montagnes dans différents paradis fiscaux de la planète. La nature humaine, enfin… plutôt la misère, me surprendra toujours.
Nelle ajouta :
Ses jolis yeux bleus me regardaient fixement, sans sourciller
Elle ne demandait pas la moindre pitié.
Mais bon sang, qu’est-ce qu’elle était belle !
oooOOOooo
Nous étions devant nos cafés. L’odeur du sexe de Renata, ou peut-être était-ce celui de Nelle, ou plus sûrement l’odeur des deux, était sur mes doigts à chaque fois que je portais ma tasse à ma bouche et que je buvais une gorgée de café. J’étais glacée et complètement vide.
Pourquoi était-il venu nous rejoindre ? Pour protéger sa fille ? Non, pour que nous le protégions au moment fatidique où il trahissait ses anciens amis, qui l’avaient trahi juste avant. Ils doublaient ceux qui voulaient le doubler. Le tout avec l’accord des Russes, qui eux aussi devaient jouer sur les deux tableaux. Vertigineux. Pendant que Meier et Honegger tuaient ou faisaient tuer un maximum de gens, lui jouait les martyrs et tirait les ficelles depuis sa planque, on ne sait où.
Il revint avant dix heures. Nous l’avons entendu entrer dans sa chambre. Il ne vint pas nous rejoindre. Nelle leva les yeux de son article qui disait qu’un cadavre, pour le moment non-identifié, avait été retrouvé dans un train à Honfleur, par des agents de nettoyage.
Renata avait longuement pleuré dans la salle de bain. Elle se regardait dans le miroir, immobile et sans se voir.
Sa voix était glacée.
et c’est moi qui vais faire ça.
Elle sortit de la chambre et referma la porte derrière elle. Ni Nelle, ni moi, n’avions prononcé la moindre parole. Nous étions devant la fenêtre et nous vîmes Renata et son père monter dans la voiture. Je dus m’y reprendre à plusieurs fois pour porter la tasse à mes lèvres. Nelle se reversa du café.
Nous n’étions pas fières, ni l’une, ni l’autre. Une fille allait tuer son père et c’est la logique mise en place par le père qui menait à ça. Je repris moi aussi du café.
Renata revint une demi-heure plus tard. Elle ne dit pas un mot et alla se coucher. Elle avait juste soufflé :
Renata sortit de sa léthargie deux heures plus tard.
Elle avait dit ça le regard vide. Ensuite, elle n’avait plus ouvert la bouche. Il manquait une balle dans le chargeur du pistolet qu’elle avait pris. Elle avait donc tiré. J’ai vérifié.
Il était sept heures du soir et Renata était repartie se coucher, personne n’avait envie de rien. Vers vingt heures, elle apparut à nouveau, comme un fantôme. Elle avait des cernes horribles et me paraissait proche de la crise de nerfs. Après tout, ça pouvait se concevoir.
Nous n’avons rien dit. Qu’est-ce qu’il y avait à répondre d’ailleurs ?
Elle parlait d’une voix vidée et blanche. Puis elle reprit :
Au bout d’un moment, elle reprit d’une voix plus calme.
Il y eut ce genre de crises toute la soirée et une partie de la nuit.
Le lendemain, nous préparions notre départ pour Lorient. Nelle avait acheté la presse régionale. L’homme qui nous avait vendu le tracteur avait déclaré aux gendarmes que les acheteuses étaient deux femmes aux cheveux châtains, dont une avait un fort accent anglais. Ou l’une blonde peut-être, il ne savait plus trop. Il avait fini par avouer qu’il avait vendu le tracteur issu d’une ferme en faillite. Les gendarmes devaient s’arracher les cheveux en plein dans des histoires de faillites frauduleuses entre paysans normands et d’arnaque aux assurances.
Renata allait mieux, même si elle restait mutique et parfois reniflait sur la banquette arrière de l’Audi sur le chemin de la Bretagne.
Le port de Lorient est bien plus petit que celui du Havre. On ne pouvait pas louper le cargo panaméen qui terminait son accostage, lorsque nous sommes arrivées. Avec Nelle, nous étions dans un bar près du port, en train de boire notre deuxième bière. Renata nous attendait à l’hôtel. Même si elle se remettait doucement, elle n’était pas en état de nous accompagner.
Von Hasselbach mort, qui allait essayer de prendre le chargement ? Personne ? Ça aurait été marrant, mais cela, j’en aurais été étonnée au plus haut point.
J’en étais là de mes pensées et je dis à Nelle :
Je me tournai et fus moi aussi bouche bée.
De mieux en mieux. Nelle rigola :
Cette fois, je me retournai franchement et fis un signe de la main à Honegger. Il eut un sourire et il dit quelque chose à Meier. Ils entrèrent dans le bar et vinrent vers nous. Ils avaient l’air ravi. Nelle me glissa :
Le tout sur un ton qu’elle aurait employé pour me dire que l’air était frais pour la saison.
Jamais vu un homme autant autosatisfait. Meier lui, se donnait des airs menaçants. Je voyais Honegger pour la seconde fois de ma vie et je ne l’appréciais pas plus que la première fois.
Ce Honegger devait être complètement fou. Lors de notre première rencontre en Allemagne, il avait bien caché son jeu celui-là. En tout cas, il avait l’air ravi de lui-même.
Ça, c’était Meier.
Décidément, c’était une manie. Ils ne pensaient qu’à cela, torturer les gens, principalement les femmes, d’ailleurs.
On pouvait dire de l’atmosphère, qu’elle était légère, pour le moins. J’espérais que Nelle n’allait pas les tuer là, à l’instant. Ce ne serait pas du plus discret.
Cette délicieuse conversation se passait au milieu du brouhaha, des rires, des pastis, des demis, ainsi que des corps et vêtements mouillé des dockers présents dans la salle. Les deux marins susnommés eurent l’air de s’intéresser à la conversation. Il faut dire, que ça les concernait aussi, après tout.
Nous nous sommes retournées et nous avons ignoré les deux ordures et les deux malheureux marins très cons, qui partaient au casse-pipe pour quelques euros.
oooOOOooo
Vers 23 heures, nous sommes sorties discrètement du gîte que nous avions loué en bord de mer, près de Lorient. Nous avions repéré les deux marins dont Meier avait tant vanté les qualités. Ils essayaient (mal) d’exercer une surveillance discrète de la maison. Ils étaient en fait visibles comme deux boutons d’acné sur la joue d’un adolescent. Le premier était accroupi derrière des buissons de genêts, l’autre derrière le petit calvaire, là où la ruelle qui longeait notre gîte devenait un chemin sablonneux menant à la falaise et à la mer.
Il fallait commencer par eux. Ça en ferait toujours deux de moins.
Elle montra le couteau de chasse qu’elle avait passé une partie de la soirée à aiguiser. Le reste de la soirée, elle avait démonté, nettoyé, graissé et remonté les deux fusils d’assaut.
Les deux idiots avaient des cabans foncés, mais des pantalons clairs. Certainement la tenue réglementaire des marins à bord du Santa Angela, et ils n’avaient pas jugé utile d’en changer. Je vis dans la pénombre, deux jambes claires gigoter, sûrement au moment où Nelle devait passer le fil de son couteau sur la gorge du rouquin. De mon côté, je me suis approchée de l’autre. Cet imbécile essayait d’allumer une cigarette, protégeant la flamme de son briquet avec sa main.
Je le braquais avec mon Walther PPK. Il se mit de dos.
Je me suis approchée et je l’ai assommé avec la crosse de mon arme. Puis je l’ai tiré par les pieds et l’ai fait basculer à la mer, depuis le haut de la falaise à quelques mètres de là. Son arme a suivi le même chemin.
Renata nous attendait au volant de la Kangoo que nous avions volée en fin d’après-midi du côté de Ploemeur.
Elle sourit et hocha la tête.
Le vent avait fini par se lever et il était plutôt violent. Le temps est changeant en Bretagne. Ça arrangeait bien nos affaires, ça assourdirait les détonations autour du Santa Angela, même si ça n’allait pas suffire. La rapidité d’intervention était donc primordiale pour notre plan. Il fallait agir avant que les forces de l’ordre ne soient sur place. C’est-à-dire qu’on n’avait que quelques minutes devant nous après le début de l’action. On allait entrer, tirer dans le tas, essayer de tuer Honegger et Meier, descendre dans les cales et on allait balancer nos deux grenades au phosphore sur la marchandise, ce qui ne manquerait pas de faire un bel incendie. Enfin, on dégagerait vite fait. Simple ? Oui. Efficace ? On allait rapidement être fixées.
Nous sommes arrivées vers une heure, près des quais du port de commerce de Lorient. Renata est allée se garer un peu plus loin dans une rue montante à l’écart, où elle devait nous attendre. Le Santa Angela avait accosté en bout de quai, près d’un chantier naval désert à cette heure-là. Il n’y avait personne nulle part dans le secteur d’ailleurs. À cette heure tardive, tout le monde dormait. Et ceux qui ne le faisaient pas étaient à l’abri. Le vent s’était encore renforcé, apportait des rafales glaciales et la pluie tombait abondante. La météo était avec nous.
Nous sommes montées à bord en enjambant une balustrade. Nous avons entendu Honegger dire :
Il était au-dessus de nous sur le pont supérieur, mais on ne le voyait pas. Nelle vida un premier chargeur. Les munitions éjectées du fusil Schmeisser produisirent un bruit furieux, mais aussitôt dissous par le vent. L’avaient-elles touché ? Aucune idée… Deux marins arrivèrent vers nous. On les voyait fort mal avec la pluie. Mais eux ne devaient pas nous voir du tout. Je réglais leur cas d’une rafale. La tuerie commençait et le vent de plus en plus violent faisait claquer des dizaines de câbles et de haubans.
Du moins, c’est ce que je pensai avoir lu sur ses lèvres. Mais ça n’irait jamais. À bord, ça bougeait dans tous les sens, dans les minutes qui venaient, nous allions être submergées. Sans compter que malgré le vent qui couvrait les tirs, la population finirait bien par entendre.
Nous n’avons croisé personne en descendant vers les cales. En revanche, nous entendions distinctement les pas précipités des marins sur l’escalier métallique derrière nous. Nelle me fit signe qu’elle s’en occupait. Je l’entendis vider un nouveau chargeur. J’entendis aussi deux ou trois corps dégringoler lesdits escaliers. Nelle revint à ma hauteur en levant le pouce.
Et d’un seul coup, Meier se matérialisa devant nous au milieu d’un couloir. Sa calvitie naissante avait un côté ridicule dans la lumière bleuâtre du couloir.
Il semblait terrorisé par le couteau de chasse qu’elle tenait dans sa main fine, recouverte du blanc laiteux d’un gant chirurgical. Celui qui avait voulu nous terroriser, se trouvait à son tour terrorisé. Il dit d’une voix chevrotante :
Je vis se former sur le visage de Nelle un rictus. L’autre recula jusqu’à buter contre la paroi. Elle lui enfonça son poignard dans le cou et trancha la carotide. Ainsi mourut Philippe Meier. Amen.
Nous avons trouvé rapidement le chargement qui nous intéressait et à cause duquel un grand nombre de personnes avaient perdu la vie. Il s’agissait de trois caisses ignifugées avec des inscriptions en anglais. Ignifugées certes, mais pas au point de résister à deux grenades au phosphore.
La lumière blanche du phosphore nous poursuivit lorsque nous avons remonté l’escalier. Tout commençait à brûler dans les entrailles du cargo. Au moment de balancer ma grenade, avaient défilé dans ma tête une succession de visages. Les visages de tous ceux morts pour cette connerie.
Cinq marins se présentèrent face à nous pour nous barrer l’accès à l’air libre. Ils virent nos fusils d’assaut et ça les rendit hésitants. Erreur grave, en situation conflictuelle, il ne faut jamais hésiter. Le chargeur que je vidais sur les trois premiers finit par décider les autres à fuir. Malheureusement pour eux, ils furent fauchés lorsque Nelle se mit à vider des cartouches à son tour.
Une fois sur le pont, nous avons pu voir que les flammes qui sortaient du bateau commençaient à rameuter du monde sur les quais.
Nous avons sauté à terre et sommes parties en courant vers la rue où Renata nous attendait. Derrière, nous avons pu entendre les sirènes de la police ou des pompiers qui arrivaient. Niveau timing, nous étions pile-poil.
Nous sommes arrivées essoufflées près de la Kangoo. Me retournant vers le port, je vis que l’incendie des cales du Santa Angela s’était propagé à l’ensemble du navire. Un joli feu de joie.
Quand j’ouvris la portière passager de la Kangoo, j’eus la désagréable surprise de constater que Honegger était assis à côté de Renata et qu’il avait posé sur sa tempe le canon d’un revolver.
N’importe quoi ! Renata n’a pas le corps blanchâtre. Ou si, peut-être oui, blanc, mais pas blanchâtre.
Bon, résumons-nous : Honegger était assis sur le siège passager. Bien. Il menaçait Renata avec un revolver. Bien. Honegger était hystérique, en plus il venait de tout perdre. Nelle et moi étions à contre-jour de nuit et la scène n’était éclairée que par les lumières du tableau de bord. Dans quelques minutes, le quartier allait grouiller de flics et de badauds. La portière de la Kangoo était ouverte et Honegger allait tirer, c’était certain. Nelle était derrière moi. J’ai senti qu’elle me glissait dans la main son couteau de chasse. Elle le tenait par la lame et je reçus le manche exactement comme il fallait, là où il le fallait. Honegger crut voir le léger mouvement entre nous, ça l’a déconcentré légèrement et le canon de son revolver bougea vaguement.
Je frappai avec le couteau, exactement sur la tempe de l’Allemand. La lame aiguisée fendit son temporal droit, s’enfonça et il mourut avant même d’avoir lâché son revolver.
Je claquai la portière. Avec Nelle, nous montâmes à l’arrière. Renata ne dit rien et se mit à foncer. Tout s’était passé en quelques secondes.
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Nous sommes juste repassées au gîte récupérer nos affaires. Nous avons repris la route aussitôt. C’était tellement le chaos sur le port de Lorient, quelques minutes auparavant, que personne n’avait sans doute remarqué la vieille Kangoo garée à une centaine de mètres. Mais il fallait être prudentes. Nous avons incendié la vieille voiture dans un coin paumé, avec le cadavre d’Honegger à l’intérieur. Une enquête de police allait être déclenchée, mieux valait être loin et assurer nos arrières.
Au petit matin, nous avions passé Nantes. Nous avons continué notre route en longeant la côte Atlantique. La fatigue commençant à me tarauder. Nelle, qui s’était assoupie quelques heures, me remplaça au volant.
Nous roulions face à l’île d’Yeux, quand deux vans sombres aux vitres opaques ont déboulé derrière nous. Le premier nous a doublé et le second c’est collé derrière nous.
Une vitre du van de devant s’est ouverte et un bras nous a fait signe de nous garer sur un parking désert en bord de mer.
Les deux vans se sont immobilisés côte à côte à quelques mètres de nous. Trois hommes sont sortis du premier. Un des trois s’est approché nonchalamment de l’Audi. Nous sommes descendues à notre tour.
Je me suis dirigée vers l’homme, la main en évidence sur la crosse de mon pistolet à ma ceinture.
Américain ! Du moins son accent.
Je toisais McGregor.
Ce type prenait tout ce que l’on lui disait au premier degré apparemment. Il continua :
McGregor ne comprenait plus du tout. Qu’est-ce qu’il croyait ? Nos faux passeports à Nelle et moi faisaient mille fois plus authentiques que toutes les saloperies qu’il ne pourrait jamais nous fournir. En plus si ce gars croyait qu’on allait accepter qu’il connaisse nos nouvelles identités. Il rêvait.
Il l’ouvrit et il y avait effectivement des passeports américains et des billets de cent dollars.
Il eut l’air soulagé.
Allait-il continuer longtemps avec ses « vraiment » à n’en plus finir ? Non, il nous salua et remonta dans son véhicule avec ses sbires.
Une fois les deux vans hors de vue, nous avons jeté la mallette à la mer avec les dollars marqués, les passeports et les puces GPS qu’elle contenait.
Nelle me dit :
J’éclatais de rire et dit :
Où pouvait-on aller ? Bonne question. Un détour par Bordeaux, pour un jeu d’identité pour Renata s’imposait dans un premier temps. Nelle et moi avions ce qu’il fallait en faux-papiers. Et ensuite ?
Nous retournions en Ardèche, donc.
Nous y avons passé des jours tranquilles, profitant de ce repos bien mérité après les péripéties et la folie furieuse des derniers jours. L’occasion aussi de profiter des deux jeunes femmes qui étaient avec moi, dans un environnement plein de quiétude. La tranquillité, nous en avions été sevrées depuis que nous étions ensemble. Nous en avions rêvé aussi. Les événements qui s’étaient enchaînés, à aucun moment, ne nous avaient permis de souffler. L’automne arrivant, j’ai converti mes deux amies à la cueillette des champignons, à jouer les épicuriennes, et aux soirées devant l’âtre à philosopher et refaire le monde. Le bien-être, l’apaisement après la bataille quoi, la paix des braves, le repos des guerrières. Presque la sérénité.
oooOOOooo
Nelle est partie avant Noël. Elle nous a juste dit :
Elle a aussi précisé qu’elle avait à faire aux Pays-Bas.
Son départ a sonné le glas pour notre triangle. Sans un de ses trois côtés, avait-il encore un sens ? Après ça, peut-on redevenir un couple ?
Un mois après, c’est Renata qui est partie. Elle voulait rentrer en Allemagne parce que c’était sa vie, là-bas.
Oui, j’ai tendance à me répéter. Mais je ne sais jamais trop quoi dire lors d’une séparation. D’ailleurs, y a-t-il quelque chose à dire dans ces situations-là ?
Elle m’a remercié de ce que j’avais fait pour elle et d’avoir essayé de sauver son père. Elle a pleuré un peu. Elle m’a dit qu’elle reviendrait certainement un jour. J’étais persuadée qu’elle ne le ferait pas. J’ai fait semblant de la croire.
Je suis donc revenue à ma solitude ardéchoise. En définitive, ce n’est pas si terrible à vivre que ça. Et c’est d’ailleurs pour cela que je m’y suis exilée. Et puis, il y avait le chien.
Je me suis demandé comment renouer avec Mathilde après quatre mois sans donner de nouvelles. Je cherchais des excuses crédibles. Par exemple, une maladie incurable qui finalement se serait révélée curable… Mouais…
On allait bien voir…